La maison sur la colline – Mercredi 18 novembre 2009
Isabelle observa Yassima s’éloigner avec son père. Elle soupira. S’ils se mettaient ensemble, cela ferait d’Hubert son demi-frère. Enfin, non, puisqu’il n’était pas réellement le fils de Yassima. Isabelle en fut terriblement triste pour son amoureux. Il considérait réellement Yassima - Charlotte à ses yeux – comme sa mère. Pour la mage noire, il n’était que le rejeton de son bourreau, l’enfant qu’elle n’aurait jamais. Elle devait le haïr profondément.
Isabelle grimaça. À un moment ou à un autre, elle devrait l’annoncer à Hubert. Quelle conversation de merde à venir ! Elle avala difficilement sa salive. Des trucs horribles, elle venait d’en entendre pas mal. James avait enterré le guide Bern d’un sort d’enfouissement dont Isabelle ignorait tout. Elle avait enregistré l’assemblage, espérant n’avoir jamais à s’en servir pour la même raison.
Billy disparut dans la maison. Il avait des objets magiques à créer. Isabelle se retrouva seule et apprécia ce moment ce tranquillité. Ces dernières heures avaient été riches en émotion. Sa discussion avec Hubert, puis la libération de Charlotte et enfin l’apparition soudaine du guide Bern.
Isabelle observa le sol sous lequel reposait le corps de l’homme qu’elle venait d’assassiner. Elle ne parvenait pas à se réjouir de sa mort, ni à le pleurer. Elle ne ressentait rien, qu’un intense vide. Elle pencha la tête vers sa tombe. Seul le néant lui répondit.
Son tourmenteur ne ferait plus jamais de mal à quiconque. Elle ne se réjouissait même pas de cet état de fait. Il ne la frapperait plus, ne la violerait plus, ne l’obligerait plus à le sucer et à avaler avant de la rouer de coups. Isabelle resta vide. Elle ne réalisait pas.
Elle ressentit la vibration dans la magie dans son dos. Un bras s’enroula autour de son visage, la plaqua contre un torse, la rendant aveugle. Tous les cristaux bougèrent autour d’elle. Magie blanche, reconnut-elle. Elle ressentait les mouvements mais privée de sa vue, elle n’arrivait pas à suivre. Elle s’entraînait pourtant avec Hubert mais n’y parvenait pas. Son adversaire devait être sacrément bien informé pour connaître son point faible et s’en saisir de la sorte.
Elle reconnut l’assemblage mais, aveugle, rata sa tentative de démembrement. Le sort s’activa et Isabelle cessa immédiatement de se connecter à la magie. Elle n’avait aucune envie de souffrir. Privée de sa vue et de son senseur magique, seul le changement de température l’informa qu’elle venait de se téléporter.
Le bras se retira mais privée de sa connexion à la magie, Isabelle ne voyait plus les cristaux. Elle reconnut la résidence de Ranti. Elle comprit qui venait de s’en prendre à elle. Elle trembla. Il venait se venger du vol de son bien.
- Ce qui est pratique, murmura monsieur de Ranti à son oreille, c’est que tu connais déjà les règles de la maison. Avoir un nouveau jouet n’est pas pour me déplaire. L’ancien faisait tellement mal la cuisine !
Isabelle serra les dents de rage et se retint de gémir. Cela lui aurait fait trop plaisir.
- Je n’irai pas chercher Charlotte. Qu’elle reste auprès de ton père. Je vais me délecter de te posséder, toi.
Isabelle tenta de bouger son bras droit. Il lui suffisait de toucher la spirale sur son bras gauche pour se retrouver téléportée aléatoirement dans les environs, assez pour lui échapper. Elle se découvrit incapable de bouger.
- Je ne suis pas né de la dernière pluie et je ne m’appelle pas Dan Bern. S’il aime foncer sans réfléchir, c’est son problème. Moi, je préfère me servir de mon cerveau. Alors tu vois, petite sorcière, je vais te retirer tes griffes.
Il défit la ceinture d’Isabelle puis passa sa main droite le long de son corps, à un doigt. Isabelle ne sentit rien mais elle savait qu’il venait de détruire tous ses sortilèges. Elle venait de perdre toute possibilité de s’enfuir.
- Il m’arrive parfois de devoir me battre contre des sorciers peu respectueux de la loi de non interférence. On ne m’a pas aussi facilement.
Isabelle retrouva sa liberté de mouvement. Elle baissa les yeux et resta immobile, consciente de ne rien pouvoir faire sans son consentement. Elle lui appartenait. Il pouvait faire d’elle ce qu’il voulait. Nul ne pourrait venir la délivrer. Nul n’en avait la compétence ni la capacité. Isabelle se retint de fondre en larmes devant lui.
- Vu l’heure, tu vas aller préparer le dîner. Fais en sorte de ne pas être en retard et que la qualité soit au rendez-vous. Je connais tes compétences. Ne me déçois pas.
- Bien, monsieur, répondit poliment Isabelle.
- Allez va !
Isabelle rejoignit la porte de la maison et entra. Elle connaissait les lieux par cœur. Rien n’avait changé. La prison restait égale à elle-même. De Ranti ne la suivit même pas. Il avait donné ses ordres. Il savait qu’il serait obéi. Isabelle n’avait de toute façon pas d’autre choix.
Elle retrouva ses marques dans la cuisine. Elle avait intérêt à faire un truc rapide si elle voulait être à l’heure. Alors qu’elle ouvrait le tiroir aux épices, elle se rendit compte que la plupart des pots contenait des produits très intéressants d’un point de vue sorcellerie. Nul doute qu’elle trouverait d’autres ingrédients dans le jardin. Pourrait-elle l’empoisonner ? Elle décida de ne pas tenter le diable dès maintenant mais elle garda cette idée dans un coin de sa tête avant de continuer à cuisiner.
Il restait cinq minutes lorsque de Ranti entra dans la cuisine. Il se plaça derrière Isabelle qui touillait le contenu d’une poêle. Il l’enlaça comme Hubert avait l’habitude de le faire. Isabelle serra les dents. Elle repensa à la manière dont de Ranti l’avait attrapée : aveuglée puis retiré ses griffes. Pour agir de cette manière, il fallait sacrément bien la connaître. Hubert l’avait-il vendue auprès de son père ? Venait-il de la trahir ? Isabelle avala difficilement sa salive, l’amertume dans sa bouche ne la quittant pas.
- Tu mettras un couvert pour moi dans la salle à manger. Tu ne manges pas. Tu as le droit de goûter pour vérifier l’assaisonnement mais pas davantage. Tu as compris ?
- Oui, monsieur.
Il passa sa main au-dessus du plat.
- Je vérifierai à chaque fois, sale sorcière. Ose essayer de me faire un coup de travers et tu le sentiras passer.
Il la lâcha et sortit de la cuisine. Isabelle se sentit plus mal que jamais. Elle ne vit plus aucune porte de sortie. Il la tenait. Elle se dépêcha d’aller mettre le couvert et à l’heure pile, le dîner était servi. De Ranti s’installa et mangea sans adresser la parole ni un regard à sa servante qui remplissait son verre dès qu’il était vide.
- Ton arrivée tardive t’excuse de l’absence de dessert mais que cela ne se reproduise plus, annonça de Ranti à la fin du repas.
- Bien, monsieur. Merci de votre bienveillance.
- Donne ta main.
Elle la lui tendit. Il la prit puis annonça :
- On va la faire comme Dan, histoire qu’il subsiste un peu de lui malgré tout. C’est le moins que tu lui doives après l’avoir assassiné, qu’en penses-tu ?
Isabelle trembla. En quoi de Ranti souhaitait-il imiter le guide mort ? Isabelle sentit une chaleur envahir son corps, sensation qu’elle reconnut pour l’avoir souvent subie dans les prisons impériales sans pouvoir l’identifier.
- Je viens de te nourrir par magie. Ça n’empêchera pas ton estomac de crier famine. Ainsi, je te maintiens en vie en état perpétuel de faim. Ne mange rien, Isabelle, ou tu le regretteras. Tu as uniquement la permission de boire de l’eau.
- Bien, monsieur, répondit Isabelle.
- Tu vas cuisiner les meilleurs plats au monde et me regarder les déguster sans jamais y toucher. C’est bien clair ?
- Oui, monsieur, dit Isabelle en tremblant.
Il lâcha sa main.
- Débarrasse, nettoie puis range.
- Oui, monsieur.
Il sortit de la pièce et Isabelle laissa ses larmes ravager son visage. Elle effectua les tâches demandées. Une fois la salle à manger et la cuisine impeccables, Isabelle se demanda quoi faire. Elle se promena dans la maison, tomba par hasard sur un peu de poussière qu’elle retira, une vitre sale qu’elle nettoya.
- Rejoins-moi dans la chambre, ordonna de Ranti.
La voix du maître des lieux venait de résonner dans la tête de son nouveau jouet. Isabelle détesta cela. Lisait-il ses pensées ? Il aurait pu. Elle ne pouvait pas l’en empêcher.
Elle entra dans la chambre parentale pour découvrir un endroit très sobre, uniquement composé d’un grand lit double et d’une petite commode. Le dressing se trouvait sûrement derrière l’une des deux portes, la salle de bain derrière l’autre.
De Ranti l’enlaça de nouveau par derrière. Il respira ses cheveux tout en lui caressant les hanches. Isabelle prenait énormément sur elle pour ne pas le repousser.
- Je sais que Charlotte t’a raconté son premier viol. La question est : vas-tu être aussi stupide qu’elle et te refuser à moi ?
Isabelle ne fut pas en mesure de répondre à ça. Elle ne voulait pas. Elle n’en était pas capable. Les tortures du guide Bern la hantaient toujours. Elle ne pourrait pas se laisser faire.
- Veux-tu vraiment que je t’offre à mes confrères ?
La menace eut l’effet escompté. Isabelle secoua la tête en gémissant de terreur.
- Tu as eu un petit aperçu de leurs capacités avec Dan mais je peux t’assurer que mes collègues féminines sont bien pires. Leur cruauté est sans commune mesure. Quand elles plantent leurs ongles dans le vagin ou le cul de leur proie et lacèrent les muqueuses sensibles, les hurlements de la victime sont magnifiques.
Isabelle ne voulait en aucun cas connaître ça. Elle allait devoir se résigner à laisser de Ranti l’utiliser à sa guise.
- Tu vas être sage, murmura-t-il à son oreille.
Isabelle baissa les yeux et ses épaules se détendirent. Elle venait de rendre les armes. Elle lui appartiendrait. Rien ne pourrait se mettre entre de Ranti et elle. Sa main droite posée sur sa hanche gauche remonta vers la poitrine. Il allait atteindre le sein lorsqu’une voix l’interrompit :
- Papa ?
- Charles-Hubert ! lança monsieur de Ranti en retirant sa main.
Isabelle ne put s’empêcher de trembler de plus belle. Hubert était là. Était-ce une bonne ou une mauvaise nouvelle ?
- Au cas où tu ne le remarquerais pas, je suis occupé, mon fils, gronda gentiment de Ranti.
- Je le vois bien, papa, mais… euh…
- Qu’y a-t-il, Charles-Hubert ? demanda de Ranti en s’éloignant d’Isabelle pour se tourner vers son fils.
La jeune femme resta dans la même position, immobile, tournant le dos aux deux hommes.
- Je ne cherche en aucun cas à te manquer de respect, précisa Hubert.
Isabelle sentit une certaine tension naître derrière elle.
- Je suis venu te réclamer une faveur, continua Hubert.
- Une faveur ?
- Je suis conscient que ça ne marche pas comme ça, indiqua Hubert. Je n’ai aucun droit de demander cela mais… Je la désire tellement !
Isabelle sentit deux regards conquérants sur elle. La jeune femme en gémit de terreur.
- Depuis le lycée, je n’ai qu’une envie : la posséder. Je veux la toucher, la caresser, la baiser, sentir mon sexe coulisser en elle, posséder son ventre chaud, malaxer ses seins rebondis, la savoir en mon pouvoir. Alors bien sûr, je sais que Dan est déjà passé avant moi mais je ne sais pas, ça me ferait bizarre que mon père et moi… enfin… Pardonne-moi, c’est idiot.
- Pas du tout, s’exclama de Ranti. Je comprends, mon fils. C’est toi qui a raison. J’ai déjà Charlotte. Isabelle a toujours été pour toi. Bien sûr, Charles-Hubert. Je te la donne volontiers. Profite et invite-moi souvent chez toi pour profiter de sa cuisine.
- Avec plaisir, papa, lança Hubert.
Isabelle naviguait entre ahurissement et incertitude. Hubert l’avait-il dénoncée à son père uniquement dans le but d’avoir ce qu’il désirait tant ? Montait-il un char monumental à son père ?
- Je te confie son collier de souffrance, indiqua de Ranti.
- Je peux le faire moi-même, répliqua Hubert.
- Le mien est de meilleure qualité. Elle est résistante à la souffrance. Prends donc le mien.
- D’accord. Merci, papa.
Il y eut un petit silence puis la voix sifflante, froide, cinglante d’Hubert résonna.
- Isabelle ! Aux pieds !
La jeune femme en frémit de partout. Déjà elle n’aimait pas quand il usait de ce ton sur Amel mais sur elle, cela lui brisa le cœur. Elle se retourna et rejoignit son amoureux la tête basse. Hubert la fit se retourner et la prit dans ses bras. Il tapota ses hanches, visiblement surpris.
- Papa ?
- Oui ? dit de Ranti en levant des yeux brillants de fierté sur son fils.
- Où est la ceinture d’Isabelle ?
- Dans mon bureau, répondit de Ranti avant de tiquer. Comment sais-tu qu’elle avait une ceinture en arrivant ?
Isabelle sentit le vent tourner. Dans un instant, la pièce deviendrait incendie.
- Tiens-le à l’œil, entendit-elle Hubert murmurer à son oreille.
En toute confiance, Isabelle activa ses pouvoirs et ouvrit grands ses yeux, prête à contrer tout sort lancé par de Ranti. Aucune douleur ne la parcourut. Hubert venait de la libérer de son collier de souffrance.
- Je vais dans le bureau chercher ta ceinture et je reviens.
- Je te remercie, Hubert, dit Isabelle sans lâcher de Ranti des yeux.
Le guide de la lumière ne tenta rien. Ses yeux crachaient du feu mais il ne bronchait pas, ni de la magie ni d’un geste.
- Tu as réussi à le séduire, cracha de Ranti tandis qu’Hubert avait disparu dans le couloir. Espèce de salope ! Tu sais bien utiliser tes charmes. Je vais le reprendre. Je saurai lui faire voir la pute que tu es et il me reviendra.
Isabelle ne répondit rien. Ses quolibets ne la touchaient pas, simples tentatives de défense de la part d’un homme à terre.
- Sale connasse, continua-t-il. Mon jouet et maintenant mon fils ? Tu vas souffrir, crois-moi. Tu vas le regretter, tellement !
Hubert apparut dans la chambre. Il passa la ceinture autour des hanches de sa compagne.
- Merci, Hubert, dit Isabelle.
- De rien. Ça a été en mon absence ?
- Oui, il n’essaye même pas. Il a trop peur pour ça. Je suppose qu’il ne veut pas finir comme le guide Bern.
- Le guide Bern ? Comment ça ?
- Elle ne te l’a pas dit ? s’exclama de Ranti, trop heureux d’explorer cette faille. Elle l’a tué, froidement.
- Froidement ? répéta Hubert. Je t’aurais cru plus cruelle que ça. Tu m’épates, Isabelle.
De Ranti s’en étouffa à moitié.
- Personne ne mérite de souffrir, expliqua Isabelle. Je ne suis pas sadique. Il a cherché à me faire du mal et je me suis défendue, voilà tout. J’aurais préféré qu’il s’abstienne. Je ne veux pas la guerre.
- Tu as tué l’un d’entre nous. Tu m’as volé mon fils et mon jouet et tu espères la paix ? railla de Ranti. Tu rêves ! Nous allons vous anéantir.
Hubert tendit la main à Isabelle qui la saisit. L’instant d’après, ils étaient dans le jardin de la maison sur la colline.
La maison sur la colline – Mercredi 18 novembre 2009
- Merci de me renouveler ta confiance, dit Hubert. Bien sûr, cela se produit un jour sur deux, mais à chaque fois, tu me laisses te téléporter. Je pourrais t’amener n’importe où. Cette confiance m’honore, surtout après ce qui vient de se passer.
- Tu es un excellent menteur mais je ne suis pas dupe, répliqua Isabelle. Tu as utilisé la fameuse technique du « un mensonge passe mieux s’il contient une bonne part de vérité ».
- Je t’aime, Isabelle.
Il le lui disait pour la première fois. Isabelle, de son côté, n’était pas prête à répondre. Elle venait de vivre des événements trop graves pour savoir où elle se trouvait.
- Nous en reparlerons, Hubert, promit la jeune femme.
- Isabelle ! s’exclama James avant de hurler « Wow ! » en constatant la présence d’un guide de la lumière cercle 6 aux côtés de sa fille.
James se mit en position pour attaquer, défendant les ressources.
- Non ! contra Isabelle.
Elle se tourna vers Hubert et l’embrassa, avant de regarder de nouveau son père. James secoua la tête en fronçant les sourcils.
- Seigneur Moriat, salua Hubert. C’est un honneur de vous rencontrer. Isabelle m’a tellement parlé de vous.
- L’inverse n’est malheureusement pas vrai, cingla James.
- C’est lui ton informateur ? intervint Billy qui venait de sortir de la maison par une porte-fenêtre.
- Oui, répondit Isabelle. Je vous présente…
- Hubert ? s’exclama Yassima qui suivait James de près.
- C’est Hubert… de Ranti ? comprit James. Oh putain de merde…
- C’est lui qui m’a demandé d’aller sauver Yassima, précisa Isabelle. Lui qui m’a dit qu’elle n’était que le jouet de son père. Lui qui m’a fourni les codes d’accès pour pénétrer la demeure familiale sans faire hurler toutes les alarmes. Lui encore qui vient de me tirer des griffes de son père.
- Tu n’avais pas disparu de ton plein gré, s’étrangla Billy.
- Non, je vous préviens quand je m’en vais, il me semble, rétorqua Isabelle qui comprit que personne ne la cherchait.
- Yassima ? répéta Hubert.
- C’est son nom de naissance. Ton père l’a renommée quand il l’a raflée, expliqua Isabelle.
La mâchoire d’Hubert se mit à trembler. Était-ce de rage ou de tristesse ? Probablement un peu des deux.
- Hubert, que va faire ton père ? demanda Isabelle.
Hubert lui envoya un regard perdu.
- Tu le connais mieux que personne. Comment va-t-il réagir ? insista Isabelle.
- Il va aller chercher de l’aide, du soutien auprès de la confrérie et la recevra, indiqua Hubert. Ils vont venir l’aider à récupérer son bien et à venger la mort de Dan.
- Il faut fuir… maintenant ! s’exclama James.
- Fuir pour où ? Tu as couru pendant des années sans que cela ne serve à rien ! répliqua Isabelle.
- Parce que tu crois être en mesure de vaincre… nous parlons de quoi, guide ? Dix ? Vingt adversaires ? demanda James en levant les yeux sur Hubert.
- Il ne va pas puiser en dessous de cercle 6 et pas des commémorés non plus. Il y a aussi ceux qui sont en mission et ne pourront pas revenir immédiatement. Je tablerais sur une quarantaine de mages blancs.
Isabelle gémit de frayeur. Ils n’étaient que cinq, dont Yassima qui ne savait même pas utiliser la magie.
- Va chercher Amel, ordonna Isabelle. Maintenant qu’il a compris ta trahison, elle est en danger là-bas. Il peut aller la chercher à tout moment. Ne la laisse pas seule. Ramène-la !
Hubert hocha la tête et il disparut.
- Qui est Amel ? demanda James.
- Nous devons nous protéger, lança Isabelle qui réfléchissait à toute vitesse. J’ai besoin de temps pour réfléchir.
- Ils peuvent nous tomber dessus à tout moment ! s’exclama James.
- Il y a des pyracanthas dans le jardin. Cassez des branches et faites-en un cercle autour de nous, le cercle le plus parfait possible.
- Tu nous proposes de jardiner ? s’étrangla James.
- Je vais faire de la sorcellerie, précisa Isabelle tandis que Billy souriait.
- Je ne t’aiderai pas, rappela-t-il.
- Rassure-toi. Je ne te demande rien.
Isabelle contacta ses pouvoirs pour casser des branches et commencer le cercle.
- Acceptes-tu d’amener un sécateur et une paire de gant à Yassima ? demanda Isabelle à Billy.
- Ça, je veux bien, répondit le maître des morts.
- Ramène Cristal dans le même temps.
- Bien sûr, répondit Billy.
Cristal, assise au milieu du cercle, observa les adultes transporter des branches. Lorsqu’elle essaya de s’en approcher, Isabelle la rabroua.
- Ça pique très fort, expliqua Isabelle.
La petite fille recula. Elle était d’un naturel plutôt peureux et n’avançait qu’avec une immense prudence. Cela la rendait très facile à vivre. Elle ne tentait jamais de choses dangereuses.
Hubert et Amel apparurent. Isabelle enlaça Amel.
- J’ai eu tellement peur pour toi ! s’exclama Isabelle.
- Tout va bien. Je ne comprends pas. Que se passe-t-il ?
- J’ai tué le guide Bern, l’informa Isabelle. J’ai pris son jouet au père d’Hubert. Il vient d’apprendre la trahison de son fils.
- Oh merde ! gronda Amel.
- Tu me soutiens ?
- Bien sûr ! répondit l’adolescente.
- Qui est-ce ? demanda James.
- Amel, je te présente le seigneur James Moriat, mon père. Papa, voici Amel Jarouady, le jouet d’Hubert.
- Le ? s’étrangla James. Tu te fous de moi ?
- Non, répondit Isabelle. Il l’a choisie pour lui éviter de se retrouver entre d’autres mains. Elle apprend la magie avec Hubert et moi. Méfie-toi : elle est plus douée que toi.
James gronda. Il n’appréciait pas le sous-entendu.
- Qu’est-ce que vous faites ? demanda Amel.
- Je monte un cercle de protection, expliqua Isabelle. Le pyracanthas est une plante piquante venimeuse. Une blessure est très douloureuse, ce qui en fait un support idéal pour un bouclier agressif.
- Un bouclier agressif, qu’est-ce que c’est ? demanda Amel qui participait à la création du cercle tout en parlant.
Hubert aidait également, si bien que la construction avançait maintenant très vite. Yassima avait même arrêté de couper des branches, comprenant que sa participation était devenue ridicule.
- Je vais ensorceler les branches. Elles seront un support stable qui contiendra aisément les cristaux. Le pyracanthas aime protéger. C’est sa raison de vivre. Une fois le bouclier monté, nul ne pourra tenter de le franchir, ni physiquement, ni magiquement, sans en souffrir.
- C’est trop bien !
- Pourquoi ne pas l’avoir fait avant si c’est si bien ? demanda James.
- Parce que c’est une sorcellerie complexe qui nécessite beaucoup de cristaux différents. Je vais puiser dans les réserves car l’air contiendrait à peine de quoi tenir trois assauts. Or, ils seront une quarantaine et même si je doute qu’ils essayent tous, je veux qu’il tienne assez pour leur foutre la trouille.
- Comment ça ?
- Les premiers qui tenteront de franchir la limite souffriront atrocement, rappela Isabelle qui ajustait les dernières branches. J’espère que cela dissuadera les suivants. C’est censé être un super secret de sorcier que les objets magiques ont un nombre d’utilisations limitées.
Billy acquiesça.
- En théorie, ils penseront notre bouclier invulnérable et monteront un siège, ce qui me laissera le temps de réfléchir.
- Cristal et Yassima ont besoin de manger, rappela James.
- Je n’ai pas dit que j’allais réfléchir pendant un mois non plus. J’essaye juste de gagner un peu de temps. La journée a été chargée. Je viens de passer toute la soirée entre les mains de de Ranti. J’ai besoin de souffler un peu. Tu permets ? Mais si tu as une idée brillante pour nous sortir de cette merde, n’hésite surtout pas, papa !
James se crispa. Tout le monde était sur les nerfs.
- Billy ? Souhaites-tu te trouver à l’intérieur ou à l’extérieur du bouclier ? demanda Isabelle.
- Quand la magie va pleuvoir, j’ai un peu peur de n’être qu’un dégât collatéral acceptable. Je vais entrer dans le bouclier.
Billy passa par dessus le cercle. Isabelle s’agenouilla et commença à ensorceler les branchages. Elle puisa d’abord dans l’air ambiant puis fila vers la réserve. Elle comptait bien agir de la sorte tant qu’elle aurait de la réserve ou que les adversaires apparaîtraient.
Elle sentit Hubert l’aider. Il avait saisi le schéma et le reproduisait. James ronchonna. Qu’un mage, d’autant plus blanc et guide de la lumière, se permette de faire de la sorcellerie ne le laissait pas de marbre. Amel rejoignit le groupe, permettant au sort de se monter très vite.
- Tu ne les aides pas ? demanda Yassima qui, bien que ne sachant pas manier la magie, ressentait ce qui se passait autour d’elle.
- Je ne suis pas sorcier, grinça James.
- Eux non plus, répondit Yassima en tiquant.
Billy dévisagea son ami puis les autres mages. Il venait de comprendre que les trois mages unissaient leurs efforts dans la création du bouclier, un acte pourtant habituellement réservé aux sorciers et méprisé par les magiciens.
Isabelle arrêta de manipuler la magie à l’instant où elle sentit une vibration venir de l’extérieur. Elle se releva et fit face aux guides de la lumière accompagnant de Ranti. Elle n’osa pas compter. Elle estima que l’ordre de grandeur d’Hubert était le bon.
Ils attaquèrent. Le bouclier tint bon. Sept guides s’écroulèrent en hurlant et soudain, ce fut le silence total.
- Hubert, sors de là, ordonna de Ranti.
- Non, répondit le jeune homme.
- Je t’assure que tu n’es pas du bon côté de la ligne, insista de Ranti.
- Si tu te poses la question, tu peux sortir sans souffrir, précisa Isabelle. Seule l’entrée est impossible.
- Je ne sortirai pas, assura Hubert. Je suis exactement là où je veux être.
- Je ne cherche pas la guerre, assura Isabelle. Je veux que les mages noirs soient libres de vivre, d’utiliser leur don sans…
- Vous détruisez la magie ! gronda une guide.
- Pas plus que vous, répliqua Isabelle.
- Mensonge ! cria une autre guide.
Isabelle ne savait même pas s’ils savaient que ce n’était pas vrai ou s’ils se contentaient de répéter les propos insérés dans leurs esprits.
- Je ne veux pas leur faire de mal. Ils sont tout autant victimes que nous du système. Je pense qu’ils croient sincèrement ce qu’ils disent, dit Isabelle à ses amis, mais tous les guides l’entendirent également.
- Des victimes sacrément en position dominante, grogna James.
- Ils sont nés de ce côté-là, dit Isabelle. Tu aurais probablement agi comme eux dans leur position. Je refuse de massacrer des innocents.
- Tu as tué Dan, rappela de Ranti.
- Il essayait de me faire du mal. Je me suis défendue ! argua Isabelle. Quoi ? Je devrais tendre la joue gauche après m’être pris une gifle à droite ? Hors de question ! Par contre, je ne frapperai pas la première. Je refuse de vous faire du mal. Je veux vous libérer, vous aussi, de vos croyances erronées, vous ouvrir à la diversité, à la différence, aux autres.
Isabelle vit les cristaux bouger autour de de Ranti. Elle reconnut l’assemblage et ne tenta pas de l’empêcher de lancer son sort. Après tout, il avait le droit de communiquer par la pensée avec qui il voulait. Tout le monde attendit qu’il ait fini sa conversation.
Il revint au présent et annonça :
- Ce bouclier a une durée de vie limitée. Si nous l’attaquons suffisamment, il finira par se briser.
Isabelle blêmit. Elle jeta un œil perdu à Billy.
- Tu es au courant que ça fait mal de l’attaquer ? s’écria une des sept guides à avoir frappé.
- Cette capacité le rend encore moins résistant, indiqua de Ranti, avant de crier, montrant ainsi l’exemple aux autres.
La magie déferla soudain sur le bouclier.
- Billy ? Comment a-t-il pu obtenir cette information ? demanda Isabelle, terrorisée de constater que les ressources du bouclier diminuaient à vue d’œil.
- Seule possibilité : ils communiquent avec les sorciers, dit Billy.
Au milieu des cris, Isabelle et Billy devaient se parler à l’oreille pour s’entendre.
- Ils ne respectent pas la loi de non interférence ?
- Ils ne respectent rien. Ce sont des salopards.
- Comment les sorciers peuvent-ils accepter de travailler avec des magiciens qui les méprisent ? s’étonna Isabelle. Il y a une carte à jouer.
- Laquelle ? demanda Billy, perdu.
- Tu as travaillé pour eux, n’est-ce pas ?
Billy acquiesça.
- Mène-nous à eux, demanda Isabelle. Je veux leur parler.
- Tu es folle ! S’ils travaillent effectivement ensemble, ils te dénonceront.
- Je prends le risque. Amel, anonymise notre ami sorcier. Là où on va, il est recherché. Billy, où dois-je téléporter tout le monde ?
Les sept naufragés sous le bouclier se tinrent par la main et ensemble, ils disparurent, laissant derrière eux des guides de la lumière pleins de rage.
Palais impérial – Mercredi 18 novembre 2009
Charles-André tournait et retournait les événements dans sa tête. Il attendait devant le bureau du roi – Vive le roi. Son monde venait de s’écrouler. Il venait de perdre son fils. Ce simple fait le décontenançait. Il venait de perdre son jouet. Il se sentit plus vide qu’il ne l’aurait cru.
Surtout, quelques unes de ses certitudes venaient de voler en éclat. Isabelle avait réussi à tuer Dan puis à les contrer pendant assez longtemps pour s’enfuir. D’autres questions restaient sans réponse. Comment le roi – Vive le roi – avait-il pu savoir que le bouclier finirait par tomber à force d’être bombardé ? D’où tenait-il cette information ?
Isabelle racontait des choses inhabituelles. Les mages détruiraient tous la magie, sans regard pour leur manière de l’utiliser ? Charles-André ne pouvait se résoudre à y croire.
La porte s’ouvrit toute seule. Charles-André pénétra dans le cœur du palais, l’endroit d’où toutes les décisions émanaient. Charles-André s’inclina – pas beaucoup.
- De Ranti, lança Sa Majesté. Où est la meurtrière ?
- Elle nous a échappé, Majesté, répondit Charles-André.
- Vous n’avez pas réussi à détruire le bouclier ?
- Si mais trop tard. Ils ont eu le temps de se téléporter. Nos meilleurs mages tentent de suivre leurs traces, pour l’instant sans succès.
- Auriez-vous quoi que ce soit qui appartienne à cette raclure ? Un objet ? Une mèche de cheveu ?
- Il y en a probablement dans la maison où elle vivait avec le seigneur Moriat.
- Ramenez-m’en. Je vais vous la trouver, indiqua Sa Majesté.
Charles-André tiqua. Retrouver quelqu’un en utilisant un objet personnel ? Voilà qui ressemblait fortement à de la sorcellerie !
- Autre chose, de Ranti ? demanda Sa Majesté en constatant que le guide ne sortait pas réaliser sa demande.
- Puis-je vous poser une question, Majesté ?
- Je vous en prie, faites, accepta le roi – Vive le roi – mais il était clair que cela le contrariait.
- Qu’est-ce que c’est ? demanda Charles-André en faisant apparaître dans l’air un cercle ouvert à son sommet avec à l’intérieur, un arbre dont les branches se développaient au-delà de la limite circulaire.
Le roi – Vive le roi – observa le symbole puis fronça les sourcils. Il fixa de Ranti qui ne lâcha rien.
- C’est le symbole de Diophène, annonça Sa Majesté.
- Diophène ? répéta de Ranti.
- Un grec antique complètement cinglé. Il était le gourou d’une secte de fanatiques qui massacraient des mages. Ils ont été exterminés.
- Pourquoi massacraient-ils des mages ?
- Parce que selon ce taré de Diophène, la magie existerait en quantité limitée. Ce détraqué en a conclu que moins il y aurait de magiciens et plus il y aurait de la magie pour lui.
Charles-André trouva le raisonnement logique si on acceptait l’idée de base que la magie existait en quantité limitée. Cependant, Charles-André ne comprenait pas bien. Alexandre Benet avait été tué parce qu’il posait des questions par rapport à ce symbole. Juste avant de se mettre à remuer la merde, il avait caché Isabelle dans une école de sorcellerie. Pourquoi ?
Charles-André attendit mais le roi – Vive le roi – ne dit pas un mot de plus. Naturellement, le guide de la lumière aurait pu demander « Pourquoi avez-vous fait rechercher la personne liée à ce symbole ? » mais cela aurait été impoli et très irrespectueux. Les décisions du roi – Vive le roi – ne souffraient d’aucune remise en question.
- Je vous remercie, Majesté.
- Je vous en prie, de Ranti. Vous pouvez disposer.
Charles-André sortit. Il ne comprenait pas. Il manquait quelque chose pour tout relier. Les pièces du puzzle ne s’assemblaient pas. Tout en s’éloignant, il se prit la tête entre les mains, se massant les tempes. Que se passait-il ? Pourquoi le monde lui échappait-il ? Où se trouvait Isabelle ?
« Le roi – Vive le roi – souhaite un objet personnel appartenant à Isabelle Cheriez – brosse à dent, à cheveux, n’importe quoi. Fouillez la maison et rapportez-lui ce qu’il demande » transmit Charles-André à tous les confrères qui l’avaient accompagné dans l’attaque.
« Sa Majesté pose des questions sur toi et sur ton fils », reçut-il par sms de sa meilleure amie Gretta. « Sa trahison le trouble. Il t’accuse plus ou moins de l’avoir encouragé, voire d’avoir initié sa fourberie. Nous te soutenons mais il remet en cause ta loyauté. Les langues se délient. Ton refus de prendre des jouets pour te contenter de ta première est en train de se retourner contre toi. Certains y voient une faiblesse. Tu devrais partir, Charles-André, ça sent le roussi pour toi. Une commémoration te pend au nez. »
Charles-André se figea. Il respira difficilement. Quoi ? Comment cela était-il possible ? Il n’avait rien fait de mal. Sauf qu’il le savait, tenter de se défendre ne servirait à rien. Une fois la commémoration enclenchée, le coupable n’était plus écouté. S’il cherchait trop à se défendre, on le bâillonnait, n’acceptant comme son sortant de sa gorge que ses hurlements.
Charles-André serra les poings de rage. On ne pouvait pas lui faire ça, pas à lui ! Il était le plus gros rafleur, celui qui servait le mieux le royaume. Il obéissait aux ordres, se sacrifiant si besoin pour la communauté.
« Charles-André ! Va-t-en ! Nous venons pour toi ! » insista Gretta par sms.
Charles-André se téléporta en pleine forêt amazonienne. Il n’avait pas la moindre idée de quoi faire. Les alarmes de sa maison résonnèrent. On venait d’entrer chez lui par effraction. Ils le cherchaient. Sa Majesté avait réclamé des objets personnels d’Isabelle pour la retrouver. Sa demeure était remplie d’objets lui appartenant. Charles-André en eut la nausée. Que faire ? Vers qui se tourner ?
Il sortit son téléphone portable et composa le numéro qu’il connaissait par cœur.
- Quoi ? gronda son fils au téléphone.
- Je voudrais te parler, seul à seul, dit Charles-André. S’il te plaît. Ce n’est pas un piège. J’ai vraiment besoin d’échanger avec toi.
Il y eut un petit silence puis Charles-Hubert annonça :
- Là où les lucioles dansent.
Le communication coupa. Charles-André fut pris d’une immense nostalgie à la mention de ce moment entre son fils et lui, alors âgé de neuf ans. Ils faisaient un pique-nique, juste tous les deux. À la tombée de la nuit, les insectes s’étaient éveillés, offrant un ballet fantastique au couple père/fils.
Il s’y téléporta. Charles-Hubert s’y trouvait déjà.
- Qu’est-ce que tu veux ?
- Pourquoi est-ce que tu suis Isabelle ?
- Parce que je l’aime, répondit Charles-Hubert.
Charles-André sourit. Au moins son fils était-il conscient d’être dépendant de ses sentiments.
- C’est tout ? Tu as trahi ta confrérie, tu m’as trahi moi pour un coup de foudre ?
- Isabelle est folle mais je veux croire en elle, indiqua Charles-Hubert. Elle dit des choses insensées mais me donne chaque jour la preuve de ce qu’elle avance. C’est en m’entraînant avec elle que j’ai pu passer aussi vite mes cercles 5 et 6.
Charles-André plissa des yeux. La trahison datait tant que ça ? Un goût amer passa dans sa bouche. Il ravala sa déception.
- Que dit-elle qui n’a pas de sens ? demanda-t-il.
- Qu’elle voit la magie, avec ses yeux. Des cristaux, qui flottent dans l’air. Sauf que quand elle m’en désigne un avec sa main, je le ressens avec mes pouvoirs.
- Elle voit la magie, répéta Charles-André qui commençait à assembler certaines pièces. Est-il possible de conclure de ses observations que la magie existerait en quantité limitée ?
Charles-Hubert se figea un instant, clignant rapidement des yeux. Il secoua la tête puis admit :
- Je ne me suis jamais posé cette question mais je suppose que oui. Elle dit ne voir que très peu de cristaux colorés. C’est d’ailleurs comme ça qu’elle nous empêche de lancer des sorts. Elle récupère les cristaux nécessaires à lancer un sort et les met de côté – je n’ai pas très bien compris comment. Ce qui est certain, c’est qu’elle ne les détruit pas car il suffit qu’elle les relâche pour qu’on puisse terminer notre sort. Je le sais. Cela s’est souvent produit lors de nos entraînements quand Isabelle, fatiguée, a libéré son trésor.
- Si la magie existe en quantité limitée, pourquoi n’a-t-elle pas déjà complètement disparu ? Elle s’auto-génère ?
- Isabelle pense que non, que des gens créent la magie, lui apprit Charles-Hubert.
- Qui ça ? interrogea Charles-André.
- Je ne te le dirai pas car Isabelle est actuellement auprès d’eux. Elle ne m’a pas dit ce qu’elle comptait faire mais je pense avoir compris. Elle va s’excuser, implorer leur pardon et leur proposer une alliance.
Charles-André frémit. Il n’aimait pas ça du tout.
- Je crois qu’elle va réussir, précisa Charles-Hubert. Je choisis d’être du côté des gagnants et si dans l’histoire, j’arrive à m’allier avec un créateur de magie, je ne me plaindrai pas.
Charles-André sourit. Son fils n’était pas complètement aveuglé par l’amour. Son instinct lui avait fait pressentir le chemin à venir et il avait choisi de l’emprunter, réalisant un pari fou mais après tout, qui avait raison ? Charles-André n’était plus très sûr de rien.
- Le beurre, l’argent du beurre et le cul de la beurrière, sourit Charles-André, soudain très fier de son petit.
- Pour ce dernier point, c’est mal barré. Isabelle n’a pas du tout apprécié mon petit discours chez toi.
- Tu mentais pour obtenir que je la relâche. Elle ne peut pas t’en tenir rigueur.
- Sauf que pas un mot n’était faux, précisa Charles-Hubert en souriant à demi.
- Elle te punit pour tes envies ? Nos pensées ne devraient pas être jugées, uniquement nos actes. Lui as-tu jamais fait de mal ?
- Non, papa, jamais, répondit-il.
- Elle a tué quelqu’un et se permet de critiquer tes désirs ?
- Elle a été torturée par Dan pendant plus d’un an. C’est passé à un cheveu que tu la violes. Je lui concède le droit d’être tourmentée.
- C’est tout à ton honneur, mon fils. Essaye de ne pas t’oublier en chemin.
Charles-Hubert hocha gravement la tête.
- Tu retournes auprès des tiens ? supposa Charles-Hubert.
- Ce n’est pas une option dont je dispose, annonça Charles-André.
- Ma trahison t’a rendu suspicieux ?
- Non, dit Charles-André, ce n’est qu’un prétexte. J’ai juste posé la mauvaise question.
- À qui ?
- Au roi.
Les deux hommes se regardèrent et ricanèrent. Aucun des deux n’avait dit « Vive le roi ». Cela leur vaudrait la mort dans un tribunal.
- Je ne sais même pas en quoi ma question était subversive, maugréa Charles-André.
- Il n’a pas répondu, je suppose.
- Si, il m’a répondu.
Charles-Hubert ne cacha pas sa surprise.
- Isabelle t’a-t-elle déjà parlé de Diophène ? interrogea Charles-André.
- Diophène ? répéta Charles-Hubert. Non. C’est quoi ?
- Laisse tomber. Rien n’a de sens. Charles-Hubert, j’aimerais beaucoup parler avec Isabelle.
Charles-Hubert ricana.
- Même pas en rêve ! Elle refusera.
- S’il te plaît, dis-lui que je souhaite lui parler, juste échanger. J’ai très envie d’entendre ce qu’elle a à dire.
- Qu’elle te hait ? proposa Charles-Hubert.
- Transmets-lui ma volonté. C’est tout ce que je te demande.
- Où vas-tu aller ?
- Benet a caché Isabelle dans une école de sorcellerie. Je vais m’en choisir une et m’y terrer, en espérant qu’ils ne viendront pas m’y débusquer.
- Bon courage, papa, dit Charles-Hubert avant de disparaître.