Chapitre 12 - Alliance

Hall du caveau ancestral – Mercredi 18 novembre 2009

 

Hubert retrouva ses compagnons d’infortune. Il constata l’absence du père d’Isabelle. Il ne demanda rien. Après tout, s’il pouvait se téléporter sans prévenir personne ni indiquer sa destination, le seigneur Moriat pouvait faire de même.

Billy – qui ressemblait à un antillais - lui lança un regard noir. Il n’appréciait visiblement pas qu’il se fut éloigné. Le sorcier ne lui faisait pas confiance. Hubert le comprenait. Lui non plus ne faisait pas confiance au sorcier. Après tout, ils ne se connaissaient pas. La prudence était de rigueur.

Amel et Charlotte – non Yassima - discutaient en arabe, langue qu’Hubert ignorait que sa mère sut parler. Il avait l’impression de ne pas la connaître. D’ailleurs, il ne la connaissait pas. C’était une étrangère pour lui. Il avait vécu avec la poupée de Charles-André, modelée selon ses critères. Yassima n’avait jamais eu le droit d’être elle-même.

Hubert comprit qu’en libérant Yassima, il avait tué sa mère. Charlotte avait cessé d’être, simple fantôme sans corps, sans âme, sans réalité. Hubert s’adossa contre le mur, se sentant très vide. Son seul parent était son père qu’il vénérait et adorait, mais qu’il avait trahi. Il venait de l’appeler à l’aide et il l’avait repoussé. Charles-André était seul, rejeté des siens et de son fils. Hubert en eut la nausée.

James apparut dans le hall, à pied. Il tendit un sac en tissu à Yassima. La mage noire fronça les sourcils, visiblement surprise. Elle se figea en découvrant son contenu. Hubert constata qu’elle avait les larmes aux yeux.

- Je ne me suis pas trompé de modèle ? Je n’y connais rien mais j’ai bien précisé « algérien » au vendeur. C’est le bon ?

- Oui, dit Yassima dont la voix tremblait d’émotion.

Elle sortit le cadeau qui révéla un vêtement. Et pourquoi pas des fleurs ou des bijoux ? Hubert grogna. Que le seigneur Moriat drague sa mère le hérissait. Yassima déplia l’habit. Hubert ne fut pas en mesure de reconnaître le vêtement. Ce n’était pas une robe, ni un chemisier. Yassima le passa par la tête et alors seulement, Hubert comprit ce dont il s’agissait.

- Tu es bien musulmane, n’est-ce pas ? demanda James qui, visiblement, marchait sur des œufs.

Voir sa mère voilée choqua profondément Hubert.

- Oui, répondit Yassima.

Quelques larmes coulaient sur son visage. Elle venait de retrouver sa liberté de culte. Ce voile, qu’on lui avait arraché de force, elle le caressa avec bonheur. Hubert se sentit mal. Son père avait privé cette femme de sa liberté de mouvement, de parole, de religion, de politique, de sexe, de pensée, de vie en fait.

Il s’en trouva dégoûté avant de se rendre compte qu’il n’avait guère fait mieux. Il ignorait également qu’Amel parlait l’arabe. Était-elle musulmane, elle aussi ? Peut-être, il n’en savait rien. Il n’avait même pas pris la peine de demander. Se voulant le sauveur, il s’était mis sur un piédestal et Amel la victime sauvée n’avait qu’à remercier et fermer sa gueule. Sa gorge se serra.

 

Hall du caveau ancestral – Jeudi 19 novembre 2009

 

Isabelle faisait la queue avec des sorciers devant la porte du secrétariat. Elle tremblait légèrement. Ses amis attendaient plus loin, sur les fauteuils. Cristal jouait avec Billy déguisé en martiniquais. Personne n’avait tiqué. Amel tenait bien son sortilège. Les magiciens ne venaient jamais ici si bien que nul ne s’attendait à un tel stratagème, permettant au maître des morts de se trouver au centre même du pouvoir sorcier sans rien craindre.

La file avança d’un cran. Certains venaient déposer un dossier, d’autres proposer une idée ou énoncer une prophétie réalisée dans leur garage. Isabelle attendit tranquillement malgré sa fatigue. Il faisait plein jour alors que chez elle, il était presque minuit, décalage horaire oblige en cette partie du monde éloignée du sien.

La journée avait été longue. Isabelle puisa un peu dans la magie pour se redonner des forces, en choisissant ses cristaux avec attention. Hors de question d’épuiser l’objet magique de son voisin. Elle se sentit tout de suite physiquement mieux.

Son esprit, lui, volait, navigant entre la torture de Dan, le meurtre du bourreau et sa soirée passée avec de Ranti. Elle entendit une fois de plus le discours d’Hubert. « Je n’ai qu’une envie : la posséder ». Il ne mentait pas, elle en était certaine. Cela lui brisait le cœur. Elle se sentait trahie. Il venait de lui planter un couteau dans le dos. Elle grimaça tandis que la file avança encore.

Plus que trois et ça serait son tour. Elle se força à éliminer les pensées parasites mais n’y parvint pas. Trop d’émotions, trop d’évènements. Elle ne rêvait que de calme, de tranquillité, d’une bonne nuit de sommeil, d’un lit chaud et douillet.

L’arbre dans le cercle apparut devant ses yeux, la calmant. Elle se retrouva devant la porte sans avoir vu passer les trois personnes avant elle. Elle soupira et respira profondément. Ce fut son tour.

Elle referma la porte derrière elle et lut le nom inscrit sur le bureau. Elle leva ensuite les yeux sur son interlocuteur. Billy l’avait prévenu : cet homme n’était pas un simple secrétaire. Il s’agissait d’un des membres du cercle. Tous les ans, chacun prenait ce rôle. En échange, sa voix comptait double et il présidait les réunions du cercle. Au bout de six ans, un autre sextuor serait tiré au sort parmi les sorciers de plus de vingt ans et le cycle reprendrait.

Le peuple sorcier ignorait que le secrétaire fut l’un des six tirés au sort, dont l’identité était tenue secrète. Billy ayant travaillé dans les hautes sphères du gouvernement le savait, permettant à Isabelle d’obtenir cette information importante.

- Bonjour, monsieur Pal, salua-t-elle. Je m’appelle Isabelle Cheriez.

- Bonjour, madame Cheriez, répondit le sorcier en la déshabillant rapidement des yeux.

Son regard s’attarda un instant sur le jeu de tarot à sa ceinture avant de revenir à son visage.

- Que puis-je pour vous ? demanda-t-il.

- J’aimerais obtenir audience auprès du cercle, tout entier de préférence, pas seulement vous.

Le sorcier cligna plusieurs fois des yeux, ne nia ni ne réfuta.

- Pour quelle raison ?

- J’ai une proposition à leur faire et comme je n’ai pas envie de me répéter, je ne la dirai pas ici.

- On ne rencontre pas ainsi les membres du cercle.

- Si, répliqua Isabelle. La preuve, j’en ai déjà un devant moi. Comme quoi ça n’est pas si compliqué.

L’homme sourit.

- Vous semblez bien informée, mademoiselle.

- Je me débrouille, répondit-elle en tapotant son paquet de cartes.

Le sorcier plissa des yeux. Isabelle sous-entendait qu’elle avait obtenu cette information en tirant les cartes. C’était un mensonge mais elle espérait que cet argument porterait. Le sorcier sortit son téléphone et envoya un sms. Quelques instants plus tard, un homme entrait dans la pièce par une porte latérale.

- Monsieur Pal ? Que puis-je pour vous ?

- Cette jeune femme annonce être une pythie. Je ne me souviens pas l’avoir jamais vue. Vérifiez ses compétences, voulez-vous ?

- Bien sûr, monsieur Pal, répondit le sorcier. Mademoiselle ? Si vous voulez bien ?

Isabelle dégaina son jeu de tarot et s’assit en face du nouveau venu.

- Que voulez-vous savoir ? demanda Isabelle.

- Vais-je trouver la question ?

- Pardon ?

- Je veux savoir si je vais trouver la question, indiqua son interlocuteur.

- La question ? Quelle question ?

- Avez-vous besoin de le savoir pour me répondre ?

- Non, non, assura Isabelle. C’est juste surprenant mais non. Vous cherchez une question, répéta la mage noire. Euh… D’accord. Pourrais-je avoir un autre jeu de tarot, s’il vous plaît ? lança Isabelle en se tournant vers le faux secrétaire.

- Le vôtre n’est pas bien ? s’étonna monsieur Pal.

- Si, mais il m’en faut deux pour répondre à son besoin.

Les deux sorciers se dévisagèrent, abasourdis. Son interlocuteur se leva et revint rapidement avec un jeu de tarot classique. Isabelle mélangea le premier jeu en se concentrant puis l’étala devant son interlocuteur tout en lui tenant la main. Elle fit de même avec le second paquet, l’étalant à une main en dessous.

- Prenez trois cartes, dit Isabelle en désignant la première ligne de cartes.

Son interlocuteur le fit de sa main droite, la gauche étant toujours dans celle d’Isabelle.

- Prenez trois cartes de l’autre ligne maintenant.

Il obtempéra, clairement circonspect.

- Retournez-les, proposa Isabelle.

Isabelle ne chercha même pas à interpréter ce premier tirage. Il ne l’intéressait pas. Le second non plus, ceci dit. Seule la différence entre les deux serait significative. Il se figea après avoir retourné la dernière carte.

- Ce sont les même ! s’exclama-t-il, abasourdi. Qu’avez-vous demandé à la magie ?

- La première fois, votre avenir si vous trouviez la question. La seconde, si vous ne la trouviez pas. Vous devriez arrêter de chercher la question. Elle est inutile. Votre vie ne changera pas que vous la trouviez ou non.

- Je ne peux pas arrêter de la chercher.

- Vous vous prenez la tête pour rien.

- C’est mon travail de la chercher ! s’exclama son interlocuteur.

- J’en suis navrée pour vous car votre avenir n’en sera en rien troublé. Il sera plutôt bon, d’ailleurs. Une vie simple et calme, tranquille et agréable.

Le sorcier gronda.

- Vous n’avez pas répondu à ma question, accusa-t-il.

- Non, en effet.

- Est-elle compétente ? interrogea le faux secrétaire.

- Oui, assura l’homme assis devant Isabelle. C’est une pythie.

- Accepteriez-vous de me rendre la pareille, monsieur Fansy ? demanda Isabelle.

Eldrem Fansy blêmit. Elle n’aurait pas dû connaître son nom. Il jeta un œil derrière lui avant de se lever, de sortir de la salle et de revenir avec une boule de cristal.

- Que voulez-vous savoir ? demanda le devin.

- Mes amis et moi demandons audience auprès du cercle. Allons-nous l’obtenir ?

- Vous n’êtes pas seule ? s’exclama monsieur Pal.

- Mes amis attendent dehors.

- Combien êtes-vous ? demanda le membre principal du cercle.

- Sept si vous comptez ma fille de bientôt deux ans.

Il hocha la tête et Isabelle redonna son attention au devin. Eldrem Fansy ferma les yeux et se concentra sur son accessoire. Isabelle vit des tourbillons jaillir du devin pour aller puiser des cristaux autour de lui, les collant sur la boule de cristal dans un chaos apparent. Comme elle s’y attendait, ce soi-disant sorcier n’en était pas un. Qu’il fût un mage blanc et non un mage noir la surprit mais elle n’en laissa rien paraître. Elle en fut d’autant plus triste pour lui mais garda cette constatation pour elle, laissant son interlocuteur se concentrer. Les cristaux s’assemblaient. Isabelle n’essaya pas de comprendre. Cela ne servait à rien. Seul le devin accédait à une interprétation.

Eldrem Fansy ouvrit les yeux, fit passer ses doigts sur la sphère en verre, l’effleurant, la caressant, penchant la tête. Les cristaux perdirent leurs couleurs. Les épaules du devin se détendirent, preuve que la vision apparaissait et soudain, il blêmit. Il leva les yeux sur Isabelle, la déshabilla des yeux avant de se reculer un peu.

- Mais vous êtes…

- Une puritaine, d’après nos dossiers, le coupa monsieur Pal. Qui s’assume, en plus. Vous êtes recherchée par la police, madame Cheriez.

- Elle ne peut pas être une puritaine ! s’exclama le devin.

- Je ne le suis pas, en effet, confirma Isabelle. Contrairement à vous.

Eldrem Fansy se crispa.

- On ne vous sort de prison que pour utiliser vos talents, n’est-ce pas ? lança Isabelle. Rassurez-vous, cela va changer. Bientôt, le monde saura, les mensonges disparaîtront et vous pourrez enfin être celui que vous souhaitez tant devenir.

- Je ne comprends pas, admit Fansy.

- Cela viendra, promit Isabelle. Vais-je obtenir audience ?

- Oui, cela est certain, assura Fansy.

- Je vous remercie, monsieur Fansy.

- Vous pouvez disposer, gronda monsieur Pal à l’adresse du devin qui disparu derrière la porte, sa boule de cristal sous le bras. Madame Cheriez, je vais vous demander de me suivre. Vos amis peuvent venir avec vous. Vous allez être placés en résidence surveillée le temps que le conseil soit disponible pour vous recevoir.

- Très bien, répondit Isabelle.

Ce délai lui convenait. Elle avait besoin de dormir. Deux policiers entrèrent et escortèrent Isabelle jusqu’à ses compagnons. Billy blêmit en la voyant ainsi accompagnée. Elle prit Cristal dans ses bras et annonça :

- Ils vont nous recevoir mais pas maintenant. Ces messieurs vont nous emmener dans un endroit sous surveillance.

- Pourquoi ? demanda Hubert, clairement très mécontent.

- Parce que je suis recherchée par la police. C’est parce que je fuyais les autorités que j’ai rencontré James et son meilleur ami, indiqua Isabelle.

- Tu as fait quoi ? interrogea Hubert, d’un ton froid et cinglant.

Son côté flic ressortait. Isabelle n’apprécia pas du tout d’être le méchant sous interrogatoire. Elle lui envoya un regard noir avant de lui tourner le dos pour regarder les policiers avec un grand sourire.

- Nous vous suivons, messieurs.

Les deux policiers avancèrent. Isabelle constata que trois autres apparurent, derrière, à droite et à gauche. Elle n’en eut cure. Elle ne voulait pas la guerre mais la paix. De plus, elle pouvait se téléporter n’importe quand.

 

Balcon de la chambre d’Isabelle – Vendredi 20 novembre 2009

 

Isabelle observait le jardin où plusieurs policiers effectuaient une ronde. Cristal dormait dans son lit à barreaux. La mage noire venait de faire un cauchemar. Elle prenait l’air, avant de se recoucher. Il lui suffirait de convoquer l’image de l’arbre dans le cercle pour dormir. En attendant, elle appréciait de respirer sous les étoiles.

Elle entendit les doux coups sur la porte. Elle l’ouvrit par la magie afin de ne pas avoir à se déplacer. Le visiteur marcha sur la pointe des pieds, ne réveillant pas l’enfant endormi. Il la rejoignit sur le balcon où il lui parla à voix basse.

- Tu ne dors pas ?

- J’ai fait un cauchemar, admit Isabelle. J’ai vécu assez de traumatismes pour remplir mes nuits jusqu’à ma mort.

- Je peux te faire une potion, si tu veux, proposa Billy.

Isabelle ricana.

- Je me la ferai moi-même si ça ne te dérange pas.

Billy grimaça mais ne s’opposa pas.

- Qu’est-ce qu’il a fait ? demanda Billy.

- Qui ça ?

- Arrête ! Tu es en stress complet et vu la situation, c’est normal. Tu aurais bien besoin de te détendre. Hubert t’offrirait cela mais tu le repousses. Pourquoi ?

- Il m’a dit qu’il m’aimait.

Billy resta un instant silencieux.

- Tu n’as pas répondu, c’est ça ? Tu n’es pas certaine des sentiments que tu éprouves pour lui ?

- Je l’aime de tout mon cœur. C’est pour ça que ça fait aussi mal.

- Quoi donc ?

Isabelle serra la mâchoire.

- Laisse sortir, insista Billy. Monte une bulle de silence et déchaîne-toi. Tu as besoin de le dire et je saurai garder le secret.

Isabelle lança le sort permettant aux deux interlocuteurs de parler librement sans risque de réveiller Cristal.

- Ce qu’il a dit devant son père…

- Quand il est venu te libérer ? Que s’est-il passé ?

- De Ranti était sur le point de me violer. Hubert est apparu et il a obtenu de son père qu’il m’offre à lui, comme cadeau.

- Ce n’est pas très agréable d’être considérée comme un objet, je te l’accorde, mais il faisait cela pour leurrer son père. Il ne pouvait pas s’en prendre à lui directement.

- Cercle 6 contre cercle 8, il aurait perdu. De plus, j’étais sous collier de souffrance. Hubert n’aurait pas été en mesure de me le retirer si son père ne lui en avait confié le contrôle.

- Alors où est le problème ? Il t’a sortie de là. Peu importe ce qu’il a dû dire à son père pour y parvenir.

- Sauf qu’il pensait ce qu’il disait.

- Qu’a-t-il dit exactement qui t’a déplu ?

Isabelle secoua négativement la tête. Elle ne pouvait pas le dire.

- Qu’il te désire sexuellement ? proposa Billy. Tu es magnifique, tu le sais ? Hubert t’aime. Bien sûr qu’il te désire et alors ? T’a-t-il jamais forcée ?

- Non, bien au contraire. Il me répète qu’il attendra, l’éternité s’il le faut.

- Alors quoi ? s’énerva Billy.

- Il a dit vouloir me posséder, indiqua Isabelle, et crois-moi, il le pensait !

- Et alors ?

- Je ne suis pas un objet ! s’exclama Isabelle.

- Ça veut juste dire qu’il veut t’épouser, que tu sois sienne, autant qu’il soit tien. Il veut te posséder et être possédé par toi. Il a menti par omission en ne disant que la première moitié de la phrase, voilà tout.

Isabelle se figea. Se pouvait-il que Billy ait raison ? Isabelle n’avait même pas une seule seconde imaginé cette possibilité.

- Il souhaite une relation exclusive, continua Billy. Tu lui en veux pour ça ? Tu préférerais être libre d’aller voir ailleurs ?

- Non ! assura Isabelle.

- Alors quoi ?

- Garde Cristal, dit-elle avant de se téléporter dans la chambre assignée à Hubert.

 

Caveau ancestral – Vendredi 20 novembre 2009

 

- Madame Cheriez, dit monsieur Pal depuis l’un des six sièges disposés en demi-cercle.

L’endroit était vide. Pas de meuble, pas de table, pas de décoration. Juste des fauteuils confortables. D’habitude, ils étaient en cercle, permettant à chacun de s’exprimer librement. Ils avaient été redisposés ainsi afin de dialoguer avec les visiteurs.

- Monsieur Pal, répondit Isabelle.

- Permettez-moi de vous présenter Annie Fildram, Claire Tunningam, Harry Naart, commença-t-il en désignant les personnes à sa droite.

Chacun d’eux inclina légèrement la tête à leur nom.

- Jules Delamare, Karim Wahiri et moi-même, Théodore Pal.

- Je m’appelle Isabelle Cheriez, indiqua la jeune femme, et je suis une mage noire.

L’annonce jeta un froid.

- Voici mon père, le seigneur James Moriat, mage noir. À ses côtés, Yassima bint Yassem, mage noire. Dans mes bras, ma fille, Cristal Cheriez. En tunique de lin, Charles-Hubert de Ranti, mage blanc. L’adolescente en bleu est Amel Jarouady, mage noire. Le dernier de nos compagnons va s’avancer.

Billy fit quelques pas pour se trouver aux côtés d’Isabelle.

- Amel, arrête le sort, tu veux ?

Billy retrouva son apparence. Les sorciers du cercle en eurent le souffle coupé.

- Je crois inutile de le présenter, indiqua Isabelle.

- Messieurs, mesdames, c’est un honneur de me retrouver en votre présence, indiqua Billy.

- Tout ça pour défendre les intérêts des puritains ? gronda Théodore Pal.

- Je suis désolée, Billy, commença Isabelle, mais je n’en ai strictement rien à faire des puritains.

- Je sais, ne t’inquiète pas, la rassura Billy.

- Que fait-il là si le sort des puritains vous indiffère ?

- Leur sort ne m’indiffère pas, précisa Isabelle. C’est juste que si j’arrive à mes fins, ils n’existeront plus. Enfin, si, mais comme tous les autres, ils trouveront enfin leur juste place.

- Leur juste place ? À ramper aux pieds des mages vous voulez dire ? intervint Claire Tunningam.

- Non, madame, répondit Isabelle. Les mages ne sont pas supérieurs aux sorciers.

Un silence suivit cette déclaration.

- Le guide de la lumière partage-t-il votre opinion ? demanda Harry Naart.

Isabelle et ses compagnons tiquèrent. Aucun sorcier ne connaissait le sens des vêtements portés par Charles-Hubert. La loi de non interférence créait un mur épais entre les deux univers, une barrière à travers laquelle rien ne passait. Que les sorciers du cercle puissent en connaître la signification prouvait, s’il en était encore besoin, que le cercle et le roi étaient de connivence.

- Les sorciers ont toute mon admiration, indiqua Charles-Hubert.

Les membres du cercle se jetèrent des regards ahuris. Ils n’en revenaient clairement pas. Une telle déclaration avait de quoi éberluer tout le monde. Isabelle sourit. Elle venait de réussir à marquer les esprits.

- Quel est votre objectif, madame Cheriez ?

- Unifier les êtres magiques afin qu’ils travaillent ensemble. Réécrire la loi de non interférence pour séparer les sans pouvoirs des autres, mais certainement pas les êtres magiques ! Les mages ne seraient rien sans les sorciers. Nous vous volons vos créations à longueur de journée. Il faut que ça cesse.

- Vous quoi ? s’exclama Théodore Pal tandis que les autres se semblaient pas comprendre davantage.

- Savez-vous ce qu’est la synesthésie ? interrogea Isabelle.

Les sorciers se regardèrent et tous firent « non » de la tête.

- C’est la particularité qu’ont certaines personnes à lier deux sens qui ne le sont pas habituellement. Ils peuvent voir les sons en y associant des couleurs, ou bien goûter des images en leur donnant des saveurs, ou encore sentir une couleur en y associant un parfum. Toutes les combinaisons sont possibles.

- J’en ai déjà entendu parler, indiqua Jules Delamare. Quel rapport avec vous ?

- Je suis synesthésique, annonça Isabelle. Pour ma part, j’ai relié ma vue avec ma capacité à ressentir la magie. De ce fait, je vois la magie.

L’information mit un peu de temps à arriver aux cerveaux de toutes les personnes présentes.

- Et vous savez ce que je vois ? Des cristaux, principalement transparents, partout et parfois, rarement, l’un d’eux est coloré. Quand un mage – blanc ou noir – utilise la magie, il va chercher ces cristaux, les associe puis les active. Ils perdent leur couleur et l’effet se déclenche.

- Si ce que vous dites est vrai, alors les mages, tous les mages, détruisent la magie, dit Jules Delamare.

- Je n’ai pas fini, indiqua Isabelle. Les objets magiques, que vous utilisez au quotidien, contiennent tous des assemblages de cristaux colorés plus ou moins complexes. Quand quelqu’un, avec ou sans pouvoir, utilise un objet magique, les cristaux nécessaires à son fonctionnement deviennent transparents.

- Tout le monde détruit la magie, comprit Théodore Pal.

- Si c’était le cas, il y aurait longtemps que la magie aurait disparu de ce monde ! s’exclama Claire Tunningam.

- Si vous n’étiez pas là, sans aucun doute, répondit Isabelle.

Cette phrase lui donna l’attention de tout le monde.

- Quand un sorcier ensorcelle un objet magique ou utilise un objet magique de niveau 2 ou plus, il colore un cristal transparent.

Isabelle se tut après cette annonce, laissant chacun en tirer la bonne conclusion.

- Nous créons de la magie, souffla Jules Delamare, totalement abasourdi.

Tous les sorciers se mirent à parler en même temps. Isabelle ne tenta pas de suivre les échanges houleux et explosifs. Elle attendit simplement que le calme revienne.

- Vos objets magiques n’ont pas une durée de vie limitée, dit Isabelle. S’il n’y avait pas de mages pour voler les cristaux qu’ils contiennent, ils seraient parfaitement utilisables même des siècles après leur construction. Le nombre d’utilisation dépend effectivement des réserves de cristaux qu’ils contiennent, mais certainement pas leur durée de vie sans être utilisée qui, en théorie, est infinie.

- Mais qui, en pratique, est courte parce que la magie qu’ils contiennent, celle-là même que nous avons créée, est utilisée par des mages ? s’étrangla Annie Fildram.

- Lorsqu’un mage utilise seulement un cristal d’un assemblage, l’ensemble s’écroule et explose. Les cristaux se répandent dans l’air. L’objet magique devient inutilisable et le monde gagne quelques cristaux supplémentaires que les mages utilisent quand ils en ont besoin, expliqua Isabelle.

- C’est ce que vos yeux voient, dit Théodore Pal.

- Et ce que mes expériences ont prouvé, indiqua Isabelle. Je vis avec un sorcier.

Billy s’inclina.

- Nous avons testé, beaucoup, souvent, de bien des façons, précisa la mage noire.

- Je confirme ce qu’Isabelle dit, lança Billy.

- Moi aussi, annonça Hubert.

- Guide de la lumière, vous acceptez le fait que les mages blancs détruisent autant la magie que les mages noirs ? s’étonna Jules Delamare.

- Pas plus que n’importe qui utilisant un objet magique, répliqua Hubert.

Il y eut un blanc.

- Mais pas moins non plus, termina Hubert. Je m’entraîne depuis des années en compagnie d’Isabelle. J’ai pu, jour après jour, ressentir la véracité de ses propos.

- D’autres mages blancs partagent-ils votre opinion ? insista Jules Delamare.

Hubert hésita. Il semblait perplexe face à cette question.

- Pas à ma connaissance, répondit Isabelle en reprenant la main, ne comprenant pas bien pourquoi son compagnon hésitait. Mon objectif est de convaincre tout le monde afin de changer la manière dont notre monde est fait. Les sorciers doivent prendre la place qui est à la leur. Vous ne devez plus être les laissés pour compte, les inférieurs dont les mages se servent sans le moindre remord. Nous ne serions rien sans vous.

L’annonce mit les sorciers KO.

- Nous avons besoin de discuter entre nous. Attendez dehors. Nous vous réinviterons après nos échanges, indiqua monsieur Pal.

Isabelle s’inclina et sortit, ses amis sur ses talons.

- Pourquoi avoir hésité ? demanda Isabelle.

- Pendant que tu faisais la queue hier, mon père m’a appelé et je l’ai rejoint.

- Quoi ? Tu ne m’en as rien dit !

Hubert ne répondit rien. Isabelle fit la moue mais concéda que lui en parler alors qu’elle venait faire la paix n’aurait pas forcément été une bonne idée.

- Que voulait-il ?

- Te parler, indiqua Hubert.

Isabelle s’étrangla.

- Il peut toujours courir, répondit Isabelle.

- C’est ce que je lui ai dis, rit Hubert.

- Pourquoi veut-il me parler ? Je suis restée chez lui plusieurs heures et à part « pas manger » et « laisse-toi violer sans broncher », il n’a pas semblé intéressé par un échange vocal avec moi.

- Pas manger ? répéta Hubert.

- Tu veux vraiment savoir ?

- Non, assura Hubert. Excuse-moi, Isabelle. Pour en revenir à mon père, sa situation a changé. Il cherche à comprendre. Quand je lui ai indiqué que mes deux derniers cercles étaient de ton fait, il a été sacrément intéressé.

- Ah oui, d’accord, je comprends mieux.

- D’où mon hésitation devant les sorciers. De fait, d’autres mages blancs sont au courant. Mon père pour commencer et peut-être d’autres, nous n’en savons rien.

- Ma réponse était donc la vérité puisque j’ai précisé « À ma connaissance », rappela Isabelle.

Hubert sourit. Les sept compagnons attendirent dans le hall. James et Yassima sortirent pendant près d’une heure, revenant avec de quoi nourrir tout le monde.

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