Chapitre 11 - Iro - Les hauts quartiers

L’escalier semble interminable, à un point où, ni l’entrée, ni la sortie, ne sont visibles. Juste une suite de marches creusées les une sur les autres, au milieu d’un tunnel anxiogène, dont la progression se matérialise dans la qualité d’orfèvre de son ouvrage. Les marches difformes complétées d’armatures métalliques deviennent parfaitement espacés, à hauteur équivalente, à la taille nette. Les bras d’escaliers, et les aspérités des parois dans lesquels ils sont encastrés, disparaissent pour laisser place à d’impressionnantes gravures de ronces à fleur du cristal. Sur les dernières marches, épaulé par de somptueuses fresques murales, le plafond anxiogène s’envole sous un toit de draps blanc. Flottant au rythme des souffles de la brise fraîche qui s’engouffre dans l’escalier, ultime obstacle devant la petite porte ouverte, au cadre modeste, des hauts quartiers des architectes.

Après avoir enjambé les marches par quatre, Iro est la première à sauter sur le palier, suivi par Wazo qui reprend doucement son souffle, à la fois pour se reposer physiquement, mais aussi pour contrôler son excitation. Son sourire nerveux est mesurable à la hauteur de ses joues dansantes au-dessus de ses vagues de cheveux, défiante, impatiente devant l’aventure.

Devant elles, s’ouvre un couloir tubulaire de cristal dont les parois sont tapissées de longs draps de couleurs vives. Au milieu de celui-ci sont creusés deux ouvertures isocèles, parallèles, vers des pièces voisines. Au bout, au centre de l’étage, baignant de lumière, s’érige un escalier de cristal en colimaçon, l’hôte d’un spectacle des ombres des architectes vivant en ces lieux.

Iro se déplace sur la paroi droite, à la jonction de deux draps, et soulève délicatement un bout pour créer une fente dans laquelle elle glisse un œil baladeur. La paroi de cristal est limpide, prouvant le drap comme garant de l’intimité. L’entièreté de la pièce triangulaire est visible et vide, aucun balcon ouvert, mais le mur transparent permet de voir, de manière irréprochable jusqu’à l’horizon, les nuages sombres s’écoulant sur les végétations aux bordures des villages frontières. Wazo tire sa main pour refermer l’ouverture, puis lui murmure à l’oreille : « Fais attention ! Tu as de la chance que personne n’était dans cette pièce, elle lui saisit le bras, suis-moi de près. »

Elles se déplacent lentement vers la première ouverture. Wazo fait signe à Iro d’attendre, tandis qu’elle se penche pour jeter un coup d’œil discret dans la pièce de gauche.

« Bonjour Apprenti Wazo ! une voix au ton plein de respect s’adresse à elle. Vous êtes déjà de retour ? Faites attention, les cours reprennent bientôt.

– Oh… oui ! elle s’avance à l’entrée, prend un air distingué et élève, mais pas trop, la voix devant deux architectes, aux tuniques blanches et manches retroussés, assis à une petite table ronde en métal entrain de manger. Je comptais faire une courte sieste. Ne vous dérangez pas pour moi, continuez à manger »

Wazo maintient le contact visuel sur les architectes, fait un pas de côté sur la gauche, dissimule son flanc sous le drap mural, et enchaîne subitement des signes de la main. Paume ouverte, paume fermée, index dressé, agité, poignet fléchit, paume touille vers le bas frénétiquement, s’arrête, se ferme.

Iro comprend rien. Sa confusion l’assomme, tel un caillou rebondissant sur un crâne vide, elle laisse s’échapper son étonnement :

« Qu- !

– Quoi ? réponds l’un des architectes, sur le point de croquer un goutteux tubercule, en observant Wazo pétrifiée. Vous aviez une question à nous poser ? il fait un signe méticuleux de la main pour lui indiquer son écharpe de cheveux étouffant sa bouche.

– Qu, Que, Que, Wazo balbutie, tend le bras en direction du village frontière, clairement visible à travers le mur limpide, puis prends un ton sérieux. Que pensez-vous des frontières ? Que voyez-vous ?

Wazo attend que les deux architectes tournent de l’œil pour chuchoter à Iro, mais leurs regards reviennent rapidement sur elle.

– Des gens qui occupent leur rôle. Une ville qui garde la frontière. Leur nom suffit à leur fonction. Apprenti Wazo », réponds sans entrain l’un d’entre eux.

– C’est tout ce que vous voyez ! s’exclame-t-elle dramatiquement. Regardez-y ! Visualisez la plus petite ombre ! dérapant sur un sermon. Moi ! Je vois le poumon du Croc ! Des personnes qui inspirent par leur sacrifice. Qui chassent les créatures les plus obscures dans les profondeurs de ces forêts étouffantes… elle tourne rapidement la tête vers Iro, et agite ses bras dans son dos pour lui faire comprendre de passer derrière elle. Iro comprend. Elle s’apprête à bondir, mais se prend un coup sur la tête. Perplexe, elle se ré-agenouille dans l’attente d’un signal. En effet, les bruits de battement des manches de la tunique de Wazo avaient attirés l’attention des architectes. Dans une poursuite du mouvement, elle improvise et lève les bras, imitant le Professeur.

– Je vois les pieds du Croc ! Qui sans cesse, apportent des matières premières pour nos forges, contribuent à notre confort, afin que l’on s’élève que plus haut ! Regardez ! dit-elle en fronçant les sourcils, et profite de leur changement d’objectif pour secouer ses mains en signal à Iro, qui glisse d’un côté à l’autre de la porte.

– Et en dernier, je vois les enfants du Croc ! De futurs apprentis architectes, mais aussi d’autres, libres de choisir leur destinée. »

Les deux architectes applaudissent solennellement, sans grand éclat, dans la bienséance du silence des hauts quartiers, mais avec de grands gestes.

– Merci, Apprenti Wazo ! Vous ne cesserez de nous étonner.

– Je vous laisse, termine-t-elle avant d’emboîter le pas et trébucher sur Iro, lâchant de petits cris de gènes.

– Quelque chose ne va pas Apprenti ?

– Non, tout va bien. Continuez votre repas. »

Iro et Wazo continuent, en se massant leurs petits heurts, à pas feutrer vers le centre de l’étage.

« Tu penses qu’on devrait la suivre ? suggère l’un des architectes.

– Toi ?

– C’est quand même une apprentie, elle ne devrait pas se balader seule dans les hauts quartiers ? »

Il lui rigole au nez, en lui tendant un morceau tubercule prélevé de son assiette.

 

Iro et Wazo tournent la tête de gauche à droite, mais pas de trace de Hani.

« Tu penses qu’il est où ? murmure Iro

– Je sais pas. »

Elles longent le mur sur la gauche, évitent que leurs tuniques d’architecte ne réfléchissent la coulée de lumières venant de l’escalier central. Une ombre rétrécissante spirale au niveau de l’escalier, accompagné de bruit e pas descendant. En réaction, elles s’engagent dans un couloir adjacent.

« Viens », murmure Wazo en saisissant le bras d’Iro, puis tire une pliure d’un drap mural du bras droit du couloir. Elles s’engouffrent ainsi dans une cavité fermée, une ouverture entre deux voiles, un espace clôt et propice pour une oreille furtive.

De lents pas résonnent dans le couloir, passent devant leur cachette, puis rentre dans la pièce adjacente par la dernière porte.

« Vous ici ? exprime d’une voix posée, le Professeur envers l’intrus.

– J’ai besoin de réponses », murmure Hani.

 

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