Ce soir-là, leur père était rentré à l’heure du souper. Il était ressorti très vite avec sa lampe de poche. Il comptait sur les explications précises de Aube pour retrouver les seringues avant la tombée de la nuit. Les jours commençaient à raccourcir. Quand il était revenu, sa mission accomplie, les enfants étaient déjà au lit et l’attendaient en espérant qu’il passe les embrasser.
— Papa ?
Aube se retourna. Son père se trouvait dans l’encadrement de la porte. Il l’observait dans une attitude qui semblait vouloir dire : « Il faut toujours tenir ses engagements, ma fille. » Aube savait qu’il avait réglé le problème des seringues. Mais elle doutait qu’il prenne le temps de s’occuper des pancartes et de l’antenne sur le terrain de Jeanne.
— Et la pétition ? tenta-t-elle.
— Ton frère a désobéi à ta mère, esquiva son père.
— Mais alors, qu’est-ce qu’on doit faire ?
— Que penses-tu de ce que tu as accompli jusqu’ici ?
Il s’approcha pour s’asseoir au bord de son lit. Pourquoi lui posait-il des questions quand elle avait tant besoin de réponses ? Elle aurait juré qu’il avait quelque chose derrière la tête. Mais si c’était le cas, il savait conserver son secret. Il réfléchissait et parlait par énigmes. Aube était fatiguée. Sa journée avait été longue et épuisante.
— Oh papa ! J’aimerais...
— Que je te raconte une histoire ? la coupa-t-il.
Aube fut si surprise. Elle était tellement tracassée par les problèmes de ces derniers temps qu’elle en avait oublié le livre. Son père venait de le prendre sur sa table de chevet.
— Il se fait tard, dit-il. Je vais te lire la plus courte de toutes pour ce soir.
— D’accord, répondit-elle.
Aube se persuada qu’il y avait là un message à comprendre. Mais elle ne parvenait pas à le déchiffrer.
- « Le Hibou du Jour », commença-t-il.
Aube s’enfonça dans son oreiller avec un grand sourire. Elle venait de découvrir le mot « hibou ». Il était frère siamois du mot « histoire ». Jumeaux par leurs deux premières lettres.
- « On raconte qu’un village de bûcherons et de paysans, installé à l’orée d’une vieille forêt avait la chance de posséder la plus importante colonie de hiboux du pays », continua son père. « Et chacun vivait en bonne harmonie. La nuit, les hiboux chassaient les rongeurs, mulots et souris qui menaçaient les récoltes et les greniers à grains, tandis que la journée, les bûcherons prenaient soin de protéger les arbres les plus anciens qui abritaient les nids des rapaces.
Hélas, un jour, les hiboux constatèrent que leur environnement commençait à changer, la nourriture venait à manquer. Plusieurs nuits de suite, il ne se trouva aucun rongeur à traîner dans le village, attiré par les céréales des paysans. Tous les vieux hiboux se posaient des questions, mais ils se contentaient de chercher des solutions pour assurer à nouveau leur subsistance. Seul un jeune hibou voulut savoir pourquoi. Que s’était-il passé pour qu’ils en arrivent là, à proposer de remplacer à leur menu les rongeurs par d’autres oiseaux ou des animaux domestiques ? Dès lors, il émit une suggestion : et s'ils dormaient la nuit et vivaient le jour pour observer les hommes et découvrir ce qui avait changé qui puisse expliquer l’absence nocturne de nourriture pour ses congénères.
Malheureusement, aucun hibou ne comprit ni n’accepta cette étrange suggestion. Et cette nuit-là, tous chassèrent ce qu’ils purent se mettre sous les serres : mésanges, pigeons, écureuils, hérissons et même un chiot qui fut débusqué à l’intérieur d’une grange où jadis il aurait ronflé en toute sécurité.
Au matin, les villageois étaient en colère. Le massacre perpétré par les hiboux n’était pas passé inaperçu. Cela ne pouvait être toléré. Les rapaces devenaient trop nombreux, trop voraces. Il fallait s’en débarrasser. La décision fut prise d’abattre le plus vieux chêne de la forêt qui abritait plusieurs nids, ce qu’observa, incrédule, le jeune hibou qui vivait alors pour la première fois le jour. Quand le village fut abandonné par ses habitants en colère, partis dans les bois, il put sans crainte visiter chaque maison. Et c’est là qu’il découvrit de nouveaux venus, un couple de gros chats et leur portée de chatons qui jouaient encore avec les restes de plusieurs souris récemment croquées. Une seule famille de chats joueurs avait suffi à faire fuir tous les rongeurs qui servaient de repas aux rapaces travailleurs. Quelques animaux domestiques menaçaient la subsistance de toute une tribu d’animaux sauvages. Le jeune hibou avait trouvé le jour ce qui posait problème aux siens la nuit.
Hélas, une fois de plus, en une journée le grand chêne était tombé. Tous les hiboux délogés avaient fui pour trouver refuge loin du village des bûcherons en colère, dans une autre forêt où tout était à refaire, les nids comme les réserves de nourriture. Cette nuit-là, le jeune hibou dormit sur ses deux oreilles. S’il avait réussi à être un hibou du jour, il cohabiterait sans souci avec une famille de chats. D’autant que les souris commençaient à s’y adapter elles aussi et à échapper aux matous rusés. Et puisqu’il n’y avait plus beaucoup de rapaces dans le coin, ces quelques rongeurs rescapés constituaient un vrai festin pour le jeune hibou du jour qui retrouva avec plaisir ses habitudes et sa vie de nuit. Il était seul mais il avait eu raison et le courage de changer de point de vue.»
Aube cligna des yeux. Son père l’embrassa sur le front. Sa journée avait été fatigante et il restait beaucoup de mystères à éclaircir, mais elle se terminait bien.
— Bonne nuit, ma chérie.
Jean sortit de la chambre. Aube se promit de trouver des réponses le lendemain. Elle tombait de sommeil, mais lutta encore un peu. Elle aurait voulu pouvoir vivre la nuit et aller rejoindre Éfflam. Son ami devait danser à la pleine lune sur la colline.
Une pause narrative ! On se prend à l'histoire des hiboux, pauvres choux !
Ah, enfin, papa est de retour et lit une histoire. C'est bien, il fait son travail de papa. Quand même !
Deux petites remarques :
- et s'ils dormaient la nuit et vivaient le jour pour observer les hommes et découvrir ce qui avait changé qui puisse expliquer l’absence nocturne de nourriture pour ses congénères. => point d'interrogation?
- Hélas, une fois de plus, en une journée le grand chêne était tombé. => c'est le Hélas qui est une fois de plus ? parce que le grand chêne ne peut vraiment pas tomber deux fois :)
A la fin du conte, je pense qu'il faut ajouter :
"Je suis le dernier hibou, je le resterai jusqu'au bout. Je ne capitule pas !" En plus, il y a une rime interne.
Blague à part, c'est un peu dur, tous les hiboux qui meurent parce qu'ils ont été trop lents à réagir. Pauvres petits. Tout ça à cause d'une portée de chatons. Quel malheur !
J'aime bien, à la fin, Aube qui cligne des yeux. J'imagine la petite fille qu'est laissée à dormir en rêvant de la mort de bébés hiboux. En tout cas, nous voilà prévenus !
Toujours un plaisir,
A bientôt !
Désolé, j'ai laissé passer une semaine sans répondre à ton commentaire... mais c'était pour la bonne cause : j'étais fort occupé sur l'écriture d'un nouveau projet pour adultes !
Merci encore à toi pour ta relecture attentive et tes précieux commentaires !
A très bientôt ! ;-)
Super, pour ce nouveau projet adulte ! C'est quel genre d'écriture ?
A bientôt !
Mon projet en cours, c'est une fiction sur le thème de la transidentité et j'avoue que j'ai peur de me planter, alors je vais prendre mon temps...