Chapitre 12 - Iro - Apprenti Sani

« Des… réponses ? » réponds le Professeur qui continue sa lente démarche, piochant et déposant des pièces de son mobilier. Iro tend son oreille au plus près du drap tandis que Wazo la retient par petits à-coups afin d’éviter que son visage ne se moule dessus, ou pire qu’elles soient toutes les deux découvertes.

« Vous êtes conscients que votre présence… à cet étage… vaut une expulsion du Croc, à l’amiable. Une mort certaine, s’il y a un vol.

– Je n’ai jamais rien volé, vous m’avez donné…

– Et qui vous croira, interrompt-il. Vous. Un apprenti architecte. Vous êtes tous remplaçable, et je pense que tu en es conscient.

– J’en ai assez, aggrave du ton Hani. J’ai fait ce que vous m’avez demandé ! Maintenant, dîtes moi ce qui est arrivé à l’apprenti Sani.

– Es-tu conscient que cette information te mettra en grand danger ?

– Oui !

– Ah ! De la fougue mariée à de l’ignorance. Une jeunesse sans pareil. Bien, elle était membre d’un groupuscule complotant pour détruire le Croc, des révolutionnaires en quelque sorte. »

 

Le professeur reprend ses fouilles dans ses affaires en laissant de petits rires.

 

« Une révolte ! Comme si remplacer une tête allait transformer le corps. Comme si revêtir une tunique d’architecte incarne une quelconque autorité. Des fanatiques qui pensent vivre en communion avec les créatures de l’obscurité, et pourtant se camouflent parmi nous, quelle hypocrisie.

– Ce que vous dîtes n’a aucun sens ! s’exclame Hani. Sani n’a jamais voulu du mal à autrui. Elle est gentille, touchante, brillante, et ne se laisse pas influencer facilement, même si elle ferait partie de ce groupe.

– Ce groupe ? Ce groupe est à l’opposé des valeurs que promue le Croc, où chacun a un rôle, une responsabilité. C’est un organisme étranger, une épine dans le pied, un simple gêne qui peut devenir fatal sans surveillance. Il va de soi que sa destruction, dans la plus grande discrétion, est une priorité.

– Vous l’avez… assassinée ?

– Vous ? Moi ! Pour qui me prends-tu ? Je suis Architecte ! Certes, la défense du Croc est ma priorité. Certes ! Mais je suis seulement votre Professeur, et encore moins au courant de tout ce qui s’y passe.

– Mais Sani n’avait aucune raison de vouloir… un mal, quelconque…

– Une raison ? Pour quelle raison as-tu empoissonné l’oiseau d’Iro ? Obéissance ? Autorité ? Non… Rien de cela. Ne cherchais-tu pas des… réponses ? Ta curiosité, t’a conduit à moi. La sienne, l’a perdu.

– Je n’en peux plus, la voix d’Hani se déchire entre la frustration et la tristesse, dîtes moi où est Sani ?

– Je n’ai pas cette réponse, console le Professeur en lui frottant fermement les épaules pour donner l’illusion d’un réconfort bienveillant. Mais tu peux toujours m’aider à les trouver en… continuant à surveiller Iro. Le professeur tapote les joues d’Hani, et s’adresse à lui une dernière fois avant de quitter la pièce. Sèche-moi ces larmes. Le cours va bientôt commencer, et ne t’avise pas à fouiller dans mes affaires, j’ai fait le compte. Et. Ne te fais pas attraper ! »

 

Par la suite, Hani sort de la pièce sur la pointe des pieds. Iro s’apprête à tirer le drap pour voir l’intérieur de la salle du professeur, mais se fait arrêter par Wazo qui lui chuchote.

 

« Qu’est-ce que tu fais ? Le cours va bientôt commencer.

– Pas si près. Juste un coup d’œil.

– Tu veux finir comme Sani ? ces quelques mots blessèrent Iro plus qu’elle ne l’imaginait. Tu veux être associé à une révolutionnaire, perdre ton rôle d’apprenti architecte et pire…

– Meos…

– Pense à ceux que tu souhaites protéger, ne te laisse pas dévorer par une curiosité néfaste. »

 

La tension des membres d’Iro se relâche. Wazo la guide hors de la cachette, et elles entament leur extraction à grands pas le long des couloirs. Le brouhaha des architectes gonflent, annonçant la fin du repas et la reprise des activités. L’escalier vers le quartier est droit devant. Par prudence, elles ralentissent devant la pièce, où mangeaient les architectes, et soudainement une main attrape Iro par la bouche, la soulève à sa taille, puis la traîne dans la pièce vide opposée.

« Apprenti ! Je vous tiens ! »

Un architecte, auditeur du discours prandial improvisé de Wazo, descend de l’escalier central et se dirige vers elle.

« Je vous ai cherché un bon moment. Vous déplacez ici sans compagnie, enfin d’un architecte, peut être mal vu. S’il vous arrivait quelque chose, votre père serait en difficulté. Suivez-moi, je vais vous accompagner.

 

Wazo tourne la tête pour chercher Iro, mais ne remarque pas sa présence. À la fois rassurée qu’Iro n’ait pas été vu mais anxieuse de l’avoir perdu de vue, elle suit l’architecte en œillant derrière elle, espérant être suivie.

 

Le corps d’Iro est dos au sol, l’emprise autour de sa bouche se desserre délicatement, et une voix chuchote dans son oreille : « C’est moi, Raivo. Je vais te relâcher, mais garde ton calme. » Il s’exécute et prend un coup silencieux dans le ventre.

 

« Mais t’es malade, murmure avec énervement Iro. Qu’est-ce que tu fais là ! elle prend sa tête entre ses mains, On a pas le temps ! Le cours va bientôt commencer. On est foutu.

– Suis-moi ! Raivo l’entraîne par le bras. De la salle, au couloir, vers l’escalier descendant. Ils trottinent tandis qu’Iro semble blasée par la situation.

– Qu’est-ce que tu fais ? On va croiser Wazo et l’architecte à ce rythme.

– Ça va le faire.

– Comment ça ?

– Au culot !

– On va mourir, Adieu Meos », proclame mélo-dramatiquement Iro, perdu dans son désarroi, en reniflant pour retarder ses larmes.

 

À l’aperçu de Wazo suivant l’architecte, Raivo s’arrête net, faisant percuter le menton d’Iro sur son dos. Un bruit de claquement de dents résonne dans l’escalier. Wazo s’écrie de surprise.

 

« Un problème Apprenti ? demande l’architecte, qui tente de tourner la tête, avant de se faire écraser le visage par les mains de Wazo.

– Aucun problème. Je me dis que le cours va bientôt commencer, donc on devrait se presser.

– Vous avez raison, Apprenti ! » l’architecte accélère, sautillant de marche en marche.

 

Wazo lance un clin d’œil en arrière, le pouce levé, pleine de fierté mais Raivo est livide. Il se met à agiter les bras dans tous les sens, créant un nouveau mode de communication, d’une rapidité chorégraphiée. Il pointe l’index vers l’architecte, le tourne dans les airs, et lance en succession son pouce en arrière, puis fait un moulinet avec ses mains avant de frapper l’air la paume ouverte, vers elle. Iro comprend rien. Wazo lève le pouce, et pars rattraper l’architecte.

 

« Vous m’accompagnez bien jusqu’à la salle de cours ?

– Non, juste en bas des escaliers, puis je remonte. Mes responsabilités m’interdisent de quitter le haut quartier. Mais, pour vous, je peux faire une exception.

– Ah ! exprime Wazo, réalisant qu’elle a probablement pas compris ce que Raivo lui demandait.

– Ah ? mime l’architecte avec plaisanterie. Allons suivez-moi, je ne souhaite pas que vous soyez en retard, dit-il en continuant ses petits sauts. Wazo se retourne et remarque les petites têtes de Raivo et Iro, pointant du nez sur le virage du haut de l’escalier. Ils répètent en parallèle le même geste de pouce lancé vers l’arrière dans leur dos.

– Attendez ! interpelle Wazo. Je ne souhaite pas entraver vos responsabilités. Votre devoir ne devrait pas porter mes fautes. Si je suis en retard, ce sera ma simple faute. Wazo pousse sur l’architecte sur le côté, et commence à dévaler les escaliers. Remontez ! Ne vous inquiétez pas pour moi !

– Mais… Apprenti ! l’architecte perd de vue Wazo, et remonte bredouille. J’espère qu’elle m’oubliera pas. Où parlera à son père de moi »

 

Finalement arrivé en haut des escaliers, devant la porte du haut quartier, l’architecte entend des bruits de clappements. Il lève la tête au plafond pour contempler les draps onduler avec la brise. À quelque pas derrière lui dans le cœur de la voûte, Raivo et Iro tiennent en suspend, au-dessus des escaliers, les pieds aux prises sur les reliefs de ronces de cristal, leurs gouttes de sueurs éclatant sur les marches. L’architecte se retourne l’air songeur, pensant une dernière fois à Wazo, heureusement le duo a déjà disparu dans le virage de l’escalier. Il s’exprime solennellement.

 

« Apprenti Wazo. Votre présence nous illumine. »

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