Chapitre 11 [NOUVELLE VERSION]

Notes de l’auteur : À partir de ce chapitre, je vous conseille de ne pas lire les commentaires, car il y aura un décalage !

MAJ : 23/11/2024

Alexander divaguait, égaré dans les méandres de son esprit. Les minutes et les heures s’égrenaient dans un épais brouillard. La froideur de l’air ne parvenait plus à apaiser sa fièvre brûlante. Il puisait dans ses dernières forces pour ne pas s’endormir et risquer de ne jamais se réveiller, mais il avait beau lutter, ses sens s’engourdissaient peu à peu.

C’était cela, mourir ?

Un frisson remonta le long de son dos. Pendant des années, survivre avait été son seul objectif. Il avait craint le froid sinistre de l’hiver, avait redouté les journées où il ne trouverait rien pour se remplir le ventre, s’était méfié des enfants plus âgés et des adultes qui auraient pu en vouloir à ses maigres butins. Il avait mendié et volé sans jamais savoir de quoi serait fait le lendemain. Il avait détesté cet instinct de survie viscéral, il avait détesté la Magie de l’avoir réduit à cela.

Il avait détesté la royauté. Il avait détesté ses parents.

Il ne se souvenait pas d’eux pourtant, ne savait pas s’ils étaient décédés ou l’avaient simplement abandonné. Cette incertitude l’avait longtemps meurtri. Aujourd’hui, il ne l’oubliait pas, mais elle n’était plus aussi douloureuse. À quoi bon de toute façon ? Il n’aurait jamais la réponse à cette question.

Sa solitude le blessait bien davantage. Jusqu’à sa rencontre avec Altaïs.

Altaïs…

Il ne voulait plus le perdre.

Ses doigts s’entremêlèrent aux brins d’herbe humides, l’écorce rugueuse du tronc contre lequel il était adossé râpait sa cape en laine. Malgré le poison qui le rongeait, il ne regrettait pas d’avoir fui avec Altaïs, et d’avoir abandonné sa place dans la Haute-Garde.

Il ne regrettait rien.

Des pas crissèrent non loin. Quelque part, leurs chevaux hennirent. Une vague de soulagement envahit Alexander à l’idée qu’Altaïs soit revenu. Il s’efforça de se redresser, le corps si lourd qu’il lui semblait avoir été rempli de fer, mais lorsqu’il battit des cils pour éclaircir sa vision trouble, ce fut une autre silhouette qui se dressa au-dessus de lui. Son cœur sombra dans sa poitrine lorsqu’il reconnut les prunelles gris anthracite de l’adal.

— Où est-il ?

Alexander aurait voulu cracher qu’il ne dirait rien, mais une magie oppressante étouffa ses mots, cisailla les portes de son esprit. Et il bascula…

 

Il pleuvait ce jour-là. Alexander s’était abrité sous la saillie d’une vieille maison à colombages de la ville basse et observait les passants. Ce n’était pas ici que les bourses étaient les plus fournies, mais depuis qu’il avait failli être attrapé par une patrouille de soldats dans la grande rue commerçante, il préférait ne pas réitérer l’expérience. Pour un enfant des rues, se faire trancher une main pour vol signerait son arrêt de mort.

Il se redressa lorsqu’il aperçut un homme qu’il voyait pour la première fois aborder un vieil aubergiste ronchon. Celui-ci répondit par quelques mots brefs, puis l’homme écarta légèrement le pan de sa cape élimée pour glisser deux doigts dans une bourse imposante. Le cœur d’Alexander s’emballa ; peut-être qu’il mangerait autre chose que des restes mendiés à un tavernier aujourd’hui.

Il attendit patiemment que la conversation prenne fin et que sa cible s’éloigne. Il ne savait pas ce que cet homme cherchait, mais il était stupide s’il pensait pouvoir se promener dans la ville basse avec une bourse aussi pleine. Alexander passa une main dans ses cheveux blonds et humides, puis se lança à la poursuite de l’homme avec discrétion, adressant un clin d’œil à l’aubergiste lorsque celui-ci leva les yeux au ciel à son passage. Ses foulées s’allongèrent tandis qu’il rattrapait l’homme au pas de course. Il vida son esprit et le bouscula violemment. Ses doigts glissèrent avec habilité sous la cape pour crocheter la bourse. Un instant plus tard, il s’éloignait en serpentant entre les flaques.

— Pardon, m’sieur ! s’écria-t-il en lui jetant un regard par-dessus son épaule.

L’homme s’était immobilisé et l’observait avec une expression étrange, mais Alexander bifurqua dans une rue, enivré par sa course et le poids de la bourse qu’il venait de dérober. S’il faisait attention, il pourrait se payer de quoi manger pendant plusieurs semaines, peut-être même se racheter des vêtements pour remplacer ses haillons.

Il ralentit lorsque des bruits de pas attisèrent sa méfiance. Un courant d’air caressa sa nuque, et il bondit sur le côté. Une vague de magie s’écrasa sur le bouclier qu’il eut le réflexe de dresser pour se protéger. Le choc le força à reculer, vibra jusque dans ses os. Il releva la tête avec appréhension et se figea. L’homme dont il avait subtilisé la bourse le toisait d’un regard noir.

— Eh bien… Sais-tu ce que l’on fait aux voleurs ?

Paralysé par la peur, Alexander n’osa pas répondre, encore moins bouger. L’homme leva son bras, la magie se densifia entre ses doigts, puis fusa vers le bouclier d’Alexander, qui vola en éclats. Il se sentit projeté vers l’arrière ; l’homme le plaqua contre le mur de la rue sans qu’il ne l’ait vu se mouvoir. Il ne put réprimer un gémissement lorsqu’une main enserra sa gorge et que son crâne cogna la pierre.

— Sacrée magie, s’amusa l’homme avec un rictus.

Ses yeux sombres brillaient d’un éclat curieux.

— Vous êtes qui ? cracha Alexander.

Les doigts raffermirent leur prise sur sa gorge pour le faire taire.

— Doucement, l’avertit l’homme.

De sa main libre, il releva le menton d’Alexander pour examiner son visage avec attention.

— Te couper la main serait dommage…

Le cœur d’Alexander sombra dans sa poitrine.

— Je suis certain que je trouverai quoi faire de toi. Quel âge as-tu ?

— Douze ans, murmura Alexander.

Un sourire calculateur étira les lèvres de l’inconnu.

— Parfait… Que dirais-tu d’intégrer l’armée ?

Alexander entrouvrit la bouche pour répondre, la referma aussitôt, sous le choc.

— Quoi ? balbutia-t-il.

Un tic impatient creusa la joue de l’homme – un soldat suffisamment haut gradé ? Il relâcha le menton d’Alexander pour empoigner son bras.

— L’armée. À moins que tu préfères que je te tranche la main tout de suite ?

Alexander battit des cils trop rapidement. Le silence s’étira tandis que la pluie ruisselait sur son visage. Lui ? Dans l’armée ? Lui, portant une cuirasse et une épée, ayant toujours de quoi se nourrir et un lit dans lequel dormir ? Lui, un chien à la botte de la royauté, qui l’aurait laissé crever de faim s’il n’avait pas su former un bouclier avec sa magie ?

Cependant, l’homme ne lui donnait pas le choix ; si Alexander refusait, il ne doutait pas que son interlocuteur mettrait sa menace à exécution sans attendre. Et rejoindre l’armée ne serait peut-être pas si terrible, n’est-ce pas ? Il ne craindrait plus de mourir chaque jour qui passait, ne craindrait plus la faim, le froid et tous les autres dangers qui le guettaient.

Son estomac se tordit violemment lorsqu’il murmura son accord du bout des lèvres. Sa vie ne serait plus misérable, mais elle ne lui appartiendrait plus.

 

Alexander fut brusquement arraché à ses souvenirs. Une plainte lui brûla la gorge, un cri résonna dans ses oreilles. Il s’écroula sur le sol glacé, incapable de reprendre pied avec la réalité.

Que venait-il de se passer ?

Ressaisis-toi !

L’adal avait essayé de trouver Altaïs en fouillant ses souvenirs avec sa magie. Qu’avait-il vu exactement ? Alexander avait un jour appris à résister aux magies de l’esprit en les égarant dans les méandres de ses souvenirs, mais dans son état… Le souffle d’une déflagration brisa le fil de ses pensées, les branches de l’arbre qui le surplombait, enflamma les troncs les plus minces. Une vague de chaleur enveloppa son corps enfiévré.

— Alexander !

Altaïs…

 

 

Altaïs cria lorsque la déflagration souffla une partie des arbres derrière lesquels il s’était retranché, le prenant au piège. Elaran n’avait mis qu’un instant à percevoir sa présence, à ordonner aux quelques soldats de la Haute-Garde qui l’accompagnaient de riposter. Altaïs n’avait pu que rompre la concentration de son oncle pour l’empêcher de s’introduire trop longtemps dans l’esprit d’Alexander.

Alexander ne peut pas mourir.

Les troncs s’embrasèrent, des échardes de bois volèrent dans tous les sens et s’accrochèrent à sa cape. L’une d’entre elles laissa une longue éraflure sur la joue d’Altaïs, une flamme se refléta dans ses yeux écarquillés. Il ne savait pas où se trouvait Nils, qui avait contourné les arbres pour prendre l’adal à revers. Une branche noircie s’écrasa sur le sol en soulevant un nuage de feu et de cendres. Altaïs recula précipitamment pour lui échapper, une main levée devant sa tête en guise de protection dérisoire. Une odeur âcre s’infiltra dans sa gorge.

— Alexander !

Une quinte de toux secoua ses épaules, ses pensées lui filaient entre les doigts. Elaran avait donc réussi à les retrouver ? Pendant qu’Harald le pourchassait dans Issfyrit, son oncle avait pisté sa magie à l’extérieur de la ville jusqu’à trouver Alexander.

La fumée serpentait dans ses narines et dans sa gorge. Il tâtonna pour s’extirper de cette cage de bois et de flammes, un gémissement coincé dans sa poitrine. Quelque chose heurta son bras, et il serra les dents, sans qu’il sache si le plus douloureux était le choc ou la brûlure. Il refoula la blessure dans un coin de sa tête pour avancer, avancer, avancer.

Où se trouvait Alexander ?

De l’autre côté des flammes qui crépitaient, nourries par la carcasse des arbres, Altaïs distingua des silhouettes. Il serra les dents, songea un instant qu’il s’apprêtait à se jeter dans la gueule du loup, et s’élança dans leur direction. Il devait à tout prix administrer le remède à Alexander.

Je…

Ce ne fut qu’un frôlement, puis une douleur soudaine poignarda son crâne. Ses jambes faillirent se dérober tandis qu’il plaquait ses mains contre ses tempes, un cri au bord des lèvres. Non… Une magie acérée effleura son esprit, puis transperça toutes les barrières qu’il aurait pu lui opposer. Non… Il voulut hurler, se débattre, mais ne subsistait que cette impuissance qu’il haïssait.

« Sors de ta cachette, Altaïs », claqua la voix qui s’insinua dans sa tête. « Il serait injuste que tu laisses ton Protecteur payer pour tes crimes. »

— Non !

Des images se superposèrent au son et le paralysèrent.

 

Alexander rampe sur le sol pour échapper aux flammes. Le vent brûlant de cendres cingle son visage. Il cherche Altaïs du regard, mais quelqu’un empoigne son bras pour le redresser de force. Une lame glisse sur sa gorge avant qu’il ne puisse faire le moindre geste.

 

— Alex !

Sa fureur l’étouffa.

Il tuerait son oncle, il tuerait Harald. D’une manière ou d’une autre, il les tuerait, eux et tous ceux qui s’en prendraient à Alexander et lui.

 

— Ne bouge pas, ordonne Elaran près de son oreille.

Alexander se fige, la peau couverte d’une fine pellicule de sueur glacée. Il tente d’utiliser sa magie pour se libérer, mais celle-ci demeure muette, affaiblie par le poison qui continue de serpenter dans son corps, de remonter vers son cœur.

 

Malgré la douleur qui lui vrillait le crâne, Altaïs se redressa, s’élança à en perdre haleine, trébuchant à chaque pas. Soudain, les flammes s’écartèrent et une terreur enragée lui tordit le ventre. Elaran maintenait fermement Alexander contre lui, un long poignard pressé contre sa gorge. Lorsque Altaïs plongea son regard dans le sien, il comprit que le jeune homme n’avait pas le pouvoir de se libérer. Il peinait déjà à garder les yeux ouverts.

Combien de temps lui restait-il avant que le poison ne l’achève ?

Altaïs releva le menton pour observer Elaran en tentant de refouler sa peur. Celui-ci le toisait avec une expression aussi lisse que la pierre. Une poignée de soldats se tenaient en retrait derrière lui, attendant docilement les ordres. Altaïs leva ses mains pour montrer qu’il n’avait aucune arme.

— Laisse-le partir.

Il se maudit de ne pas réussir à maîtriser les tremblements de sa voix.

— Pourquoi ferais-je une telle chose ? En t’aidant, il a trahi la royauté, tout ce que notre famille a fait le serment de protéger. Lui aussi mérite la mort.

— C’est moi que vous traquez.

La magie d’Elaran effleura la lisière de son esprit, aussi tranchante qu’une lame. Altaïs sentit le contrôle de son corps lui échapper. Une plainte lui brûla la gorge alors qu’il tombait à genoux, paralysé par une douleur incisive.

non non non

Il redevenait enfant.

Il redevenait prisonnier.

Il redevenait tout ce qu’il haïssait.

— Arrêtez…

Il entendit plus qu’il n’aperçut Alexander s’agiter. Sa vue se troublait par intermittence. Et malgré cette intrusion dans son esprit, Altaïs n’essaya pas de lutter.

Agenouillé dans la neige fondue,

écrasé par la magie de son oncle,

il abdiqua.

— Libère-le, exhala-t-il dans un souffle, et je me rendrai. Je ne résisterai pas, je ne me rebellerai pas, je vous laisserai me traîner jusqu’au palais sans chercher à me débattre.

— Non ! s’écria Alexander.

Altaïs évita son regard, incapable de lui faire face.

J’ai peur.

peur peur peur

— Tu ne nous cèdes rien. Nous te ramènerons au palais, de gré ou de force, et te jugerons. Ton Protecteur nous accompagnera, s’il est encore en vie. C’est notre devoir de condamner ceux qui défient la royauté. De te condamner, tout prince que tu sois.

Les mots de son oncle annihilèrent ses derniers lambeaux d’espoir.

— Je t’en supplie !

Sa voix se brisa.

Il se détesta pour cela,

il se détesta d’être si vulnérable,

il se détesta d’emporter Alexander dans sa chute.

Il savait pourtant qu’il n’avait jamais eu le pouvoir de tenir tête à son oncle, à sa famille. Celle-ci l’avait vaincu il y a bien longtemps.

— Je t’en supplie ! Je ferai tout ce que tu voudras !

— Tu aurais dû y réfléchir avant d’assassiner notre souverain et de prendre la fuite, asséna Elaran.

Altaïs écarquilla les yeux… et le poignard de son oncle se tordit dans un crissement métallique. Lentement, le fer fondit et coula sur la peau d’Alexander comme des traînées d’argent. Le jeune homme laissa échapper un sifflement de douleur, tandis qu’Elaran lâchait brusquement l’arme.

Alexander s’écroula, une main plaquée sur sa clavicule brûlée par les coulures métalliques. Il s’efforça de se traîner loin d’Elaran, les muscles engourdis par le poison. Son regard fouilla frénétiquement les environs à la recherche du responsable, s’arrêta sur la silhouette qui avançait dans leur direction. Les yeux de Nils brillaient d’un éclat apeuré lorsqu’ils se posèrent sur Elaran, dévièrent un court instant vers Altaïs, comme pour l’inciter à faire vite. Celui-ci se releva en vacillant, le corps glacé, et se précipita vers Alexander.

— Altaïs… Tu es revenu… Nils…

Altaïs attrapa la main d’Alexander, brûlante de fièvre.

— Bien sûr que je suis revenu, balbutia-t-il. Je ne t’aurais jamais abandonné.

Il jeta une œillade effrayée à Elaran, mais celui-ci s’était tourné vers Nils avec une expression féroce. Une coulure d’argent avait brûlé sa manche et crevassé sa peau. Conscient de la brièveté de ce sursis, Altaïs déboucha avec empressement la fiole contenant le remède et l’appuya contre les lèvres d’Alexander, qui bascula la tête vers l’arrière pour avaler une première gorgée. Une quinte de toux souleva son torse lorsqu’il manqua de s’étouffer.

— Je suis désolé, chuchota Altaïs.

Il posa ses doigts glacés sur la nuque d’Alexander pour l’aider à avaler ce qu’il restait dans la fiole. Du coin de l’œil, il aperçut Nils reculer d’un pas, incliner la tête.

— Plus que tout autre, la Haute-Garde doit fidélité à la royauté ! Je ne peux accepter une telle trahison !

— Vous…

La voix de Nils s’étrangla dans sa gorge, tandis que la magie d’Elaran s’épanouissait dans l’air. L’Épéiste ne semblait plus capable de bouger le moindre muscle, assujetti au pouvoir de son adversaire.

— Non !

Altaïs se releva en poussant sur ses jambes tremblantes, trébucha, encore fragilisé par l’intrusion de son oncle dans son esprit. Elaran ne lui accorda pas un regard lorsqu’il dégaina son épée, son attention rivée sur Nils.

— Elaran !

Altaïs rassembla toutes ses forces pour s’interposer,

mais il fut trop

lent.

Trop lent pour faire obstacle à son oncle.

Trop lent pour l’empêcher de trancher la gorge de Nils.

Des gouttelettes de sang volèrent.

Le hurlement d’Alexander emplit le bois, et le monde se tut autour d’Altaïs, qui ne parvenait plus à voir autre chose que le corps sans vie de Nils s’écraser dans la neige fondue.

Il était responsable.

coupable

Elaran se tourna dans sa direction, avec une expression si lisse qu’elle aviva ses pulsions meurtrières. Les arbres enflammés brûlaient autour d’eux. La fureur embrasa sa poitrine, cette rage si vorace qu’il ne pouvait plus vivre sans.

Je te hais.

Je te hais.

JE TE HAIS

Il ne savait plus si c’était à son oncle qu’il s’adressait ou à lui-même. Il aurait dû pouvoir sauver la vie de Nils après que celui-ci ait épargné la sienne et lui ait permis de sauver Alexander. Il aurait dû pouvoir affronter Elaran et toute sa famille, les vaincre et les

TUER.

Il aurait dû, mais il n’avait pas pu.

Je te détruirai.

DÉTRUIRAI

Autour de lui, la chaleur des flammes s’intensifia ; comme un miroir, un feu ardent se répandit dans ses veines. Il ne maîtrisait plus rien, ni ses pensées, ni cet incendie qui embrasait son corps.

Les entraves qui avaient si longtemps bridé sa magie s’enflammèrent.

Elle déferla en lui comme une vague brûlante,

et il s’y abandonna sans le moindre regret

jusqu’à devenir

incandescent.

Les flammes l’enveloppèrent, se déployèrent, le couronnèrent. Elles grandirent, grandirent, nourries par sa colère trop longtemps contenue. Grandirent, grandirent tandis que sa magie recommençait à abreuver son corps.

Il leva une main et elles suivirent son mouvement jusqu’à former une tornade brûlante. Elles achevèrent de consumer les arbres noircis. Les soldats battirent en retraite pour leur échapper, même si plusieurs d’entre eux tentèrent de lancer des sorts qui ne l’atteignirent jamais. Le regard orageux d’Altaïs accrocha celui de son oncle. Elaran esquissa un rictus lorsque sa magie effleura l’esprit d’Altaïs.

La main du jeune homme resta suspendue dans l’air, incapable d’achever son geste. Les flammes s’amassèrent jusqu’à former un mur qui le séparait d’Elaran. Tout son corps tremblait sous l’effort demandé.

Il ne tiendrait pas.

Ce constat amplifia sa fureur.

Une langue de feu parvint à forcer le barrage et frappa son oncle à la manière d’un fouet avec suffisamment de force pour l’envoyer à terre. Il heurta un rocher dans sa chute, tandis que des flammèches rongeaient une partie de sa cape, atteignaient sa manche. Sans doute sonné par le choc, il ne se redressa pas immédiatement.

La rage brûla le ventre d’Altaïs.

Il pouvait mettre un terme à tout cela, à cette traque impitoyable, à cette fuite sans fin.

Il pouvait…

C’est faux. Même si tu vaincs Elaran, Harald n’aura de cesse de te poursuivre.

Du coin de l’œil, il aperçut un éclair fuser dans sa direction, lancé par l’un des soldats piégés de l’autre côté des flammes, mais il bougea trop lentement pour lui échapper. L’épuisement alourdissait son corps.

— Altaïs !

Alexander le percuta de plein fouet pour le plaquer au sol, alors que le sort les frôlait. Altaïs releva la tête pour regarder le jeune homme dont les larmes sillonnaient ses joues grises de poussière. Son cœur se fissura ; il était responsable.

— Nous ne pouvons pas lutter, hoqueta Alexander.

Ils devaient fuir.

encore

Peut-être que cette fois, après cette débâcle, ils pourraient instaurer une distance suffisante avec leurs poursuivants. Altaïs ne pourrait pas tenir tête plus longtemps face à son oncle et les soldats qu’il avait choisis pour l’accompagner.

Ils se remirent debout en titubant, sans savoir lequel soutenait l’autre.

— Je ne serai pas capable de chevaucher, souffla Alexander.

— Je monterai avec toi.

Cette promesse flotta entre eux alors qu’ils couraient vers leurs chevaux attachés à l’écart, qui se cabraient en hennissant. Un sort les manqua d’un cheveu. Altaïs risqua un dernier coup d’œil en direction de son oncle, qui se redressait lentement avec l’aide d’un soldat.

« Tu ne peux pas fuir, Altaïs. Nous te retrouverons où que tu ailles. »

Un hoquet s’étrangla dans sa gorge.

Elaran se trompait, il leur échapperait.

Altaïs passa un bras dans le dos d’Alexander pour l’aider à se hisser sur sa selle avec des gestes saccadés, rendus fébriles par la peur et l’épuisement. Il grimpa derrière lui et éperonna la monture, sifflant pour que l’autre cheval les suive. Leur monture faillit les jeter à terre en faisant un écart pour esquiver une flèche lumineuse. Altaïs peina à conserver son équilibre, harassé par ce déferlement de magie. Peu à peu, la distance se creusa entre leurs assaillants et eux. L’odeur de cendres et de mort se faisait moins âcre, moins piquante. Altaïs ne se retourna pas, terrifié à l’idée de ce qu’il verrait dans leur sillage. Combien de fantômes ? de cauchemars ?

Une sensation qu’il avait cru perdue pour toujours réchauffa pourtant son corps transi. Sa magie s’étiolait, et pourtant ne disparaissait pas.

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Edouard PArle
Posté le 21/06/2023
Coucou Mathilde !
Je me lance dans un petit marathon sur ton histoire (=
Je suis très content d'en apprendre plus sur les origines d'Alexander, gamin des rues qui s'est engagé pour manger à sa faim. Je pensais jusque là qu'il venait d'une grande famille noble donc ça change pas mal ma vision du personnage, c'était intéressant. En apprendre un peu plus sur sa relation avec Nils n'est pas désagréable non plus.
La fin du chapitre fonctionne très bien et promet un prochain chapitre plein d'action !
J'attaque la suite...
Mathilde Blue
Posté le 28/08/2023
Re !

C'est marrant, je ne pensais pas du tout qu'on pouvait imaginer Alexander venant d'une grande famille noble ! Mais oui, à l'origine il n'avait aucune vocation à intégrer l'armée, il n'a pas vraiment eu le choix... Il a eu la chance de rencontrer Nils, mais sa vie n'était pas ce à quoi il aspirait.

À très vite !
Edouard PArle
Posté le 29/08/2023
C'est le biais de la fantasy où les héros sont majoritairement nobles je pense (bon sujet de débat ça d'ailleurs^^)
Nathalie
Posté le 01/04/2023
Bonjour Mathilde Blue

Dommage que le flashback d’Alexander ne soit pas écrit au présent, comme ceux d’Altaïs…

J’ai bien aimé en apprendre un peu plus sur Alexander. Ramasser des pauvres gars pour les forcer à entrer dans l’armée est malheureusement courant. Allez les gars ! Vous allez y arriver !
Mathilde Blue
Posté le 08/05/2023
Bonjour Nathalie,

Je m'étais posée la question en effet, mais j'avais tranché en faveur du passé pour différencier la portée de leurs souvenirs respectifs ! Dans le cas d'Alexander, c'est une narration classique qui revient sur certains éléments de sa vie, dans le cas d'Altaïs c'est ce qui remplace les paroles qu'il ne peut pas dire, d'où l'intérêt du présent !
Flammy
Posté le 06/02/2023
Je suis très intriguée par l'homme qui a recruté de son pleins gré Alexander =o Est-ce que c'est random personne dont on a pas forcément grand chose à faire ou est-ce qu'on va le revoir après coup ? C'est habituel de recruter des gamins dans la rue comme ça ? D'ailleurs, question que je me suis posée, c'est inné d'apprendre à se servir de sa magie ? Vu qu'à douze, sans personne a priori pour le former, Alexander s'en sert déjà relativement bien, je me demandais ^^

Autre question en lisant, une fois qu'on entre dans l'armée, c'est impossible d'en sortir ? Qu'il faille forcément bosser un minimum de X années pour l'armée, je comprends, mais là, on a l'impression que c'est le bagne et qu'il pourra jamais rien faire d'autre de sa vie, du coup, je me demandais ^^

Bon, les deux choupettes sont beaucoup trop mignonnes ensembles <3 Et oui, j'ai un don pour appeler choupette les personnages qui le prendraient ultra mal s'ils m'entendaient. On sent que leur lien se tisse de plus en plus, que c'est de plus en plus fort, et ça se fait naturellement, c'est très juste et délicat, je trouve que tu gères très bien ça =D

"Dagmar s’était arrogé tous les droits sur lui.

Tous."
Ok, j'étais déjà pas mille rassurée avant par le lascar, mais là euh... vraiment pas quoi ;.; Ma pauvre choupette, elle méritait pas çaaaaaa.

Et bien sûr, impossible d'avoir un chapitre entier de calme ='D Monstre.
Mathilde Blue
Posté le 06/02/2023
Re !

Alors l’homme qui a recruté Alexander est un personnage random (enfin on le verra pas en tout cas) ! Et non ce n’est pas habituel de recruter des gamins dans la rue comme ça, mais la magie d’Alexander lui a clairement tapé dans l’oeil, ce serait dommage de se priver d’embarquer un gamin des rues (=> autrice blasée). Pour la magie, il y a une partie d’inné et une partie de pratique (une personne va développer sa magie en grandissant, et celle-ci va adopter sa « forme », mais pour l’exploiter au maximum la pratique est nécessaire, Alexander maîtrise bien les bases mais il n’aurait jamais pu apprendre tout ce qu’il sait faire sans l’armée) !

Ce n’est pas impossible de sortir de l’armée (retraite anticipée, régimes spéciaux, pénibilité du travail, ahem désolée je m’emballe). Je disais ce n’est pas impossible, mais très mal vu avant un certain âge, ça reviendrait un peu à déserter donc Alexander était un peu coincé ^^

Trop heureuse que tu les trouves trop mignons ensemble <3 Je pense qu’Alex tolérerait le surnom, mais Altaïs te regarderait si mal haha xD Merci beaucoup pour tes compliments sur leur relation en tout cas, ça me touche beaucoup ^^

Pour Dagmar, bah je vais rien dire mais j’en pense pas moins ^^’

C’est tout un art hahaha (je suis un monstre gentil quand même) !

Merci pour ton commentaire :D
MrOriendo
Posté le 25/01/2023
Hello Mathilde !

Un chapitre un peu plus décousu avec deux ellipses, mais qui fonctionne tout de même très bien. J'ai beaucoup aimé le court flashback sur l'enfance d'Alexander et son entrée dans l'armée, le fait de le découvrir gamin des rues aide à s'attacher davantage au personnage, ça lui donne une vulnérabilité plus importante que lorsque son passé était seulement évoqué.

Le dialogue intermédiaire pour replacer Nils dans un contexte est bienvenu lui aussi. Sans cela, on se serait sans doute un peu demandé ce que ce personnage venait faire là, pourquoi tu prenais la peine de nommer spécifiquement ce garde et pas un autre. Cela rajoute du poids à son amitié passée avec Alexander et on devine qu'à un moment ou à un autre, cette relation pèsera de nouveau dans la balance.

Enfin, je trouve que leur moment d'intimité est bien construit. C'est intéressant que presque chacun de leurs rapprochements se fassent en opposition avec une crainte d'Altaïs, c'est comme si finalement Alexander prenait un par un tous les éléments sombres de son passé, toutes ses terreurs et les écrasait pour les remplacer par sa présence et son amitié. Je trouve que ça marque davantage une belle évolution dans leur relation que s'il s'agissait simplement de moments d'intimité "parce-qu'il faut qu'ils se rapprochent". Là, ils se construisent sur quelque-chose de solide, on comprend bien toute la force de leur relation.

À bientôt pour la suite :)
Mathilde Blue
Posté le 25/01/2023
Hello Ori !

Je suis ravie si le chapitre fonctionne, à certains moments, ça me semblait nécessaire de faire des ellipses pour éviter les longueurs, mais c’était en même temps un chapitre propice pour caler le souvenir d’Alexander. J’avais vraiment envie de développer davantage son passé, c’était important pour le développement du personnage. Et la conversation sur Nils ensuite permettait à la fois d’étoffer l’histoire d’Alexander suite au souvenir et de situer sa relation avec Nils.

Je suis contente que tu soulignes cet aspect de la relation entre Alex et Altaïs et la manière dont celle-ci se construit. Tu cernes très bien cette façon qu’Alex a de prendre ses peurs une par une pour offrir autre chose à Altaïs, des souvenirs plus lumineux et l’espoir de pouvoir se reconstruire :)

Merci pour ton commentaire ! :D
Taranee
Posté le 19/01/2023
Oh non ! Ils n'ont même pas eu le temps de se reposer !
Si ça continue, ce n'est pas sous les coups des mercenaires ou des gardes qu'ils vont mourir mais de fatigue !
J'espère qu'ils vont pouvoir se reposer à un moment. On sent bien le lien qui les unit, un lien tissé depuis quelques jours et qui, pourtant, semble dater de plusieurs années.

Je me demande si la famille d'Altaïs, au nord, acceptera vraiment de l'accueillir...
Mathilde Blue
Posté le 21/01/2023
Hahaha, ça arrangerait bien la famille royale tiens x) Quant au Nord, c'est la grande inconnue (ce n'est pas un membre de sa famille à proprement parler mais quelqu'un qui était très proche de ses parents) !

Merci pour ton retour et à très vite !
espritdepapier
Posté le 18/01/2023
Moi pendant ce chapitre : Oowwww ♥ Aaaah ! double ooww ♥ et NAAAAAAAN !
Mais enfin madame, laissez leur plus de 20 lignes de paix ! C'était si cute... et vlan, la garde arrive :'(
J'adore leur relation, la confiance qui se tisse entre eux, et en apprendre plus sur le passé d'Alex ♥ :D
Mais ils peuvent pas faire plus de 2h de route sans qu'ils se fassent chopper, il faut vraiment trouver un truc pour que sa magie arrête de laisser une trace derrière eux ^^'

Ton histoire raconte des choses vraiment horribles (rien que le sort d'Altaïs, pauvre chou ♥ (s'il a vraiment tué le roi, je l'aimerai quand même :p)) mais tu as une manière de relater les choses qui les rend hyper cohérentes et pas du tout "v'la du gore", mais ça s'intègre parfaitement au récit et à l'univers :)
J'ai hâte de lire la suite :D
Mathilde Blue
Posté le 18/01/2023
Ah oui, oups quand je te disais que le chapitre assouvirait ta curiosité, j'avais oublié de préciser qu'ils se terminaient encore sur des ennuis plus gros qu'eux :x

Trop contente que tu aimes leur relation et que tu aies apprécié en découvrir plus sur Alex (vraiment écrire le flashback sur son enfance c'était jhfmhagmrh) <3

Hehe, peut-être que cette fois le problème sera réglé définitivement, d'une manière ou d'une autre...

Ton commentaire me fait chaud au coeur <3 J'écris souvent des récits très sombres, mais je n'aime pas du tout le gore, la violence a toujours une visée plus large qui approfondit les traumatismes et le vécu des personnages.

Merci pour tous tes retours ! :D
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