Chapitre 11, La blanche colombe

Notes de l’auteur : Dernier chapitre de la partie, on arrive à la moitié de l'histoire ! Je vais faire une pause dans la publication pour vous présenter la meilleure deuxième partie possible ^^

 

           Il fut surpris par les applaudissements du public. Personne ne semblait avoir entendu leur échange. Alexander rejoignit sa place à pas lents, sonné.

— Ça ne va pas, maître ? demanda Dorothy en le considérant, inquiète.

— Si si, ne t’en fais pas.

À vrai dire cela faisait longtemps qu’il ne s’était pas senti aussi mal. La fillette voulut en savoir plus, mais elle fut happée par une nouvelle représentation. 

Tant mieux. Son professeur fixait ses chaussures, trempé de sueur et ruminant ce qu’il venait de se passer. 

Il n’avait jamais cru à la magie, ni à Dieu d’ailleurs. Mais ces derniers temps, tout semblait le contredire.

Alexander eut beau se creuser la tête, il ne trouva pas comment expliquer ce qu’il venait de vivre rationnellement. Ce qui était sûr, c’est qu’il n’avait qu’une envie : tuer cette monstrueuse sorcière qui le plongeait dans les tourments de son passé.

Lorsqu’il la revit sur scène pour le salut final, il serra les poings, la fusillant du regard. Elle eut un demi-sourire en croisant ses yeux furibonds, ce qui le mit encore plus en colère. 

Dorothy, elle, avait le regard émerveillé et n’en finissait plus d’applaudir. Elle trotta gaiement derrière lui quand ils sortirent du chapiteau. 

Alexander avait l’envie pressante de s’éloigner du cirque, néanmoins il voulait revoir Will. Aussi prit-il son mal en patience en attendant que le chapiteau se vide. Il alla ensuite directement voir Melchior Anguis, qui supervisait la réorganisation de la scène. 

— Eh bien, qu’avons-nous là ? fit ce dernier en les voyant arriver.

— Je suis venu voir Will, dit le visiteur d’un ton sec. Où puis-je le trouver ?

Anguis allait répondre quand il fut coupé par Dorothy.

— Votre spectacle était inouï ! Tous ces costumes, cette mise en scène, cette aisance, c’était…ouah ! 

Le maître du cirque haussa un sourcil amusé. Il lui servit un sourire chaleureux. 

— Eh bien, je suis ravi de l’entendre jeune demoiselle. Si tu veux, je peux même te montrer quelque chose.

— Ah oui, quoi ? 

Alexander fronça les sourcils.

— Regarde. 

Anguis présenta un foulard blanc à la fillette. Il fit un geste rapide et le foulard se transforma en magnifique colombe qui s’envola dans le ciel.

— Merveilleux ! s’exclama la spectatrice, admirative. Comment faites-vous donc ?

— Un magicien ne révèle jamais ces secrets mais pour toi je vais peut-être faire…

Alexander posa une main protectrice sur l’épaule de son élève.

— Nous n’avons pas beaucoup de temps, j’aimerais voir Will avant de partir.

L’imposant bonhomme haussa un sourcil.

— Un problème ?

— Aucun, grinça-t-il.

— C’est le tour que vous a jouer Alma ? Vous avez dû l’énerver, alors elle a décidé de se venger…

— Je ne veux pas en parler.

Melchior leva les deux mains.

— D’accord, d’accord je vais vous mener à Will.

— Bien. Merci.

Il prit Dorothy par la main, l’entraînant à sa suite. Elle fit un signe de la main au maître du cirque qui le lui rendit, avant de reporter son regard sur son professeur.

Elle ne fit aucune remarque sur son humeur, mais posa simplement une question : 

— Dites, maître, qui est ce Will que nous allons voir ?

— C’était le valet de votre mère.

— Mais le valet de ma mère s’appelait John…

— Celui qu’elle a engagé après le décès de votre père.

— Elle… avait un valet ?

Elle ne dit rien déplus, pensive.

Lorsqu’Alexander entendit la voix assurée de Collin, il se précipita dans sa direction. Il aperçut les deux garçons en train de transporter des caisses de matériel. Il les appela en leur faisant un signe de la main.

Will faillit faire tomber son chargement en le voyant. Il laissa les caisses par terre et courut vers son ami.

— Je ne croyais pas vous revoir ! s’exclama-t-il les yeux embués de larmes.

— Eh bien me voilà.

— Salut m’sieur ! fit Collin. Tiens, c’est qui que vous amenez là ?

Dorothy s’avança, étrangement timide. Will s’immobilisa.

— Ce ne serait pas…

— Si, dit Alexander d’un ton étrangement fier, je te présente Dorothy Adamson. Dorothy, voici Will.

Dorothy fit un immense sourire au jeune garçon qui rougit et baissa les yeux.

— Je ne savais pas que tu étais au manoir, mais je suis heureuse de te rencontrer, déclara la fillette en tendant la main. 

Will semblait hésitant. Son visage avait pris la couleur d’une tomate bien mûre, il finit par relever la tête. Leurs regards se croisèrent. 

Dorothy sursauta comme si elle avait reçu une décharge électrique, elle s’immobilisa, ses yeux bleu ciel plantés dans celui de garçon. 

— Le coup de foudre ? demanda Collin d’un air amusé. 

Quelques secondes passèrent sans que les deux enfants ne détachent leur regard l’un de l’autre. 

— Non… murmura soudain la jeune demoiselle… non…

— Qu’y a-t-il ? questionna Alexander. 

Elle avait pris un air horrifié, comme si Will s’était soudain transformé en monstre. 

— Non… non…

Elle se mit à trembler, elle se tourna vers son professeur. Des larmes affleuraient ses yeux. 

— Je ne peux pas le croire… non… ce n’est pas possible…

— Dorothy, qu’est-ce qu’il se passe ? s’exclama-t-il de plus en plus inquiet. 

La fillette se mit à trembler plus violemment. 

— Mère… n’aurait jamais fait ça… non… non… Père…

Elle semblait s’étrangler d’horreur.

— Dorothy !

Il la prit par les épaules, elle avait le regard brumeux. 

— Je vais chercher le médecin de la troupe ! s’écria Collin en partant. 

Quand Alexander put enfin accrocher le regard de son élève, il y vit un torrent d’horreur. Une brusque désillusion qui emportait la petite fille telle une brindille dans un ouragan. Mais qu’est-ce qui avait pu déclencher ça ? 

— Non… non… NON ! 

Elle bougea comme si elle cherchait à s’enfuir, intriguant les passants qui s’approchaient de la scène. Elle se mit à hurler quand elle rencontra le regard d’un grand homme blond aux yeux azurés. Elle se débattit violemment dans les bras de son précepteur. 

— Dorothy, qu’est-ce que tu as ?!

Elle s’immobilisa en face de lui. Un flot de larmes coulaient sur ses joues. Elle ouvrit la bouche pour dire quelque chose mais ses mots restèrent coincés dans sa gorge. Elle mit ses mains sur sa tête et hurla, attirant les badauds curieux.

— Dorothy ? Dorothy ?!

Collin revint avec le docteur.

— Qu’est-ce qu’il se passe ?! demanda celui-ci. 

— Je ne sais pas, elle s’est soudain…

Profitant de la distraction de son maître, Dorothy s’échappa de son étreinte, pleurant et hurlant. 

— Dorothy ! 

Il se lança à sa poursuite, mais la foule amassée le ralentit alors que la fillette se faufilait aisément entre les passants. Will se lança aussi à sa poursuite. 

— Dorothy ! 

Il la perdit de vue quelques secondes avant d’apercevoir un pan de sa robe blanche. Il joua des coudes, criant le nom de son élève, tentant de la suivre des yeux dans les rues bondées. Il la perdit de nouveau, ses yeux fouillaient désespérément la foule. Alors qu’il l’appelait à s’en casser la voix, il entendit des hennissements et des cris dans une rue adjacente. Un mauvais pressentiment le fit bousculer les passants en direction des bruits, Will derrière lui. 

Il fendit la foule et émergea sur une grande rue.

En face de lui, un fiacre était arrêté, le cocher avait sauté à terre pour rejoindre le corps.

— Ce n’est pas ma faute ! protestait-il auprès des observateurs de la scène. Elle s’est jetée sous les roues !  

Ce n’était pas beau à voir. 

Will poussa un cri. Alexander fixa Dorothy sans trop y croire. La neige se mit à tomber à cet instant précis. Les flocons fondaient très vite dans le sang chaud répandu au sol. Cette vision l’aspira vers un souvenir lointain. 

 

***

 

Willy était tapis derrière un charriot dont le bois pourri ne tiendrait plus longtemps. Il observait avec angoisse ses deux frères se disputer un peu plus loin. Riley avait le visage tordu de haine. Cela faisait trois jours qu’il avait retrouvé le corps violé de sa sœur dans une des planques délaissées d’un gang bien connu, les Dead Rabbits. Gang dont faisait partie Craig. Lisa avait été tuée pour punir Willy d’avoir découvert leur cachette d’armes de contrebande. Riley lui avait dit de rester caché. Craig, quant à lui, ne semblait pas plus choqué que ça d’être impliqué dans le meurtre de sa sœur. La discussion s’envenimait.

— Je lui avais dit de ne pas se mêler de mes affaires mais tu le connais, c’est une belette.

— Il voulait jouer avec toi !

— Ce n’est pas moi qui ai pris la décision de vous punir.

— Comme si tu n’étais pas responsable ! Lisa était ta sœur putain !

— Oh, je t’en prie. Seulement par le sœurs. Mes vrais frères sont dans le gang.

— Tu es un monstre ! Tu ne me laisse spas le choix !

Riley sortit un couteau de sa poche, les joues situées de larmes de rage. Craig appela ses camarades à la rescousse. 

Willy regarda, le souffle coupé, Riley se faire lyncher. Il était figé, muet, agrippant le bois du charriot jusqu’à ce que des échardes se plantent dans ses doigts. Il vit Riley disparaître derrière le groupe qui s’agitait et criait. Il fut tenté d’intervenir, mais resta cloué sur place.

Finalement, les truands partirent, Craig en dernier. Il fixait son frère étendu au sol, un air indéchiffrable dans le regard. Il repéra Willy du coin de l’oeil. Un sourire étrange se dessina sur son visage.

— Tu nous as espionnés, petite belette ? Alors, le spectacle t’a plu ? Vu ta tête, ça m’étonnerait. Je te l’avais dit pourtant : la curiosité est un vilain défaut.

Et il partit. 

Willy frissonna, pas à cause du froid mordant que sa petite veste ne repoussait pas, mais de terreur. Il attendit un long moment dans sa cachette, fixant de loin son frère qui remuait vaguement. En ce milieu d’après-midi, la rue était déserte, tous les habitants étaient partis au travail, ceux qui n’en avaient pas s’étaient cloitrés chez eux lorsque le gang était arrivé. Il y régnait un silence oppressant, que les échos lointains des autres rues ne faisaient qu’accentuer. 

Willy ne sut jamais comment il réussit à se décrocher du charriot pour rejoindre son frère. Ce trajet de quelques mètres lui parut être un périple sans fin. Il s’agenouilla aux côtés du blessé, étreint par une horreur indicible. Le visage de Riley était déformé par de nombreuses bosses, sa peau cramoisie tirait sur le violacé, et le bas de son visage était couvert de sang provenant de son nez et de sa mâchoire éclatée. Le reste de son corps avait été troué au couteau, vidé comme un sac de grain. Ses membres cassés arboraient des angles improbables et ses vêtements déchirés laissaient entrevoir de profondes entailles. Il respirait difficilement, chaque bouffée d’air lui semblait être une épreuve. Dans ce corps ravagé, seul un œil était intact. Il se fixa sur Willy.

Riley remua un peu, poussa un râle, mais ne dit rien, sans doute ne pouvait-il pas. 

Willy aurait voulu lui parler, ou appeler à l’aide, mais il demeura muet, tremblant, à côté de son frère qui agonisait. Riley reporta son regard vers le ciel. Le soleil était invisible derrière de lourds nuages pâles. Il ouvrit faiblement les lèvres, révélant une bouche dégarnie de dents, et tenta de dire quelque chose. Seul un gémissement sortit de sa gorge écrasée. Il sembla alors abandonner.

Willy le supplia du regard, mais la respiration sifflante du blessé s’était tue. Son oeil, immobile sur son visage tuméfié, fixait la voûte de nuages, terne.

La neige se mit à tomber à cet instant précis. Les flocons fondaient très vite dans le sang chaud répandu au sol. 

Un silence, froid, cruel, terrible, s’abattit sur l’enfant. Il se recroquevilla, soudain gelé, tandis que dans ses yeux noirs naissaient des larmes. Des sanglots secouèrent son petit corps, il se courba sur la dépouille de son frère, que la neige recouvrait déjà d’un manteau immaculé.

Willy se pressa contre le cadavre, pleurant doucement, implorant en silence. Un immense vide se creusait en lui, lui meurtrissant le cœur. Ses larmes gelées traçaient des sillons rougeâtres sur sa peau pâle. Il tentait de chasser cette scène horrible par son esprit, invoquant un cauchemar, espérant se réveiller dans les bras chauds de son frère.

Mais le corps de Riley était déjà froid. Alors Willy resta là, muet, glacé, seul.

 

***

 

Alexander se tenait au milieu des badauds qui s’agitaient autour du cadavre.

Les yeux bleus de Dorothy, fixés, vides, vers le ciel blanc, n’exprimaient plus rien. 

Il fallut plusieurs minutes au jeune homme pour réaliser que son élève était morte. L’image du corps meurtri de Riley se superposa à celui de la fillette. 

L’horreur de la perte le saisit. Sa trépidante et enthousiaste élève le lui sourirait plus jamais.

Le visage de la Comtesse lui apparut.

Je dois lui dire.

Il ne savait pas exactement ce qui s’était passé, mais la mort de son élève était de sa responsabilité. C’était lui qui l’avait emmenée à Londres, lui qui lui avait fait rencontrer Will. C’était de sa faute. Alexander serra les poings. 

Il était seul, il devait assumer ses actes. Un sentiment noble auquel il n’était pas habitué. Il se sentait le devoir de retourner au manoir pour se confronter à la Comtesse. Il devait ramener Dorothy chez elle, où elle avait été, jusqu’à ce qu’il vienne, en sécurité. Il se saisit délicatement du corps de la fillette.  

— Je retourne au manoir, énonça-t-il d’une voix blanche, je ramène Dorothy auprès de sa mère. 

— Mais… elle va vous tuer ! 

— Regarde, dit Alexander en pointant le corps de poupée cassée de Dorothy. C’est moi qui ai déclenché ça. Je vais voir Annabeth. 

Will laissa libre cours à ses larmes. 

— Madame tient plus à sa fille qu’à elle-même, elle va être dévastée…

— Je suis désolé. Vraiment.

Avec la nette impression que c’était un adieu, il salua Will et se fondit dans la masse des passants bouleversés. 

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Elly
Posté le 30/10/2024
Ce chapitre me brise le coeur... Que ce soit la réaction de Dorothy en croisant Will, sa mort ou le passé d'Alexander... La Comtesse va être dévastée. La mort de Dorothy a quelque chose de terriblement cruelle et injuste.
Moi, ma théorie (un peu tirée par les cheveux, je l'avoue) c'est que Dorothy à des sortes de pouvoirs, un peu comme Alma, et que d'une façon ou d'une autre, elle a comprit le passé de Will (d'où son incompréhension, n'imaginant pas ses parents agir ainsi).

Je flippe pour Alexander pour la suite !
AudreyLys
Posté le 31/10/2024
Tu n'es pas si loin de la vérité ^^
Je suis contente de voir que tu es investie émotionnellement ça prouve que j'ai bien fait mon travail :)
Merci pour ton com' !
blairelle
Posté le 10/09/2024
La scène entre Dorothy et Will me laisse penser que Dorothy aurait été victime de son père, en même temps que Will peut-être, elle a été sauvée par sa mère, elle a oublié (amnésie traumatique ou rituel occulte ?) et voir Will lui a tout rappelé.
Et la suite s'annonce bien risquée pour Alexander, c'est cruel de mettre une pause à cet endroit !
Par contre j'ai pas bien compris qui dit quoi dans la discussion entre Craig et Riley (j'ai essayé de relier chaque phrase à chaque personnage mais j'en ai tiré la conclusion que c'est Riley qui a tué sa propre sœur ??)

"Il n’avait jamais cru à la magie, ni à Dieu d’ailleurs. Mais ces derniers temps, tout semblait le contredire." pourquoi ? À part Alma, y a quoi qui semble le contredire ?
Typos :
"le tour que vous a jouer Alma" => joué
"Elle ne dit rien déplus" => de plus
"Tu ne me laisse spas le choix" => laisses pas
AudreyLys
Posté le 10/09/2024
C’est un plaisir de lire toutes vos théories ^^ Mais un peu frustrant de ne pas pouvoir y répondre !
Je vais relire le dialogue pour voir ce que je peux clarifier. C’est Riley qui reproche à Craig d’avoir participé au meurtre de sa sœur.


À cette phrase est un reliquat de la précédente version qui insistait plus sur le surnaturel à ce stade là. Je vais l’enlever je pense.

Merci pour les coquilles et pour ton com’ :3
blairelle
Posté le 10/09/2024
J'ai relu et je crois que je comprends mieux : Craig, Riley, Willy et Liza sont tous les quatre frères et sœur ?
D'ailleurs le prénom de la sœur passe de Liza à Lisa
et autre coquille : "Seulement par le sœurs" => par le sang, je suppose
AudreyLys
Posté le 12/09/2024
Oui c'est ça !
Merci pour les coquilles !
Raza
Posté le 09/09/2024
Wah wah wah wah wah. Wah.
Bim. Bam. Paf. Grosse claque dans la tête.
Je ne m'y attendaisbpas, la surprise est totale!

Petites typos ;
vous a jouer
Déplus
Laisse s

Fin incroyable, effet réussi. J'imagine que will est soit son père en plus jeune soit son frère. Hàte de savoir...
AudreyLys
Posté le 10/09/2024
Je suis contente de voir que l’effet est là ^^
Merci pour les coquilles !
À bientôt pour la suite !
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