Chapitre 12 — Envahissant

— Gabrielle —

J7 — Il fait beau, ça fait plaisir. On a le chauffage et l’eau et à nouveau à une chaleur agréable. J’ai perdu ma voix hier. Super… À force de tousser toute la nuit parce que mon rhume ne s’est pas calmé et que je me suis endormi allonger. L’avantage c’est que mon voisin ne risque pas de regarder grand-chose. Hannybal a goûté pour la première fois à des pissenlits cueillis dehors. Il n’a pas aimé visiblement et préfère les endives. Goût de luxe, va !

Sur internet, les recettes et les activités à faire avec ses enfants flambent. Hier, Omar s’est déchaînée sur internet avec un ado. Il joue assez mal, mais au moins il s’amuse. Son goût de la compétition répond au besoin du jeu pour ne pas lâcher la lutte. Par contre, il m’a volé toute ma connexion. Deux fois plus compliqué pour travailler du coup j’ai dû le faire la nuit. Je me voyais mal lui dire qu’il m’empêchait de bosser alors que j’aurais dû être en pause. Encore un truc qui manquait, super important, mais ridiculement inutile à la sortie du jeu à mon goût. En plus sous les conversations de bureau certains sont assez grossiers ce qui est agaçant. Des gens qui en face ne se seraient jamais permis de parler aussi franchement. Moi je ne cherchais pas le conflit, je veux juste faire mon boulot. Du coup, le réveil ce matin a été dur. J’ai imprimé une autorisation de sortie pour aller faire les courses tôt.

À la boulangerie, les gens font la queue à un mètre les uns des autres et ceux qui se connaissent se saluent de loin en criant dans la file. C’est assez drôle. À la boucherie, un homme passe devant tout le monde de force et commande presque toute la boutique. Difficile de ne pas le juger ou du moins de ne pas s’inquiéter de son régime alimentaire.

Il y a un supermarché tout petit, la femme à la caisse semble au bout du rouleau, les gens se servent et payent de loin alors qu’elle croise tout le monde masque sur le visage. Je mouche, tout le monde s’écarte, la caissière me sourit et bip quand même mes achats. Je soupire et sors. Maudit rhume, qui me fait passer pour une pestiférée. Tant et si bien que je me mets à avoir peur de l’avoir vraiment. Ce qui me dérange le plus c’est de le filer à tous ces gens qui ont fait la queue avec moi, ou Omar à la maison.

La maison… J’en parle comme la mienne. C’est étrange et dérangeant. Adams travaille à domicile comme moi. Il a plusieurs bacs blancs et exercices à faire. Qu’il fait ! Comme pour me le prouver, il m’envoie des photos de ses feuilles. Il va falloir aussi s’inquiéter de Parcoursup, parce qu’il n’a pas fini de faire ses vœux. On devait faire les lettres de projet motivé ensemble.

Mon téléphone sonne, je décroche alors que je prends le chemin de la rue des Pommiers, avec un mi-trottoir qui se change progressivement en terre battue.

— Madame Prévot vous n’êtes pas connecté à votre poste.

Je sursaute, vire au cramoisi, hâte le pas avec mes affaires. C’est la secrétaire de mon patron.

— Et bien c’est-à-dire que… je…

 

— On a des dates de rendues, ce n’est parce que vous êtes en confinement que vous êtes en vacances. C’est inacceptable !

Je suis un peu essoufflée, tâtonne pour introduire la clef dans sa serrure sans savoir quoi répondre.

— Je vais m’y mettre tout de suite, désolée.

Ma voix n’est pas très claire dans le téléphone. J’ai utilisé tous mes cartouches de son de la journée. Je n’écoute pas trop la suite, pose toutes mes courses sur la table. Je me connecte et je redescendrais mettre les choses au frigo.

 

— Oui, que ça ne se reproduise plus, Madame Prévot, on est une entreprise sérieuse ici.

J’ai l’impression de me faire enguirlander par ma mère sauf qu’avec elle je pouvais protester. Soudain, un doute m’assaille et je lève la tête vers l’horloge de la cuisine en retirant mon manteau. Les aiguilles montrent 8 h 49.

— Euh, excusez-moi on n’est pas encore dans les heures de travail là.

— Je compte sur vous madame.

Ça raccroche et je me retrouve devant l’évier avec l’envie de plonger mon précieux téléphone dans la vaisselle sale. Et merde. En plus, j’ai dit que j’allais le faire. Ils me soûlent et je m’agace deux fois plus. Ils se permettent cet écart parce que je suis impressionnable et aussi parce qu’on est à distance. Mes collèges vont sans doute recevoir le même appel.

Omar décent en baillant encore froissé par son lit. Il est toujours aussi grand lui.

Je lui montre les viennoiseries de la main. C’est mort pour que j’aie le temps d’en manger et comme ma voix est dans l’agonie la plus totale maintenant ça ne sert plus à rien de communiquer.

En traînant les pieds, je remonte claquer et agacer. Il marmonne un merci évasif, ses feuilles de dossier sous le coude, il prend le sachet de chouquettes et se met au travail depuis la table du salon. Cette fois, je n’ai pas envie de rester seul là-bas. Sinon je vais devenir folle et comme je suis incapable de ne pas culpabiliser après avoir dit un truc méchant je ne risque pas de me lâcher en écrivant.

Je descends mes affaires, ordi, souris, mouchoirs. Le travail envahit tout. On bosse tous les deux jusqu’à midi. J’ai réussi à expédier cette histoire de buisson pas assez buissonnant dans l’espoir de manger quand un mail se pointe avec une demande sur le façonnage d’une gemme violette de bas niveau pour l’événement coquillage du mois. Je pousse ma souris un peu brutalement sur la table usée, mais quoi faire d’autre que d’écrire que je vais le faire ? C’est mon domaine cette fois et j’ai les images et les cryptages déjà près. Ça va me prendre une heure de plus.

Je désespère d’aller manger moi qui ai faim depuis ce matin avec une simple tasse de thé dans l’estomac quand un pain de mie, jambon, fromage, endive atterrit sur mon coin bureau.

Je redresse mes lunettes, et dévisage le sandwich comme s’il était tombé du ciel quand une voix amusée dit tranquillement en retournant s’asseoir lourdement dans son fauteuil le même repas en main :

— Il faut manger trois fois par jour, c’est bon pour chacun. Surtout quand on est une petite crevette.

Je vire au rouge crustacé, pleine de gratitude, et à me demander depuis quand il me compare à une crevette. Les cheveux roux ? La taille ? La timidité ? Où c’est juste une expression qu’il utilise tous les jours ? Timidement, j’avance en me raclant la gorge :

— Même les crevettes à lunettes ?

— Surtout les crevettes à lunettes !

Je souris et croque dans mon pain, c’est bon, j’aurais ajouté de la mayonnaise, mais bon. Je pense à mon précieux poisson pris dans la supérette. J’ai de quoi le faire paner ce soir. Ça mérite bien de fêter cette complicité naissante. Les bonnes ententes disparaissent aussi vite qu’elles apparaissent et les faux-semblants sont de mise, je le sais bien. Omar a tout à y gagner à arrondir les angles avec sa voisine de confinement. Mais ça me plaît de pensée que c’est parce que je suis quelqu’un avec laquelle on a envie de parler.

Il retourne dans ses papiers et passe des appels, moi je mets mon casque pour rester concentrer. Dire que j’ai la dernière série de Sherlock dans mon ordi et que je ne peux pas la regarder… Sniff en plus, la télé du salon à un port USB. Si j’osais après le boulot…

21 h, je quitte mon poste. Merde le repas. Omar est encore plus plongé dans ses affaires qu’avant. Je me mets à la cuisine, remerciant la hôte d’être efficace pour faire revenir et paner le poison. Je trouve même des épices dans les étagères.

La chaufferie émet un son inquiétant au loin. Je coupe le feu, et vais à la rencontre de ce capricieux radiateur à eau géant. Maintenant que je sais où tu es hors de question que tu nous lâches !! Omar a laissé les outils glaner dans la maison près du chauffeur. Il toussote et s’arrête. Je remonte mes manches. Un père non bricoleur, un salaire juste pour les réparations et des ouvriers limites limitent dans la réalisation de la réparation dans un petit appartement de banlieue parisienne, plus beaucoup d’ennui et une communication restreinte. Autant te dire la tuyauterie que tu ne vas pas me résister longtemps. Le repas est presque près à côté et comme j’ai coupé le feu dessous il ne va pas avancer avant mon retour. Je vais faire ça vite.

En vérité, le tuyau d’arrivée était simplement entartré et avec sa remise en route tout s’est accumulé. Je me dépêche. Les hommes n’aiment pas savoir qu’on est repassé derrière eux, ça touche leur orgueil et ce n’est pas très féminin ce que je fais. Mon ex-mari me l’a dit plein de fois. Tant qu’Omar ne remarque rien, notre bonne entente va continuer. Je ressors de là en catimini, me lave les mains et relance la sauce qui va avec la panure.

— Le repas est…

Extinction de voix. Plus rien. Pas grave, il a entendu. Le dîner a été silencieux du coup. Je crois qu’il a aimé même s’il était encore à moitié dans ses affaires en cours. J’ai l’habitude, Clément mangeait toujours à demi à table à demi à la banque. Tous les hommes ne sont pas pareils, mais ça ne les empêche pas de se ressembler parfois.

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