Chapitre 11 : Oriana - Savoir

- Comment vous portez-vous, Oriana ? demanda Baptiste en entrant dans sa chambre pour l’examen hebdomadaire.

- Très bien, trop bien en fait.

- Comment ça ? demanda-t-il, un brin amusé.

- Je n’ai pas de nausée, pas de douleur aux seins, pas de jambes lourdes…

- Vous le regrettez ? répondit-il en riant.

- Non, mais… C’est bizarre.

- Cette grossesse n’est pas normale, rappela Baptiste. Vous n’aurez aucune douleur, d’aucune sorte.

- Même pour l’accouchement ?

- Même pour l’accouchement, indiqua Baptiste. Je vais poser mes mains sur votre ventre.

Pas de tissu cette fois. Rien à cacher. Une simple palpation.

- Comment ferez-vous ? demanda Oriana alors que Baptiste massait son ventre, appuyant tendrement par endroits. Mon corps devant rester sain, la péridurale est inaccessible.

- J’utilise une méthode bien plus naturelle, indiqua Baptiste en retirant ses mains. C’est parfait. Tout va bien. L’examen est terminé.

- Baptiste ? Quelle est cette méthode naturelle ?

- L’hypnose, indiqua-t-il. À la semaine prochaine, Oriana.

« L’hypnose ? » pensa Oriana. « Il blague. Il blague forcément ! Ou pas. Putain. Merde. Fais chier ! »

Oriana se rendit à la bibliothèque. Lire n’était pas son truc mais là, elle voulait savoir. L’endroit l’époustoufla. Chaque alcôve contenait des milliers de livres et il y avait… tellement d’alcôves ! Tous les ouvrages rayonnaient. Bryan lui permettait de trouver son objectif en un instant. Des canapés confortables offraient la possibilité de lire dans d’excellentes conditions. Il y avait même des tapis molletonnés pour ceux préférant la position couchée.

Oriana lut de nombreux ouvrages traitant de l’hypnose et le sujet la passionna. On pouvait contrôler les gens avec ce truc-là. Elle fut fascinée. Elle testa sur les femmes de la clinique et obtint des résultats époustouflants. Ce truc-là marchait vraiment ! Elle n’en revenait pas !

Cette plongée dans le savoir la ravit. Elle dédaigna ses voisines de chambre pour la bibliothèque, délaissant les rayons romans, BD ou manga pour la science et elle ne fut pas déçue : la bibliothèque contenait un savoir gigantesque.

Elle parcourut les étagères, parcourant parfois rapidement un ouvrage comme pour vérifier qu’il était bien rempli et non un leurre. Oriana dut se rendre à l’évidence : le savoir était là, à disposition. Il suffisait de se servir. Ils ne cachaient rien.

Oriana se concentra sur la médecine. Elle voulait savoir. Elle voulait comprendre. Que faisaient-ils ? Comment avaient-il pu soigner un cancer juste avec deux gourdes d’eau ? N’y connaissant rien, elle commença par la base et découvrit un monde fascinant.

 

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- Oriana ?

Elle se retourna pour découvrir Baptiste. C’était la première fois qu’il venait vers elle. D’habitude, un homme en blouse blanche lui annonçait qu’elle était attendue dans sa chambre – ce qui n’était jamais vrai, Baptiste n’arrivant que bien après.

- Oui, Baptiste ?

- Que vous lisiez ne me dérange pas. En revanche, que vous passiez toutes vos journées à lire ne me convient pas. Je rajoute une heure de piscine quotidienne dans votre agenda, à placer où bon vous semble dans votre journée.

Oriana fit la moue, telle une enfant prise en faute. Il avait dit « faire de l’exercice » dans la liste de ses tâches quotidiennes. Elle venait de désobéir à une volonté énoncée par le chef de la clinique.

- Je suis désolée, Baptiste. Bien sûr. Merci.

Il aurait pu lui fermer les portes de la bibliothèque. Une heure de piscine, c’était plutôt facile.

- Baptiste ?

Il se tourna vers elle, clairement agacé.

- Pardon, non, rien. Excusez-moi, lança-t-elle.

- Vous avez une question, Oriana ?

- Une question de médecine, précisa-t-elle. Un truc que je n’arrive pas à comprendre mais je vous dérange. Pardonnez-moi.

- Demandez à Bryan. Il possède le savoir de toute la bibliothèque, indiqua Baptiste avant de s’en aller.

Il avait pris la peine de lui répondre. Oriana trouva cela très aimable de sa part.

- Bryan ?

- Oui, madame Delbran ?

Oriana lui posa sa question et il répondit avec précision, permettant à la jeune femme de surmonter sa difficulté. Oriana apprit bien mieux avec l’IA qui lui servit de professeur. Oriana le trouva drôlement bien programmé. Dommage qu’elle n’ait qu’un an devant elle. Sinon, elle aurait volontiers appris l’informatique après la médecine pour comprendre comment une machine pouvait être aussi intelligente.

Les doutes d’Oriana grandissaient à chaque ouvrage lu, à chaque explication reçue de Bryan. Ils ne cachaient rien, ne refusaient de délivrer aucune information.

Le mois dernier, elle était même entrée dans la pharmacie de la clinique sans que personne ne s’y oppose. Elle avait découvert les médicaments présents dans l’endroit, nécessaires pour soigner les patientes avant leur implantation. La molécule ayant soigné son cancer était là. Oriana savait désormais comment ils s’y étaient pris mais également combien de cobayes avaient dû mourir pour qu’ils obtiennent un tel résultat.

Elle observait beaucoup les allers et venus des personnels soignants, discutait légèrement avec toutes les femmes de la clinique mais recevait toujours la même réponse : c’était leur première fois. Étrange.

L’asiatique, par exemple, n’aurait certainement pas refusé de revenir et ce n’était pas la seule à décrire cet endroit comme « le paradis » ou « un rêve éveillé ». Pourquoi ne pas reproposer aux mêmes patientes ? Elles connaissaient les règles. Cela aurait été bien plus rapide. Un bébé contre un an de pur bonheur. La plupart aurait accepté.

Pourtant, non, que des nouvelles venues, aucune récidive. Cette implantation rendait-elle les femmes stériles ? Rien dans ses connaissances médicales nouvellement acquises ne permettaient d’aller dans ce sens. Au contraire, Baptiste avait promis la fertilité à certaines femmes en échange de ce bébé.

Cette implantation pouvait-elle n’être réalisée qu’une seule fois ? Là encore, Oriana ne voyait pas bien pourquoi.

Seule option possible : les patientes étaient tuées. Oriana secoua la tête. Non ! Il y avait mille autres possibilités. Tout d’abord, que cette clinique n’en soit qu’une parmi d’autres, une réservée aux premières fois. Ou encore qu’un lavage de cerveau soit réalisé afin que les femmes oublient tout de leur passage sur place. L’hypnose le permettait. Oriana le savait fort bien. Et si Baptiste profitait de la mise sous hypnose lors de l’accouchement pour effacer la mémoire de ses patientes ? Et s’il le faisait, pourquoi leur donnerait-il ensuite ce qu’il leur avait promis ? À quoi bon puisqu’elles ne se souvenaient même pas d’avoir passé un accord.

Au moins, Oriana n’aurait pas ce souci. Son cancer avait été soigné. L’accord était rempli par avance.

Cependant, elle n’était pas d’accord pour se faire manipuler l’esprit. Hors de question qu’il modifie ses souvenirs. Oriana passa de longs moments à tourner en rond, sans jamais rien en dire à sa psy qu’elle rencontrait toujours chaque semaine.

 

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Oriana se plia en deux de douleur alors qu’elle marchait sous les arbres. La souffrance l’avait prise par surprise. Un an de pur délice lui avait fait oublier la signification même de douleur. La contraction passa et Oriana se trouva bien douillette. Ce n’était en fait rien. La surprise y avait été pour beaucoup dans son ressenti.

- Oriana ? Avez-vous besoin d’aide pour rejoindre votre chambre ? proposa un personnel soignant en blouse blanche.

- Ça devrait aller, je vous remercie.

- Baptiste est prévenu. Il sera là d’un instant à l’autre.

Oriana hocha la tête. Son absence l’aurait fortement étonnée. Nul doute qu’il mettait lui-même ses bébés au monde. Oriana rejoignit sa chambre sans difficulté et se prit une douche chaude qui la délassa efficacement.

- Les contractions sont supportables ? demanda Baptiste depuis la chambre.

Elle ne l’avait pas entendu entrer.

- Oui, je vous remercie, répondit-elle.

- Mettez ça.

Une tunique simple sans manche et pas très longue. Juste de quoi couvrir son corps le temps de l’accouchement. Elle obtempéra et sortit pour découvrir Baptiste seul. Elle s’était attendue à ce qu’il soit entouré de quelques collaborateurs. À sa connaissance, l’accoucheur travaillait en équipe. Enfin, rien n’était normal ici, alors…

Elle s’installa sur son lit en respirant profondément alors qu’une contraction partait de ses côtes pour remonter vers son nombril, où elle atteignit son paroxysme avant de repartir.

- Je vais vérifier où en est le travail, indiqua Baptiste avec douceur. Je mets ma main sur votre sexe et j’insère deux doigts.

Cette manière d’expliquer ce qu’il faisait était déroutante mais agréable.

- Le col est souple et dilaté, mais pas encore assez. Le travail sera encore long. Écoutez ma voix et laissez-vous porter.

- Non, répondit Oriana froidement.

- Pardon ?

- Non, Baptiste. Je refuse l’hypnose.

Il ne sembla ni agacé ni en colère, juste surpris.

- Pourquoi ?

- Je ne veux pas vous laisser faire ce que vous voulez. Je veux être présente mentalement pendant cet accouchement.

- Vous n’aurez ni péridurale ni aucun antalgique d’aucune sorte. Vous en êtes consciente ?

- Des milliards de femmes ont mis des enfants au monde sans tout ça.

- Des milliards de femmes sont mortes en mettant des enfants au monde sans tout ça, répliqua Baptiste.

- Parce que je vais survivre à cet accouchement, Baptiste ?

Le médecin se crispa. Oriana avait vu juste.

- L’hypnose vous permet quoi, Baptiste, de…

Oriana dut s’arrêter de parler pour endurer la contraction suivante. Le médecin attendit patiemment, sans s’énerver ni s’agacer ni en profiter pour lui ravir la parole.

- Cela vous permet de tuer vos patientes sans recevoir d’opposition ?

- Je ne tue pas mes patientes, dit Baptiste.

Il avait un ton simple, léger, presque triste.

- Elles meurent et je ne peux rien y faire. J’essaye, pourtant…

Il semblait réellement navré.

- Je mets tout en œuvre. Je donne tout ce que j’ai. Je les soutiens de mon mieux. Rien à faire. Elles meurent toutes.

- Vous êtes un putain de menteur !

- Quand ai-je menti ? répliqua-t-il. J’ai…

Il s’arrêta, la laissant supporter la contraction suivante pour ne reprendre qu’une fois celle-ci passée.

- J’ai soigné votre cancer.

Oriana ricana nerveusement. Il insista :

- À aucun moment le contrat ne stipulait une quelconque survie à cet enfantement, jamais…

Ces gars-là jouaient avec la vie et se moquaient des conséquences.

- J’ai toujours acquitté ma part du marché. J’ai donné l’argent à la famille de mes patientes. J’ai soigné leurs proches malades. J’ai tué leur mari violent.

- Certaines femmes ici ont échangé cet enfant contre leur fertilité !

- Elles sont fertiles ! répliqua Baptiste.

- On n’est pas fertile quand on est mort ! s’écria Oriana.

- Je le regrette profondément. J’espère toujours trouver la solution, assura Baptiste l’air dévasté.

Il semblait sincère, ce salopard ! Une nouvelle contraction obligea Oriana à maîtriser sa respiration.

- Je vais vérifier où ça en est. Je mets les doigts. Dilatation à six.

- Le travail est sacrément rapide ! gronda Oriana.

- Ce qui entraîne une accélération de la douleur, confirma Baptiste. Cet accouchement sera bien plus douloureux qu’à la normal. Toujours pas prête à accepter l’hypnose, Oriana ?

- Allez vous faire foutre, Baptiste !

Il haussa les épaules.

- C’est toi qui souffres, dit-il et le tutoiement n’échappa pas à Oriana.

- Pourquoi je vais mourir ? demanda Oriana.

- Comment ça ?

- J’ai appris la médecine avec Bryan, vous le savez.

Il acquiesça.

- Expliquez-moi. Pourquoi je vais mourir ?

Baptiste soupira puis commença :

- Cette maturation plus lente du bébé nécessite un placenta plus puissant. Pour avoir de quoi nourrir le fœtus aussi longtemps, le placenta fusionne littéralement avec le corps de la mère. Après l’accouchement, il se décroche, arrachant tout sur son passage. Certains rhizomes remontent jusqu’au cœur.

- C’est la délivrance qui va me tuer, comprit Oriana.

- De ce fait, une césarienne ne résout pas le problème.

- Je vais…

- Te faire arracher les organes de l’intérieur. La souffrance sera atroce. Toujours pas d’hypnose ?

Il disait cela sur un ton neutre et distant. Se protégeait-il de cette façon ou n’en avait-il vraiment rien à faire ?

Oriana en fut certaine maintenant. Pas question de se laisser faire ! Elle ne mourrait pas ! Pas question de mettre au monde ce bébé. Elle fit un geste pour se redresser. Baptiste fut plus rapide. Il la plaqua au lit et appela :

- Fred ! Les entraves !

- Non ! hurla Oriana en tentant d’échapper à la poigne du médecin.

Il profita d’une contraction pour lier sa main droite. La douleur disparut, Oriana ne pouvait plus bouger. Poignet, cheville, cou, il s’était assuré qu’elle ne resterait bien en place.

- Baptiste, je vous en prie ! supplia-t-elle.

- Accepte l’hypnose et tout se passera bien.

- Non ! hurla-t-elle.

- Je mets les doigts pour vérifier où ça en est, annonça-t-il. Le col est entièrement dilaté et effacé. Le bébé est en bonne position. Oriana, pousse à la prochaine contraction, s’il te plaît !

- Non ! hurla-t-elle alors que la douleur démarrait sur ses côtes, annonçant la prochaine contraction.

- Oriana ! Si tu ne pousses pas, je serai obligé de faire une césarienne. C’est tout ce que ça changera pour moi. Une césarienne sans anti-douleur, tu y tiens vraiment ?

En larmes, elle contracta ses muscles pour pousser le bébé vers la sortie.

- Tu pousses mal, trop haut. Pousse plus bas, vers ma main, oui, c’est bien. Reprends ton souffle. La prochaine sera la bonne.

- Je vais mourir, murmura-t-elle en pleurant.

- Je vais tout faire pour l’éviter. Je te le jure, Oriana ! Je ne veux pas que tu meures !

La contraction suivante fut atroce. Devoir accoucher attachée n’aidait pas mais Oriana comprenait que le médecin fut obligé de prendre ces mesures. Oriana avait tenté de se soustraire à ce moment, réaction idiote. Ce bébé devait sortir, de toute façon !

- Je tiens sa tête, indiqua-t-il. Je tire doucement. Les épaules sont passées. C’est bon.

Oriana ne vit rien du bébé et ne chercha pas à le faire. Elle sanglotait, consciente de vivre ces derniers moments.

- Dites à ma mère que je l’aime.

- Je le ferai, annonça Baptiste qui lui tournait le dos.

Un cri de bébé se fit entendre et Baptiste se retourna vers Oriana tandis qu’un personnel soignant prenait le paquet et disparaissait dans le couloir.

- Oriana, reste avec moi, s’il te plaît, dit Baptiste en claquant des doigts devant ses yeux.

Oriana fixa son attention sur lui.

- Je vais mettre ma main toute entière dans ton ventre pour aider à décoller le placenta en douceur. Mon but est de ralentir son décrochement pour que le choc soit moins violent de ton côté. Tu viens de faire passer un bébé et je te force à accepter un bras entier. Ça va être très désagréable.

Oriana gémit. Comme d’habitude, il ne faisait que la prévenir, pas lui demander son avis.

- Maintenant, annonça-t-il et Oriana se sentit plus remplie que jamais.

Elle hurla tant la douleur fut insupportable. La chose dans son ventre tirait, arrachait, déchirait, découpait, piquait, brûlait, s’insinuait plus loin et recommençait. Oriana sentit l’évanouissement poindre.

Baptiste plaqua sa main contre la bouche de sa patiente. En avait-il marre des hurlements déchirants de sa victime ? Oriana sentit un tuyau tiède forcer sa trachée. Attachée, elle ne put lutter et soudain, l’air devint pur et frais, nourrissant et agréable. Elle respirait de l’oxygène, comprit-elle. Comment faisait-il cela ?

La douleur explosa dans son abdomen mais elle ne pouvait désormais plus crier. Immobilisée, elle souffrit en silence, son regard ancré dans celui de Baptiste qui la suppliait des yeux de survivre.

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