Chapitre Onze : Le passé retrouvé
- Ne bougez pas. Relevez le dos. Mais restez droit, bon sang ! Attendez, il y’a une petite saleté ici…Hum…Laissez-moi regarder un peu…Voilà ! C’est parfait, comme ça ! Je ne savais pas que l’uniforme vous allait si bien !
Gabrielle contempla avec joie son chef d’œuvre. Un Valentin en uniforme impeccable. Il y avait cependant quelque chose qui clochait dans ce parfait tableau de lieutenant modèle. Il ne bougeait pas. Il ne souriait pas non plus. Enfin, ses yeux regardaient dans le vide. Valentin semblait mort à l’intérieur. Il s’était laissé entretenir par la jeune femme, sans partager sa vitalité. Une seconde plus tard, son regard se posa sur elle. Il l’examina rapidement. Son cerveau fonctionnait encore. Elle portait une jupe classique bleu marine qui s’arrêtait aux genoux, et une chemise blanche à manches courtes, sur laquelle était brodé un sigle, avec écrit dessous « POLICE ». Elle avait enroulé ses cheveux dans un chignon et avait troqué ses talons-aiguilles contre des chaussures à talons bas, classiques et bleu marine (et qui faisaient mal aux pieds). Même dans un vêtement qu’on lui imposait, elle savait garder son élégance.
Valentin étudia la situation. Ils étaient chez Gabrielle, pas loin de la table de la cuisine. Aussitôt, des idées perverses lui traversèrent l’esprit. Il y eut une lueur de désir dans ses yeux, mais la jeune femme le remarqua, et recula instinctivement. Elle avait l’habitude de ses envies incessantes. Depuis que sa mère était morte, Valentin ne vivait plus. Ce n’était plus qu’une coquille vide de toutes émotions, qui savait juste respirer et satisfaire ses besoins vitaux. Il ne parlait presque plus et quand il le faisait, c’était soit pour se plaindre (et donc, grogner), soit pour insulter ses hommes, soit pour donner un ordre. Il devait subir, en plus, le stress de son travail. Dès qu’il interrogeait un suspect, il ne pouvait s’empêcher de devenir furieux. Un jour, il avait failli étrangler un homme. Depuis, Albert, l’agent de la sécurité, surveillait les interrogatoires, de peur que cela se reproduise. Quant à Gabrielle, il ne la considérait plus que comme un objet sexuel. Le plus souvent, la jeune femme ne disait rien et ne tentait même pas de se débattre. Elle savait qu’elle ne pouvait rien faire et que le Valentin qu’elle aimait reviendrait lorsqu’il aurait fait le deuil de sa mère. Hélas, voilà bientôt deux mois que son cœur avait cessé de battre, et il ne s’en était toujours pas remis.
Pourtant, ce matin-là, quand il l’avait poussée jusqu’à la table du coin cuisine, elle s’était montrée sévère et l’avait repoussé sans douceur. Pas question de se faire avoir un tel jour !
- Non, Valentin !
Le jeune homme n’avait pas compris ce qui lui arrivait. Lorsqu’il se rendit compte qu’elle lui avait montré de la résistance, il fronça les sourcils et repassa à l’attaque. Il voulut l’immobiliser contre le mur, mais personne ne pouvait paralyser Gabrielle de Caumont d’une simple volonté. Elle le repoussa encore une fois.
- Ça suffit !
Il essaya de la prendre plus délicatement dans ses bras, mais elle lui tenait tête.
- J’ai dit non !
Valentin se mordit donc la lèvre, abasourdi et déprimé. Il ne comprenait pas pourquoi elle ne voulait pas s’offrir à lui.
- Nous allons être en retard à la cérémonie, répondit sévèrement Gabrielle alors qu’il n’avait pas posé sa question. Et j’aimerai éviter cette humiliation. Compris ?
Aujourd’hui, le préfet de Police quittait ses fonctions. Pour cela, le Ministre de l’Intérieur et tous les flics se réunissaient dans la cour du Quai des Orfèvres pour lui rendre un dernier hommage et accueillir comme il se devait son remplaçant.
Dès que Gabrielle et Valentin arrivèrent, ils furent accueillis par leur élève, rayonnant de bonheur.
- Anthony ? Mais qu’est-ce que tu fais ici ? s’étonna la jeune femme. Je croyais que les stagiaires et les élèves ne devaient pas venir !
- Je ne suis plus un élève ! hurla-t-il, comblée de bonheur.
- Il a réussi son concours ! s’exclama Berthier, qui arrivait aussi, tout sourire. Il faudra désormais trouver une autre excuse pour l’envoyer faire des photocopies !
- Félicitations ! s’écria Gabrielle, en serrant son ancien élève dans ses bras.
- Et ils m’ont gardé à la Brigade Criminelle ! On m’a placé dans la compagnie d’intervention troisième district !
Valentin les regardait s’enlacer, et se mordit aussitôt les lèvres. Une pointe de jalousie vint lui transpercer le cœur.
- Dommage. T’aurais pu devenir plante verte, ça nous aurait débarrassé le plancher.
Sa réplique blessa non seulement le principal concerné, mais aussi Berthier et Gabrielle, qui se mirent aussitôt en colère.
- Là, tu pousses le bouchon trop loin Val’ !
- Il a raison ! Anthony ne vous a rien fait ! À part d’avoir encore ses deux parents, une petite sœur plus ou moins adorable, et une copine qui l’aime ! C’est décevant de votre part !
Le jeune homme accusa le coup, sans broncher. Il regarda Berthier et Gabrielle avec un air malheureux, et voulut s’approcher d’elle, mais elle se recula aussitôt.
- Allons avec les autres, décida-t-elle.
Ils rejoignirent donc leurs collègues, et très bientôt, ils se mirent tous en rang. Ils formaient quatre lignes parfaites, bien coordonnées, devant leurs patrons. Gabrielle se trouvait juste devant Valentin, et elle sentait son regard sur elle. En effet, il préférait l’observer plutôt que d’écouter les longs discours ennuyants de ses supérieurs. Il se mordit la lèvre. Elle était beaucoup trop belle. Il y avait pourtant quelque chose qui le tracassait. Il détestait son chignon. Il était bien serré, bien enroulé, bien centré et aucune mèche n’en sortait. Le jeune homme regarda autour de lui, et tendit sa main jusqu’à la tête de Gabrielle. Celle-ci sentit ses cheveux tomber doucement sur ses épaules, et leva les yeux au ciel. Elle n’esquissa pas le moindre geste, de peur de faire du désordre dans sa rangée. Elle ne se doutait pas que Valentin la contemplait, plus satisfait qu’il ne l’était déjà.
Dès la fin des hommages, il l’avait rejointe et ne l’avait plus quittée, sous le regard protecteur de Martine Monteil. Gabrielle discuta un peu avec ses collègues, et profita d’un moment de distraction du jeune homme pour aller échanger quelques paroles avec la psychologue de la Brigade Criminelle.
- Dis-moi, pour Valentin, tu crois que…
- Écoute Gabrielle. Ce dont a besoin cet homme en ce moment, c’est du temps. Et de la réflexion.
- Je sais bien, mais…
- Il faut qu’il fasse le deuil. Et comme on remarque qu’il était très attaché à sa mère, ça va prendre du temps Gabrielle.
- J’ai déjà tout essayé pour lui remonter le moral, mais j’ai l’impression de faire des efforts pour rien. Il est insensible à tout !
- Il lui manque sa mère, diagnostiqua la psychologue.
- Sans déconner ? ironisa l’officier.
- Tu sais Gabrielle, j’ignore si Valentin a une femme dans sa vie, mais comme tu es assez proche de lui, je pense qu’il faudrait que tu sois un peu plus maternelle avec lui pour qu’il se remette plus facilement.
- Mais c’est ce que je fais ! À chaque fois que je le gronde, il me fait sa bouille malheureuse, il se mord la lèvre, et il a les yeux humides ! Il fait tout pour me faire culpabiliser ! Et pourtant, je dois tout le temps être derrière lui, parce qu’en ce moment, crois-moi, il enchaîne connerie sur connerie !
- Du temps, répéta la jeune femme.
- Il m’engueule même quand il voit que je ne prends pas contact avec mes parents.
- Il n’a pas tord ! Ce sont tes parents, Gabrielle, et tu ne prends pas souvent de leurs nouvelles.
- En ce moment, je n’ai pas le temps de les appeler. Et je l’ai encore moins, lorsque j’ai Valentin sur les bras, c’est-à-dire, toujours.
- Tu devrais lui faire plaisir, et lui accorder plus de choses.
- Comme lui accorder de se suicider ?
- Voyons, ne fais pas l’idiote !
- Je te jure, j’ai peur qu’il me joue un mauvais tour un jour !
- Calme-toi !
- Comment veux-tu que je me calme ?!
- Tu sais, plus tu m’en parles, plus je pense que Valentin a une aspiration à la famille…
- Ah ça, je crois que je le savais déjà…soupira Gabrielle, en repensant aux innombrables fois où le jeune homme l’avait suppliée à genoux de lui donner un enfant.
- Alors si tu veux un conseil, couve-le.
La jeune femme acquiesça, remercia la psychologue et la quitta pour se rendre jusqu’à son bureau. Valentin la vit se diriger vers le bâtiment, et la suivit aussitôt. Il ne voulait pas la quitter. Elle s’aperçut qu’il était sur ses pas.
- Je dois aller chercher quelques affaires, expliqua-t-elle, en montant les escaliers.
- On y va après ? demanda-t-il, d’une petite voix. Tu m’as promis qu’on irait la voir.
- Bien sûr Val’. Pourquoi je te l’aurais promis, sinon ?
Le jeune homme ne répondit pas, tout penaud. Il savait pourtant que Gabrielle avait pour habitude de tenir toujours ses promesses. Sur le palier du troisième étage, elle se retourna et lui sourit.
- Tu m’attends là ? Je reviens vite.
- D’accord.
Elle s’évada dans le couloir désert, et il s’appuya à la rampe. Valentin pencha la tête dans le vide, par simple curiosité. Il y’avait des filets de protection entre chaque étage. Il s’était toujours demandé à quoi ils servaient, et maintenant qu’il était malheureux, la réalité lui sautait aux yeux. Ces filets étaient là pour éviter que les gens, les coupables en particulier, se jettent par-dessus la rampe. Il observait le vide avec envie.
- Des idées suicidaires maintenant ? lança Gabrielle, en revenant vers lui, sourcils froncés.
- Tu crois qu’un drame s’est déjà produit pour qu’on ait installé des filets de protection ? demanda-t-il, sans tenir compte de sa question.
- Oui. Un membre d’Action directe, qui s’est jeté dans les locaux de la direction.
- Et tu crois qu’ils pourraient retenir un homme de 80 kilos ?
- Valentin ! s’écria la jeune femme, effrayée. Qu’est-ce que tu as derrière la tête ?! Tu ne vas pas quand même pas…
- Je ne le ferai pas.
- Vous me rassurez… Il faut se battre, hein, Val’ ? Il ne faut pas tomber maintenant !
- Je sais…
Elle le prit alors dans ses bras, comme pour lui remonter le moral, et il resserra aussitôt son étreinte.
- J’ai vraiment besoin de toi…
- Je suis là, murmura Gabrielle, avant de l’embrasser tendrement.
Ils auraient pu continuer leur occupation, coupés du monde, pendant longtemps, mais une voix les appela du rez-de-chaussée, et ils furent pris de panique. Rouges de honte, ils passèrent la tête au-dessus de la rampe et regardèrent le vide. C’était Martine Monteil.
- Hey ! Vous deux là-haut ! Descendez !
Gabrielle aurait voulu se jeter, elle aussi, dans le vide, sans tenir compte des filets de protection. Elle voulait disparaître. Leur directrice les avait-elle pris en flagrant délit ? Il y avait peu de chances, car elle était au rez-de-chaussée. Pourtant, ils n’étaient pas censés être à l’intérieur des locaux, et cela avait peut-être éveillé ses soupçons. Lorsque les deux officiers furent devant elle, Gabrielle n’avait pas toujours pas abandonné sa couleur rouge écrevisse, et Valentin son teint drap d’hôpital. Madame Monteil les toisa un instant, puis, elle prit une grande inspiration. Le couple ne respirait plus.
- J’aimerais vous présenter au nouveau préfet de police.
- Ce n’est que ça ! s’exclama Valentin, soulagé.
Face au visage étonné de la directrice, et au coup de coude de Gabrielle reçu dans les côtes, il rectifia, en bredouillant.
- Excusez-moi, mais j’ai cru que vous alliez nous gronder !
- Et pourquoi ça ?
- Et bien…parce qu’on traîne à l’intérieur alors que tout le monde est dehors, sous ce beau soleil parisien !
Le jeune homme regarda par la fenêtre et vit le ciel couvert de nuages noirs.
- Enfin…avant qu’il ne disparaisse…
La directrice n’était pas dupe. Il ne fallait surtout pas la sous-estimer. Elle était probablement la seule personne de la direction à connaître la liaison de Gabrielle et Valentin, sans qu’eux-mêmes ne le sachent. Elle les avait surpris dans un restaurant, cet été. Ils ne l’avaient pas vue, probablement trop occupés à se regarder dans les yeux et ignorer tout le reste. Quoiqu’il en soit, Martine Monteil ne les avait pas ratés. Pourtant, elle avait fermement décidé de faire semblant d’ignorer tout de leur relation.
- Bien, vous me suivez ? finit-elle par demander.
Les deux officiers hochèrent la tête et la suivirent jusque dans la cour. Elle les conduisit jusqu’au nouveau préfet en chef, à qui elle fit un grand sourire.
- Monsieur le Préfet, laissez-moi vous présenter Gabrielle de Caumont et Valentin Levesque.
- Bonjour, fit le couple, terrifié.
- Ils sont de… ?
- De la Brigade Criminelle, continua Martine Monteil, ravie. Vous pouvez être certain qu’avec eux, toutes les affaires se dénouent !
- Euh…laissa échapper Valentin.
- Pourtant, il y en a beaucoup qui n’ont pas été résolues, remarqua le Préfet de Police.
- Je sais, mais il y a certaines enquêtes que je vais relancer. Je veux bien admettre qu’il y ait des risques pour qu’on ne retrouve pas les coupables, mais le crime parfait n’existe pas, et c’est cela que nous devons exploiter.
La directrice admira les deux officiers, qui étaient gênés, puis reprit la parole.
- Franchement, je suis très fière d’eux. Ne forment-ils pas une bonne équipe ? Bon, c’est vrai qu’il y a eu des débuts très difficiles, mais…ça s’est beaucoup arrangé depuis que…depuis quand déjà ? Ah oui ! Depuis que l’appartement de Monsieur Levesque a brûlé et qu’il est allé habiter chez Mademoiselle de Caumont.
- Excusez-moi, osa Gabrielle, rouge brique, mais comment savez-vous que je l’ai hébergé chez moi ?
- Le changement d’adresse, Mademoiselle, le changement d’adresse.
- Ah oui…
- Et maintenant, ils sont…les deux meilleurs amis du monde ! En ce moment, Monsieur Levesque va très mal, mais heureusement que Mademoiselle de Caumont est là pour…lui remonter le moral !
Valentin fit mine de tousser et Gabrielle plissa nerveusement sa jupe. Ils étaient tout, sauf les meilleurs amis du monde. Ils pensaient que Martine Monteil exagérait, et c’était ce qu’elle faisait vraiment.
- Ça va mieux, hein, Valentin ? s’inquiéta aussi la directrice, en remarquant enfin son air malheureux.
Le jeune homme hocha la tête. Finalement, c’est Gabrielle qui le sauva de la fin de la conversation.
- Nous devrions peut-être y aller, décida-t-elle. Il est très fatigué, et…
- Bien entendu !
- Excusez-nous de vous avoir dérangé.
- Mais ce n’est rien, mais ce n’est rien, insista le Préfet. J’ai été ravi de vous avoir rencontré.
- Nous aussi, c’était un plaisir.
- Et continuez de travailler comme vous le faites !
- On y tâchera ! plaisanta Gabrielle, en prenant le bras de Valentin et en s’éloignant. Au revoir !
Lorsqu’ils sortirent de la forteresse, ils soupirèrent de soulagement.
- J’ai vu le moment où on se retrouvait dans son bureau afin de nous annoncer notre renvoi pour faute sérieuse !
- À votre avis, pourquoi nous a-t-elle présenté au Préfet de Police ? demanda Valentin.
- Je n’en sais rien. En tout cas, les compliments ont fusé. C’était gênant, à la fin.
- Tu as entendu ce qu’elle a dit ? Des affaires vont être relancées !
- Oui, si elle nous fait fouiller dans quelque chose qui date de plus de vingt ans, je sens qu’on va avoir beaucoup de travail !
- C’est clair… Dis Gabrielle, fit-il en tirant doucement sur la chemise de la jeune femme, tu m’amènes ?
L’endroit était étrangement silencieux. Un silence de mort. Des personnes marchaient lentement sur des petits chemins tracés par des galets. Les tombes étaient toutes plus belles les unes que les autres. Valentin avait assassiné son compte bancaire pour offrir à sa mère le meilleur confort possible, ainsi qu’un petit coin de paradis dans un cimetière parisien. Dès qu’ils avaient franchi le portail de fer, son visage s’était littéralement décomposé. Rendre visite à sa mère ne lui réussissait pas. Il ne pouvait pas la voir, la toucher, la sentir, ni l’embrasser. Il pouvait lui parler, mais est-ce qu’elle pouvait l’entendre ?
Gabrielle était restée en retrait, ne voulant pas s’imposer dans ce long moment de recueil. Valentin avait déposé un énorme bouquet de fleurs à côté des autres qu’il avait amenés précédemment. Trop ému pour rester debout, il s’était écroulé à genoux devant la tombe. Comme à chaque fois où il venait dans cet endroit si douloureux pour lui, il avait longtemps pleuré, son front chaud appuyé contre le marbre glacé. Alors que le crépuscule tombait, il s’était retourné vers la jeune femme.
- Dis, tu sais qu’il y’a des gens qui se sont réveillés dans leur cercueil ?
- Je sais.
- Et tu crois que ma mère…
- Ta mère a été déclarée cliniquement morte.
- Ces gens l’étaient aussi.
- Soyez logique, ces gens se sont réveillés seulement quelques heures, voire quelques jours après leurs décès.
Valentin ne l’écoutait pas. Sous le regard choqué de Gabrielle, il était monté sur la tombe de sa mère et avait collé son oreille contre le marbre, espérant entendre un signe de vie.
- Hey ! Maman ! T’es là ?! Youhou ! Maman ! appela-t-il désespérément en tapant sur la tombe.
La mort de sa mère l’avait chamboulé. Il était devenu fou ; il avait perdu la tête. Sa compagne s’était retournée à plusieurs reprises pour voir si personne ne les regardait, et s’était empressée de le faire descendre.
- Valentin ! Mais qu’est-ce vous faites ?! s’écria-t-elle, en le tirant de toutes ses forces vers elle. Ça ne se fait pas voyons !
- Maman ! hurla le jeune homme.
- Chut ! Taisez-vous ! Ce n’est pas comme ça que votre mère se reposera !
Il allait répliquer mais Gabrielle avait plaqué sa main sur sa bouche pour l’empêcher de parler. À présent, il broyait sa chair, mais elle ne semblait pas en tenir compte.
- Ça suffit maintenant ! Il faut que vous tourniez la page ! Vous ne pouvez pas ramener votre mère à la vie, mettez-vous bien ça dans le crâne !
Au fur et à mesure qu’elle lui chuchotait ces paroles, les larmes lui revenaient.
- Ça ne veut pas dire qu’il ne faut plus penser à elle…continua doucement la jeune femme. Mais il faut simplement savoir vivre avec. Et comme vous n’êtes pas encore mort, il faudrait peut-être que vous profitiez de la vie, avant que vous ne le soyez vraiment… On a encore des tas de choses à construire tous les deux, alors ce n’est pas le moment de se laisser aller ! Vous comprenez Valentin ?
Il hocha la tête, et elle retira finalement sa main de sa bouche.
- On fera des bébés ? s’empressa-t-il de demander, une lueur d’espoir dans les yeux.
- On en fera, promit Gabrielle.
Valentin sourit. C’était le premier sourire sincère et joyeux qu’il lui faisait depuis ces derniers mois. Il était encore malheureux et fatigué, mais le discours tonique de la jeune femme lui avait remonté un peu le moral. Elle l’aida à se relever, le dépoussiéra et s’accrocha à son bras.
- Nous devrions mieux y aller. Le cimetière va fermer, et je n’aimerai pas me retrouver enfermée ici.
- Vous croyez qu’il y’a des fantômes, et que ma mère…commença l’officier, les yeux emplis d’étoiles.
- Je ne préfère pas le découvrir, et c’est pour ça que je souhaite que nous accélérions le pas.
Gabrielle s’occupait à merveille de Valentin. Quand ils étaient revenus chez elle, elle lui avait fait couler un bain bouillant. Pendant qu’il y barbotait tranquillement, elle avait préparé son repas préféré, ainsi qu’un gâteau au chocolat (dont elle seule, et même pas lui, avait le secret). Après le dîner, elle l’avait couché et bordé. La jeune femme lui avait même rangé ses affaires, et allumé la télévision (qu’il ne regardait pas).
- Tu as besoin de quelque chose ? s’informa-t-elle, accroupie près de lui.
- Euh…fit-il, hésitant. Pas vraiment…en fait, il y’a bien un petit truc que je vous aurais bien demandé, mais je n’aime pas trop me faire servir comme ça.
- C’est quoi ?
Valentin hésita encore longtemps avant de lui confier son souhait.
- Est-ce que vous pouvez me préparer un lait chaud avec du miel s’il vous plait ?
- Du lait chaud avec du miel ? s’étonna Gabrielle.
- Ma mère m’en faisait quand j’étais petit, et quand j’avais de la fièvre.
- Je vous prépare ça tout de suite.
La jeune femme s’activa aux fourneaux de façon à ce qu’il tienne une grande tasse fumante dans les mains deux minutes après sa demande. Valentin regardait le fond avec des yeux émerveillés et laissait la chaleur lui réchauffer les mains. Lorsqu’il termina de boire d’une traite le lait au miel, Gabrielle lui tamponna délicatement le front avec un gant mouillé pour faire descendre sa fièvre. Après cela, ils décidèrent de se coucher.
- Merci, murmura le jeune homme, en s’enfonçant dans les draps chauds.
Il ne la remerciait pas seulement pour le lait chaud au miel. Il la remerciait surtout pour sa présence et tout ce qu’elle avait fait pour lui durant ces derniers mois, et Gabrielle le comprit.
C’était sans doute le baiser qu’il lui donna qui la réveilla, le lendemain matin. Quand Gabrielle ouvrit les yeux, elle fut très surprise de trouver Valentin si joyeux qu’elle aurait pu croire que sa mère avait ressuscité et qu’elle était guérie de sa maladie. Depuis sa mort, il n’avait jamais été si souriant et débordant de vitalité, comme avant.
- Ne bougez surtout pas ! s’écria-t-il. Je vais vous chercher des petits pains au chocolat qui sortent du four !
- Mais Valentin…
Il ne l’écoutait pas. Il avait vite fait de se lever, de s’habiller et de disparaître de l’appartement pour se rendre à la boulangerie. Gabrielle l’entendit même se moquer de la concierge alors qu’il descendait les escaliers.
- Et alors Mémé ? Tu passes le balai ?!
Aucun doute. Valentin était redevenu comme avant.
- Ça surprend de vous voir comme ça, expliqua Gabrielle, après un copieux petit-déjeuner au lit. Qu’est-ce qui vous arrive ?
- Et bien, figurez-vous que j’ai bien réfléchi sur ce que vous m’avez dit hier soir. Et je pense que vous avez raison. Il faut que je tourne la page. Je vais reprendre le boulot tranquillement. Je vais m’excuser auprès d’Anthony, parce que finalement, je l’adore. Et voilà mes bonnes résolutions. Ah et j’oubliais ! Je vais vous taquiner comme avant !
- Génial, soupira la jeune femme.
- Vous avez raison d’avoir peur.
Et pour justifier ses dires, il se jeta sur elle comme pour la dévorer.
Deux semaines plus tard.
- Salut les fonctionnaires !
- Salut Valentin !
- Ça va depuis hier ?
- Ouais, ça va, et toi ?
- Ça va.
- Okay, donc tout va bien en fait !
- Exactement !
Valentin, Berthier et Anthony éclatèrent de rire. Ils commencèrent à parler, jusqu’à ce que Corentin leur montre un chapeau qu’il avait acheté.
- Hier, j’ai trouvé ça dans un magasin. Ça m’a trop fait délirer, et je l’ai acheté.
- On dirait le chapeau du commissaire Maigret, remarqua Anthony, étonné.
- Ouais, c’est pour ça que je l’ai pris, figure-toi !
Il posa le chapeau sur sa tête.
- Il est classe en plus ! s’exclama Valentin.
- Attends, je vais l’essayer, déclara Anthony.
Il saisit le chapeau qui trônait sur la tête de Berthier et le déposa délicatement sur la sienne.
- Alors ?! Je ressemble à un commissaire, hein ?!
- Euh…hésita le gardien de la paix.
- Pas vraiment. Tu fais beaucoup trop jeune pour ressembler à un commissaire.
- C’est pas vrai ! hurla Anthony, très vexé.
- Si, si, c’est vrai, assura Valentin.
- J’aimerais bien te voir, avec ce truc sur la tête ! Mets-le, que je rigole un peu !
- Ouais, insista Berthier, essaye-le Val’ !
- Non, non ! Pas la peine ! Je suis très fâché avec les chapeaux !
- Allez, fais pas ton timide !
Le gardien de la paix déposa promptement le chapeau sur le crâne de l’officier, qui ne put réagir à temps. Anthony l’observa d’un air suspect. Finalement, il fit semblant de vomir.
- Val’, tu me dégoûtes !
- Bah quoi ?
- Heureusement que Sophie ne te rencontrera jamais, sinon, je peux être sûr qu’elle me quitte pour toi !
- Comme tu y vas ! T’inquiètes pas, ça n’arrivera pas ! Et puis, j’ai déjà une…
Berthier lui enfonça son coude dans les côtes, histoire de lui faire rappeler que personne n’était censé être au courant de la relation qu’il avait avec Gabrielle.
- Ouais, voilà, termina Valentin. Donc, il me va bien ce chapeau ?
- Trop, fit l’élève, amer.
- Voyons Anthony, ne soit pas jaloux comme ça ! reprocha Berthier.
- Bon sang de bon soir ! Est-ce que quelqu’un a vu ma pipe ? demanda le lieutenant, en imitant la voix de Maigret.
Il mit ses mains sur ses hanches et se retourna, comme si la fameuse pipe l’attendait sur le carrelage. À la place, il tomba nez à nez avec Gabrielle.
- Oh ! Mam’zelle de Caumont, vous irez bien me chercher un p’tit café s’vous plait ? continua-t-il, en gardant sa voix rauque.
- Le p’tit café, vous vous le mettez là où je pense, commissaire !
Berthier et Anthony éclatèrent de rire.
- Vous étiez censée tomber sous mon charme ! s’exclama Valentin en ôtant le chapeau de sa tête.
- Bien entendu, ironisa la jeune femme en s’éloignant.
- Bon, les gars, je dois suivre Mam’zelle de Caumont ! On se retrouve tout à l’heure, dac’ ?
- Dac’ !
Il rejoignit Gabrielle dans leur bureau, où elle s’était déjà remise à travailler.
- Bon, alors mon café ? s’impatienta le jeune homme.
- Et puis quoi encore ?! Vous ne pouvez pas aller vous le chercher vous-même ?
- Mais, fit le jeune homme d’une petite voix triste, j’adore quand c’est vous qui me l’apportez. Vous arrivez avec le sourire, en balançant les hanches, vous posez la tasse devant moi, vous faites le tour du bureau, vous m’enlacez le cou, vous me faites un bisou sur la tempe, et vous me dites « voilà le p’tit café pour ma Grosse Bouille Râleuse ! » ! Vous ne pouvez pas savoir à quel point c’est agréable !
- D’accord, j’ai compris, soupira Gabrielle, surpassée.
Un peu plus tard, Valentin rédigeait un rapport lorsque la jeune femme entra dans la pièce, avec une tasse de café à la main. Il releva la tête, ravi comme tout, et elle s’avança jusqu’à lui, en balançant les hanches. Elle posa doucement la tasse devant l’officier et fit le tour du bureau pour l’enlacer tendrement.
- Voilà le p’tit café pour ma Grosse Bouille Râleuse ! fit-elle en déposant un baiser sur la tempe du jeune homme aux anges.
À peine se releva-t-elle que la porte de leur bureau s’ouvrit sur Martine Monteil, plus sévère que jamais, et le nouveau Préfet de Police.
- Vous me boudez.
- Non.
- Ne me mentez pas. Je vois dans vos yeux que vous m’en voulez à mort.
Gabrielle soupira et reposa sa casserole sur le plan de travail. Valentin était à côté d’elle, et l’observait, visiblement inquiet.
- Très bien, admit-elle. Je vous en veux à mort. Pire même, je vous déteste.
- Au moins, ça a le mérite d’être franc.
La jeune femme ne répondit pas directement. Elle fit claquer sa main sur sa jambe, et explosa.
- J’en ai assez que vous m’écartiez des plus grosses affaires, pour les résoudre et ensuite, vous attribuez tous les mérites ! On forme une équipe, et vous n’avez pas à…
- Mais Gabrielle…
- Attends, tu te souviens ?! La directrice a dit « je vous confie cette affaire à tous les deux ! », et là, tu as pris le dossier sans que je puisse le voir, et tu l’as regardé, et tu as dit « Je m’en occuperai. Seul ! ». Oh oui ! Je t’en veux à mort ! Mais alors, là, Coco, tu ne vas pas t’en sortir comme ça !
- J’ai mes raisons.
- Oui, tu as surtout envie de te faire remarquer, et de monter rapidement les échelons !
- De toute façon, je te laisse boucler l’affaire « X femmes » !
Gabrielle continua de marmonner entre ses dents, sans vraiment l’écouter. Valentin n’entendit que les mots « injustice », « augmentation », « popularité » et « syndicat » sortir de sa bouche.
- Ça va, j’ai compris. Va t’asseoir dans le salon, je vais t’expliquer.
La jeune femme le fixa, étonnée d’avoir gagné si rapidement la partie. Une fois assise tranquillement sur le canapé, il sortit un épais dossier de son sac et le lui tendit.
- C’est une des affaires qu’elle a relancé ?
- Oui, sauf qu’il ne s’agit pas d’une seule affaire, mais de plusieurs.
- Ah bon ?
Poussée par la curiosité, elle parcourut le contenu du dossier. Il y’avait des articles de journal, des analyses qui ne menaient à aucune conclusion, des rapports d’autopsie, des traces de témoignage, et quelques pièces à conviction qui ne seraient guère utile à l’enquête.
- C’est des homicides volontaires de jeunes filles ?
- D’enfants, parfois. Les inspecteurs d’avant ont fait le lien à cause de la ressemblance des meurtres.
- Comme ?
- Elles ont toutes subies des violences sexuelles. La première remonte à dix ans. On a retrouvé une jeune fille de 14 ans, il y’a deux jours, dans le même état que les précédentes victimes. Martine Monteil a fait le lien, et a réouvert l’enquête. Voilà plus de trois ans que l’assassin (qui semble être le même) n’avait plus frappé. Et là, on suppose qu’il a recommencé, et comme on a retrouvé le corps à Paris, il est forcément ici ou du moins, il reste ses traces. On aura plus de chances pour le retrouver.
Gabrielle se pencha sur un article de presse, et observa attentivement une photographie qui représentait le corps d’une petite fille emballé qui se faisait monter dans une ambulance.
- Hey mais…je me souviens de cet article ! Il est passé dans Le Bien Public, un journal régional à Dijon et en Bourgogne.
Étant originaire elle-même de Dijon, la jeune femme savait de quoi elle parlait. Elle était certaine d’avoir lu cet article quelques années auparavant, et d’avoir gardé un exemplaire dans un petit dossier où elle rassemblait tous les éléments qui pourraient accuser l’homme qui l’avait violée. Elle continua de regarder les articles, et elle les reconnut tous.
- Comment ça se fait que tu les ais tous lu ? interrogea Valentin, qui connaissait déjà la réponse.
- Dès 1996, je me suis intéressée beaucoup plus à l’actualité autour de Dijon, et j’ai gardé quelques articles pour…
- Tu avais quel âge en 1996 ?
- 18 ans.
Gabrielle fixa étrangement le jeune homme, apeurée. Elle redoutait bien où allait mener leur discussion, mais elle ne voulait pas se l’avouer.
- Où veux-tu en venir ?
- La première victime a été retrouvée à Dijon, l’été 1996. Au cours d’une soirée en boîte de nuit avec Jessica, tu n’aurais pas fait la connaissance, par le plus grand des hasards, d’un homme capable de violer une petite fille et la tuer ensuite dans d’atroces souffrances ?
Valentin la vit pâlir et enfoncer ses ongles dans le cuir du canapé. Au début, il ne s’inquiéta pas davantage, mais lorsqu’elle fut prise de spasmes, il réagit. Elle semblait sur le point de s’évanouir. Il referma d’un geste brusque le dossier, et s’empressa d’aller lui chercher un gant mouillé d’eau glacée.
- Tu comprends pourquoi je ne voulais pas que tu enquêtes ? Il est fort probable que ton violeur ait un lien avec tous ces meurtres, c’est toi-même qui me l’as dit. S’il est vraiment à Paris, comme je le pense, je n’ai pas très envie que tu tombes nez à nez avec lui dans la rue ! Je préfère te tenir en dehors de cette histoire pour le moment. Si tu t’évanouissais à chaque fois qu’on en parlerait, l’enquête avancerait très lentement. Et du temps, on en manque. Il peut filer à tout moment, si ce n’est pas déjà fait ! Je t’en prie Gabrielle, calme-toi !
- Je ne veux pas qu’il revienne maintenant ! Avant que tu ne m’en parles, tout allait bien, j’étais heureuse, et j’avais presque oublié, mais là, y’a tous mes souvenirs qui reviennent d’un coup !
- Ne t’inquiètes pas Gabrielle, tu ne le verras pas. Du moins, tant que je ne l’aurai pas décidé. Je vais avoir besoin de toi pour cette enquête, mais je te promets que je vais essayer de ne pas trop t’impliquer.
Le jeune homme termina de lui rafraîchir le visage, puis lui embrassa la tempe.
- Allez, oublie tout ça ! Mais rassure-toi, si je le retrouve, je lui fracasse sa gueule, et il ne va pas comprendre pourquoi !
Le bureau de Valentin était très calme. Il avait envoyé Gabrielle travailler dans une autre pièce pour qu’il puisse réfléchir seul. Tout du moins, avec Berthier, la référence en matière de logique. Quand un flic entrait dans leur bureau, il le renvoyait sèchement sans même écouter ce qu’il voulait lui dire. Pour démarrer l’enquête, il avait voulu commencer par dessiner une frise chronologique.
- C’est bon ? T’es prêt ? demanda-t-il à Berthier, qui se tenait devant la feuille avec un stylo bic à la main.
- Vas-y, démarre.
- Été 1996, première agression. Gabrielle, 18 ans.
- Personne avant ?
- Non. Pas à notre connaissance. Mais tu as, ce même été, Angélique, 11 ans. Retrouvée morte et gelée au bord d’un lac. Et violée.
Le gardien de la paix continuait de noter proprement sur la longue frise chronologique toutes les indications que lui dictait l’officier. Valentin regardait attentivement ses feuilles. Il y en avait trop. Trop de victimes.
- Avril 1997, Alice, 14 ans.
Trois.
- Octobre 1997, Patricia, 16 ans.
Quatre.
- Février 1998, Juliette, huit ans.
Cinq.
- Juin 1999, Clara, la veille de ses dix ans.
Six. Valentin s’arrêta. Berthier leva la tête et le vit blêmir.
- Val’ ? Qu’est-ce qu’il y’a ?
- Août 2000. Zoé, trois ans.
- Trois ans ?!
Sept. L’officier hocha la tête, malheureux comme s’il s’agissait de sa propre fille.
- C’est vraiment dégueulasse, fit-il la voix rauque. La vie ne commence même pas à trois ans ! Imagine tout ce que cette petite a dû endurer !
- Le mec qui a fait ça est un fou dangereux !
- Ce sera un fou dangereux à moitié mort lorsqu’on le trouvera, parce que je l’aurai salement amoché ! Putain ! Mon dieu, si j’ai des filles plus tard, je ne les laisserais pas sortir de la maison !
- Comment ont-elles été enlevées ? demanda alors le gardien de la paix.
- Pour certaines, à la sortie de l’école. Pour d’autres, elles étaient accompagnées dans des parcs d’enfants. Gabrielle et Patricia, en boîte de nuit. Le meurtre de la petite de trois ans a fait grand bruit en France, et depuis, plus rien. Jusqu’à la semaine dernière, Mégane, 14 ans.
Huit.
- Le tueur a forcément préféré agir quand la période était calme, pour éviter de trop se faire remarquer, conclut Valentin.
- Il est malin. En tout cas, il reste une ombre à ton tableau.
- Quoi ?
- Gabrielle. Elle n’a pas été tuée.
- C’était la première, c’est pour ça.
- C’était la plus âgée aussi. Non, franchement, Valentin, il faudrait trouver une autre explication. Elle n’a pas été épargnée par hasard.
- Écoute Coco, si tu ne veux pas qu’on se dispute, tu devrais reformuler ta phrase. Gabrielle n’a été épargnée de rien ! Elle a été violée !
- Mais pas tuée. Après le viol, son agresseur a dû ressentir des sensations qui l’ont poussé à recommencer, et même, à aller plus loin. Il est devenu accro à ce genre d’activité, peut-être à cause de Gabrielle.
- C’est ça, ironisa l’officier. Et il s’est dit « Putain avec une nana de 18 ans, c’était le pied, alors avec une gosse de trois ans, ça sera cent fois mieux ! Faudra juste que je lui mette du papier journal dans la bouche pour pas qu’elle chiale et qu’elle hurle ! ». Sauf qu’il n’avait pas prévu qu’elle mourrait étouffée !
- Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai l’impression que tu te fous de ma gueule.
Jessica habitait dans un petit studio, proche du centre-ville parisien. Elle qui rêvait tant d’une femme de ménage, elle avait seulement de quoi payer son petit coin de paradis et devait donc se contenter de le nettoyer elle-même. C’était la première fois que Valentin se rendait chez elle. Et le plus étonnant, c’était qu’il s’y rendait seul. Sans Gabrielle.
- Val’ ? Mais qu’est-ce que tu fous là ?
- J’adore ton sens de l’accueil. Heureusement que t’es photographe, parce que je t’aurais jamais imaginée standardiste !
- Ouais, mais n’empêche, qu’est-ce que tu fous chez moi ?
- Je dois te parler. C’est très important.
- Ah bon ? Mais y’a pas ma petite Gabrielle adorée ?
- Non.
- Ah d’accord, c’est que ça doit être vraiment grave alors ! Vas-y, entre !
Elle s’écarta et il pénétra dans le petit studio. L’appartement était très bien éclairé, et surtout, bien décorée. Jessica avait un don pour ça.
- Assis-toi, claironna-t-elle en lui désignant le canapé. Alors qu’est-ce qui t’amènes ? Ah oui ! Je sais ! Ne dis rien ! Tu viens me voir, parce que tu veux que je sois la photographe pour ton mariage avec Gabrielle ! Et bien, figure-toi que j’accepte ! C’est quand qu’elle va acheter sa robe de mariée ?
- Euh…ce n’était pas exactement de ça dont je voulais te parler. On ne va pas se marier.
- Ah, fit la jeune femme, visiblement déçue.
- J’aimerais savoir si tu as des photos du soir où Gabrielle a été violée.
- Des photos ?
- Il me faut son portrait. Au mec.
- Désolée Val’, je n’ai rien du tout de cette soirée-là.
- Il me le faut vraiment ! insista-t-il.
- Je n’ai rien…soupira Jessica. Et si j’avais quelque chose, ça daterait de dix ans en arrière. C’est beaucoup trop vieux. Les gens changent beaucoup en dix ans.
- Mais tu l’as vu ce mec ?
- Euh…ouais !
- Tu sais à quoi il ressemble alors !
- Ça fait dix ans, Valentin ! Je ne m’en souviens presque plus, à condition de me concentrer énormément pour retrouver son image ! J’ai rencontré beaucoup de personnes depuis ce temps-là !
- Tu aurais assez de souvenirs pour qu’on puisse réaliser un portrait-robot ?
- Pas assez.
Valentin enfouit son visage entre ses mains, désespéré.
- C’est foutu d’avance…murmura-t-il.
- Hey ! Ce n’est pas dans ton genre de baisser si vite les bras !
- Il faut que je le retrouve. Rien n’ira comme je le voudrais tant qu’il ne sera pas derrière les barreaux !
- Si tu veux mon avis, tu devrais demander à Gabrielle. Il n’y a qu’elle qui puisse te renseigner.
- Elle sera incapable de répondre à mes questions. Je la connais, elle va faire un blocage.
- Insiste. Elle a la chance d’être vivante, c’est la seule qui détient ce que tu veux savoir.
Valentin embrassait tendrement Gabrielle sur le quai d’une gare. Une valise était posée à côté d’eux, et le train allait bientôt partir.
- Je ne veux pas que tu partes.
- C’est nécessaire, expliqua la jeune femme. Tu as raison. L’histoire démarre à Dijon, et il faut que j’y retourne pour faire des recherches. Et puis, j’y vais aussi pour voir mes parents. Sinon, tu vas encore me le reprocher. T’es sûr que tu ne veux pas venir ?
- J’ai beaucoup à faire à Paris. Mais à la moindre information, tu m’appelles directement, c’est clair ?
- Promis.
- Allez, file. Même si je n’en ai pas envie, parce que je serai tout seul dans mon lit…Vous allez me manquer.
- Vous aussi.
Après un dernier baiser, elle monta dans le train. Elle resta collée à la vitre jusqu’à ce qu’il démarre. Les parents de Gabrielle avaient toujours habité à Dijon, mais ils étaient à présent divorcés. Elle y avait vécu son enfance et son adolescence. Elle connaissait chaque recoin de la ville. La jeune femme avait quitté la maison familiale dès qu’elle avait été acceptée à l’ENP de Sens, située plus haut, dans un autre département de la Bourgogne. Elle avait été séparée pendant deux ans de Jessica, même si elles s’étaient revues pendant les vacances. Enfin, quand la mutation de Gabrielle à Paris avait été officielle, sa meilleure amie n’avait pas hésitée un seul instant à la suivre, et elles étaient parties ensemble. Pendant son petit séjour à Dijon, elle s’installerait chez sa mère, dans l’appartement où elle avait toujours vécu.
- Ah Gabrielle ! Ma chérie ! Entre ! Tu vas bien ? Tu as fait bon voyage ? Tu as vu comme il fait froid ? Viens vite te mettre au chaud !
- Bonjour Maman.
Sa mère lui ressemblait beaucoup. Elle lui avait tout volé, mis à part ses grands yeux bleus. Quand la jeune femme pénétra dans l’appartement, elle fut immédiatement engloutie par la chaleur. Elle se débarrassa bien vite de ses affaires. Les murs regorgeaient de cadres-photos. Le trois-quarts d’entre eux représentait Gabrielle, à chaque fois d’un âge différent. Ses parents avaient toujours été protecteurs envers elle, et c’est sans doute pour cette unique raison qu’elle ne leur avait jamais parlé de son agression. Elle s’était remise de cette épreuve en solitaire.
- Alors ? Qu’est-ce que tu racontes de beau ? pressa la mère de Gabrielle.
- À vrai dire…rien.
- Rien ?! Chérie, tu ne m’appelles jamais ! Et quand tu viens me voir à Dijon, tu ne me racontes…rien ?!
- Écoute Maman, je sais que je suis en tord, mais franchement, je n’ai plus le temps de faire quoique ce soit. Entre le boulot et Valentin, je ne m’en sors plus !
- Valentin ?
Au même moment, Gabrielle venait de réaliser qu’aucun de ses parents ne savait qu’elle avait rencontré quelqu’un. Elle maudit sa maladresse et comprit que les courroux de sa mère allaient lui tomber dessus.
- Tu sors avec un homme ?! Depuis quand ?!
- Environ cinq mois.
- Cinq mois ?! Et tu m’as rien dit ?!
- Je sais ! Je suis désolée mais…
- Oh Gabrielle…tu es vraiment inimitable !
La jeune femme lui fit un petit sourire d’excuse et, finalement, sa mère oublia son envie de la gronder. Le plus important, à cet instant, était d’en savoir beaucoup plus sur ce fameux Valentin.
- Alors ?
- Alors quoi ?
- Il est comment ? Il a quel âge ? Vous vivez ensemble ? C’est sérieux ? Il fait quoi dans la vie ? Il veut construire une famille ? Il a une bonne situation ? Et ses parents, est-ce que qu’ils…
- Maman !
- Bah quoi ?
Quand vint le soir, Gabrielle aida sa mère à préparer la cuisine. Il leur avait fallu peu de temps pour retrouver leur complicité mère-fille, et elle n’avait pas pu s’empêcher de lui parler de Valentin. En réalité, elle ne parlait que de lui. Elle l’appela à partir du téléphone fixe pour prendre de ses nouvelles. De son côté, il avait essayé de faire pareil, mais il s’était rendu compte qu’elle n’avait toujours pas de téléphone portable. Il le lui reprocha, comme à son habitude, et ensuite, la mère de la jeune femme voulut lui parler. Sa fille avait eu beau la supplier de ne pas lui faire honte, mais elle n’en avait fait qu’à sa tête. Elle l’appelait déjà par « mon gendre ! » ou « mon beau-fils ! », ce qui faisait rire Valentin et désespérer Gabrielle.
- Et pensez bien à venir nous voir à Dijon, hein ! Il faut absolument que je rencontre mon merveilleux gendre ! Surtout qu’à ce qu’il paraît, vous êtes très charmant !
- Pitié Maman…
Le lendemain, Gabrielle était allée rendre visite à son père qui habitait à l’autre bout de la ville. Elle n’avait pas sa voiture, et s’y était rendue en bus. Elle adorait son père, et cela était réciproque. C’était le seul homme qu’elle avait toujours aimé, excepté Valentin. Il était plus posé que son ex-femme, et il était doté d’une grande connaissance. Si elle faisait l’effort de se souvenir, elle dirait même que c’était lui qui lui avait appris comment fonctionnait la brigade criminelle. Il savait tout sur tout. Quand elle était plus jeune, ils achetaient des magazines de réflexion et d’énigmes pour les résoudre ensemble.
- Ah Gabrielle ! Comment tu vas ? Vas-y, entre ! Ne reste pas plantée sur le palier voyons !
- Bonjour Papa.
Il la fit entrer dans le salon où elle se laissa tomber sur le sofa. La télévision était allumée. C’était un documentaire. Son père ne regardait que ça.
- C’est sur quoi ?
- Les reptiles.
- Ah…
- Bon, je vois que mes reptiles n’ont pas trop l’air de t’intéresser ! s’exclama-t-il en la prenant dans ses bras. Alors, qu’est-ce que tu me racontes de bien beau ?
- La routine.
- Ta mère va bien ?
Il posait cette question par simple politesse. Gabrielle le savait. Son père n’aimait plus son ex-femme, mais elle restait avant tout la mère de leur fille unique, et cela ne pouvait disparaître.
- Ça va, répondit brièvement la jeune femme.
- Et le boulot, alors ? Le taux de criminalité est élevé en ce moment ?
- Assez…mais je n’ai pas le droit d’en parler. Au fait, avant que tu me poses la question, j’ai rencontré quelqu’un.
- Encore ?!
Voilà pourquoi Gabrielle adorait son père. Il n’avait pas la même vision que les autres. Là, en l’occurrence, c’était comme si sa fille était le clone exact de Jessica.
- Franchement, Papa, tu m’étonneras toujours. Généralement, quand je l’annonce, on me dit « il était temps ! »…
- Ça te fait combien de petits amis en tout ?
- Quatre.
- Justement.
- Justement quoi ?
- C’est trop !
- De toute façon, c’est le dernier. Quoiqu’il arrive, si on ne reste pas ensemble, je m’abonne directement au célibat. Mais à vie cette fois-ci.
- Oh, tu l’aimes tant que ça ?
- Oui.
- Avec tes précédents copains, ce n’était pas la même chose.
- Les autres, c’était des gros nuls.
- Rappelle-les-moi.
- Le premier était supporter du PSG, et ne pouvait rater une soirée de foot avec ses potes. Le second était un accro aux jeux-vidéos, bien qu’il ait eu un brin d’esprit. Quant au dernier…il n’y en avait que pour le sexe. Pathétique.
- Ah oui…tu me les as jamais présenté, mais…
- Ils ne valaient même pas la peine que je te les fasse rencontrer ! Là, avec Valentin, c’est très différent.
- Il n’aime pas le foot ?
- Il n’a pas le temps de le regarder.
- Et les galipettes ?
- Ça, il le prend.
Mercredi, deux heures du matin. Gabrielle venait de se réveiller en sursaut. Elle avait rêvé d’un souvenir précis de son agression. C’était avant qu’il passe à l’acte. Il lui avait offert à boire, elle avait accepté. Jessica dansait. Elles s’étaient perdues de vue. Elle avait tourné son visage vers l’homme, bien plus âgé qu’elle. Il avait sorti sa carte bleue pour payer les boissons. Elle y avait jeté un coup d’œil, attirée par les petites lettres dorées qui indiquaient son identité.
Antoine Colin.
Comment avait-elle pu oublier ce nom ?
- Gabrielle, tu vas où ? demanda sa mère, comme si elle avait encore douze ans.
- Me promener.
Sans attendre sa réponse, elle avait décampé. Une fois dans la rue, bien emmitouflée dans son manteau, elle se rendit compte qu’elle n’avait pas d’endroit particulier où aller. Elle ne savait pas quoi faire. La jeune femme descendit la longue avenue, puis s’arrêta dans un parc. Elle y allait souvent avec Jessica. Il y avait même un saule pleureur où elles avaient gravé leurs initiales. Des enfants couraient, d’autres jouaient dans un bac à sable. En les observant, Gabrielle pensa à Valentin. Il lui manquait.
- Je veux les mêmes.
Elle sursauta, surprise dans sa rêverie. Valentin était derrière elle, tout sourire. Dès qu’elle réalisa sa présence, elle se rua dans ses bras.
- Tu m’as manqué.
- Toi aussi. C’est parce que je ne pouvais pas vivre sans toi que je suis venu te rejoindre. Et aussi parce que ta mère m’a forcé à venir. « Je veux absolument vous rencontrer ! ». C’était presque un ordre !
- Dis plutôt que ma mère est un dictateur !
- Presque !
- Oh !
- En tout cas, le plus important, c’est que « le gendre idéal » soit à Dijon avec sa Pitchounette, et qu’ils vont pouvoir faire des cochonneries chez Belle-Maman.
- Tu rêves !
Quand ils rentrèrent chez la mère de la jeune femme, celle-ci poussa un cri stupéfait lorsqu’elle découvrit Valentin.
- Oh mon Dieu ! Qu’il est beau, Gabrielle ! Seigneur, entrez vite ! Il fait froid dehors !
- Cette femme n’est pas ma mère. Je ne la connais pas. Tu sais qui c’est, toi ?
- Arrête tes bêtises ! gronda la mère, vexée.
Le « gendre » éclata de rire.
- Bah voyons Gab’ ! s’exclama-t-il en la serrant contre lui. Madame, je suis très ravi de vous rencontrer.
La mère de Gabrielle les força à s’asseoir dans le salon, pendant qu’elle allait préparer l’apéritif. Le jeune homme en profita pour observer attentivement la pièce, et plus particulièrement les murs. Il n’y avait pas de doute sur le fait que Gabrielle avait toujours été traitée en reine. Pas un mur ne portait son portrait. En détaillant chaque photo, il n’hésita pas un instant sur leur auteur.
Dix ans auparavant…Gabrielle était aveuglée par le flash d’un appareil-photo. Elle était prise d’une migraine. Roulée en boule sur son lit, elle ne voulait pas faire face à Jessica.
- Allez cocotte, regarde-moi ! Tu ne voudrais quand même pas que je me colle un zéro par ta faute hein ? Et ma réputation ? Tu penses à ma réputation ?
- Je t’en prie, c’est pas le moment.
- Oh Gaby ! S’il te plaît ! Je dois prendre une pellicule entière ! Tu ne voudrais pas causer ma perte, hein ?
La jeune fille leva tristement les yeux et regarda sa meilleure amie.
- Fais ce que tu veux, dit-elle finalement.
- Hein ? s’étonna Jessica.
- Fais ce que tu veux. Je m’abandonne.
Gabrielle déboutonna son chemisier et le jeta par-dessus son lit.
- Euh…je te demande pas de te déshabiller entièrement quand même ! Puis, c’est pas ton genre de…
- M’en fiche.
Le visage de Gabrielle sur les photos était vide de toutes expressions, et c’était ce qui faisait qu’elles étaient toutes réussies. Même à 18 ans, Jessica avait le don de faire ressentir les émotions d’une personne sur papier glacé, mais elle n’avait pas celui de s’apercevoir que sa meilleure amie allait mal. À chaque fois qu’elle regardait les photos, Gabrielle avait honte d’avoir montré si facilement ses faiblesses.
- Dites Madame, je peux en avoir deux s’il vous plaît ? demanda Valentin.
- De ?
- Photos.
- Mais bien sûr ! s’exclama la mère, ravie.
Sa fille lança un regard empli d’interrogations au jeune homme, qui lui répondit discrètement.
- Une pour le dossier, et une pour moi.
La mère de Gabrielle était très contente que sa fille ait trouvé Valentin sur son chemin, et elle pensait déjà à leur mariage, de la robe de mariée jusqu’au traiteur. D’emblée, il lui avait fait une excellente impression. Poli, bien élevé, serviable, aimable, généreux, honnête, drôle et, en plus de cela, charmant, elle ne voyait en lui que ses qualités. Gabrielle avait beau lui énumérer ses défauts, mais elle ne voulait pas l’écouter et restait persuadée que Valentin était l’homme parfait pour elle.
Le lendemain, le couple s’était rendu chez le père de la jeune femme. Ils avaient appréhendé tous les deux cette première rencontre qui, finalement, s’était extrêmement bien passée. Les documentaires télévisés que Gabrielle trouvait si ennuyants avaient intéressé Valentin à sa plus grande stupéfaction. Son père et lui avaient parlé d’avions et de bateaux pendant de longues heures, la laissant somnoler sur le canapé. Le soir, ils s’étaient quittés, avec de bons souvenirs en tête. La jeune femme était contente que Valentin ait plu à son père. Celui-ci était heureux d’avoir trouvé un père de substitution avec qui il s’entendait très bien. Enfin, le père de Gabrielle était ravi d’avoir fait la connaissance de l’officier, qu’il considérait déjà comme son fils.
Un jour de plus s’était écoulé à Dijon, et Gabrielle avait fait visiter tous les recoins de la ville à Valentin.
- Il faudra que j’appelle Berthier, lui dit le jeune homme alors qu’ils descendaient une grande avenue. Les recherches continuent à Paris. On a commencé à interroger les familles.
- Rien de nouveau alors ?
- Pas plus qu’on ne savait déjà.
- Val’…
Gabrielle s’agrippa à son bras pour l’obliger à s’arrêter, et fouilla dans sa poche.
- Quoi ? s’inquiéta-t-il.
- Je crois que j’ai quelque chose qui pourrait peut-être t’intéresser.
Elle sortit un morceau de feuille où elle avait griffonné le nom de son agresseur et le lui tendit. Il le lut, et son visage changea radicalement de couleur.
- C’est son nom ?!
- Oui.
- Et c’est maintenant que tu me le dis ?! Putain, Gabrielle !
- Je m’en suis souvenue mercredi, dans la nuit, et je n’ai plus pensé à…
- Tu aurais dû m’appeler directement ! Même si c’était en pleine nuit ! Si ça se trouve, à l’heure qu’il est, on l’aurait déjà arrêté ! Tu fais vraiment chier ! Ça fait des années qu’on le recherche, et toi, tu ne me le dis que maintenant !
La jeune femme accusa le coup, sans broncher. Valentin ne s’excusa pas, et la prit par la main.
- Il était originaire de Dijon ? Il habitait ici ?
- Peut-être.
- Où est la mairie ? Il faut qu’on y aille ! Tout de suite !
À cette heure de la matinée, la mairie de Dijon était bondée, et les fonctionnaires ne faisaient rien pour travailler pour plus vite. Les personnes présentes se battaient à coup de dossiers plus ou moins urgents pour une place dans la file d’attente, et les deux officiers ne purent se frayer un chemin seulement avec leurs cartes de police.
- Mais j’étais avant vous !
- Je m’en branle ! répliqua Valentin.
Il poussa Gabrielle devant un comptoir et s’adressa directement à la fonctionnaire, sans tenir compte de la présence de plusieurs flics derrière elle.
- Je veux tout sur cet homme, ordonna-t-il en posant le morceau de papier devant elle.
- Je suis désolée, je ne peux pas…
- Oh si, vous le pouvez parce que je vous le demande, alors vous allez me chercher ce putain de dossier tout de suite !
Elle allait répliquer mais le regard qu’il lui lança la fit taire dans l’immédiat. Elle se leva et se dirigea vers la salle des archives, laissant seul le couple avec les flics.
- Excusez-moi, demanda l’un d’eux en s’approchant, mais vous êtes certain d’être flic ? On ne vous a jamais vu dans le coin !
- Vous vous moquez de moi, là ? s’irrita Valentin.
Il sortit à nouveau sa carte de police et la lui fourra sous le nez.
- Ah ! fit le policier municipal, stupéfait. Paris ?! La Brigade Criminelle de Paris ?!
- Ouais, et alors ?
- C’est assez étonnant que vous vous déplaciez jusqu’ici pour résoudre une affaire. Pourquoi ne pas nous avoir contactés ?
- Parce qu’on ne joue pas dans la même cour, répliqua sèchement le jeune homme.
Valentin défendait son beefsteak, et n’était pas d’humeur à sympathiser avec de simples policiers municipaux. Gabrielle vit le moment où il allait se crêper le chignon avec eux, mais finalement, la fonctionnaire revint au bout de dix minutes, avec un dossier en main.
- Antoine Colin, voilà, fit-elle en le leur tendant.
Tout y était. Nom, prénoms, date et lieu de naissance, adresse, numéro de téléphone, emploi, et surtout, les empreintes digitales récoltées lors de la réalisation de la carte d’identité.
- C’est parfait…murmura Valentin, émerveillé. Les empreintes sont vieilles ?
- Bientôt dix ans.
- Et il habite toujours ici ?
- J’en sais rien.
- Répondez-moi !
- Je vous ai dit que je n’en savais rien !
- Il est divorcé. Son ex-femme réside ici ?
Après quelques recherches, il s’avéra que cette dernière vivait bel et bien à Dijon, avec son second mari. L’officier réclama ses coordonnées et des photocopies du dossier de son premier suspect. Puis, ils sortirent de la mairie, pleins d’espoirs.
- C’est génial ! C’est génial ! Gabrielle, tu n’imagines même pas le grand pas qu’on vient de faire ! Ça va aller très vite pour le retrouver maintenant !
- Oui, fit tristement la jeune femme.
- Et bien quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? T’es pas contente ?
- Si, si, mais bon, je vais rentrer chez ma mère…puisque je vous fais chier.
- Hein ?!
La jeune femme ne répondit pas mais Valentin comprit sans mal qu’elle faisait référence à leur conversation de tantôt.
- Écoute, je suis vraiment désolé si j’ai pu te blesser tout à l’heure mais…
- Tu l’as fait, confirma Gabrielle.
- Pardonne-moi. Je sais que c’est très difficile pour toi. C’est juste que je hais tellement ce mec et que je me languis de le retrouver pour le massacrer. Et quand tu m’as dit son nom, j’ai pété un câble, parce que j’aurai aimé que tu me préviennes aussitôt, tu comprends.
- Oui.
- Allez, me boude pas !
Il l’attira vers elle, et elle ne résista pas longtemps avant de se pelotonner contre lui.
Une fois de retour chez la mère de Gabrielle, Valentin s’était éclipsé dans la chambre pour téléphoner à Berthier.
- Alors, du nouveau ? demanda-t-il, dès qu’il eut le gardien de la paix au bout du fil.
- Rien du tout. Les familles n’ont pas très apprécié nos visites.
- Pourquoi ?
- Ils essayaient d’oublier ce qui était arrivé à leurs enfants, et nous, on arrive et on réouvre la cicatrice. Mets-toi à leur place, ils l’ont très mal pris.
- Comme tu dis, si j’étais à leur place, je serais bien content que la police s’occupe encore de cette affaire ! Pire même, je l’aurais harcelée jusqu’à ce qu’elle trouve le responsable ! Les gens ne sont jamais satisfaits !
- M’enfin, et toi, tu as du neuf à Dijon ?
- Oui.
- Quoi donc ?
- Un nom, et tout ce qui va avec.
- Le nom du coupable ?!
- Exact. L’agresseur de Gabrielle en tout cas, c’est certain.
- Et est-ce que tu lui as demandé comment elle faisait le lien entre son agression et celles des autres victimes ?
- Non, et je préfère attendre. Elle est un peu secouée en ce moment.
- Valentin, la situation est grave. Il nous faut absolument trouver le mobile des crimes, et j’aimerais qu’on puisse s’appuyer sur une preuve qui tient la route.
- Je sais… Dis-moi, le commissaire est là ?
- Non, il est parti interroger la dernière famille.
- Très bien, dans ce cas, tu le contactes dès que tu peux. Tu lui dis de faire des recherches sur Antoine Colin. S’il s’est trouvé un petit appartement à Paris, allez faire un tour à la mairie. Il faut retrouver sa trace. Faites surveiller les aéroports et les gares parisiennes, il peut peut-être quitter la ville. Et enfin, je vais aller voir les flics de Dijon, au cas où il serait déjà revenu ici. Je vais aussi aller interroger son ex-femme. Et dès que j’ai fini tout ça, je rentre immédiatement sur Paris. D’ici là, j’espère qu’on sera déjà sur ses traces. C’est clair ? Tu transmets tout ça au commissaire ?
- Je ferai la commission. Je te laisse, on va se rendre directo à la mairie !
- Vous êtes sûre que vous ne voulez pas rester un peu ici ?
- Oui, oui, je rentre à Paris avec vous.
- C’est Belle-Maman qui ne va pas être contente !
La veille de leur départ vers Paris, Valentin était allé déclarer Antoine Colin à la police de Dijon. Il était maintenant recherché dans la ville et ses alentours. Ensuite, Gabrielle l’avait accompagné chez son ex-femme, qui avait été très étonnée de leur visite. Pendant qu’il la questionnait, la jeune femme avait fouillé l’appartement et avait trouvé une photo de son agresseur. Ce moment avait été si éprouvant pour elle, qu’elle avait manqué de s’évanouir. L’ancienne épouse du suspect ne semblait pas au courant des faits, mais elle confirma que son ex-mari avait eu parfois des comportements étranges. Enfin, elle avoua elle-même qu’il était de nature violente et qu’il l’avait de temps en temps battue.
Après avoir recueilli ces précieuses informations, Valentin avait décidé de rentrer au plus vite à Paris, au grand désespoir de la mère de Gabrielle qui s’était très attachée à lui. Dès que les au revoirs eussent été faits, le couple quitta Dijon pour rejoindre la capitale.
Le soir de leur retour à Paris, Gabrielle attendait Valentin chez lui. Il revint du quai des Orfèvres bien après l’heure du souper.
- Ah, te revoilà ! s’exclama-t-elle en le voyant débarquer dans le salon. J’ai cru un moment que tu ne rentrerais pas pour la nuit.
- Si, si, je suis revenu.
Tout en parlant, il se massait doucement la main. La jeune femme le remarqua et s’inquiéta aussitôt.
- Qu’est-ce qu’il y a ? Vous vous êtes fait mal ?
- Un petit peu, ouais. J’ai un vaisseau sanguin qui a dû péter sous le choc, mais c’est rien, ne vous inquiétez pas.
- Mais comment vous vous êtes fait ça ?
- C’est simple. J’ai fracassé la gueule à un mec. Personnellement, je trouve que c’était trois fois rien, mais bon, c’est Anthony et Berthier qui m’ont retenu. Sinon, il aurait eu le crâne fendu, et moi, une entorse à la main.
- Il faut mettre de la pommade ! paniqua Gabrielle, qui perdait tous ses moyens. Mais qu’est-ce qu’il vous a pris de vous battre comme ça ?!
- Bah, écoutez, je lui ai fait ravaler sa fierté de merde, c’est déjà pas mal, non ?
- Valentin !
- Il méritait que je lui défonce sa gueule.
- Oh !
- Moi, faut pas me chercher ! D’autant plus que…je ne suis pas du genre à rester indifférent face à l’homme qui a violé ma nana.
Une fois de plus, face à l’évocation de son agresseur, Gabrielle manqua de faire un malaise. Valentin la rattrapa avant qu’elle ne touche le sol.
- T’inquiète pas ! Oh Gabrielle ! Pas de panique ! Il est passé sous les mains de l’Identité judiciaire, et maintenant, il est sous bonne garde. Je l’interroge demain, et après, on n’en parle plus, promis.
- Mais Valentin…soupira la jeune femme en s’essuyant son front humide.
- Quoi ?
- C’est surtout pour toi que je m’inquiète.
- Pour moi ?
- Tu n’avais pas le droit de le frapper. Tu vas te faire renvoyer ou pire, on va te retirer tes fonctions et ton titre, par ma faute…
- Oh mais dis pas de bêtises, voyons. C’est pas de ta faute tout ça. Ne t’inquiète pas pour moi. Et puis, tu sais quoi ?
- Non ?
- Je vais être franc avec vous. Je préfère largement cogner ce mec pour vous venger et perdre mon job, plutôt que de rester flic et de ne pas vous être fidèle.
Le lendemain, très tôt dans la matinée…
- Tiens Val’ ? Ça ne te ressemble pas de venir à…commença Berthier, en regardant sa montre. Six heures du matin. T’es sûr d’avoir passé une bonne nuit ?
- Une super nuit, en réalité, affirma Valentin, en observant le couloir désert.
- Je ne noterai pas les sous-entendus.
- En fait, je suis venu plus tôt pour préparer l’interrogatoire. Ça va être du petit lait, Corentin, on s’en souviendra encore longtemps de celui que je vais vous pondre !
En effet, le jeune homme avait méticuleusement préparé ses questions. Il avait regroupé dans un carton toutes les photos des victimes et des lieux, leurs vêtements et sa frise chronologique. Contrairement à ce que pensaient ses collègues, il était resté très calme, même lorsqu’il avait demandé à ce qu’on amène Antoine Colin en salle fermée pour l’interrogatoire. C’est Berthier qui se chargea de conduire le suspect jusqu’à Valentin. Albert, l’agent de sécurité, veillait sur la salle, encore vide. L’officier n’était pas encore arrivé.
Quand il pointa son nez, Antoine Colin se tassa sur sa chaise. Le souvenir de son affrontement avec lui était encore récent, et il n’espérait pas que cela se reproduise. Cependant, Valentin l’ignora complètement, et commença son travail comme s’il n’existait pas. Il avait lentement fait le tour de la table, puis il avait posé son carton. La pièce était tombée dans un silence pesant. Le jeune homme avait placé la frise chronologique devant le suspect, qui la regardait avec étonnement. Puis, il avait sorti les photos une à une, et les avait posées aussi devant lui, bien espacées. Celle de Gabrielle était mise de côté, sur le côté droit de la table. Elle était une exception ; elle était vivante.
Dès qu’il eut fini sa préparation, Valentin traîna une chaise jusqu’à la table, ce qui fit un son perçant et désagréable, et s’assit en face de l’homme. Il opta directement pour le tutoiement.
- Tu la connais ? demanda-t-il en pointant la première photo, après un long et pesant silence.
- Non.
- Et elle ?
- Non.
- Elle ?
- Non.
- Elle ?
- Non.
- Elle ?
- Non.
- Elle ?
- Non.
- Elle ?
- Non.
Leur dialogue faisait naître une migraine dans le crâne d’Albert.
- Okay, fit finalement Valentin, toujours calme.
Puis, il pointa le doigt sur la photo de Gabrielle.
- Et elle ?
- Non plus.
- Menteur.
Dix heures du matin. Berthier fit interruption dans le bureau de Gabrielle.
- Bon, toi et moi, faut qu’on cause ! lança-t-il, énervé.
- Ah bon ?
- Exact ! Visiblement, Valentin n’a pas voulu te poser la question, mais tant pis, moi, je vais le faire !
- Mais vas-y Corentin, répondit doucement la jeune femme, pose donc ta question.
- Qu’est-ce qui te fait penser que ton agresseur est celui qui a tué ces enfants ?
Elle réfléchit longtemps avant de répondre.
- Je ne sais pas.
- Tu ne sais pas ?! Valentin est en train d’interroger un mec, et on n’est même pas sûr que ce soit lui ?! Y’a bien une raison, dis-moi laquelle !
- Mais je ne sais pas. En fait, si, je le sais. Mais je ne peux pas t’expliquer. Je le sais, c’est tout. C’est mon intuition qui me fait penser que…
- C’est pas suffisant, Gabrielle, trancha le gardien de la paix. Pas suffisant pour l’accuser de quoique ce soit. Il nous faut une preuve concrète, fondée. Je veux bien te croire, mais les juges, eux, ne te croiront pas.
La jeune femme eut un soupir.
- Je n’ai pas encore compté les années qu’il peut prendre derrière les barreaux s’il avoue être l’auteur de ces faits mais, il faut qu’on s’appuie sur quelque chose de concret.
- Il faut que Valentin insiste alors, conclut Gabrielle. C’est la seule façon de lui faire avouer, sans preuve.
Au même moment, Albert entra, l’air grave. Les deux flics froncèrent aussitôt les sourcils. Cela n’était pas dans les habitudes de l’agent de la sécurité d’entrer dans les bureaux.
- Valentin te demande, expliqua-t-il de sa voix grave.
- Ah ! s’écria la jeune femme, qui voyait où il voulait en venir. Non, non, non et non !
- Valentin te demande, répéta Albert.
Il était bien clair pour lui qu’il ne quitterait pas la pièce sans Gabrielle.
- Tu devrais y aller, conseilla Berthier, je t’accompagne si tu veux.
- Je ne veux pas le voir ! Vous entendez ? Je ne veux pas le voir !
- Valentin savait que tu dirais ça, reprit Albert. Mais il a insisté.
- Mais de quoi il se mêle ?! Il va se faire foutre !
- Et il a dit « Et plus vite que ça ».
- Je le déteste.
Berthier lança un coup d’œil amusé à Gabrielle. L’agent de la sécurité, lui, finit par perdre patience. Il empoigna la jeune femme, et la fit lever de son bureau.
- Albert ! J’ai dit non ! hurla-t-elle.
- Valentin a dit « C’est un ordre ».
- Il n’a pas osé ?!
- Si. Et j’exécute les ordres.
Sur ces paroles, il la traîna hors du bureau, alors qu’elle se débattait.
- Je ne veux pas ! Arrête Albert ! Pitié !
Malheureusement pour elle, elle ne pouvait rien faire contre cet homme de deux mètres, même en talons-aiguilles. Il l’amena dans la salle où Valentin interrogeait son agresseur, escorté par Berthier. Dès qu’ils furent dans la pièce, Gabrielle baissa aussitôt le regard pour ne pas le voir, tandis que le gardien de la paix allait souffler quelques mots à l’officier.
- On n’a pas de preuves concrètes pour les autres. Piège-le.
Le jeune homme hocha la tête, et invita ensuite sa collègue à s’asseoir en face d’Antoine Colin. Celle-ci refusa sèchement mais il l’obligea à obéir.
- Bon, reprenons. La femme que t’as devant toi, c’est celle de la dernière photo. Elle a grandi entre temps, et manque de bol pour toi, elle est flic maintenant.
Gabrielle regardait le bout de ses ongles, en essayant de paraître indifférente, mais elle sentait le regard de l’homme brûler sa peau.
- Pourquoi tu la regardes comme ça ? demanda alors Valentin, tout en massant l’épaule de la jeune femme. Elle est belle ? Oui, je sais. Tu la reconnais maintenant ? Fais gaffe à ce que tu réponds, parce qu’elle te connaît plutôt bien, elle. Elle pourrait en dire des vertes et des pas mûres à ton sujet, mais tu ne lui laisseras pas ce plaisir, non ? Alors, tu la connais ?
- Oui.
- Super ! C’est pas trop tôt ! Passons à autre chose. Qu’est-ce que tu lui as fait ?
- Rien.
Elle releva la tête, furieuse.
- C’est pas vrai ! cria-t-elle alors qu’il la regardait avec dédain. Il m’a…
- Je sais Gabrielle, coupa l’officier. Bon, si tu ne peux pas reconnaître que tu as assassiné les autres, reconnais au moins que tu l’as violée, elle. C’est la moindre des choses, de toute façon.
- Oui.
- Oui, quoi ?
- Oui, je l’ai violée. Mais elle avait 18 ans, elle était majeure, donc elle savait ce qu’elle faisait en s’engageant.
- Tant que t’y es, tu vas me dire que vous avez signé un contrat tous les deux aussi, non ? ironisa Valentin.
La fierté de son suspect l’énervait au plus haut point. Cependant, il se forçait de rester calme.
- Ça ne se fait pas, commenta-t-il. Moi, si je veux coucher avec une nana, j’attends qu’elle soit d’accord.
- Mais elle l’était.
- Non, mais elle était ivre par contre. C’est toi qui l’as fait boire.
Antoine Colin haussa les épaules. Face à cette réponse évasive, Valentin ne baissa pas les bras. Il fouilla dans le carton et sortit plusieurs vêtements de jeune fille.
- C’est joli ça, non ? fit-il remarquer en lui montrant une mini-jupe. Ça te dit quelque chose ?
- Non.
- Et ça ?
- Non.
- Bon. Et ça ?
Il lui avait montré une jupe en tissu rouge pour enfant, taille trois ans. Le suspect avait mis plus de temps à répondre, et Valentin le remarqua. Son hésitation devant la jupe l’avait fait sourire intérieurement. Cet homme n’était pas aussi innocent qu’il ne le laissait montrer.
- Non…
- Si c’est ce qui te choque, je te jure que c’est une jupe taille trois ans. La petite avait cet âge d’ailleurs.
- C’est dégueulasse.
- Ah ça, je ne te le fais pas dire. C’est vraiment dégueulasse. Tu habitais à Dijon ?
- Oui.
- Cette petite, tu la connaissais, n’est-ce pas ?
- Non.
- Elle était la fille de tes voisins. Tu lui donnais souvent des glaces et des bonbons. Tu aimais lui caresser les cheveux.
- Comment…
- J’ai mes sources, expliqua l’officier, ne voulant pas dénoncer l’ex-femme du suspect. Donc, tu reconnais cette fille ?
- Je suis obligé, apparemment.
- Bien sûr, puisque c’est la vérité.
- Oui, je la connais.
- Pourquoi mentir dans ce cas ?
Il y eut un long silence que Gabrielle brisa en demandant timidement à Valentin la permission de pouvoir s’en aller. Elle ne pouvait plus supporter cette ambiance, ni la vue de son agresseur. Il le lui accorda et Berthier la raccompagna jusqu’à son bureau. Pendant ce temps, l’officier continuait l’interrogatoire. Personne ne le vit sortir de la salle pendant deux heures. Antoine Colin était coriace.
- Val’ interroge toujours ce mec ? s’informa Anthony, en arrivant avec une cafetière en main.
- Ouais.
- Et ?
- Et la dernière fois que j’y suis allé jeter un petit coup d’œil, il s’arrachait les cheveux, expliqua Berthier. Le suspect se contredit, il a avoué pour deux victimes sur sept ou huit. C’est peu. Valentin a laissé tomber son calme. Tu ne peux pas imaginer comment ça gueule dans la salle !
En effet, l’officier n’en menait pas large. Il était énervé, fatigué. Il avait soif, il avait faim. Et son principal suspect le ressentait, et en profitait.
- Bon, on revient en arrière, reprit Valentin. Cette petite de trois ans, pourquoi l’avoir tuée ?
- Parce que.
- Parce que quoi ? hurla le jeune homme, à bout.
- Je ne sais pas, répondit-il, avec un sourire mauvais aux lèvres.
Le flic se leva aussitôt de sa chaise et le gifla brutalement.
- Te fous pas de ma gueule ! Pourquoi ?!
Encore deux heures passèrent, et Albert daigna enfin à sortir de la pièce, avec Antoine Colin, et Valentin à sa suite. Dès lors, tous les flics se ruèrent sur lui.
- Alors ?!
- Val’ ! Raconte !
- Excusez-moi…supplia l’officier, fatigué.
Il posa son carton sur son bureau, et sortit quelques feuilles où il écrivit quelques mots. Il les rangea ensuite dans un dossier et tamponna le mot « ASSASSINAT » sur la couverture. Il referma la chemise sèchement et regarda ses collègues.
- Il a avoué.
Les gardiens de la paix hurlèrent de joie. Ils félicitèrent Valentin, lui donnèrent des tapes amicales dans le dos, et Anthony servit du café chaud pour tout le monde.
- Il en prend pour combien ? s’informa un flic.
- Je miserais sur la perpétuité, vu le nombre de victimes. Du moins, avec l’âge qu’il a, il ne sortira pas vivant de la prison avant que ses nombreuses années soient écoulées. Et il ne reverra pas la lumière du jour. Je ne pense même pas qu’il aura des permissions de sortie.
- Bien fait pour sa gueule.
- Exact, approuva l’officier.
- Et tu sais ce qui l’a poussé à faire…ça ?
- D’abord, c’est un type qui a un gros problème psychologique. J’ai fouillé dans son passé grâce à son ex-femme. Il se trouve qu’ils avaient eu une fille, il y’a bien longtemps. Elle est morte noyée. Ce mec était très attaché à elle, et il a beaucoup souffert de sa disparition. Il s’est renfermé sur lui-même, et il a commencé à battre sa femme, comme si elle était responsable de sa mort. Elle a ensuite divorcé. Et puis, il a rencontré Gabrielle, et il l’a sans doute violée sur un coup de folie. Puis, il s’est de plus en plus enfoncé, jusqu’à tuer carrément ses prochaines victimes. Mais ne vous laissez pas avoir par cette histoire. Tout ce qu’il a fait reste volontaire. Et il avait bien calculé ses coups pour ne pas se faire prendre par la police.
- Bien sûr, approuvèrent les autres flics.
- Il a été vraiment fou au point de tuer une petite fille de trois ans, remarqua Berthier.
- Il voulait sans doute soulager sa douleur, mais ce sont toutes ces enfants qui ont le plus souffert…
Au même moment, Gabrielle entra dans le bureau et tous les hommes se retournèrent pour l’observer.
- Quoi ? s’inquiéta-t-elle.
- C’est fini, répondit Valentin, en la prenant dans ses bras.
Une semaine plus tard. Valentin descendit, joyeux, jusqu’au rez-de-chaussée du quai des Orfèvres, là où se trouvait les criminels, trafiquants et malfaiteurs placés en garde-à-vue. Antoine Colin s’y trouvait. Un gardien de la paix ouvrit sa cellule, et lui enfila des menottes.
- Aujourd’hui est le plus beau jour de ma vie, s’exclama l’officier en tendant les bras vers le coupable. Vous avez de la chance. C’est moi qui vous accompagne.
- Où ça ?
Le jeune homme ne lui répondit pas. Il l’entraîna devant une porte où il était inscrit « Sortie Souricière ». Un second gardien de la paix l’ouvrit, et salua Valentin.
- C’est l’heure du Jugement dernier, ironisa l’officier.
- Je m’en fiche, j’ai un bon avocat. Ça ne sera pas si simple pour vous.
- Vous avez oubliez quelque chose, souligna Valentin, l’œil malicieux. Tout interrogatoire est enregistré sur un magnétophone. Toutes vos paroles ont été sauvegardées. Vous avez avoué…et maintenant, vous devez assumer. Soyez responsable, comme un grand garçon !
Il désigna la Souricière. C’était un tunnel humide, éclairé par de faibles lumières.
- Par ici, la sortie !
- Y’a quoi au bout ? demanda Antoine Colin, curieux.
- La Cour d’Assises du Palais de Justice, à 200 mètres. Faites attention, on croise facilement des rats…Mais non, je plaisante !
Et sur ces derniers mots, l’officier l’entraîna dans la Souricière…ou comme dirait le commissaire Maigret, « la plus mauvaise façon de sortir du 36, quai des Orfèvres ».
Extra Deux : Le Noël de Valentin
- Gabrielle ! Noël, c’est une fête de famille !
- Je sais.
- Et vous avez invité Jessica et Lucile !
- Oui.
- Mais… Pourquoi ?! On forme bien une famille tous les deux, non ?
- Oui. Mais j’invite qui je veux, et là, j’ai voulu inviter mes amies. Rien de plus normal.
- On aurait dû faire un bébé avant, comme ça, vous ne les auriez pas invitées !
- Vous avez quelque chose contre elles ?
- Pas du tout. C’est juste que je pensais faire une soirée rien qu’entre vous, moi, et le foie gras…
- Une prochaine fois. D’ailleurs, j’ai aussi invité mes parents.
- Quoi ?! Tous les deux ?! Mais ils vont se crêper le chignon !
- Ne dis pas de bêtises, Valentin. Mes parents sont bien plus responsables que toi.
- Je dois le prendre comment ?
La jeune femme allait répondre mais au même moment, la sonnette retentit et elle se dépêcha d’ouvrir la porte. C’était Jessica, Lucile et ses parents.
- On est arrivé ensemble, expliqua la photographe. Alors, on sonne ensemble.
- Je ne crois pas qu’elle ait bien compris, fit sa seconde amie.
- Bon, laisse tomber Gabrielle.
- Gabrielle ! Ma chérie ! s’écria la mère.
- Ça va, calma le père, ça ne fait même pas deux mois que tu l’as vue !
- Et alors ?! J’ai le droit d’être contente de revoir ma fille, non ?
- Je n’ai jamais prétendu le contraire.
- Je t’avais bien dit qu’ils se crêperaient le chignon.
- Val’, n’en rajoute pas, gronda sa compagne, qui ne savait plus où se donner de la tête.
- Gabrielle, laisse-moi dire bonjour à mon gendre quand même !
- Maman !
- Ah Lucile, t’entends ça ? s’exclama Jessica, à moitié morte de rire. Valentin est déjà le beau-fils ! Ah, ah, ah !
- Dis, remarqua le jeune homme en désignant la mini-jupe de la brune, t’avais pas plus court pour le réveillon de Noël ?
- Et non, on ne se refait pas !
Tous les invités de Gabrielle parlaient en même temps, et celle-ci se sentait déjà naître une migraine. C’était aussi ça les fêtes de Noël : des parents mélodramatiques, une photographe ultra excitée, une infirmière qui n’arrêtait pas de rire, et un petit-ami ronchon. Le Noël parfait, en somme. Mais si Valentin était assez boudeur ce jour-là, c’était parce qu’il y avait la famille de Gabrielle, et pas la sienne. Il n’y avait pas sa mère. Sa mère ne pourrait jamais plus fêter Noël avec lui.
- Je crois sérieusement que je suis orphelin, glissa le jeune homme à l’oreille de Gabrielle.
- Arrêtez vos bêtises, et allez vous asseoir avec les autres.
Il s’exécuta, un peu forcé de ne pas aller pleurer dans sa chambre, comme s’il était un enfant de huit ans. Elle s’assit à côté de lui, et il en profita pour l’enlacer. Il ne voulait pas rester seul ce jour-là.
- Qu’est-ce que tu as préparé de bien bon pour le repas ? demanda le père de la jeune femme.
- Et bien, pour le moment, ça reste secret. Mais je peux vous dire que ça va être délicieux parce que même Valentin m’en a fait une grosse crise de jalousie.
- C’est pas vrai, contredit l’officier.
- Oh, qu’est-ce que tu ne ferais pas pour garder ta fierté !
En effet, le dîner de Gabrielle fut une véritable réussite. Au menu, entrée avec saumon, foie gras, carpaccio de Saint-Jacques ; suivi d’huîtres déjà ouvertes et d’une belle dinde. Enfin, il y avait du fromage, une bûche glacée, des truffes et des chocolats, et les Treize desserts que réclamait Valentin depuis deux mois.
- T’avais pas plus calorique ? ironisa Jessica, qui comptait déjà les kilos en trop qu’elle allait prendre.
- T’es jamais contente, reprocha Gabrielle. Tu feras le régime après les fêtes !
- Je tiens simplement à ma silhouette de mannequin.
- De mannequin, tu parles ! T’as des grosses fesses. Pire que Gab’ même.
Les deux femmes concernées foudroyèrent Valentin du regard et le menacèrent de leurs fourchettes.
- Toi, fais gaffe à ce que tu dis !
- Sinon, je confisque tous vos cadeaux !
La menace eut de l’effet. Le jeune homme se repentit aussitôt en excuses auprès de sa coéquipière (mais pas à sa meilleure amie, qui lui envoya, pour se venger, une noix dans la tête). Il était impatient d’ouvrir ses paquets. Avant le dîner, il avait persuadé Jessica de convaincre Gabrielle d’annoncer l’ouverture des cadeaux un peu plus tôt que prévu en échange de 50 euros. Hélas, la photographe avait empoché l’argent, mais Gabrielle n’avait pas cédé.
- Rends-moi mon fric !
- Rêve toujours ! On a passé un marché, et ce n’est pas ma faute si elle n’a pas voulu qu’on ouvre nos cadeaux !
- Bon, ça suffit tous les deux ! trancha Gabrielle. Vous n’avez qu’à ouvrir vos paquets maintenant…puisque ça vous fait tant plaisir.
- Ouais ! hurlèrent Valentin et Jessica, en chœur.
Ils se ruèrent sur le sapin de Noël, et atterrirent devant lui à genoux. Le jeune homme tria aussitôt les cadeaux. Tout ce qui n’était pas pour lui, il le mettait de côté. Jessica, qui avait repéré depuis un bon moment les paquets qui lui étaient destinés, n’avait éprouvé aucune pitié. Elle avait déchiré sauvagement les emballages, si bien qu’en deux secondes, elle les avait déjà tous ouverts. Et très vite, les autres les imitèrent et se jetèrent à leur tour sur ce qui leur appartenait désormais.
- Ouah ! Le calendrier des Dieux du Stade ! Je meurs !
Il n’y avait pas un plus beau cadeau pour la photographe que les images de sportifs nus imprimées sur papier glace. Gabrielle et Lucile se regardèrent, amusées.
- Putain, ils sont trop beaux !
- Montre, montre, montre ! pressa la mère de l’officier, excitée de découvrir l’anatomie de ces hommes.
Son ex-mari et sa fille levèrent les yeux au ciel, désespérés par son attitude.
- Hey ! s’écria soudainement Valentin. Pourquoi je n’ai pas de cadeau de ma Pitchounette ?!
- Je savais qu’il allait râler ! Val’, j’attends que tu te calmes avant de te le donner. Ce n’est pas pour rien que je l’ai caché !
- Je le veux ! Maintenant ! Tout de suite ! grincha l’intéressé.
La magie de Noël était indispensable pour le jeune homme. Il lui fallait le plus de cadeaux possibles à ouvrir pour qu’il soit émerveillé.
- Je ne te donne pas le tien, tant que je n’ai pas le mien.
- C’est du chantage, ça, remarqua le père de Gabrielle.
- J’ai l’habitude.
La jeune femme alla chercher un paquet dans la chambre, et s’installa à côté de lui pour le lui donner.
- C’est de nous trois, expliqua-t-elle en désignant Jessica et Lucile. Et aussi de…
- Avant, coupa-t-il, je te donne le mien.
Valentin lui tendit une boîte, qu’elle prit aussitôt.
- Des sous-vêtements…soupira-t-elle, dès qu’elle l’eut ouverte. J’aurais dû m’en douter. Venant de toi, je ne peux recevoir que ça. Gé-nial.
- Et bien écoute, il faut joindre l’agréable à l’utile. Toi, tu les portes, et moi, j’en profite.
- Belle vision des choses.
- Euh Gabrielle, si tu ne les veux pas, moi je les prends sans hésiter, hein ! s’exclama la photographe.
C’était de la lingerie très belle, mais ce n’était pas le principal intérêt de la jeune femme.
- Je savais que ça te plairait pas, expliqua Valentin. C’est pour ça que je t’ai pris un autre cadeau.
Il lui tendit une fine enveloppe qu’elle saisit aussitôt, curieuse de savoir ce qu’elle pouvait bien contenir.
- Oh ! laissa-t-elle échapper. Une séance de soins du corps, avec massages, épilations, et tout, et tout !
- Hein ?! s’écrièrent sa mère, Jessica et Lucile. Non ?!
- Si !
- Bon, en plus des sous-vêtements, fit la photographe, je peux aller volontiers à ta place à cette séance de soins du corps, au cas où ça te plairait pas !
- Dans tes rêves ! Tu ne crois quand même pas que je vais laisser partir la meilleure occasion de me faire bichonner !
- L’espoir fait vivre.
- Bah, j’espère pour toi.
- Et moi, quémanda la mère de Gabrielle, pourquoi je n’en ai pas eu ?
- Mais Belle-Maman, vous n’en avez pas besoin, vous, répondit Valentin avec un sourire charmeur.
- C’est vrai ?!
- Mais oui.
- Dites que je suis crade alors, s’exclama la principale concernée, vexée.
- J’ai pas dit ça !
- Presque. Un truc que j’oublie Val’.
- Quoi ?
- Ce soir, tu dors sur le canapé.
Le jeune homme tempêta, se mit à genoux, griffa le canapé et la cuisse de Gabrielle, tira les cheveux de Jessica et secoua Lucile comme un prunier.
- Je ne veux pas dormir le canapé ! Tu sais bien que t’es la plus belle, que t’as été élue Miss Plage à Nice, que t’es bien foutue, que t’as de superbes jambes, que t’as le tour de poitrine parfait, que…
- Valentin, c’est bien de ma fille que tu parles là ? intervint le père.
- Mais oui, mais elle ne veut pas que je dorme avec elle ! expliqua l’officier sur un ton d’excuse. Alors, il faut bien que je me fasse pardonner ! En plus, le canapé n’est pas confortable pour dormir !
- Bon Gabrielle, pardonne-lui sinon il va carrément m’arracher les cheveux ! Je te préviens Val’, tu dois me payer une séance chez le coiffeur maintenant !
Finalement, il n’écouta pas Jessica et cessa son carnage, pour la très bonne et simple raison qu’il n’avait toujours pas ouvert son dernier cadeau.
- J’ai bien peur qu’il n’ait pas la même valeur que ce que tu nous as offert, expliqua Gabrielle, gênée.
Jessica et Lucile hochèrent la tête, et ils entourèrent tous le jeune homme pour l’observer ouvrir son paquet. C’était un épais album-photos, mais pas n’importe lequel. Sur la première page, une main avait tracé : « La vie de Valentin » et on voyait un bébé qui venait à peine de naître.
- Oh, fit le jeune homme, ému.
Valentin pesait 3 kilos 850 à sa naissance, ce qui n’était pas rien. Il était robuste et bien constitué. Il y avait beaucoup de photos de sa mère mais aucune de son père. Gabrielle avait voulu éviter de mettre son portrait, sachant que c’était un sujet sensible sur lequel le jeune homme était assez effacé.
On le voyait grandir au fil des pages. On voyait sa mère s’affaiblir aussi. Puis, il y avait le portrait d’une grosse femme à la peau colorée que le jeune Valentin s’amusait à faire tourner en bourrique.
- Oh ma bonne Marietta !
- Qui est Marietta ? s’informa Gabrielle.
- La femme à tout faire ! Elle faisait le ménage et la cuisine. Elle s’occupait de moi quand j’étais petit, et plus tard, de ma mère. Elle avait même sa chambre chez nous. Elle faisait partie carrément de la famille !
Valentin changeait radicalement d’une photo à une autre. Une fois on le voyait à huit ans avec un pistolet en plastique, une autre fois à 14 ans, en train de s’amuser comme un fou avec ses amis dans la piscine. Puis, une photo fit éclater de rire Jessica. L’adolescent qu’était Valentin à 17 ans dormait comme un loir dans son lit, et juste un drap recouvrait ses parties à cacher. En dessous, une main avait écrite « Pris sur le fait par Marietta ». À ce souvenir, le jeune homme grogna.
- Je savais bien que j’aurais dû placer un écriteau sur la porte : « Interdit à Marietta ». Franchement, c’était pas la place du marché ma chambre !
Valentin, 18 ans. En uniforme. Première entrée à l’École de Police Nationale de Fos-sur-Mer. Premier flingue. Première véritable fierté. S’en suivirent les photos de ses amis, de ses camarades de classe et de la cérémonie des diplômes. Quand l’officier tourna la page de l’album, il vit des photographies qu’il n’avait jamais vues. Le quai des Orfèvres dans toute sa splendeur. Le trio Gabrielle-Lucile-Jessica en boîte de nuit. Puis, Valentin et Gabrielle pris en flagrant délit dans leur chambre, et enfin, la mère du jeune homme, allongée dans un lit d’hôpital. Elle souriait.
Il avait les larmes aux yeux, mais il ne voulait pas pleurer devant les autres. Il y avait une lettre qui accompagnait la photo. Il la rangea dans sa poche sans la lire. Il voulait la garder pour lui seul. Il savait que c’était sa mère qui l’avait écrite. Il avait vu l’enveloppe sur sa table de nuit, à l’hôpital. Il n’avait pas voulu la toucher. C’était sans doute Lucile qui l’avait récupérée et glissée dans l’album-photos.
Les dernières pages de l’album étaient vides. Il fallait encore de la place pour les photos de son mariage, de ses enfants et de ses petits-enfants. Tout à la fin, Gabrielle, Jessica, Lucile et la mère de Valentin avaient signé et écrit des petits mots gentils, des mots d’amour. Et le jeune homme n’y tint plus. Il craqua.
- Merci…murmura-t-il alors que Gabrielle le prenait dans ses bras.
- Je savais que ça te ferait plaisir… Nous nous sommes bien organisées pour tout récupérer. Mais ne t’inquiète pas, j’ai aussi un autre cadeau pour toi, et qui a un peu plus de valeur.
Il lui tendit un dernier paquet. C’était une chaîne en argent.
- Tu sais, ça n’a pas plus de valeur que ce que tu viens de m’offrir…
Et franchement déprimant aussi. Valentin m'a fichu le moral dans les chaussettes de bon matin, faut que je me retienne maintenant pour ne pas envoyer ballader mes collegues qui viennent me taper la causette... La manière dont tu as traité le deuil... je manque de mots en fait tant je suis restée scotchée à mon écran. C'est décrit à la perfection - le déni, la révolte, l'acceptation, le retour dans le quotidien...
C'est aussi le chapitre où le violeur est retrouvé. Ce qui n'est pas rien, dix ans qu'il était recherché... Cette enquête donne également l'occasion d'aller faire un tour du côté de la famille de Gabrielle. Ma foi, ils sont bien sympathiques ces parents. et l'arrivée de Valentin tombe à pic :))
Quant à la petite scène de la fin, je l'ai trouvée mimi comme tout. Nowel en famille, c'est (en général) un chouette moment. Et Valentin, hum, c'est, en fin de compte, un grand sensible, ce garçon ^^ Il cache bien son jeu, mais suffit que la carapace commence à craqueler pour qu'il se dévoile XD
Moh allez Sej, j'espère que les chapitres suivants te déprimeront moins quand même... J'aime pas faire déprimer les gens, moi. XD
Sinon, euh, et ben merci beaucoup ! *_* Toujours très contente que ça te plaise : mon petit violeur qui croupie en prison, et le grand enfant qu'est Valentin. ^^
o_o on peut dire que c'était un vrai coup de bol, la réminiscence (xD oh le joli mot) de Gabrielle.
Bon, euh, bizZoox ^^
Reponse de l'auteur: Merci beaucoup (contente, contente) ! C'est chouette que ça te plaise ! Tu m'as appris un nouveau mot : réminiscence. ^___^" On peut dire qu'il a été très utile pour tourner la page du viol de Gab'. Fini !
BichouxXx ! x3