Chapitre 11 — Dimanche paisible

— Omar —

Je ne suis pas du genre frileux, mais le chauffage commence à manquer. J’ai appelé le loueur ce matin. Oui, je sais un dimanche, mais je commence à avoir froid. À mesure exceptionnelle, comportement exceptionnel: confinement oblige. Il ne m’a pas répondu tout de suite, il faut dire que je l’ai appelé de bonne heure. Je crois qu’il était 7 heures du matin. Je n’ai pas vraiment dormi cette nuit.

Confinement J-6

Nous voilà déjà au sixième jour de confinement, je crois que sans ces notes je commencerais à perdre toutes notions de temps. J’avoue ne pas encore bien réaliser la situation et les privations que cela engendre. Perdre ma liberté de mouvement, cela me perturbe certes, mais je pense que les enjeux sont bien plus grands.

J’ai passé la matinée, après l’appel du loueur (je lui ai demandé son nom, il s’appelle Monsieur Lefebvre) a essayé de redémarrer le chauffage. Je ne suis pas très bricoleur, on va dire que j’ai des bases, mais elles sont hautement insuffisantes pour comprendre la bête. J’ai appelé Antonio, mon beau-frère, le mari de Sid. Lui est beaucoup plus doué que moi avec ces choses-là. Il a passé, une moitié de l’appel à pester de ne pas être là pour m’aider directement et l’autre moitié à m’expliquer comment faire. Mais je dois dire qu’il a très bien réussi. Au bout de trois heures d’appel, j’entends le chauffe-eau grondé à nouveau indiquant qu’il redémarre. Une joie commune explose à la fois dans cette maison, mais aussi à l’autre bout du fil. Le confinement nous procure ces petits moments de débrouille qui tisse des liens entre nous. Antonio a toujours été l’un de mes beaux-frères préférés. Il est plutôt modeste comme homme et il n’y a pas plus gentil en matière de relation humaine. Ma sœur l’a rencontré de manière assez peu orthodoxe. Elle travaillait pour une fleuriste avant de monter sa boutique. Et il se trouve que la boutique a pris feu, et c’est l’équipe d’Antonio qui est intervenue. Il n’a pas réussi à sauver la boutique, mais il a gagné sa future femme. Leur histoire est belle et j’aime me la raconter de nouveau. Cela permet de garder un peu de joie dans ces moments tourmentés. J’entends au téléphone Sidney, qui semble aussi ravi que nous et qui finit par sortir :

— Bon, maintenant à table.

À table! Oui ! Il était presque 13 heures. Je dis à Antonio juste avant qu’il ne raccroche :

— Je t’en dois une, vieux frère ! Je te revaudrais ça.

Il me répondit comme je savais qu’il va me répondre :

—Normal la famille, Omar, la famille…

Je finis sa phrase :

— …c’est sacré.

Nous avons ri puis il a raccroché avant que ma sœur ne vienne encore pester pour le mettre à table. Sidney est adorable, mais elle a un sacré caractère. Tout le contraire de son mari qui est plutôt du genre dialogue et compagnie. Antonio, tout comme nous, est très famille, quand il est arrivé dans la nôtre, il n’a eu aucun mal à s’intégrer. Il faut dire qu’entre nous ça a tout de suite collé. Quand il a commencé à voir ma sœur, je ne me souviens pas avoir un jour eu besoin de lui dire de se méfier de lui, ou que je ne le trouvais pas fiable.

Le chauffe-eau remis en route, j’envoi un texto à Monsieur Lefebvre pour l’informer que l’on a résolu le problème sans lui. J’ai senti une certaine fierté à écrire cette phrase à cet homme qui ne nous avons été d’aucune aide. Depuis le début de cette crise, je sens qu’il ne gère pas le moins du monde le fait que deux personnes soient confinées dans son logement qu’il pensait sûrement être une source de bénéfice plutôt qu’un nid de problèmes supplémentaires.

Gabrielle est restée la matinée à l’étage sûrement sur un autre de ses personnages. Le métier de cette femme est fascinant.

Je remonte l’escalier et lui lance à travers la porte :

— Gabrielle, nous aurons chaud ce soir, Antonio est un génie, nous avons le chauffage.

Elle répondit simplement et presque de façon inaudible :

— Merci.

Suite à notre accord sur les repas, le midi chacun sa vie, je me fis un sandwich à la hâte et partis dans ma chambre.

Après cette matinée de dur labeur, du repos s’impose, après tout, c’est dimanche.

Mon téléphone sonne. J’avale presque de travers en voyant qui m’appelle. C’est Yao. Yao est mon demi-frère. Mon père l’a eu avec son ex-femme. Nos relations ont toujours été compliquées. Parce que nous étions mes frères et sœurs et moi le fruit de la séparation de ses parents. C’est devenu encore plus compliqué quand il y a quelques années, mon père a quitté ma mère pour se remettre avec celle de Yao. Depuis, nous essayons d’enterrer la hache de guerre. La guerre des parents était devenue la guerre des enfants. Guerre à laquelle mes sœurs n’ont pas vraiment pris part. Je pense que le gros du conflit s’est joué entre mon frère et moi. J’aurais à cette époque-là défendu ma mère à tout pris, tandis que lui défendait la sienne et mon père qui se retrouver au milieu constatant que tous ces litiges étaient en partis de sa faute. Mon frère est gentil, mais je pense qu’il n’a jamais su où se placer dans toutes ces histoires d’adultes, même quand il en est devenu un. Yao est policier. Il fait partit de tous ces hommes qui, en ce moment, donnent des contraventions aux gens parce qu’ils sortent de chez eux sans le papier magique. Le fait d’avoir quelqu’un de ma famille dans la police me fait voir ces contrôles différemment. Il reste mon frère.

Je décroche :

— Bonjour,Yao ça va ?

— Bonjour Omar, oui je voulais prendre de tes nouvelles. Comment tu vas ? J’ai appelé Sidney, elle m’a dit que tu étais perdu dans la campagne.

Je ne fus pas surpris qu’il ait appelé Sid, elle demeurait celle avec qui il s’entendait le mieux. En tant qu’aîné de la famille, Sid a en quelque sorte subit le premier divorce de mon père en même temps que Yao. Et contrairement à moi elle ne lui a jamais reproché la deuxième séparation tout comme lui ne l’avait pas fait pour elle à la première.

Je savais aussi que les nouvelles dans cette famille circuler vite. Je lui répondis :

— Oui, je suis à Marray. T’inquiète, il y a pire comme prison. Et toi, le boulot pas trop dur?

Ma question était sincère, je pensais à lui chaque jour, quand les informations évoquent les amendes et les gens qui s’en plaignent. Je sais qu’il n’a pas le choix. Les policiers sont payés à cela en ce moment.

Il répondit avec les mots auxquels je m’attendais :

— Disons que ça se poursuit. Je ne peux pas te cacher que ça devient chaud. Les gens n’apprécient pas les amendes et je ne te parle même pas du risque d’exposition aux virus. Comme tous les flics, je ne veux pas le ramener à la maison. Si Yasmine ou Salomé l’attrapaient, je t’explique pas comment je me sentirais coupable.

— Forcement, elles vous comment d’ailleurs ?

Yasmine c’est la femme de Yao et Salomé sa fille de 12 ans.

Il me répondit presque aussitôt :

— Ça va. Salomé n’a plus d’école.

Soudain, une voix derrière lui l’interrompit :

— Hey, c’est tonton Omar, oui tonton j’ai plus d’écoles et je suis bien contente de plus aller au bahut.

Yao proteste contre sa fille :

— Dites donc jeune fille tu viens de couper la parole à ton père.

Elle réplique :

— Oh ça va j’ai le droit de dire bonjour à tonton.

Je rentre dans le jeu de Salomé :

— Dis donc tu devrais courir très vite, sinon tu vas avoir des ennuis.

Yao nous suit amusé :

— L’encourage pas. Elle a filé. Tiens, oh elle t’écoute, tu vas pas la prendre en vacances. Ah les ados !

Je suis amusé et l’encourage :

— Courage, dans 6 ans elle est majeure.

— Ça me rassure.

Je décide de redevenir plus sérieux et de revenir sur le sujet qui commençait à m’inquiéter :

— Plus sérieusement quand tu dis chaud, tu veux dire que les gens ils se rebellent.

Il rassembla ses idées :

— Eh bien, disons que dans certains quartiers de Paris, les gens ne veulent pas d’amende, mais ils ne veulent pas non plus se confronter aux règles. J’ai une collègue qui s’est pris un projectile dans l’œil tomber du 6e étage. Vitesse plus hauteur, ça lui a fait quelques bleus. Et je t’explique pas la réaction de Yasmine quand je lui ai raconté ça, elle n’a qu’une peur que demain ce soit moi.

Ces révélations commencent à faire grandir une angoisse en moi, la même angoisse que je ressens pour Juliana. J’ai peur pour mon frère. Malgré cette crainte, je sens le besoin de le mettre à nouveau en garde :

— Fais attention. Sois vingt fois plus prudent que d’habitude. Tu me promets ?

— Mais oui, je te promets…. Dit-il un peu mollement, oh, attends, j’ai un double appel c’est le boulot, je dois te laisser. Au revoir Omar et toi aussi prend sois de toi.

— Au revoir

Il a raccroché.

Cette discussion va rentrer dans l’histoire. Je ne me souviens pas avoir depuis longtemps ressenti de l’inquiétude pour mon frère et encore moins lui en avoir fait part. Yao ne discutait pas vraiment. Là il m’a parlé comme si toutes les querelles n’existaient pas. Et je dois avouer que ce n’est pas pour me déplaire. Je redécouvre que je peux avoir une conversation normale avec lui. Ce confinement sous certains aspects a du bon. Je passe mes dimanches à appeler mes proches, alors qu’avant je courrai d’affaire en affaire en me promettant à moi-même que je devrais le faire et puis des mois passés et je manquais à ma propre promesse. D’où les nombreux lapins posés à Sidney.

En parlant d’appeler ses proches, je n’ai toujours pas appelé le loustic de Raphaël pour ses devoirs. On est dimanche, je ne vais quand même pas le soûler avec ça. Mais je vais quand même préparer le terrain pour demain. Les livres ne sont pas les seules choses que j’ai pris chez moi avant le confinement. J’ai récupéré cette manette de jeu que Raphaël m’a convaincu d’acheter pour faire des parties avec lui. Au début, j’étais nulle aux jeux vidéo, mais je dois dire qu’à force de faire de la pratique avec lui, non seulement j’y avais pris goût, mais je commence aussi à montrer un certain talent.

Je l’appelle sur le téléphone familial et sans grande surprise c’est lui qui décroche. Owen devait être encore en train de bosser et Lila peut-être repartit à l’hôpital. Dès qu’il décroche, je lui propose :

— Salut, Raph, c’est Omar comment tu vas ?

Une partie, ça te dit ?

— Salut, parrain, ça va, l’école c’est un peu relou à distance, mais ça va.

Je sens sans sa voix une réelle lassitude. Je sais qu’il n’était pas très porté études alors l’imagine se prendre en main et se forcer à travailler, ça me paraît un peu difficile.

— Une partie, ça te dit ?

— Oh, oui carrément.

Je lui demande pour en avoir le cœur net :

— Tu es tout seul ?

— Oui et non, papa est sur l’ordi toujours avec le boulot et maman à l’hosto.

Sa voix se fait encore plus lasse. Je sens que ses parents lui manquent. D’un autre côté, je comprends qu’Owen soit over booker et que Lila soit un élément crucial dans la société en ce moment quand elle va prêter main forte à l’hôpital. En tant que parrain, je décidais que j’allais à défaut de plaider la cause des gens devant les tribunaux, prendre la scolarité de Raph en main. Mais en attendant, j’allais inverser le dicton «  Après l’effort, le réconfort » et commence par le réconfort :

— OK bon on commence, tu as de la chance j’ai récupéré ma manette juste avant d’être bloqué ici. Ah oui et ne t’étonnes pas si ça coupe j’ai une connexion de dinosaure ici.

— Pas de problème

Et nous voilà partis dans une partie endiablée qui va durer sans doute longtemps.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez