Chapitre 11: La faute

Guigues marchait depuis le point du jour à travers les champs et il ne croisait que quelques rares paysans passant au loin de temps à autre. Il faisait chaud malgré les gros nuages gris qui couvraient le ciel et il devait s’arrêter régulièrement pour se reposer. Deux fois par jour, il était obligé de se rapprocher de la grande route du nord pour se repérer et remplir sa gourde dans la rivière qui la suivait. Le reste du temps il préférait rester éloigné par peur des mauvaises rencontres.

Deux semaines s’étaient écoulées depuis que Guigues avait quitté Fort-Des-Tombes. Les combats de la cathédrale étaient encore bien présents dans son esprit, en particulier la transformation en démon de l’évêque Orlando. C’était précisément à ce moment la qu’il était parti se cacher derrière un pilier non loin. Complément tétanisé, il avait regardé Jean se jeter devant Lucie et recevoir un coup de griffe monstrueux.

Mais le souvenir qui le hantait depuis deux semaines était celui de Lucie se précipitant au chevet de Jean. Elle avait pris son visage dans ses mains et l’avait embrassé avec une tendresse que Guigues ne lui avait jamais vu. Il se rappelait très bien de la souffrance qu’il avait éprouvé en regardant Lucie coller ses lèvres à celles de Jean évanoui.

Impossible de soutenir ce spectacle plus longtemps, il était sortit de sa cachette et s’était rapproché du combat entre Reuel et le démon sans que personne ne le voit. Il avait assisté à la victoire de Reuel et à la conversation qui s’en était suivi. Après cela, il avait attendu que les autres quittent la cathédrale, il avait trouvé un passage dérobé derrière l’autel en mille morceaux puis s’était réfugié dans une ruelle de la ville jusqu’au lendemain. Il avait quitté la ville de Fort-Des-Tombes à l’aube en direction du nord.

Guigues s’arrêta une nouvelle fois. L’air était lourd et des gouttes de sueurs perlaient le long de son dos. Il s’assit sous un grand chêne en bordure du prés ou il se trouvait. Il n’avait rien avalé depuis le matin et même si il n’avait pas faim, il se força à manger le dernier morceau de pain rassis qui lui restait. Il n’avait plus le choix, il devait s’arrêter dans un village pour se ravitailler. Le dernière fois qu’il s’était approché de la route, il avait aperçu deux tours au loin, ça pouvait être une petite ville. « Ça fera l’affaire »pensa-t-il.

Guigues repartit à travers la campagne en essayant de maintenir un rythme soutenu. Il marchait comme un fantôme, sans même voir le paysage qui l’entourait. Une seule image revenait en boucle dans sa tête, celle du visage de Lucie contre celui de Jean. Toute sa vie, il avait espéré que Lucie tombe amoureuse de lui, mais Guigues avait bien compris cette nuit la, dans la cathédrale qu’il n’en serait jamais ainsi. Depuis l’enfance il n’avait connue que souffrance, mépris et solitude mais voila qu’aujourd’hui il ressentait quelque chose de nouveau encore : le sentiment d’être trahi.

Lucie et Jean avaient été pour lui les deux seuls personnes qui comptaient vraiment, mais c’était fini et une nouvelle fois il se retrouvait seul, délaissé. Les émotions se bousculaient en lui, il éprouvait de la tristesse, de la jalousie, de la colère et de la haine. Il se sentait sur le point d’exploser et une seule idée le faisait continuer d’avancer: la vengeance. Il allait leur faire payer. Leur faire payer à tous. Lucie , Jean, Rafael, Reuel, il voyait leurs visages et sa haine grandissait, le consumant comme un feu ardent. Il allait continuer vers le nord et trouver les deux autres démons qui l’aideraient sans nul doute à se venger.

Il traversa un petit cours d’eau et en profita pour remplir sa gourde et se rafraîchir. Puis après avoir peiné à grimper une colline herbeuse, il aperçût les deux tours qu’il avait vu plus tôt dans la journée. Il continua droit devant pendant plus d’une heure avant de retrouver la grande route qui suivait la direction de la ville.

Après encore une demi heure de marche, il dû monter une pente plus ardu que la précédente et se retrouva devant ce qui ressemblait plus à un grand village qu’à une ville à proprement parler.

Une grande palissade de bois se dressait devant lui et deux hommes armés de hache en gardaient l’entrée. Alors que Guigues essayait tant bien que mal de reprendre son souffle l’un des hommes s’adressa à lui :

- Pas un pas de plus !

- Que viens tu faire ici ? Questionna son camarade à l’air bourru.

- Je vais vers le nord, je suis à court de vivres et je pensais en acheter ici, expliqua Guigues qui avait toute les peines du monde à reprendre haleine.

- On peut bien le faire entrer, commença le premier. Il n’a pas l’air bien dangereux.

- On sait jamais, grogna le deuxième homme qui semblait jauger Guigues du regard.

- Écoutez, je veux juste me reposer un peu et je repartirais sans faire d’histoire, dit Guigues avec patience. Regardez moi, je ne vois pas en quoi je pourrais être une menace.

Les deux hommes échangèrent un regard, même si cela ne plaisait pas trop à Guigues d’avouer sa faiblesse ainsi, il avait du réussir à les convaincre car l’un d’eux désigna l’entrée :

- Tu peux y aller mais attention, pas de bêtises.

Guigues hocha la tête et s’empressa de passer la palissade avant que les gardes ne changent d’avis. Le village était encerclé par la forêt, mis à part la route par laquelle il venait, il voyait partout autour de lui la cime des arbres par delà la barricade. Dans le village aussi, tout était de bois, il y régnait une odeur de mousse et de champignons qui rappela à Guigues la forêt prés de chez lui.

Il déambula parmi les cabanes d’où émanaient des senteurs familières de ragoûts fumants et de paille séchée. Le village était en pleine effervescence, il voyait passer des hommes musclés et hirsutes portaient des rondins de bois sur l’épaule, les femmes allaient et venaient chargées de provisions, les enfants couraient en tout sens en riant et les jeunes menaient des bêtes ou chargeaient des chariots avec les rondins de bois qu’ils se mettaient à plusieurs pour soulever.

Parmi toute cette agitation, Guigues remarqua une femme d’un grand âge assise devant une maison qui semblait prendre plaisir à regarder tout ce tumulte atour d’elle comme une chouette veillant sur son nid.

- Grand mère sais-tu ou je peux trouver à manger ? Demanda Guigues dont le ventre commençait à gronder sérieusement.

Elle le regarda avec étonnement et le chassa de la main :

- Au bout du chemin prés des tours, répondit-elle d’un ton sec.

Guigues reprit son chemin sans même la remercier et très vite il arriva aux pieds des deux tours de pierre qui l’avaient guidé jusqu’ici. Elles se trouvaient à l’extrémité du village et Guigues vit dans la palissade une porte semblable à celle qu’il avait empruntée pour entrer. En tendant l’oreille, il se rendit compte que parmi le vacarme environnant, il discernait un bruit sourd et saccadé qui semblait venir de plus loin dans la forêt.

Juste à côté des tours se trouvait un bâtiment de bois beaucoup plus grand que les autres ou des hommes entraient et sortaient régulièrement souvent munis de haches. Dés que la porte s’ouvrait et se refermait, elle laissait échapper un délicieux fumet de viande grillée auquel Guigues ne put résister.

Il entra et se retrouva dans une vaste pièce bondée, toutes les tables étaient occupés par des hommes devant des bols de ragoût fumant ou des chopes de bières et les conversations allaient bon train. Au centre de la pièce se trouvait une table qui servait de comptoir derrière laquelle une marmite bouillonnait paresseusement sur un foyer central. Une grande femme se tenait derrière la table et amenait à manger et à boire sur les tables pleines à craquer. Musclée et énergique, ses long cheveux châtains et le sourire avec lequel elle répondait à chaque demande rappelèrent tout de suite à Guigues le visage de Lucie.

Il serra les dents et s’efforça de chasser cette image de son esprit en attendant que la femme revienne prés de la marmite.

- Combien le bol de ragoût, lui lança-t-il alors qu’elle revenait vers lui.

- Trois pièces de bronze, répondit elle en remplissant un bol de bois de ragoût fumant.

Guigues se hâta de sortir de sa bourse la somme demandée et la jeta sur la table. Il se saisit du bol et regarda autour de lui avec impatience à la recherche d’une table vide. L’aubergiste attrapa une chaise inoccupée et la donna à Guigues :

- Assieds toi ici !

Avant même d’être bien installé Guigues se jeta sur son bol avec un appétit féroce et il ne leva pas la tête avant de l’avoir terminé. A peine fini, il en demanda un autre et la femme lui rendit son bol plein avec un sourire :

- T’avais sacrément faim toi, celui la est offert par la maison !

Surpris, Guigues la remercia timidement et savoura son ragoût avec moins de précipitation cette fois-ci. Il en en profita pour observer les tables voisines et il se rendit compte qu’il régnait une atmosphère de fête dans l’auberge. Les gens parlaient forts, riaient, se chamaillaient et des plaisanteries fusaient à travers la pièce provoquant l’hilarité générale pendant que l’aubergiste, infatigable, se faufilait entre les tables bondées avec agilité.

Quand elle revint avec des bols vides plein les mains, Guigues lui demanda avec curiosité :

- Que se passe-t-il? Pourquoi tout le monde à l’air si heureux ?

L’aubergiste ne put s’empêcher d’esquisser un sourire :

- C’est jour de fête aujourd’hui, répondit elle en mélangeant le contenu de la marmite avec une grande cuillère de bois. Un cardinal est arrivé au château récemment, pour l’occasion le seigneur Henri a convié tout le village pour une journée de festivités. Ces moments sont très rares et la plupart du temps le seigneur nous offre des céréales et des bêtes pour se faire bien voir par l’église. Tout le monde a hâte d’être à demain.

Guigues s’étonna d’entendre parler d’un seigneur si généreux. Le village d’Oulmes lui aussi était la propriété d’ un seigneur mais son château était bien loin du village et Guigues ne l’avait jamais rencontré. C’étaient les parents de Lucie qui géraient les relations du village avec ce pouvoir lointain et les villageois en entendaient rarement parler.

- Je n’ai vu aucun château en arrivant, ou se trouve-t-il ? Demanda Guigues perplexe.

- Il est un peu plus loin au nord, répondit l’aubergiste. Notre village, Derv, est un ancien avant poste créé il y a bien longtemps pour empêcher tout ennemi de s’approcher du château de Grandbois par la forêt. Maintenant c’est devenu un village de bûcheron mais nous avons encore la charge de surveiller la forêt et ses environs pour le seigneur Henri.

Guigues jeta un coup d’œil pensif à ses voisins qui buvaient et bavardaient joyeusement et soudain une idée lui vint.

- Ce serait possible d’aller au château avec les villageois ? Demanda-t-il à l’aubergiste. J’aimerais beaucoup voir le cardinal.

Celle-ci lui lança un drôle de regard mais hocha la tête :

- Moi c’est Morgane, je serais moi même du voyage avec mes marmots, tu n’auras qu’a monté sur notre chariot, dit elle avec enthousiasme. Si ce soir tu n’as pas d’endroit ou dormir tu peux passer la nuit ici, on trouvera bien une petite place pour toi.

- Merci beaucoup, marmonna Guigues gêné par tant de gentillesse.

Il finit son bol de ragoût et quand il sortit de l’auberge l’après-midi était bien avancé. Il entendait toujours les bruits sourds des haches derrière la palissade et comme il n’avait rien à faire, il décida de faire le tour du village.

Derv était très différent du village d’Oulmes. Alors que chez lui, le paysage alentour était des champs et des prés à perte de vue, ici on ne voyait que la cime des arbres derrière la grande palissade. Guigues se retrouva devant la porte par lequel il était entré au village et sortit pour admirer le paysage qui s’offrait à lui. Guigues comprit pourquoi Derv était un ancien camp fortifié, il était comme encastré dans la forêt et construit en haut d’une colline ce qui lui donnait une vue imprenable sur toute les terres au sud sans qu’on le remarque. Seul les deux tours de pierre étaient visible depuis la plaine et la grande route du nord qui serpentait en contrebas. Guigues observa longtemps la route en se demandant si Jean, Lucie et les autres avaient eux même empruntés le même chemin.

A cette pensée, il sentit sa gorge se nouer et les larmes lui montèrent aux yeux. Il fut secoué de violents sanglots et se mit à pleurer à grosses gouttes. Il ne savait pas très bien si ses larmes étaient du à la douleur qu’il ressentait ou à la haine qu’il éprouvait pour eux mais il lui était impossible de s’arrêter. Il se demanda qui le pleurerait lui, maintenant que les deux personnes qu’il aimait le plus au monde l’avaient abandonné. « Sûrement personne » pensa-t-il avec amertume en essuyant ses yeux rougis avec la manche de sa tunique. D’un autre côté, il n’avait toujours compté que sur lui même et n’avait pas pour habitude de pleurer sur son sort. Il lui suffisait de continuer tout seul comme il l’avait toujours fait.

Quand il retourna à l’auberge , le soleil déclinait déjà derrière les arbres et de nombreux bûcherons rentraient dans le village la hache sur l’épaule. Pleurer l’avait libéré d’un poids même si il se trouvait faible pour cela et il était maintenant prit d’une grande fatigue comme si toute son énergie avait quitté son corps en même temps que ses larmes.

Il entra dans la cabane de bois ou régnait une agitation encore plus grande qu’en début d’après midi. Plusieurs villageois jouaient de la musique pendant que d’autre buvaient et mangeaient joyeusement. Des cris et des moqueries résonnaient en tout sens et Guigues entreprit de traverser la pièce en jouant des coudes. Trouver Morgane dans ce joyeux chaos de relent de bières, de bruits incessants et de tablée sans fin n’était pas une mince affaire mais il finit par l’apercevoir en train de discuter avec des clients manifestement ivres.

Sa fatigue devait se lire sur son visage car quand Morgane le vit elle lui fit signe :

- Viens par la !

Guigues s’avança vers elle au milieu du tumulte et quand il fut assez proche elle leva la voix pour se faire entendre :

- T’as vu ta tête ? Je n’ai pas de lit disponible mais tu peux rester dormir dans le garde manger si ça te va !

Guigues n’avait pas dormi sous un toit depuis Fort-Des-Tombes et autant dire que Morgane lui faisait le plus beau des cadeaux. Il acquiesça de la tête, tombant de sommeil, il n’essaya même pas de la remercier tellement le vacarme des conversations était assourdissant.

- C’est la porte que tu vois là-bas dit-elle en indiquant une porte au fond de la salle l’air inquiète. Je te réveillerais demain pour aller au château mais taches de te reposer un peu.

Guigues ne se fit pas prier, il déambula à travers une mer de visage flous et goguenards jusqu’à la porte indiquée. La pièce était minuscule comparé à l’autre et il y avait la des sacs de vivres entassés un peu partout les uns sur les autres. Guigues en rassembla quelques un, s’allongea dessus avec gratitude et sombra instantanément dans un sommeil sans rêve.

 

Le lendemain Guigues fut réveillé par Morgane qui se tenait debout dans l’entrebâillement de la porte :

- Debout la dedans !

Guigues mit du temps à se rappeler ou il était et petit à petit les souvenirs de la veille revinrent dans sa mémoire.

- Allez lèves toi, insista Morgane. Il y a du pain et du fromage sur le comptoir, tu n’as qu’a déjeuner avec mes gosses pendant que je prépare le chariot.

Morgane disparut sans lui laisser le temps de répondre. La veille au soir il était parti se coucher sans rien avaler et son estomac le lui rappela à grand renfort de gargouillements.

Il entra dans la grande salle dont les tables étaient vides, mais ou un ribambelle de gamins chahutaient au centre de la pièce. Guigues s’assit à coté d’eux prés du comptoir mais ils ne semblèrent pas le remarquer. Les enfants continuèrent de se chamailler et de courir dans tout les sens pendant que Guigues se coupa une tranche de pain et un morceau de fromage. Il remarqua que le plus grand d’entre eux le dévisageait d’un regard suspicieux sous ses cheveux roux en bataille.

- T’es un ami de ma mère ? Questionna-t-il sans détour en mordant à belle dent dans sa miche de pain.

Guigues n’aimait pas du tout sa façon de lui parler mais Morgane avait été tellement gentille avec lui qu’il prit sur lui et réprima l’envie de l’envoyer balader qui le démangeait.

- On peut dire ça, répondit il d’un ton neutre.

Le gamin plissa les yeux ne paraissant pas satisfait de la réponse de Guigues.

- T’es un garçon ou une fille ? Interrogea-t-il sans le quitter des yeux.

Guigues fulminait,il sentit le rouge lui monter au joues et il serra son poing autour de son morceau de fromage pour ne pas le frapper. Il ne pouvait supporter qu’un garçon d’une dizaine d’années lui fasse un tel affront. Il approcha son visage tout prés de celui du gamin et lui susurra entre ses dents :

- Écoutes moi bien morveux, j’en dois une à ta mère mais si jamais tu t’avises encore de me parler comme ça je te tuerais dans ton sommeil.

Le jeune garçon ne parut pas du tout impressionné, il fixait Guigues avec un air de défi mais il tint sa langue. Guigues décida de l’ignorer et d’aller s’asseoir à une table voisine. Tout en mangeant il observa les autres gamins qui courraient maintenant en tout sens dans la grande salle. Tous avaient les même cheveux roux que leur frère, des visages insouciants et rieurs complètement absorbés en essayant de s’attraper les uns les autres.

Guigues les enviait. Il n’avait jamais connu de tel moments d’allégresse avec ses frères, il n’avait toujours été pour eux qu’un défouloir, un risible avorton à qui on pouvait faire subir les pires châtiments sans craindre de représailles.

Alors qu’il ressassait son enfance avec amertume, Morgane fit irruption dans la pièce en appelant d’une voix autoritaire :

- Tout le monde dehors, on part !

Guigues suivit les enfants à l’extérieur. Morgane se tenait sur un grand chariot tiré par deux chevaux, les reines à la main, elle comptait ses enfants à mesure qu’ils grimpaient à l’arrière dans une excitation palpable.

- Viens devant avec moi ! Dit elle à Guigues en désignant la place à côté d’elle.

Guigues s’exécuta et prit place à l’avant du chariot. Derrière lui les enfants de Morgane étaient installés parmi de nombreux sacs de vivres destinés au seigneur et à sa fête. Devant, serpentait une longue file de chariot pour la plupart chargés d’énormes rondins de bois qui sortait du village par la porte des deux tours et se perdait dans la foret.

- Pourquoi tout ce bois ? Demanda Guigues curieux alors que le chariot se mettait en branle lui aussi.

- Pour le seigneur Henri, répondit Morgane en jetant un coup d’œil à ses enfants dans son dos. C’est la plus grande richesse de notre village, le seigneur en demande toujours plus pour construire des tours de guet ou des postes avancés. Je suis sur qu’il sera très content de la cargaison d‘aujourd’hui.

Pour toute réponse Guigues hocha la tête, le regard perdu vers les bois qui l’entourait. Il faisait sombre sous les arbres et l’aube avait du mal à percer leurs feuillages vert et épais. Guigues remarqua beaucoup de petit chemins qui s’enfonçaient ça et la dans la forêt mais le cortège resta sur le plus grand d’entre eux sans jamais dévier de sa trajectoire. Il apercevait parfois des zones entièrement défrichées ou des énormes tas de rondins étaient entreposés sur le sol prés des chemins. Il lui sembla qu’ils restèrent dans les bois pendant une éternité mais au bout de quelques heures, ils atteignirent enfin la lisière de la foret.

Les gamins avaient cessés de chahuter et certains d’entre eux, s’étaient même endormis dans des positions incongrues. Le bleu du ciel était traversé par de gros nuages paresseux qui rendait l’atmosphère paisible. Dés que le chariot quitta la voûte des arbres, Guigues aperçut enfin le château de Grandbois perché sur une colline un peu plus loin. C’était la première fois qu’il en voyait un et cela dépassait tout ce qu’il avait imaginé.Il contempla ses grandes tours crénelées, son donjon immense semblant toucher le ciel, ses épaisses murailles dont il ne voyait pas la fin et sa gigantesque porte qu’il voyait très clairement malgré la distance. Guigues n’avait jamais rien vu de semblable et il fut époustouflé par l’ombre menaçante que projetait le château sur toute la plaine autour de lui.

Guigues fut sortit de sa torpeur par l’un des enfants de Morgane qui criait pour réveiller ses frères et sœurs, complètement surexcité :

- Réveillez vous ! Réveillez vous on voit le château !

Les autres se réveillèrent peu à peu et Guigues vit leurs visages s’illuminer et leurs yeux s’écarquiller en louchant sur la masse noire de l’édifice.

- Pas de bêtises hein, rappela Morgane avec un coup d’œil sévère vers ses enfants. Pas un bruit, pas un mot de travers, tout le monde me suit et on se tient bien. Gilles je te compte sur toi.

Le garçon qui avait questionner Guigues dans l’auberge hocha la tête avec importance et entreprit de calmer ses frères et sœurs.

Le château approchait et Guigues ne savait toujours pas comment il allait faire pour entrer en contact avec le cardinal. Il allait devoir choisir ses mots avec soin pour ne pas se trahir. Si le cardinal n’était pas au courant pour l’existence d’Azazel et des autres démons et qu’il en disait trop, il allait à coup sur être envoyé au cachot pour hérésie.

Alors qu’il se questionnait sur la meilleur façon d’agir, ils franchirent l’immense porte de la muraille et le chariot pénétra dans une grande cour ou les chariots des autres villageois étaient déjà arrêtés. Les femmes déchargeaient déjà les sacs de vivres aidées par les plus grands pendant que les hommes se regroupaient pour descendre les énormes rondins de bois et les déposer dans un coin de la cour.

Toute cette agitation se passait dans la bonne humeur et sous l’œil attentif de dizaines de soldats dont l’armure scintillait à chaque éclairci. Guigues descendit du chariot et aida Morgane à décharger ses propres affaires pendant que les enfants se montraient les soldats du doigt, d’un air fasciné. Guigues suivit Morgane à travers la cour pour arriver devant un deuxième mur derrière laquelle se trouvait le château en lui même ainsi que les bâtiments principaux. Un homme se trouvait devant la porte, entouré de soldats et prenait des notes à chaque fois qu’un villageois déposé quelque chose.

- C’est le seigneur Henri ? Demanda Guigues à voix basse alors qu’ils attendaient leur tour.

Morgane tourna vers lui deux grand yeux ronds avant d’éclater de rire. Devant l’expression renfrogné de Guigues, elle se reprit tant bien que mal se mit à expliquer en souriant :

- Non bien sur que non. Ce n’est qu’un simple intendant. Il nous connaît tous et la plupart du temps nous ne parlons pas au seigneur directement mais avec lui. Il est chargé de noter chaque ressource que le village lui amène et d’en rendre compte au seigneur. En échange, le seigneur nous protège des agressions et en cas d’invasion nous pouvons venir nous réfugier au château.

Guigues ne saisit pas vraiment en quoi cette situation était avantageuse pour les villageois mais il se contenta de questionner à nouveau Morgane :

- Mais va-t-on rencontrer le seigneur et le cardinal ? Vont ils manger avec nous durant la fête ?

Cette fois-ci Morgane ne rit pas et le regarda avec incrédulité. Elle le fixa un moment visiblement en train de juger si Guigues e moquait d’elle.

- T’es vraiment un drôle de gars, dit elle en le dévisageant longuement. Le seigneur Henri et le cardinal vont probablement faire un discours pour l’occasion mais ils vont très vite retourner à l’intérieur du château. Les gens importants ne se mélangent pas avec des villageois comme nous. T’as déjà vu un noble manger à table avec des paysans toi ?

Guigues fut déconcerté, ses chances de pouvoir approcher le cardinal devenaient de plus en plus mince, il devait trouver une idée.

- Pourquoi poses tu autant de questions sur le seigneur et le cardinal ? Interrogea Morgane d’un ton suspicieux. T’as pas l’intention de faire une bêtise hein ? Ça pourrait facilement se retourner contre moi vu que c’est moi qui t’ai amené ici.

Pris au dépourvu, Guigues n’avait absolument pas pensé aux conséquences que pouvaient avoir ses actes sur Morgane. Elle avait été si gentille avec lui qu’il ne voulait pas lui attirer d’ennuis.

- Heu non, c’est juste que je suis curieux, mentit Guigues gêné. Je ferais rien de louche.

- T’as plutôt intérêt, l’avertit Morgane qui parut soulagée. Il paraît que le cardinal fait partie de ceux qui ont créés l’ordre du feu. Ces gens la sont des fanatiques de la pire espèce, un mot de travers et tu pourrais te faire brûler vif dans l’heure.

Guigues n’en crut pas ses oreilles, ça changeait tout. Si le cardinal comptait parmi les fondateurs de l’ordre du feu, il y avait de grande chances qu’il soit en contact avec l’un des démons dont Azazel avait parlé. Ce monstre avait bien dit que son frère ou sa sœur avait infiltré les hautes sphères de l’église et Guigues était persuadé que la création de l’ordre du feu venait de l’un d’eux. Guigues devait ouvrir les yeux au cardinal et lui faire comprendre qu’un démon était caché parmi ses confrères. Si il arrivait à obtenir sa protection, il pourrait peut être le suivre à la capitale et rencontrer le démon en personne. D’un autre coté, son plan était extrêmement risqué. Si le cardinal ne le croyait pas, il pouvait aussi finir brûlé ou écartelé.

Il n’arrivait pas à prendre de décision sur la marche à suivre et sa tête commençait à lui faire mal à force de cogiter dans tout les sens. Une chose était sur, il devait trouver le cardinal, il improviserait sur le moment.

Quand ils eurent poser les sacs de vivre sous le regard fatigué de l’intendant, Guigues et Morgane retournèrent au chariot ou les enfants jouaient avec d’autres petits villageois. Morgane les rassembla autour d’elle, ils sortirent de l’enceinte de la cour et firent le tour du château vers le lieu du repas.

Guigues fut impressionné par la longueur des murailles, à lui tout seul le château de Grandbois était plus grand que le village d’Oulmes. Contourner les murs leur pris une dizaine de minutes au bout desquelles ils arrivèrent devant l’entrée principale du château. De grandes tables avaient été dressées dans la plaine pour l’occasion et déjà de nombreux villageois s’y étaient installés et tous avaient la tête tournée vers la grande porte avec impatience.

Morgane trouva des places libre à une table et Guigues s’installa avec elle alors que les enfant décampaient déjà rejoindre les autres gamins. Morgane discuta avec leurs voisins mais Guigues se garda bien participer à la conversation le regard perdu sur les gens autour de lui.

Il avait toujours détesté les fêtes de village et chez lui, il avait prit l’habitude de tout faire pour les éviter. Souvent regardé de travers par les villageois et méprisé par sa famille, il n’y avait rien pour lui dans ces repas à part la solitude et l’amertume. Ici pourtant, Guigues ne voyaient aucun mépris dans les regard qu’il croisait, seulement une curiosité poli et parfois même quelques sourires.

En moins d’une demi-heure, les tables furent pleine à craquer et certains des plus jeunes avaient formés des cercles dans l’herbe jaunie de la plaine par manque de place.

Soudain le son d’une trompette retentit du haut de la muraille juste au dessus de la herse du château. Au même moment un groupe d’hommes en armure fit son apparition. Guigues remarqua aussi parmi eux plusieurs adeptes de l’ordre du feu qu’il reconnut à leur robes blanches et à leur symbole qu’il connaissait bien. Vers l’arrière du groupe venait une véritable armée de domestique portant toutes sorte de plats et poussant d’énorme chaudrons sur des chariots.

A mesure que le groupe avançait, Guigues remarqua deux hommes en particulier, entourés de soldats. Il plissa les yeux et n’eut aucun mal à deviner qu’il s’agissait du seigneur Henri et du cardinal. Le premier, un grand homme blond et barbu marchait avec prestance et énergie en faisant claquer sa cape derrière lui à chaque pas. Le manche d’une épée recouvert de pierre précieuse rutilait à son coté et reflétait des éclats colorés dans son sillage. L’homme prêtait la plus grande attention au cardinal, lui faisant de grands signes pour lui présenter ses gens et son domaine.

Le cardinal ne semblait nullement intéressé par le seigneur et posait atour de lui des regards dur et froids. La posture bien droite, les cheveux gris coupés courts, son grand corps maigre dépassant de sa robe, trahissaient une rigidité maladive et ses traits sévères accentuaient encore l’intelligence qui émanait de ses yeux bleues calculateurs.

La suite des domestiques se plaça derrière une petite estrade en bois prés des tables et le seigneur Henri y grimpa avec le cardinal alors que le silence se fit :

- Chers villageois, je suis heureux de vous accueillir au château pour cette belle occasion, commença-t-il d’une voix forte. Le cardinal Auguste nous fait l’honneur de sa visite et nous ne pouvons que nous réjouir de recevoir un homme de sa stature parmi nous. Mangez et buvez en son honneur et n’oubliez pas que cet après midi sera tenue une messe par le cardinal en personne dans la paroisse du château.

Le seigneur fit une pause et jeta un regard au cardinal mais comme celui-ci restait de marbre à son discours de bienvenue, il reprit l’air contrarié :

- Pour honorer la présence du cardinal Auguste chacun d’entre vous recevra un sac de céréale ainsi que de la viande et de la bière.

Un tonner d’applaudissement et de cries de joie retentit dans la plaine ce qui décrispa un peu le seigneur même si le cardinal resta impassible, les mains croisées sur sa robe rouge.

- Maintenant profitez du repas, lança le seigneur Henri avant de se détourner vers le château.

Sans un mot le cardinal s’engagea à sa suite et descendit de l’estrade.

« C’est tout ? » Pensa Guigues.

Il devait absolument agir au plus vite, c’était sûrement sa seule chance d’attirer l’attention du cardinal et d’ici quelques secondes celui-ci aurait passé les portes du château et Guignes ne pourrait plus l’approcher.

- CARDINAL AUGUSTE !

Les mots lui étaient sortis de la bouche tout seuls. Le sang de Guigues se glaça, désespéré et ne trouvant pas de solution, il avait hurlé sans réfléchir.

Un silence de mort s’était abattu autour de lui et des centaines d’yeux le dévisageaient avec horreur. La troupe s’était arrêtée et déjà le seigneur revenait sur ses pas, rouge de fureur. L’intendant que Guigues avait vu plus tôt le suivait de prés ainsi que le cardinal.

Guigues sentait son cœur battre à tout rompre dans sa poitrine, et il s’efforça de réfléchir à toute vitesse. Il devait à tout prix dire quelque chose qui éveillerait la curiosité du cardinal Auguste mais le moindre faux pas pouvait lui être fatal.

Les trois hommes arrivèrent devant la table et les villageois s’écartèrent avec précipitation laissant Guigues seul. Il se leva et avec le plus d’assurance dont il était capable et lança d’une voix forte :

- Cardinal Auguste j’ai des informations vitales à vous communiquer !

- Comment oses tu interpeller ainsi un homme d’église ! Vociféra Henri, frémissant de rage. Thomas ! Quel est le nom de cette vermine ?

L’intendant plissa les yeux et dévisagea Guigues avant de répondre :

- Un étranger monseigneur, je ne reconnais pas ce garçon.

- Un étranger ? S’étrangla Henri dont les sourcils blonds se froncèrent encore un peu plus.

L’homme fit signe à ses soldats qui s’approchèrent la main au fourreaux. Guigues ne leur prêta aucune attention, il fixait le cardinal dont le visage restait impassible.

- Cardinal, croyez moi, vous devez m’écouter, reprit Guigues la voit tremblante. Je viens de la ville de Fort-Des-Tombes ou j’ai fait une rencontre «  sortant de l’ordinaire ».

Guigues avait appuyé sur ces derniers mots en espérant faire réagir le cardinal Auguste mais ses grand yeux bleues demeuraient froid comme la glace.

Le seigneur ouvrit la bouche prêt à exploser mais Guigues lui coupa la parole sous le regard horrifié de l’assemblée :

- Je connais les secrets de la Rage noire et je dois absolument rencontrer les amis d’Azazel.

Cela ne dura qu’un instant mais Guigues eu l’impression de voir une lueur s’allumer dans le regard du cardinal mais elle disparue aussitôt.

D’un geste vif, Henri tira son épée et la leva vers Guigues le visage déchiré par la haine.

- Ça suffit, lança sèchement une voix derrière le seigneur.

Le cardinal Auguste s’interposa entre Guigues et l’épée qui le menaçait.

- Rangez votre épée monseigneur ! De toute évidence nous avons à faire à un hérétique ou un fou de la pire espèce, n’allez pas salir votre lame pour le sang d’un tel nuisible.

Le seigneur Henri baissa son arme avec lenteur comme si cela lui coûtait énormément de ne pas tuer Guigues sur le champs.

- Rassurez vous, reprit le cardinal d’une voix doucereuse. Je vais personnellement veiller à ce que cette individu soit puni comme il se doit et je crois que vous savez très bien comment l’ordre du feu se charge des hérétiques monseigneur.

Les paroles du cardinal ne radoucirent en rien le regard meurtrier qu’Henri posait sur Guigues mais après un moment il se tourna vers son intendant :

- Savez vous qui a amené ce garçon au château ?

Rapidement l’intendant trouva le visage de Morgane debout prés de la table et la désigna :

- C’est cette femme monseigneur, je l’ai vu avec elle cet après-midi.

Morgane jeta tour à tour un regard affolé vers l’intendant, le seigneur, et Guigues.

- Emmenez la ! Ordonna Henri d’une voix forte avant de se détourner et de repartir vers le château sans un regard en arrière.

Les gardes se saisirent de Guigues et Morgane qui ne semblait pas comprendre ce qui était en train de lui arriver. Comme paralysée, elle suivit les soldats en silence en ne détachant pas les yeux de Guigues dans une expression terrifiée.

Guigues n’avait pas réfléchi, il n’avait pas prévu que ses actes retomberaient sur Morgane qui l’avait amené ici avec elle et il avait du mal à soutenir son regard.

Il entendit des cris derrière lui, les enfants de Morgane pleuraient et se débattaient pour atteindre leur mère alors que des soldats les retenaient. Guigues voyait leurs têtes rousse paniquées et terrorisées appeler Morgane en hurlant.

Ce fut comme un déclic, Morgane sembla soudain se rappeler ou elle était et ce qui était en train de se passer. Les yeux fous, elle paraissait avoir perdu toute raison et se débattait maintenant violemment. Elle poussa des cris qui remuèrent les entrailles de Guigues en tentant vainement d’échapper à l’étreinte des soldats. Elle frappait, mordait, griffait chaque partie du corps des gardes qu’elle pouvait atteindre avec un air dément.

L’un des hommes qui venait de recevoir une belle griffure sur la joue empoigna Morgane par le col et lui envoya une claque magistrale du revers de sa main gantée ce qui lui fit perdre connaissance.

Les enfants redoublèrent d’efforts pour l’atteindre en hurlant de désespoir sous l’œil horrifié des villageois, mais les gardes se contentèrent de les retenir, insensibles tel des statues de marbre.

Toujours évanouie, Morgane fut emmenée à la suite du seigneur et du cardinal qui avaient déjà passé les murailles et Guigues fut contraint de les suivre lui aussi.

C’était fini pour lui. Il allait mourir ici, torturé par le cardinal Auguste et ses prêtres. Mais il n’arrivait pas à penser à son sort, il n’entendait rien d’autre que les cris des enfants de Morgane qui résonnèrent longtemps à ses oreilles même après qu’il eu franchi la porte du château.

 

Pour la seconde fois en très peu de temps, Guigues se retrouva dans un cachot à se demander combien de temps encore il lui restait à vivre.

Cela faisait plusieurs heures qu’il arpentait sa cellule crasseuse ou régnait une obscurité presque totale sans que personne ne vint le voir. On l’avait enfermé ici en début d’après-midi mais il n’avait aucune idée de combien de temps s’était écoulé depuis ni l’heure qu’il était. Il avait froid, faim et il sentait la peur le dévorer tout entier, lui interdisant tout repos.

Il imaginait Morgane gisant dans une cellule voisine, il imaginait ses enfants dévastés et terrorisés d’être séparés de leur mère et tout ça par sa faute. Pour la énième fois, il essaya de se convaincre qu’il n’y était pour rien mais en vain. Il n’avait pas l’habitude de se sentir coupable et ce sentiment insupportable prenait son esprit en otage et le rongeait de l’intérieur.

Il en voulait au monde entier de se retrouver la à attendre la mort, cela ne pouvait tout simplement pas se finir comme ça, ici dans cette cave sans lumière. Cette fois-ci, personne n’allait venir le sauver, Jean et Lucie l’avaient trahi et il se retrouvait seul, comme toujours.

Alors que Guigues commençait à divaguer et à s’assoupir, il entendit un déclic et la porte s’ouvrit sur la robe rouge du cardinal Auguste. L’homme entra dans la pièce accompagné d’un garde qui portait une belle chaise en bois avec un coussin qu’il déposa dans la cellule . Il déposa aussi un cierge qui diffusait une lumière tremblante dans la pièce avant de sortir et les laisser seul.

Sans se presser le cardinal Auguste s’assit sur la chaise, posa ses mains sur ses genoux et porta sur Guigues ses yeux bleues et froids. Son grand corps maigre et longiligne se tenait dans la chaise, immobile et Guigues assis contre le mur de l’autre côté de la cellule n’osait pas bouger.

- Qu’avez vous à dire aux amis d’Azazel ? Interrogea l’homme en plissant les yeux.

Guigues ne ressentait aucune colère dans la question du cardinal, pourtant il réfléchit et choisi ses mots avec soin avant de répondre :

- Comment être sur que vous êtes bien dans la même camp que lui ?

- Je connais la vrai nature d’Azazel, coupa le cardinal d’une voix sèche. Je sais que c’est un démon pour la simple et bonne raison que j’en suis un moi aussi. Je me nomme Barbatos.

Le cœur de Guigues fit un bond dans sa poitrine, si c’était vrai, c’était un coup de chance énorme.

- Vous êtes son frère n’est-ce pas ? Demanda Guigues avec espoir.

Le cardinal leva un sourcil manifestement étonné et son visage se durcit :

- Il t’as parlé de moi on dirait. Que t’as-t-il dit d’autre ?

- Il a parlé de vous et de votre sœur, expliqua Guigues prudemment. Il a expliqué que vous étiez à l’origine de la Rage noire et que vous aviez créé l’ordre du feu.

Le cardinal Auguste ne répondit pas et Guigues en profita pour continuer :

- Si vous êtes vraiment un des démons dont Azazel a parlé, les informations que je détiens sont vitales pour vous. Je suis prêt à tout vous dire mais je veux quelque chose en échange.

- Tu l’auras, trancha le cardinal dont les traits crispés trahissaient l’impatience. Quoi que ce soit tu l’auras.

Avant de parler Guigues devait être sur qu’il s’adressait à la bonne personne, si le cardinal n’était pas celui qu’il prétendait être cela pouvait être désastreux.

- Prouvez moi que vous êtes un démon, exigea Guigues dont les mains tremblaient.

C’était risqué, si le cardinal Auguste était vraiment un démon, il pouvait perdre patience et le tuer en un claquement de doigt. Néanmoins plusieurs seconde passèrent et il se contenta de fixer Guigues de ses grands yeux bleues qui semblaient étinceler.

Sans prévenir un bras fait de chair en décomposition aussi énorme qu’un tronc d’arbre sortit de la robe du cardinal et fonça vers Guigues. Il n’eut même pas le temps de réagir que déjà, il sentit une griffe acérée qui appuyait contre sa gorge. Tout s’était passé très vite et le cardinal Auguste était resté parfaitement immobile, mais à présent qu’il avait un aperçu de sa véritable apparence, Guigues ressentait toute l’aura maléfique qui émanait de lui.

- Cela te convient-il ? Demanda Barbatos d’un ton glacial.

Il ne semblait pas offensé ni même en colère mais pourtant Guigues sentait des tremblements lui parcourir tout le corps et le tétaniser. Il était incapable de parler, les yeux écarquillés, il haletait et se concentrait pour ne pas vomir.

- Je pourrais tout aussi bien te faire parler de force et te tuer, reprit le cardinal d’une voix calme presque caressante. Ce serait plus simple pour moi de t’éliminer, tu en sais beaucoup trop. Donne moi une seule bonne raison de te garder en vie.

Guigues réfléchit à toute allure. Le souffle court, il savait qu’il n’avait pas le droit à l’erreur et après avoir inspiré une grande bouffée d’air frais, il se lança :

- Un groupe de personnes est à votre recherche. Ce sont eux qui ont vaincu votre frère Azazel et ils sont eux aussi au courant pour la Rage noire et l’ordre du feu. Dans ce groupe, il y a deux frères jumeaux tout deux dotés de pouvoirs exceptionnels dont il faut particulièrement se méfier. Pour ce qui est de me garder en vie, je faisais partie de ce groupe moi aussi, j’ai voyagé avec eux et certains étaient même des amis. Je connais leurs visages, leurs points forts, leurs faiblesses et je saurais vous permettre d’en tirer avantage.

Guigues fit une pause en attendant la réaction du cardinal qui ne vient pas. Il sentait ses griffes toujours appuyées contre son cou. Les grands yeux bleues calculateurs du cardinal étincelaient comme si milles pensées fusaient en même temps dans son esprit. Guigues prit son courage à deux mains et repris d’un ton plus assuré :

- Il ne faut pas les prendre à la légère. Quand ils viendront pour vous, vous aurez besoin de moi. Je ne demande qu’a vous servir. En contrepartie je veux vous suivre à la capitale et vivre une vie de richesse mais par dessus tout je veux voir mourir tout les gens faisant partie de ce groupe qui étaient autrefois mes amis.

- Marché conclu, répondit simplement le cardinal, le bras et les griffes disparaissant aussitôt. Je ferais de toi un homme riche et puissant si tu me sers bien. A partir de maintenant tu es à mon service, ne l’oublie pas.

Guigues n’en croyait pas ses oreilles, il avait réussi à convaincre le démon de le prendre sous son aile, tout ses vœux allaient être exaucés. Il était surexcité, mais il ne laissa rien paraître devant Barbatos qui se levait déjà pour sortir. Guigues se rappela soudain que Morgane était prisonnière elle aussi, il devait tenter quelque chose pour la sortir de la :

- Pouvez faire relâchez la femme qui était avec moi ? Demanda-t-il d’une voix prudente.

Le cardinal frappa à la porte de la cellule pour indiquer qu’il voulait sortir, comme si il n’avait pas entendu puis s’arrêta un instant :

- Furieux de ne pas pouvoir te châtier lui même, le seigneur Henri l’a fait pendre haut et court cet après-midi. Je te ferais libérer demain matin, lâcha-t-il avant que la porte ne se referme sur lui plongeant la cellule dans un silence totale.

Morgane était morte. Guigues avait réussi à entrer en contact avec l’un des démons, mais à quel prix. Il revit les visages désespères des gamins appelant leur mère, Morgane évanouie, emmenée devant ses enfants. Ils se retrouvaient tous orphelin par sa faute.

Guigues sentit les larmes lui monter au yeux, c’était fini, il ne pouvait plus revenir en arrière. Il se recroquevilla sur lui même, fatigué, affamé et rongé par la culpabilité, il se mit à pleurer. Il pleura comme jamais dans sa misérable vie il n’avait pleuré auparavant.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Cléooo
Posté le 22/04/2024
Salut Alex :) Aller, j'enchaîne avec la suite !
Bon, mon commentaire devrait te paraître particulièrement déconstruit, parce que j'ai noté toutes mes réflexions au fur et à mesure que je te lisais xD

Le début de ce chapitre est très bon, avec une belle exposition des sentiments de Guigues et une explication plausible à la raison de son départ. Par contre (bon, ça colle au personnage ceci dit) je le trouve un peu dur de vouloir se venger d'un Jean qui s'est fait embrasser alors qu'il était inconscient !
Sinon, je dois aussi te faire remonter un petit quelque chose : je n'ai pas bien saisi pourquoi Guigues tenait à rencontrer de cardinal pour être franche, au début. Pourquoi la simple mention de la présence d'un cardinal l'intrigue-t-elle autant ?

Tiens, une pensée m'est venue aussi, arrivée à la fin du chapitre : j'ai zappé, ou on n'a jamais su pourquoi la croisade noire l'avait fait prisonnier dans le chapitre précédent ? (à moins que ce soit par rapport à l'attaque au village de Rolland, mais Guigues ayant été plutôt discret ce jour-là, comment aurait-il LUI, était repéré plus que les autres par les troupes ?)

Petite remarque : les tours doivent être particulièrement hautes, si le village est entouré d'une forêt. De quel genre de tours on parle ?

J'ai beaucoup aimé que l'aubergiste (Morgane) soit aussi gentille avec Guigues. Ça fait plaisir de le voir avoir des échanges normaux avec quelqu'un !

"Il acquiesça de la tête" -> comme on ne peut pas acquiescer du pied, ce n'est pas utile de préciser ^^

"Guigues devait ouvrir les yeux au cardinal et lui faire comprendre qu’un démon était caché parmi ses confrères. Si il arrivait à obtenir sa protection, il pourrait peut être le suivre à la capitale et rencontrer le démon en personne. D’un autre coté, son plan était extrêmement risqué. Si le cardinal ne le croyait pas, il pouvait aussi finir brûlé ou écartelé." -> c'est plutôt très courageux je trouve, pour Guigues, d'avoir une telle réflexion.

"- Je connais les secrets de la Rage noire et je dois absolument rencontrer les amis d’Azazel." -> je suis complètement désarçonnée par cette réplique !
1) très risqué de la part de Guigues : il parle devant tout le monde d'un sujet très controversé alors qu'habituellement il est plutôt sur la réserve
2) si le cardinal sait qui est Azazel, alors il est dans le "secret" et sait que les démons ont pris l'Église en otage, et ça lui va puisqu'il fait quand même parti de l'ordre de feu (alors Guigues a zéro raison de lui dire ça)
2) si le cardinal ne sait PAS alors il est étrange qu'il pense immédiatement que c'est un hérétique, parce que s'il ne sait pas ça n'aurait ni queue ni tête, ce que lui raconte Guigues (et Guigues n'a alors aucune raison de lui dire ça non plus)
Ne faudrait-il pas plutôt parler de l'évêque que du démon ici ?

"Les gardes se saisirent de Guigues et Morgane qui ne semblait pas comprendre ce qui était en train de lui arriver. Comme paralysée, elle suivit les soldats en silence en ne détachant pas les yeux de Guigues dans une expression terrifiée." -> dur !

"- Je connais la vrai nature d’Azazel, coupa le cardinal d’une voix sèche. Je sais que c’est un démon pour la simple et bonne raison que j’en suis un moi aussi. Je me nomme Barbatos." -> c'est là qu'on rejoint mes remarques précédentes : information facile. Celle-ci passe mieux cependant, parce que dans la situation où est Guigues, sans doute près d'être exécuté, alors il est plus facile d'accepter les révélations de son tortionnaire.

OK J'ai mis du temps à comprendre. Il m'aura fallu du temps pour intégrer que Guigues veut se battre contre les autres (je l'ai vraiment compris qu'à la réplique où il le disait en fait). C'est ça sa vengeance ? Il se décide bien vite ma parole ! Il va se battre aux côtés de l'ordre du feu pour se venger des autres ?

"- Marché conclu, répondit simplement le cardinal" -> c'est... rapide. Ils ne sont pas très arrogants, tes démons. Le premier petit mec qui se présente et leur dit qu'ils ont besoin de son aide, ils le croient ?

Bon, dans l'ensemble, ce chapitre est meilleur que le précédents ! Mention spéciale pour la mort de Morgane, je ne m'y attendais pas, c'est vraiment glaçant et très constructeur pour le personnage de Guigues je crois !

Désolée pour le commentaire pas fluide xD Mais ce sont mes notes au fil de la lecture ahah

À bientôt !
Alex3393
Posté le 22/04/2024
Bonjour Cléo,

Je suis encore en train de réfléchir sur comment je vais changer le chapitre précédent hahaha. Mais je me doutais que celui-ci passerais mieux et j'en suis content.

Je crois qu'au fond je le savais mais le gros point faible de l'histoire est les démons, les informations qu'ils donnent ect. J'ai tout simplement du mal à faire que le groupe en sache assez pour continuer la quête tout en restant crédible. C'est assez difficile il va falloir faire beaucoup de changements mais j'y réfléchis activement en ce moment.
J'ai noté pas mal de tes remarques sur le chapitre précédent sur lesquelles je vais m'appuyer pour essayer de rendre ca meilleur. Je prends évidemment notes de tes suggestions pour ce chapitre et je te remercie encore mille fois de me faire tout ces retours !

Je crois que le personnage de Guigues est assez claire dans ma tête mais je ne sais pas si j'arrive à le dépeindre correctement dans le texte. Guigues est envieux, jaloux, aigri, rancunier, il ne pense qu'a son intérêt personnel. Sa seule préoccupation est l'élévation social maintenant qu'il a tiré un trait sur Lucie ( qui en aime un autre) et sur Jean ( qui pour lui est un traitre, même si il n' y est pour rien). Je ne parle même pas de ces sentiments vis à vis des deux frères.
Il est rongé par la rancune et la haine et il ne souhaite qu'une chose, qu'on lui fournisse le moyen de se venger quitte à jouer sa vie pour ca. Malgré tout, il ne peux s'empêcher d'être surpris par Morgane et de pleurer sa mort à la fin du chapitre, ce qui laisse percevoir le peu d'humanité qui lui reste. C'est à peu prés comme ca que je le vois.

Pour ce qui est de rencontrer le cardinal. Guigues a entendu la conversation du groupe avec Azazel et en a déduis que l'un des deux démons devaient se trouver au sein même de l'église ( haut- placé). Il se dit qu'approcher un cardinal et surement sa meilleur chance de rencontrer le démon. Je n'ai peut être pas été assez claire la dessus.

J'espère que la suite te plaira. Encore merci ! =)

A bientôt.
Cléooo
Posté le 22/04/2024
"Guigues est envieux, jaloux, aigri, rancunier, il ne pense qu'a son intérêt personnel." -> le truc, c'est que tu le rends aussi vachement attachant (moi j'y suis très attachée en tout cas, je peux te dire que c'est un peu mon préféré jusqu'à maintenant xD) du coup je projette sûrement l'envie qu'il soit meilleur que ce que tu voulais !
Et en plus il y a des moments, (comme là pour le coup, sa réaction par rapport à Morgane) qui font voir une meilleure version de lui-même, et me font continuer d'espérer qu'il va s'améliorer !

"Pour ce qui est de rencontrer le cardinal. Guigues a entendu la conversation du groupe avec Azazel" -> ça je l'ai bien compris, mais du coup je trouvais ça audacieux de directement en parler. Après tout, combien de chance avait-il de tomber comme par hasard sur un autre démon ? S'il n'y en a que trois au total ! (d'autant que dans la conversation précédente, il était sous-entendu qu'ils se trouvaient à Bal !). Est-ce que ça veut dire que tout l'ordre du feu est pleinement conscient que des démons sont dans leurs rangs ?

Voilà voilà ! ^^
Alex3393
Posté le 22/04/2024
Pas forcément pour l'ordre du feu, mais dans tout les cas pour un garçon comme Guigues les occasions de rencontrer un cardinal sont infimes et il saisit surement la seule chance qui lui sera donné.

Je conçois que ce soit ton préféré. Personnellement c'est surement le point de vue que je prends le plus de plaisir à écrire. Je suis très attaché au personnage de Guigues et j'ai essayé de le rendre le plus complexe possible. Si tu vas jusqu'au bout de l'histoire, tu verras qu'il s'est amélioré... dans un sens.... ;)
Cléooo
Posté le 22/04/2024
Aaaaah spoiler alert !
Cléooo
Posté le 22/04/2024
Non je plaisante ! Bien sûr que j'irai au bout ^^
Vous lisez