Jean transpirait à grosses gouttes. Harassé par le soleil de plomb de l’après-midi, il marchait derrière les autres, une main sur son torse qui le faisait encore souffrir. Lucie, Mathilde et Rafael avaient recousues les plaies, elles cicatrisaient bien mais par moment, elles le brûlaient comme si les griffes de la bête étaient encore dans sa chaire.
Jean ressassait sans cesse les événements de la cathédrale dans sa tête. Il se souvenait des combats et du monstre fonçant vers Lucie. Il se revoyait se jeter sur son passage et recevoir le coup de griffe à sa place, puis plus rien. Bien sur les autres lui avaient tout racontés : Azazel, la disparition de Guigues et comment Mathilde les avait tirés d’affaire devant la foule en colère.
Jean n’avait aucune idée d’où Guigues pouvait bien être ni de pourquoi il était parti. Quelles raisons avaient pu le pousser à partir ? Il n’aimait pas Rafael et Reuel mais quand même. Ce qui inquiétait le plus Jean était qu’il ne lui avait rien dit, pas même une explication, ce n’était pas normal. Mais ou diable était-il ? Reuel et Roland étaient retournés à la cathédrale et l’avaient cherchés dans tout Fort-Des-Tombes sans succès.
Épuisé, il vit avec soulagement que les autres s’étaient arrêtés sur le bord de la route et quand il fut à leur hauteur il se laissa tomber lourdement sur le sol. Il s’allongea dans l’herbe jaunie par le soleil avec un soupir de satisfaction.
- On est presque arrivés, le rassura Lucie assise à côté de lui.
Depuis la blessure de Jean, Lucie se montrait particulièrement prévenante avec lui et elle essayait tant bien que mal de lui remonter le moral. Même si ces tentatives restaient le plus souvent des échecs, Jean lui était reconnaissant de persévérer.
- Comment le sais-tu ? Demanda Jean sans ouvrir les yeux.
- On voit de la fumée plus loin au nord, Reuel pense que c’est un village, répondit Lucie d’une voix douce.
« Dieu merci » pensa Jean avec gratitude.
L’idée de dormir sous un toit le réconforta et lui redonna des forces.
Il entendit des pas s’approcher sur sa droite, il ouvrit les yeux sur les silhouettes de Reuel et Mathilde qui revenaient vers eux.
- On a demandé notre chemin a un paysan dans les champs, il y a bien un village plus loin, expliqua Mathilde en nouant son épaisse chevelure rousse à l’aide d’un bout de tissu.
- On y sera avant la nuit, ajouta Reuel avec son habituel visage impassible.
- On est encore loin de la capitale ? Demanda Roland d’un air absent.
- Oui, affirma Rafael avant de se lever. Le mieux serait qu’on achète des chevaux dés que possible.
Jean fit la grimace. Bien que se déplacer à cheval était bien plus rapide, il appréhendait toujours de monter sur l’une de ces bêtes. Le visage de Lucie au contraire s’était illuminé à cette idée et Jean observa son sourire avec fascination avant de vite détourner les yeux.
Quelques minutes plus tard, ils repartirent sous la chaleur étouffante en suivant la colonne de fumée. Cela faisait plus d’une semaine qu’ils étaient partis de Fort-Des-Tombes et Jean avait du mal à se rendre compte de la distance qu’ils avaient déjà parcouru.
En début de soirée, au détour d’un lacet de la route, ils arrivèrent enfin devant le village. Des paysans méfiants les accueillirent armés de fourche et de faux mais à force de discussion Rafael finit par les convaincre qu’ils n’étaient pas contaminés par la Rage noire. Les villageois se détendirent encore un peu plus quand il sortit sa bourse remplit d’or pour leur acheter des vivres. Après quelques négociations, le sac de Jean ainsi que ceux des autres furent bien remplis et les habitants les installèrent dans une vielle grange inoccupée en bordure du village prés des arbres. Alors que le jour déclinait, le groupe se lança dans la confection du repas à la lumière d’un feu.
- Les gens sont pas commode ici, grommela Roland. Nous accueillirent comme ça en nous menaçant, c’est n’importe quoi.
- Il faut les comprendre, l’apaisa Rafael. Le nord est beaucoup plus touché par la Rage noire, ils sont terrorisés. Ils ne peuvent pas laisser entrer n’importe qui chez eux.
- Les gens de Fort-Des-Tombes étaient encore pire, soupira Mathilde avec tristesse. Les habitants se soupçonnaient les uns et les autres et les dénonciations abusives étaient courante.
Jean avait du mal à imaginer à quel point la situation avait du être horrible à Fort-Des-Tombes. Tout ce dont il se souvenait de leur passage dans la ville était les rues désertes et une chaleur oppressante, insoutenable, mais il n’avait pas eu beaucoup l’occasion d’échanger avec les rares passants.
Mathilde et Roland déposèrent les légumes épluchés et découpés dans une grande casserole rempli d’eau bouillante et tout le monde se rassembla autour du feu en attendant patiemment. Il régnait une atmosphère agréable et la lumière vacillante des flammes apaisait Jean qui pour la première fois depuis plusieurs semaines se sentait bien. Les autres discutaient avec bonne humeur et émettaient des hypothèses plus farfelus les une que les autres sur l’identité des deux démons. Jean n’écoutait que d’une oreille, admirant le ciel dont les étoiles brillaient de mille feux. Il se demanda si Guigues lui aussi regardait ce spectacle dehors quelque part.
- Comment savoir ou ils se cachent ? Demanda Roland l’air pensif. Ils peuvent avoir pris l’apparence de n’importe qui.
- On sait qu’ils occupent des positions importantes, Azazel a bien dit qu’ils visaient la royauté et l’église, rappela Lucie avec sagesse. Cela réduit grandement les possibilités.
Rafael hocha la tête, les yeux étincelants il semblait prendre le plus grand plaisir à chercher l’identité des deux démons :
- Une chose est sur, dit-il avec un large sourire. La sœur d’Azazel est forcément cachée parmi les nobles de la cour.
La curiosité de Jean fut piquée au vif. Comment Rafael pouvait-il être sur d’une telle chose ? Quelle preuves avait-il ? Lucie et Roland paraissaient aussi perplexe que lui mais Mathilde au contraire semblait fasciné par ce que Rafael venait de dire.
- Comme elle a probablement pris l’apparence d’une femme, elle ne peut tout simplement pas se cacher au sein de l’église ou seul les hommes sont acceptés, expliqua Rafael en riant presque devant l’expression sidérée de Jean et des autres. J’en déduis donc qu’elle est forcément infiltrée à la cour.
- Ça tombe sous le sens, commenta Lucie impressionnée. Reste à trouver qui c’est, mais cela réduit encore le champ de recherche.
- Je crois savoir qui c’est, s’écria Mathilde le visage radieux.
Comme tout les religieux, Jean n’aimait guère les sorcières et il se méfiait de Mathilde malgré lui, néanmoins il était curieux de savoir ce qu’elle avait trouvé:
- Et c’est qui ? Demanda-t-il en faisant tout son possible pour garder un ton neutre.
- C’est la reine, affirma Mathilde avec assurance.
Un grand silence se fit autour du feu pendant lequel, ils échangèrent des regard incrédules, seul Reuel ne sembla pas s’intéresser à l’hypothèse de Mathilde et se leva pour s’occuper de la soupe bouillante. Jean restait septique, il ne connaissait pas bien les figures royales et les intrigues de la cour et cela ne l’avait jamais intéressé.
- La reine ? Répéta Roland stupéfait. Comment le sais-tu ?
- Une intuition, répliqua Mathilde qui paraissait de plus en plus excitée. Je n’en suis pas certaine mais c’est le raisonnement de Rafael qui m’a mise sur la piste. Si on part du principe qu’effectivement la sœur d’Azazel a bien pris l’apparence d’une femme, je suis moi aussi d’avis qu’elle a forcément pris place à la cour du roi.
Tous acquiescèrent pour encourager Mathilde à poursuivre :
- Je pense pense qu’elle a pris l’apparence d’une femme très belle ce qui doit grandement lui faciliter la tache pour s’attirer les faveurs des hommes influents. Comme par hasard,il y a quelques mois, une princesse étrangère s’est présentée à la cour et à très vite conquis les cœurs. On dit que sa beauté est sans pareille et que de nombreux hommes ont demandé sa main mais qu’elle les a tous éconduits à par un seul.
- Le roi, murmura Lucie.
- Précisément, reprit Mathilde en exultant. Drôle de coïncidence pas vrai ? Une inconnue débarque à la cour, devient une reine adorée de tous pile quelques semaines avant le début de l’épidémie. Quelle meilleur position que celle de reine pour tirer les ficelles dans l’ombre?
Jean mit du temps à assimiler tout ce que Mathilde venait de dire mais il finit par admettre que son hypothèse tenait la route. Si un démon avait bien pris la place de la reine, le royaume courait à sa perte et ils seraient presque impossible d’arriver à atteindre cette femme.
- Mais si c’est vrai, quelqu’un aurait fait forcément fait le rapprochent entre l’arrivée de cette femme et le début de l’épidémie non ? Supposa Roland en haussant les sourcils.
- Pas forcément, répondit Rafael avec un sourire triste. Nous sommes probablement les seul à détenir autant d’informations sur la Rage noire et sa provenance. Les autres ne peuvent tout simplement pas le deviner et même si nous tentons de convaincre la population, nous passerons pour des fous. Nous sommes seul dans cette épreuve nous ne pouvons compter que sur nous six.
Jean se sentait abattu, il savait déjà tout ce que venait de dire Rafael mais l’entendre de sa bouche lui faisait réaliser à quel point leur quête était vouée à l’échec. Il saisit avec gratitude le bol de soupe que Reuel lui tendit et pendant quelques minutes on entendit seulement le raclement des cuillères sur les bols de bois.
- Je pense que Mathilde est sur la bonne piste, reprit Rafael en se resservant. Cela fait beaucoup de coïncidences et il y a une grande probabilité que la reine soit celle qu’on cherche, mais il faut rester vigilent et n’exclure aucune possibilité.
- Et pour le deuxième démon, celui qui fait parti de l’église ? Demanda Roland visiblement inquiet.
- C’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin, soupira Jean pris d’une grande lassitude. On sait juste que c’est quelqu’un de haut placé. Le problème est que l’église est un labyrinthe hiérarchique, on ne pourra jamais approcher les cardinaux ou le pape et ça risque même d’être compliqué pour avoir des informations à leur sujets. C’est un milieu très fermé qui veille jalousement sur ses secrets, impossible d’y pénétrer pour des gens comme nous.
- Même pour toi ? Questionna Mathilde avec espoir. Vu que tu es un religieux tu pourrais peut être essayer de t’infiltrer non ?
Jean secoua la tête. Il avait déjà visité des monastères prestigieux et à chaque fois beaucoup de lieux lui avaient étaient interdits d’accès a cause de son statut. Alors imaginer un simple clerc pénétrer dans le siège de l’église catholique était impensable.
- Impossible, je ne suis qu’un simple serviteur à leur yeux, on entre pas comme ça dans le saint des saint, se désola Jean.
- Encore moins aujourd’hui, intervint Reuel à la surprise générale. A Fort-Des-Tombes la rumeur courait que l’église avait monté sa propre armée par le biais de l’ordre du feu.
- Ça s’annonce compliqué, commenta Lucie visiblement abattue. A-ton seulement la moindre chance de réussir ?
A ces mots Rafael se leva d’un bond. Son habituel air rieur avait disparu pour laisser place à une gravité que Jean ne lui connaissait pas :
- Bien sur qu’on a nos chances, s’écria-t-il les yeux étincelants. Il ne faut pas baisser les bras. Nous disposons de beaucoup d’informations sur les démons alors qu’eux ne savent rien de nous, on a l’avantage. Nous ne pouvons pas abandonner. Nous sommes les seul à pouvoir les arrêter, qu’adviendra-t-il si nous les laissons faire ?
- Mais ils ont probablement une armée entière à leur service alors que nous ne sommes que six, protesta Roland dont le doute se lisait sur son visage. Je veux absolument venger ma famille et voir ces démons mourir sûrement plus que n’importe qui ici, mais nous ne faisons pas le poids.
Rafael fixa Roland avec intensité semblant réfléchir au meilleur moyen de le convaincre mais avant qu’il n’ai le temps de répondre Reuel prit la parole :
- Je comprends votre peur, dit-il d’un ton apaisant. Mais Rafael a raison nous n’avons pas le choix, nous devons agir. Il souhaite à tout prix se servir de son pouvoir pour aider les gens mais le meilleur moyen de le faire et de tuer ces deux démons. En ce qui me concerne je le suivrais n’importe ou jusqu’à la fin, nous allons essayer d’intervenir quoi qu’il nous en coûte.
Reuel fit une pause et embrassa chacun d’eux du regard avec une expression timide, presque gênée qui remua Jean :
- Je peux tenir tête à une armée à moi tout seul ou même combattre ces démons, reprit Reuel en baissant la tête. Malgré tout, quelque chose me dit que ça ne suffira pas. J’ai le sentiment que c’est seulement tous ensemble que nous arriverons à les vaincre.
Jean fut troublé de voir Reuel se livrer ainsi. C’était clairement un aveu de faiblesse de sa part de leur demander de l’aide mais Jean le respecta encore plus de l’avoir fait. Il avait toujours imaginé que Reuel était un garçon dépourvu de doutes et de peur mais la moue embarrassée qu’il affichait en attendant leur réponse lui prouva le contraire.
En ce qui le concernait, Jean avait pris sa décision depuis longtemps. Lui aussi irais jusqu’au bout. Il était de son devoir d’aller à la capitale et de débarrasser l’église de toute cette corruption, son amour pour le seigneur le lui dictait. Par dessus tout, il voulait retrouver Guigues. Il avait un mauvais pressentiment à chaque fois qu’il pensait à lui et il n’aurait pas de repos avant de l’avoir retrouvé.
- On est avec vous vous le savez bien, déclara Jean avec un faible sourire.
- Évidemment, rugit Roland visiblement ragaillardi.
- On ne peut pas abandonner la population à son sort, ajouta Lucie avec détermination.
Mathilde hocha vigoureusement la tête avant de se diriger vers la grange :
- Je vais me coucher, je tombe de fatigue.
Tout le monde paraissait avoir était remotivé par l’intervention de Reuel et chacun partit dormir la tête perdue dans ses pensées. Jean s’allongea sur la paille et ferma les yeux même si il était conscient qu’il n’arriverais pas à s’endormir de si tôt. Il avait pris une grande décision mais il avait besoin d’un moment seul pour la mettre en œuvre.
Quand il fut certain que tout le monde dormait, il sortit de la grange en prenant bien soin de ne faire aucun bruit. A la lumière des braises mourantes, il enfila une vielle tunique rapiécée et un pantalon usé qu’il avait acheté aux villageois. Il plia soigneusement sa soutane sous son bras et se dirigea vers la forêt en catimini.
Il faisait nuit noire et il ne s’aventura pas beaucoup plus loin que la lisière du bois. En tâtonnant entre les arbres il distingua tant bien que mal la forme d’ un énorme chêne dans le noir. Il remarqua du bout des doigts un creux à la base de l’arbre et il s’agenouilla tout prés.
Jean pria un moment. Même si il était convaincu qu’il prenait la bonne décision, ce qu’il s’apprêtait à faire était un blasphème et il conjura le seigneur de toutes ses forces de le pardonner.
Il rouvrit les yeux et fixa longuement l’étoffe de la soutane qu’il tenait entre ses mains. Il palpa lentement le tissu qui était devenu comme une seconde peau pour lui, quand il en était privé il se sentait nu, vulnérable. C’était le père Amette qui lui en avait fait cadeau lors de son arrivée en tant que clerc au village d’Oulmes. Cet habit et la croix de bois qu’il portait autour du cou étaient les deux choses les plus précieuses qu’il possédait. Elles représentaient son identité, sa foi, toute sa vie.
Jean posa le vêtement au sol, se défit de la croix et la déposa religieusement sur le tissu. D’un geste hésitant, il cacha le tout dans le creux de l’arbre. Il voulut se lever mais son corps ne bougea pas. Il fixa longuement le trou dans le tronc qu’il distinguait à peine. C’était comme abandonné une partie de lui même, un bout de son âme.
Sans réfléchir, il plongea la main dans le creux d’un geste brusque, en sortit la croix qu’il s’empressa de remettre à sa place contre sa poitrine.
- Alors comme ça, tu n’as pas totalement perdu ta foi ? Demanda une voix dans son dos.
Jean fit volte-face et décerna une silhouette se tenant adossé contre un arbre à quelques mètres de lui.
- Désolé de t’avoir suivit mais j’ai entendu quelqu’un sortir et ça m’a intrigué, reprit la voix que Jean reconnut aussitôt comme celle de Rafael. Quand je t’ai vu déposer ta soutane au sol, j’ai compris ce que tu étais en train de faire.
Bizarrement, la présence de Rafael pendant un moment aussi intime ne dérangea pas Jean. Il fut même soulagé que ce soit lui qui l’ai surpris et non Lucie ou Roland.
- Non je ne l’ai pas perdu, confirma Jean à mi-voix. J’éprouve toujours autant d’amour pour le seigneur et je le servirais quoi qu’il arrive. Sa volonté est impénétrable et ce n’est pas à moi de juger les épreuves qu’il m’envoie, mon rôle est seulement de les affronter.
- Je ne comprends pas, avoua Rafael d’un ton franchement curieux. Dans ce cas pourquoi abandonner ton habit ? Sans elle tu n’es plus un clerc n’est ce pas ?
- C’est le but, expliqua Jean qui pour la première fois mettait des mots sur ce qui le tracassait depuis plusieurs semaines. Quand je vois ce qui est arrivé à la famille de Roland, au village de Buys, aux habitants de Fort-Des-Tombes, je suis écœuré. Toute cette violence, tout ces morts on étaient orchestrés par des groupes servant la sainte église catholique. Ils prétendent même que leur actes sont la volonté de Dieu, quelle abomination. L’église n’est plus celle que j’ai connu. Les deux démons y sont sûrement pour quelque chose et doivent tirer les ficelles dans l’ombre mais quand je vois l’ampleur qu’a pris un mouvement comme l’ordre du feu je me dis qu’en fait elle était corrompu bien avant leur arrivée. Que ce soit les prêtres, les évêques, les cardinaux, ils rejoignent tous l’ordre par peur de perdre leur statuts, leurs privilèges et ils oublient les préceptes que le seigneur nous a appris. C’est pour cela que j’ai enlevé ma soutane. Je ne veux plus faire partie de cette grande mascarade, je vais servir Dieu à ma façon.
Jean avait parlé très vite, animé par toute la fureur et l’amertume qu’il ressentait pour ces hommes qui se prétendaient serviteur du seigneur. Mais se confier ainsi à Rafael l’avait libéré d’un poids et il sentit petit à petit tout son corps s’apaiser. Après un moment il poursuivit d’une voix calme :
- J’ai eu beau essayer, je ne peux pas pas me séparer de ma croix. Je veux aider les pauvres gens et les débarrasser de ces démons. Je veux suivre les enseignements du tout puissant. Je veux la paix, aimer mon prochain et détruire cette église corrompue. Cette croix symbolise tout ça et je la garderais avec moi jusqu’à ma mort.
- Impressionnant, souffla Rafael dont Jean devinait le sourire dans l’obscurité. Après tout ce qui s’est passé, après tout ce que tu a vu, après avoir découvert l’existence des démons, ta foi n’a jamais était ébranlée. Je dois dire que je suis presque jaloux, faire preuve d’autant de dévouement est une force incroyable. Je crois bien que j’en suis incapable.
Jean savait que Rafael ne croyait pas en Dieu mais il avait tout de même du mal à le concevoir.
- Tu dois quand même bien croire en quelque chose non ? Hasarda Jean que la question mettait mal à l’aise.
- Oui, je crois en moi, plaisanta Rafael en éclatant de rire. Plus sérieusement je crois aux hommes. Je ne pense pas vraiment qu’il y ai de bien ou de mal. Chacun commet des erreurs pour des raisons bien précise et c’est à chacun de faire de son mieux avec les cartes qui lui ont étaient donnés. Reuel est très pointilleux quand il s’agit du code morale mais nous avons deux points de vues bien différents. Pour moi tout le monde peut changer et à droit à une seconde chance. Je suis peut être un peu trop optimiste, mais je considère que la vie est toujours la chose la plus précieuse et j’essaie toujours d’aider les autres même si leur actes sont impardonnables. Comme on dit, pour moi tant qu’il y a de la vie il y a de l’espoir.
Jean fut choqué par les paroles de Rafael. Il comprenait très bien sa vision des choses même si elle différait de la sienne et il restait admiratif. Maintenant qu’il avait un aperçu de la pensée de Rafael, il lui paraissait logique que celui-ci soit toujours aussi gentil et prêt à apporter son aide à tout le monde. Jean avait rarement croisé quelqu’un d’aussi bienveillant que lui et cela lui remontait le moral, tel un soleil réchauffant son âme.
- Allez viens, je commence à être fatigué, lâcha Rafael en baillant. On ferait mieux de rentrer.
- Tu pourrais ne pas parler de notre discussion aux autres ? Demanda Jean en emboîtant le pas de Rafael. Je sais qu’ils vont forcément se rendre compte que j’ai abandonner ma soutane mais j’aimerais éviter le sujet pour l’instant.
- Bien sur, promit Rafale d’une voix rassurante. Tu peux compter sur moi.
Ils rentrèrent dans le noir en se cognant au branches et aux racines, mais finirent par retrouver leur chemin grâce à la lumière des braises devant la grange. Jean se faufila à l’intérieur en prenant bien soin de ne pas réveiller les autres et s’endormit en tenant fermement sa croix de bois contre sa poitrine.
Jean se réveilla d’exellente humeur et il sortit de la grange, guidé par une bonne odeur de viande grillée. Il fut aveuglé par la lumière éclatante du soleil malgré l’heure matinale et s’assit prés du feu. Très vite il se rendit compte que les autres l’observaient avec de grand yeux ronds, seul Rafael qui s’occupait de la viande ne faisait pas attention à lui mais Jean remarqua sur son visage un sourire en coin.
Jean fit comme si de rien n’était et Rafael engagea la conversation sur un autre sujet que sa tenue et il lui en fut très reconnaissant. Mais malgré tout les efforts de Rafael, Lucie ne le lâcha pas des yeux durant tout le déjeuner.
Quand il ne resta plus un morceau de viande et que leurs affaires furent prêtes, ils remercièrent les villageois pour leur accueil et repartirent sur la grande route du nord.
En début d’après midi, le ciel se couvrit d’énormes nuages gris et l’atmosphère devint lourde, irrespirable. Ils marchèrent sans s’arrêter jusqu’à la nuit tombée et trouvèrent refuge dans une vielle cabane abandonnée prés de la route.
Le lendemain quand Jean se réveilla, il pleuvait des cordes et il se demanda comment le vacarme que faisaient les gouttent en tombant sur le toit ne l’avaient pas réveillé plus tôt. C’était un véritable déluge, et même si au bout d’une heure, la pluie se calma un peu elle ne les lâcha pas de toute la journée.
Ils passèrent deux jours trempés jusqu’au os à avancer péniblement sous les averses. Le ciel obscurcit par d’épais nuages noir s’acharnait sur eux, projetant des éclairs et déversant des quantités d’eau phénoménales en continu.
Le troisième jour après avoir quitté la cabane, les éléments s’apaisèrent enfin et un soleil timide caressa la peau de Jean de ses rayons revigorants. Il fut ravit de sentir à nouveau sa chaleur lui réchauffer les nuque et c’est dans la bonne humeur que le groupe arriva au pied d’une grande colline boisée.
Revigoré, Jean grimpa en tête aux côtés de Reuel et une fois au sommet, ils se retrouvèrent face à une grande palissade dont les extrémités se perdaient dans les arbres de chaque côté.
Jean comprit tout de suite que quelque chose n’allait pas. Un pan entier de la palissade était fracassé et de grande traces de griffes que Jean reconnut instantanément recouvraient les rondins effondrés. Ils entendit les autres arriver derrière lui et se taire face au mauvais présage qu’annonçait le mur d’enceinte éventré.
Reuel tira son épée et entra dans le village en premier. Jean le suivit, la peur au venter et se figea sur place devant ce qu’il découvrit à l’intérieur. Le village était une véritable scène d’horreur, partout dans la boue se trouvaient des corps à moitié dévorés par les corbeaux, qui avaient déversés des rivières de sang autour d’eux. On aurait dit que la terre elle même était devenue rouge et Jean remarqua avec dégoût que certains cadavres étaient éventrés et que des membres gisaient aléatoirement séparés du tronc par des dents et des griffes acérées.
Jean fut pris de nausée et une haine farouche l’envahit devant cette découverte macabre. Il savait très bien qui était responsable de ces atrocités et il brûlait d’envie de trouver ces deux démons, de les voire souffrir, de les réduire en charpie.
Jean se retint de hurler, sa rage était telle qu’il sentit tout son corps se contractait et son cœur battre si fort qu’il avait l’impression qu’il allait sortir de sa poitrine. A côte de lui les autres étaient abasourdis, figés dans une expression de terreur et Lucie pleurait en silence. Mais ce qui frappa le plus Jean, ce fut les yeux avec lesquels Roland observait les cadavres. Son visage était métamorphosé, le teint livide, le regard vitreux, on aurait dit que son âme avait quitté son corps le laissant inanimé comme une coquille vide.
Lucie s’approcha timidement de Roland les yeux embués de larmes et posa délicatement sa tête sur son épaule. Roland sembla à peine s’en rendre compte et ne détacha pas son regard des corps entrelacés dans la boue, comme aspiré.
- C’est l’œuvre de la Rage noire, affirma Reuel d’un ton grave.
- Il y a peut être des survivants, hasarda Mathilde en grimaçant.
Jean trouva la chose très peu probable mais ils se mirent tout de même à chercher. Ils fouillèrent dans les maisons aux portes défoncés, d’autres encore étaient totalement détruite. Ils leur arrivaient de trouver des morts à l’intérieur et l’odeur qu’ils dégageaient leur indiqua que le massacre datait de plusieurs jours.
Après avoir fait le tour du village sans succès, la groupe arriva devant un grand bâtiment en bois au pieds de deux tours de pierre que Jean n’avait pas remarqué plus tôt. Devant l’édifice se trouvait un nombre important de corps entremêlés et Jean discerna de nombreux hommes encore armés de hache ou de faux face contre terre, couvert de plaies noirâtre. A sa grande surprise il discerna dans cette mêlée immobile quelques grandes formes à la peau noire et il eu un aperçu très précis de que les villageois avaient du subir.
Les hommes du village avaient tenté de combattre ici. Ils avaient perdu mais à la grande satisfaction de Jean, ils avaient réussi à emmener quelques-un de ces monstres avec eux.
- Quelle horreur, souffla Lucie devant le charnier.
- J’ai peur de ce que nous allons bien pouvoir trouver à l’intérieur, lâcha Rafael avec un regard anxieux vers le grand bâtiment de bois.
Jean prit son courage à deux mains et entra avec Reuel pendant que les autres vérifiaient les maisons alentour. Ils se retrouvèrent dans une grande salle ou de nombreuses tables étaient renversées et cassées, ici aussi de nombreux cadavres jonchaient le sol. Jean remarqua que parmi eux se trouvaient des enfants et il eut le plus grand mal à détacher les yeux de ces corps frêles et recroquevillés d’une blancheur épouvantable.
Reuel se dirigea vers un morceau d’une énorme marmite en fonte qui pendait suspendu à un crochet au milieu de la pièce. Reuel retourna du bout du pied le corps sans vie d’une bête noire que Jean n’avait pas vu parmi les débris et sa masse difforme fracassa les reste d’une chaise dans un grand fracas.
Un cri retentit vers le fond de la pièce, Jean se figea et Reuel leva son arme d’une geste vif. Ils trouvèrent une porte fermée à l’autre bout de la salle et s’en approchèrent à pas de loup.
L’autre coté de la porte était redevenu silencieux et Jean entendait son cœur battre à tout rompre contre ses côtes. Reuel leva son épée bien haut et lui fit signe d’ouvrir la porte.
Jean posa sa main sur le bois, poussa la porte d’un grand coup sec et recula d’un bond. Il eut à peine le temps d’apercevoir l’épaisse chevelure rousse d’un jeune garçon armé d’un couteau qui se rua sur eux en hurlant. Reuel esquiva la pointe de la lame et maîtrisa l’enfant d’une seul main. Le gamin se débattit quelques instants comme un beau diable puis quand Reuel le lâcha en ayant pris soin de le désarmé, il s’effondra évanoui.
Je ne t'ai jamais demandé, ou en tout cas je ne me souviens plus de la réponse, mais est-ce qu'il s'agit de ton premier jet, et es-tu encore en cours d'écriture, ou as-tu terminé d'écrire?
Je passe au chapitre maintenant :
"une main sur son torse qui le faisait encore souffrir. Lucie, Mathilde et Rafael avaient recousues les plaies" -> petite question : je ne connais pas le détail des capacités de Mathilde, mais elle ne peut pas soigner les gens ? Ou faut-il que ça soit uniquement de la maladie ?
Je suis un peu partagée sur le fait que la sœur d'Azazel est la reine. D'un côté : oui, l'idée est bonne et la logique aussi ! Pour ainsi dire, c'est très bien trouvé qu'elle soit la reine. Cependant, encore une fois, c'est trop facile qu'ils le sachent déjà :( Ça fait partie de tes grandes révélations et j'ai l'impression que tu livres trop vite les moments clés de ton histoire. Là en fait je me demande ce que tu vas bien pouvoir me raconter après, ou en quoi tu vas me surprendre, parce que j'ai déjà l'impression qu'on a touché le fin mot de l'histoire.
Plutôt qu'être si direct, ne serait-ce pas l'endroit (à partir de la mort d'Azazel) pour qu'ils mènent l'enquête et découvre peu à peu des indices ? Des livres, des légendes, une histoire oubliée (puisqu'ils sont immortels, tes démons) qui referaient surface et les guideraient vers les hautes sphères du pays ? Le suspens ne dure pas assez. Moi je vais continuer à lire parce que je veux connaître la fin, mais ça pourrait ennuyer des lecteurs d'avoir l'impression d'avoir fini le livre en ayant lu à peine la moitié. Il faut quelque chose pour donner envie de continuer et je ne vois pas ce que c'est pour le moment.
Je te donne un exemple : dans le Seigneur des Anneaux, dès le début on savait très clairement qui était le "méchant" et le but de l'histoire : porter l'anneau au Mordor. Mais le suspens se créait d'une autre manière : Frodon allait-il réussir à combattre la volonté de l'anneau ? Les peuples des hommes parviendraient-ils à s'allier de nouveau pour l'épauler dans sa mission ? Il y avait de grandes lignes derrière l'intrigue principale, qui donnaient envie au lecteur de continuer. Pour le moment j'ai seulement l'histoire de Guigues en fond, et je ne suis pas sûre qu'il va pouvoir faire grand chose de plus que ce qu'il a déjà fait : balancer ses potes. Et après ?
Je pense que des chapitres comme celui-ci, à travers les dialogues, devraient présenter plus encore les lignes directrices (ce que tu fais en partie ici, en expliquant le fonctionnement de l'Église, par le fait que Jean ne puisse pas accéder à tout).
Ce qui est le plus intéressant dans ce chapitre, c'est le cheminement, la réflexion de Jean sur sa religion. Ça j'aime beaucoup, parce qu'il se questionne sans remettre sa propre foi en cause, mais plutôt la façon dont d'autres manipulent la religion. Et la discussion avec Rafael, qui a un côté spirituel quand même assez prononcée, est vraiment la bienvenue.
"Lucie ne le lâcha pas des yeux durant tout le déjeuner." -> la coquine ! xD
"Ils entendit les autres arriver derrière lui et se taire face au mauvais présage" -> peut-on parler de mauvais présage quand on est plus ou moins devant le fait accompli ?
La fin du chapitre est bien aussi ! Je me demande, est-ce le même village que Guigues a visité ? C'est ce que m'évoque le gamin roux à la fin. En tout cas un joli cliffhanger pour cette fin.
À bientôt !
Pour l'histoire, il s'agit effectivement du premier jet ( pas de réécriture ni rien) je suis en train d'écrire le dernier chapitre et je compte passer à la relecture complète juste après.
C'est effectivement le même village que celui que Guigues a visité. =) J'ai pris beaucoup de plaisir à écrire ce dialogue entre Jean et Rafael et peut être que cela se voit, je l'espère. Le personnage de Jean et sa foi sont aussi des choses qui me plaisent beaucoup et que j'aime décrire, ca me fait très plaisir que tu aimes bien ce côté la. =)
J'ai bien réfléchi à ton retour sur le fait que la Reine soit potentiellement un des deux autres démons. Je vois très bien ce que tu veux dire mais justement je me dis que dans cette histoire la aussi, on sait à peu prés qui sont les méchants et quels sont les enjeux. Je me suis dit que le lecteur aurait envie de continuer à lire pour savoir comment ils allaient réussir à vaincre les démons? Pour savoir ce qui allait arriver à Guigues, Jean, Lucie et tout les autres. Peut être que je me suis trompé et que cela ne suffit pas. Je verrais si j'ai d'autres retours dans ce sens la mais je crois avoir quelques surprises en réserves dans les chapitres suivants qui devraient donner envie de continuer. En tout cas je l'espère.
Encore une fois merci pour tout le temps que tu prends pour lire mon histoire et me faire tout ces retours. =D
A bientôt.
Écoute, un premier jet, c'est pour ça aussi ! Voir si certaines choses sont à revoir ou pas, donc je te dirai à la fin maintenant, si je pense qu'il y a des gros axes à retravailler. Pour le moment j'ai mis le doigt sur l'identité des démons, mais on verra en effet si malgré cette révélation arrivée tôt, on a quand même la bonne tension narrative qui donne envie jusqu'au dernier chapitre.
Parce que "comment ils allaient réussir à vaincre les démons" , j'ai peur que ce soit suffisant. Comme le premier était quand même relativement facile à abattre, à cet instant je me dis "beh ils vont les vaincre comme l'autre, non ?"
Hâte de voir tes prochaines surprise, je vais lire le chapitre 13 dans la journée :)