La grande salle était magnifiquement décorée pour l'anniversaire de Thalion. Les guirlandes colorées, les lumières douces et les lustres flottant sous le plafond, créaient une ambiance festive. Les invités arrivaient petit à petit, et je pouvais déjà sentir l'excitation dans l'air.
Je me tenais près du buffet, un verre de jus à la main, observant les interactions autour de moi. Thalion, l’élément central de la soirée, se tenait près de la cheminée. Malgré l’enthousiasme général, il semblait légèrement en retrait, fidèle à sa nature réservée. Son expression, bien que paisible, laissait transparaître une certaine gravité, comme s'il portait un poids invisible. Thalion était ainsi depuis longtemps, sérieux et réfléchi, préférant les conversations profondes aux bavardages superficiels. Il discutait légèrement avec des amis, dont deux que je reconnus aussitôt pour les avoir fréquenté quelque temps à l’académie.
Andor, avec son charme désinvolte et ses mimiques, plaisantait avec les invités, tandis que Lamia, plus posée mais avec un caractère assez semblable à celui de son frère, l'accompagnait d'un sourire complice. Leur connivence pour de nombreuses frasques était évidente, et ils formaient un duo inséparable. Leur présence apportait une touche de vivacité et de légèreté autour de mon frère si sérieux.
Au milieu de la salle, Léoni attirait tous les regards avec sa joie contagieuse. Il riait aux éclats, racontant une histoire amusante qui semblait captiver son auditoire. Il était l'incarnation de l'enthousiasme et de l'énergie. Sa passion pour la vie et les aventures le rendait irrésistible, et je ne pouvais m'empêcher de sentir mon cœur battre un peu plus vite quand je m’imaginais vivre un nouveau périple à ses côtés. Il rêvait d'exploits héroïques et de grandes aventures. De quoi faire rêver n’importe quelle fille, n’est-ce pas ?
Liane, princesse et grande sœur de Léandre, se tenait près du buffet, non loin de moi, les yeux rivés sur Thalion. Son béguin pour lui était un secret connu de tous, mais Thalion semblait totalement inconscient de ses sentiments. Ou alors, il s’en moquait terriblement. Liane était digne et attentionnée, et je pouvais voir dans ses yeux une lueur d’espoir chaque fois qu’elle posait son regard sur lui. Pourtant, elle restait en retrait, peut-être par peur de se dévoiler trop ouvertement. Elle restait une princesse et, en tant que telle, sa vie était guidée par tous sauf elle-même.
Se détournant, son regard se posa maladroitement sur moi, et après avoir hésité, elle s’approcha, vêtue d’une élégante robe bleu nuit.
_ Ravie de te revoir, Anthéa. Tu profites bien ?
Je lui souris. Si à notre première rencontre je ne l’avais que peu appréciée, après avoir passé plus de temps avec elle, j'avais appris à l’aimer. Elle était de nature à s’effacer et à s’enfuir, ce qui n’était malheureusement pas mon cas et créait parfois… de légères étincelles.
_ Je suis contente aussi. Tu sais, si tu continues de le regarder aussi fixement, il va se sentir mal à l’aise.
Personne ne le disait ouvertement devant la princesse. Personne n’osait lui dire qu’elle devrait passer à autre chose. Pas même moi.
Son regard se posa une énième fois sur celui qu’elle admirait depuis de longues années. Mon frère avait rejoint Léoni et l’aidait à raconter ses récits inventés.
_ Je le sais bien, mais que veux-tu, mon regard se porte inexorablement vers lui.
Inexoquoi ?
_ Aucun homme ne t’attire chez les nobles ?
_ Ils sont tous plus intéressés par ma fortune et mon sang que par moi, soupira-t-elle avant de se resservir une coupe de champagne.
En fait, parfois, je me demandais pourquoi Thalion n’avait jamais rien fait au sujet de Liane. Que cela eut été de la recaler ou d’accepter ses sentiments. Il ne s’intéressait même pas aux filles. Tout l’inverse de son meilleur ami qui n’hésitait pas à se servir un peu partout. A mon grand dam.
_ Je vais aller voir Liam, je te laisse. Profite bien.
_ Toi aussi, lui retournai-je en levant vers elle mon jus de raisin.
Mon regard dériva vers mon cousin, qui discutait tranquillement avec son ami, Anthone. Liam était naturellement réservé, parlant peu mais observant beaucoup. A contrario de mon frère, il n’était pas froid, simplement plus timide. Mais très expressif en termes de langage corporel. Ce soir ne faisait pas exception, et il semblait plongé dans une conversation sincère et pour une fois, ses lèvres s’animaient souvent. Dans une discussion avec une unique personne, il devait bien être obligé. Il m'aperçut et me gratifia d’un léger sourire, toujours concentré sur Anthone.
Finalement, je fus abordée par une toute nouvelle tête qui venait d’arriver dans la soirée. Avec deux bonnes heures de retard.
_ Félicitations, on se croirait à une fête royale, m’aborda celui qui était depuis plus de deux ans mon ami proche.
Léandre et sa présence rassurante. Il était intelligent, réfléchi et, contrairement à sa sœur, semblait bien gérer ses émotions. Cependant, ce soir-là, une tension subtile émanait de lui.
_ Que faisais-tu ?
_ Je me remettais d’une mauvaise expérience, grimaça-t-il avant d’ajouter que ce n’était pas ce que je pensais.
_ Explique alors au lieu de me laisser m’imaginer quelle bêtise tu aurais pu faire.
_ Je suis tombé d’un arbre. Tout le monde n’est pas aussi adroit que toi, Théa.
_ La première fois que tu m’as dit être tombé d’un arbre, tu étais en réalité à l’extérieur de la ville, attaqué par un demi homme.
En deux ans, je n’avais presque pas eu de réponse de sa part. Léandre aimait s’aventurer en dehors du palais. Mais il allait rarement plus loin. Pourtant il m’avait raconté que cette fois-ci il avait voulu chercher des informations sur le départ précipité de Léoni et Jegal. Mais aucune explication sur comment il s’était retrouvé dans sa situation.
_ Cette fois, c’est vrai. Je voulais cueillir des pommes.
Je sentis une pointe d’exaspération dans sa voix. Comment osait-il ? C’était moi qui devait être fâchée. Je poussai un râle de colère avant de m’éloigner de lui. Il m’avait mise de mauvaise humeur.
_ Saleté de prince… marmonnai-je en me dirigeant vers mon Léoni qui était venu près du buffet pour manger un morceau.
Il affichait un sourire radieux.
_ Alors, on s'amuse ? lança-t-il, l'air taquin.
Je ne pus m'empêcher d’afficher un léger sourire. J’avais choisi la bonne personne auprès de laquelle me tourner après la déception “Léandre”.
_ Oui, la fête est superbe. Merci d'avoir aidé à l'organiser.
Il éclata de rire.
_ C'était le moins que je puisse faire pour mon meilleur ami. D'ailleurs, tu n'as pas encore essayé la magie que je t’ai montrée tout à l’heure, n'est-ce pas ?
_ Comme si j’avais eu le temps.
_ Viens, je vais te montrer, me proposa-t-il en me prenant par la main et en m'entraînant vers le balcon.
Mon cœur s'emballa à ce contact, et je me laissai guider, le sourire aux lèvres.
Notre petite soirée avait lieu au sein du palais royal. Le roi, Emile, nous avait prêté une des salles de réception. Ainsi, nous avions la place et le budget nécessaire pour une fête réussie.
D’où nous nous trouvions, nous pouvions voir un jardin, magnifiquement éclairé par des lanternes suspendues, créant une ambiance presque magique. Mon regard sur Léoni, j’espérais seulement qu’en me prenant à part, c’est qu’il me voyait plus que comme une amie, ou comme la petite sœur de son meilleur ami.
_ Tu veux que je te remontre ?
Je pris une profonde inspiration, essayant de calmer les battements de mon cœur et j'acquiesçai.
Il leva la main entre nous et fit remuer ses doigts, comme de la fumée. Puis il murmura une phrase.
_ Ail, ail év ooud, éd djé foum éd loulé, lérouoz méz rééz.
Alors, comme de la fumée, une nuée d’étoiles s’élevèrent vers le ciel depuis la paume de sa main. De différentes nuances de vert, elles s’étalèrent autour de nous. J’avais l’impression de me retrouver dans une nuit étoilée de ma couleur préférée.
Je tournais sur moi-même pour observer, puis mon regard se posa dans celui à la jolie couleur du ciel. Il me regardait, un sourire sur les lèvres. Ce sourire taquin qui ne le quittait presque jamais. Une brise souleva quelques mèches décoiffées de sa chevelure.
_ On dirait une luciole. Anthy, la luciole.
Une luciole ? Poétiquement, c’était joli, mais littéralement, c’était répugnant. Malgré leur lumière, elles restaient des insectes.
_ Tu me traites de créature hideuse ?
Il afficha une mine faussement outrée.
_ Moi ? Voyons, Anthy, si je disais cela, il faudrait que j’admette que Thalion et Liam sont de grosses araignées velues. Et ça me ferait trop plaisir !
Je ne pus m’empêcher d’en rire. Qu’il était débilement drôle…
Soudainement les lumières s’étiolèrent autour de nous.
_ Je ne vous dérange pas ? me surpris soudainement une voix plus fluette et discrète que celle de mon ami.
Mes yeux se posèrent sur un garçon aux cheveux châtains et aux traits enfantins qui n’avaient pas beaucoup changé depuis notre première rencontre. Kay, l’être si particulier que je connaissais si peu malgré notre amitié.
_ Je montrais simplement un sort à Anthéa, c’est un Saint-Chevalier qui me l’a montré. Un collègue.
Il bomba le torse. Il fallait dire qu’il était fier et qu’il avait de quoi. Une centaine de personnes seulement dans le monde pouvaient se vanter d’être chevalier et mage au service de son roi. Suffisamment puissants pour raser un village mais également patriotes pour servir leur pays.
_ Tu ne t’y ennuies pas trop ? Au palais je veux dire, demanda le nouvel arrivant.
_ Tu plaisantes ? Il y a toujours de l’animation avec des chevaliers !
Jetant un regard à l’agitation à l’intérieur de la salle, je m’arrêtai sur trois hommes qui chantaient et animaient la soirée grâce à leur musique, je me remémorerai un dîner quelques jours plus tôt.
Mon frère venait de faire son grand retour.
Il avait réussi haut la main ses études et réalisait maintenant son service dans un clan de mage, revenant rarement nous voir à la capitale. Parti pour une mission quelques semaines auparavant, il venait d’obtenir sa première récompense. J’appris par la même occasion que Léoni était quant à lui resté au palais en tant que Saint-Chevalier et n’était pas encore autorisé à sortir. Il devait être assez déçu de se retrouver loin des aventures dont il semblait avoir rêvé.
Ce dernier était d’ailleurs convié au dîner du soir et restait pour une semaine, jusqu’à l’anniversaire de Thalion, son meilleur ami. Les vacances s’annonçaient mouvementées.
_ Je propose plein de confettis ! Et puis un groupe de musique ! lançait le chevalier avec entrain.
_ Je voulais un truc calme, grogna Thalion en réponse.
Je me demandais toujours comment deux opposés pouvaient être aussi proches.
_ Et pourquoi pas un groupe de musique que Thalion choisirait ? tempéra l’ingénieur, assis entre les deux garçons.
J’étais un peu dans mes pensées. Organiser une fête ? Je ne savais pas du tout comment faire. Contrairement aux deux anciens étudiants qui paraissaient en connaître un rayon. Même Albin donnait des idées.
_ Les Navilgo ? Ils viennent de Merca, la ville de la fête ! Ils sauront offrir une excellente ambiance.
_ Trop actif, objecta mon frère.
_ Ameral ? Il a une voix superbe.
_ Trop ennuyant.
_ Les Soices ne seront pas disponible. Ils ont une représentation à Valentein.
Le brun soupira tandis que le blond continuait à réfléchir.
_ Jegal chante bien aussi.
_ Tu plaisantes là, j’espère ?
_ Non ! Je te jure ! Il ferait un parfait animateur de soirées !
Une pomme me tenta un peu plus loin. Je me levai pour aller la chercher et revins la découper à table.
_ Qu’en penses-tu, Anthéa ? me héla soudainement le blondinet.
Je stoppai mon geste, tous les regards étaient tournés vers moi. Ils me demandaient mon avis ? Pour que Jegal chante ? Non, j’avais râté une partie de la conversation.
J’acquiesçai, de toute façon Léoni aurait toujours le dernier mot, peu importait ma réponse. Il était trop têtu.
_ Je retourne à l’intérieur, soupirai-je alors que j’étais déçue que Kay soit venu interrompre mon moment seule avec le chevalier.
Les deux acquiescèrent, prêtant à peine attention à moi. Je me rendis près du buffet, me saisis d’un nouveau verre de jus de raisin et allai m’asseoir dans un coin. J’étais fatiguée.
Je posai mon regard un peu plus loin. Albin discutait avec le roi Emile et la duchesse Lisabeth. Je ne savais pas que les deux nobles étaient venus également.
Une assiette d'en-cas apparut soudainement devant mon nez. Je reculai la tête, surprise.
_ Tu devrais profiter. Ce n’est pas tous les jours qu’on peut tous être réunis, déclara un grand brun à la voix calme.
_ J’ai passé un bon moment, Thal, lui assurai-je en prenant le verre qu’il me tendait. J’espérais juste autre chose…
_ Si tu parles de Léo, tu devrais laisser tomber, ce type ne…
_ Non ! m’écriai-je pour le faire taire.
Comment était-il parvenu à cette conclusion ? J’étais pourtant suffisamment discrète. Et puis, je savais très bien ce qu’il allait me dire. Léoni ne savait pas se tenir. C’était un véritable imbécile.
_ Fais comme tu veux, Théa… Mais n’oublies jamais ce que j’en pense. C’est un troufion avec les filles.
Il s’assit à mes côtés sans dire un mot de plus. Lui aussi avait besoin de se retrouver un peu seul avec lui-même. Je pouvais presque sentir son esprit cogiter.
Une heure s’écoula, la plupart des invités étaient partis. Les musiciens également. Il ne restait plus que le comité le plus précieux. Léandre était en compagnie de Léoni, et Liam était avec Kay sur le balcon.
Je me suis levée soudainement pour rejoindre le balcon. J’avais besoin de prendre l’air. Mes vêtements collaient à ma peau et la température avait à peine chuté de quelques degrés depuis le début de la fête.
En arrivant sur le balcon, je me suis retrouvée à contempler la nuit étoilée. Je pris une profonde inspiration, laissant la brise fraîche apaiser ma peau échauffée. Kay et Liam se tenaient près de la balustrade, silencieux. Je m’approchai d’eux, sans dire un mot.
_ Je suis certain que Léoni ne va pas tarder à débarquer en nous voyant aussi calmes, déclara alors le fantôme.
_ Tant qu’il me laisse respirer quelques petites minutes, soufflai-je en levant ma tête vers les étoiles qui scintillaient au-dessus de nous.
_ Les fêtes, ce n’est pas toujours facile, ajouta Liam doucement. Même en vivant à la cour, je n’y suis pas le moins du monde habitué.
_ Surtout quand tu dois jongler avec tant de personnes différentes.
Kay acquiesça, ses yeux fixés sur le ciel nocturne. Après un moment, il rouvrit la bouche, brisant le silence qui avait eu le temps de s’installer.
_ Parfois il faut juste suivre son cœur, peu importe les avis des autres. Pas besoin de se forcer.
Liam et moi répondîmes par un hochement de tête, ne sachant vraiment à qui il s’adressait ni de quoi il parlait. Je restai un moment à regarder le jardin. Les deux garçons s’en décollèrent pour retourner auprès des autres, leur pause était terminée.
La porte du balcon s’ouvrit soudainement, et Léoni apparut, son sourire éclatant toujours présent.
_ Ah, vous êtes là ! Je vous cherchais ! s’exclama-t-il en nous rejoignant. Thalion nous a proposés un jeu de cartes, vous venez ?
Je ne pus m’empêcher de sourire devant son enthousiasme. Il avait cette capacité unique d’éclaircir l’atmosphère où qu’il soit.
_ Je vous rejoins dans une minute, répondis-je. J’ai juste besoin de savourer un peu plus cette brise.
Léoni acquiesça avant de repartir aussi vite qu'il était venu, emportant avec lui une énergie renouvelée. Kay le suivit du regard, une lueur indéchiffrable dans les yeux, mais il finit par le suivre, de même que mon cousin. Ce dernier s’arrêta à mes côtés, semblant hésiter avant de parler.
_ Le palais est un lieu plein de secrets et de mensonges, Anthéa, murmura-t-il finalement, le regard sérieux. Je le sais mieux que quiconque, méfie-toi de tous ceux qui en sont proches.
Surprise par la gravité de ses paroles, je n'eus pas le temps de réagir avant qu'il ne se détourne et rejoigne les autres à l'intérieur. Restant seule quelques instants, je réfléchis à ce qu'il venait de dire. La soirée avait pris une tournure inattendue, mais je décidai de ne pas m’inquiéter outre mesure. Après tout, c’était une fête, et je voulais en profiter.
Mais que voulait-il dire ? Je savais pouvoir lui faire confiance sur de telles paroles. Observateur et vivant ici depuis si longtemps, il devait connaître son sujet sur le bout des doigts. Mais pourquoi me dire ça maintenant ?
Je pris une dernière bouffée d'air frais, laissant les paroles de Liam se dissiper comme la brise nocturne. J’avais appris à prendre en compte chaque information que l’on me donnait, mais ce qu’il venait de me dire, je le savais déjà.
“Méfie-toi des roses”
Cet avertissement résonnait en permanence dans mon esprit.
Je soupirai avant de quitter le balcon. La grande salle était toujours animée, les rires et les conversations créant une symphonie joyeuse. Ils s'étaient rassemblés autour d'une table, préparant le jeu de cartes. Je m'approchai, le cœur léger, prête à me joindre à eux.
_ Te voilà enfin, Anthéa ! lança Léandre en me voyant arriver. Prête à perdre ?
_ Ne sois pas si sûr de toi, ripostai-je en prenant place à la table. Je pourrais bien te surprendre.
L'atmosphère était détendue, et bientôt, je fus absorbée par les plaisanteries et les stratégies du jeu. Les tensions et les mystères de la soirée semblaient s'évanouir, remplacés par la chaleur des sourires et des moments partagés.
La fête battait son plein, et malgré les quelques instants de trouble, je me sentais à ma place, entourée de ceux que j'aimais. Pour ce soir, c'était tout ce qui comptait. Parce que c’était ce que je recherchais depuis des mois. Je me sentais plus vivante.