Chapitre 13

Par Froglys

Les vacances étaient vite passées et je me retrouvais de nouveau à l’académie. Face à ce cher Léandre pour un duel.

La pointe de son épée de bois fila droit vers mon abdomen. Je fis passer mon arme dessus pour la dévier mais il toucha quand même mon flanc, m’arrachant un grognement de douleur. Je reculai de quelques pas en abaissant mon épée. J’allais encore avoir des bleus.

_ Tu ne tiens pas ta garde assez haute. Le temps de remonter ton épée, je me suis déjà approché suffisamment pour être certain de parvenir à te toucher.

_ Je l’ai bien senti…

Il remonta son arme d’entraînement devant lui, prêt à reprendre.

_ On continue ?

Je secouai la tête.

_ Il faut que je parle à Céleste.

Il rabaissa son arme, légèrement déçu. Il n’avait qu’à trouver quelqu’un d’autre pour lui servir de défouloir. Je m’en prenais déjà plein la tête en cours.

_ Je te dirai si j’ai du nouveau sur un potentiel voyage en Iragwa.

Je hochai la tête et m’en allai déposer mon matériel avant de me rendre dans ma chambre pour me changer. Après quoi, je claquai la porte et me retrouvai face à face avec Céleste. Moi qui voulais justement la voir. Quelle coïncidence.

_ On peut parler ? demanda-t-elle de sa douce voix en montrant la porte derrière moi.

Je la laissai entrer, toujours un peu surprise par sa venue, et refermai derrière elle juste avant qu’un premier mot ne sorte de sa bouche.

_ Monsieur Salament m’a convoqué aujourd’hui. Il voulait discuter de quelque chose avec moi, commença-t-elle avec calme.

Je me retournai vers elle, m'asseyant sur le bord de mon lit. Elle semblait hésitante, presque nerveuse, ce qui n'était pas dans ses habitudes. Le sérieux dans son regard obtint toute mon attention. J’avais mes doutes concernant leur conversation mais je voulais en être certaine.

_ Qu'est-ce qu'il t'a dit ? demandai-je, sentant une pointe d'appréhension monter en moi.

Elle prit une profonde inspiration avant de répondre.

_ Il m'a dit que tu souhaitais aller étudier en Iragwa.

Je restai un instant silencieuse, surprise que le directeur lui en ait dit autant. Après tout, j’avais envoyé Léandre en intermédiaire…

_ Oui, c'est vrai, répondis-je finalement. Je pensais que ce serait une bonne opportunité et puis quelqu’un m’a parlé de toi.

Je pesais mes mots. Personne ne devait savoir que je suivais les consignes d’un dieu, on me prendrait pour une folle.

Céleste hocha la tête lentement, mais je pouvais voir une lueur d'inquiétude dans ses yeux.

_ Anthéa, il y a quelque chose que je dois te dire. Quelque chose d'important que tu ne sais pas sur l'Iragwa.

Elle marqua une pause, cherchant ses mots, puis continua, la voix légèrement tremblante.

_ Mon père... était l'ancien empereur-roi de l’Iragwa.

Je la fixai, je le savais grâce à Léandre mais cela semblait toujours aussi irréel. Je me sentais tout de même mieux du fait qu’elle était venue m’en parler. Je décidai tout de même de ne pas dévoiler que Léandre m’en avait déjà informée.

_ Tu es une princesse d'Iragwa ? soufflai-je. Pourquoi tu ne me l'as jamais dit ?

_ Parce que je ne veux pas finir comme ma mère, avoua-t-elle en baissant les yeux. Bien que bonne impératrice, elle était dure, impitoyable, elle disait avoir accédé au trône bien trop jeune et je le suis encore plus. Elle était seule, perdue dans les intrigues de pouvoir, et elle est devenue une personne horrible.

Elle marqua une pause et essuya sa joue. Je pouvais presque voir des larmes perler à ses yeux malgré sa tête baissée.

_ Elle a été dure avec moi, je ne devais pas hériter d’un titre, j’étais la petite dernière. Mais me voilà maintenant. Je suis venue à Orane pour grandir en dehors des codes de mon pays et espérer sortir de ce monde d’esprits étriqués.

Elle laissa échapper un petit rire amer, puis ajouta quelque chose, presque à elle-même.

_ Les reines maléfiques ne sont que des princesses qui n’ont pas été sauvées. Si je retourne chez moi, j’ai peur de finir comme elle.

Ses mots résonnèrent en moi. Céleste avait toujours semblé si calme, si forte, mais maintenant, je voyais la vulnérabilité qu'elle cachait. Elle n’était qu’une jeune fille qui ne demandait qu’à être aidée. Sauvée de son pays et des siens.

_ Céleste... tu n'es pas comme ta mère. Tu es différente. Tu as un cœur pur et une sagesse que beaucoup envient. Et puis, si tu ne veux pas devenir comme elle tu ne le deviendras pas, non ?

Elle releva les yeux vers moi, un léger sourire aux lèvres, mais je pouvais encore voir beaucoup d'inquiétude dans son regard.

_ Merci, Anthéa. Mais je te dis ça parce que l'Iragwa est un endroit complexe, avec des luttes de pouvoir incessantes et des tensions qui rendent l’équilibre du royaume instable.

_ Je comprends, Céleste, et je te promets que je serai prudente. Mais je crois vraiment que je peux apprendre beaucoup là-bas. Peut-être même plus qu'ici.

Elle secoua doucement la tête de gauche à droite, son expression grave.

_ Je ne suis pas convaincue. Si tu es déterminée à y aller, tu devrais au moins demander à d'autres de t'accompagner. Mais laisse-moi loin de ton projet, je n’y retournerai que quand je serai prête.

Je pouvais sentir son inquiétude sincère pour moi. Mais également, sa peur profonde des mœurs propres à sa patrie, j’étais étrangère à ce genre de choses mais cela me semblait rude pour une jeune fille qui n’avait pas encore atteint sa majorité.

_ D'accord, je vais y réfléchir. Je te promets que je ne prendrai pas cette décision à la légère.

Elle hocha la tête, semblant un peu rassurée.

_ Fais attention à toi. Je tiens à toi, et je ne veux pas te voir te perdre dans ce monde.

Je lui souris, touchée par sa sincérité.

_ Je vais te laisser te reposer. On reparlera de tout ça plus tard, d'accord ?

Quand elle sortit, je restai un moment immobile, repensant à tout ce qu'elle venait de m'apprendre. Céleste, princesse d'Iragwa... Elle refusait d’y retourner alors que j’avais besoin d’y aller. Tant pis, il allait me falloir demander à mon très cher prince de servir de diplomate entre nos deux pays.

Cela ne devrait pas être si compliqué…

 

_ Je ne vais quand même pas y aller seule ?

Léandre posa son épée de bois contre le mur, l’expression fermée. Il croisa les bras, me fixant avec un mélange de sérieux et de regret.

_ Théa, je comprends ton envie de découvrir le monde, mais je ne peux pas t'accompagner en Iragwa.

_ Pourquoi pas ? Tu es un prince d'Orane. Tu es déjà allé là-bas, ta présence là-bas pourrait être bénéfique pour nos deux royaumes. Et puis, j'aurais besoin de toi à mes côtés.

Il soupira et passa une main dans ses cheveux clairs.

_ Justement. Je suis prince d'Orane, et tant que mon père n'aura pas désigné de nouvel héritier, je suis tenu de rester ici. Il y a trop de responsabilités qui m'attendent, des devoirs royaux que je ne peux pas abandonner, même pour un projet qui te tient autant à cœur.

Je sentis ma frustration monter, mais je savais qu'il avait raison. Les devoirs d'un prince étaient lourds, et il ne pouvait pas simplement s'enfuir pour me suivre dans mes aventures.

_ Mais je pensais que... que nous pourrions le faire ensemble, tentai-je, un peu désespérée. Avec toi, j'aurais eu plus de chance de m'intégrer et de m'adapter rapidement là-bas. L'Iragwa est un pays si différent d'Orane.

Il sourit doucement, mais il y avait une certaine tristesse dans ses yeux. Il était mon meilleur ami, jamais je n’aurais imaginé possible que nous nous retrouvions séparés.

_ Je sais, et j'aurais aimé pouvoir être là pour toi. Mais je ne peux pas partir, Anthéa.

Je baissai les yeux, déçue. J'avais espéré que Léandre serait celui qui m'accompagnerait, celui qui rendrait ce voyage plus attrayant. Mais il semblait que je devais affronter cette épreuve seule, ou du moins sans lui. Mais je ne pouvais pas lui reprocher de ne pas vouloir me suivre pour obéir à un dieu en qui je n’avais moi-même que très peu confiance. Surtout que je ne lui avais rien dit à ce sujet. C’était parfaitement égoïste de ma part. Cependant je ne pouvais m’empêcher de ressentir ce pincement au cœur.

_ Alors, que dois-je faire ? demandai-je doucement, essayant de masquer ma déception.

Léandre posa une main réconfortante sur mon épaule.

_ Laisse donc le directeur s’en occuper. C’est son travail après tout. Et puis, étant donné que la requête vient de toi, il choisira sûrement des personnes que tu apprécies et en qui tu as confiance. Peut-être un certain Saint-Chevalier.

Un sourire provocateur s’afficha sur ses lèvres.

_ Léo en serait aussi ravi, ajouta-t-il alors que je sentais mes joues chauffer.

_ Léandre ! C’est mon ami, c’est tout ! m’exclamai-je vexée, espérant le faire taire.

Au lieu de quoi, il s’esclaffa. Je rejetai la main sur mon épaule, je n’avais aucune envie qu’il essaie de me réconforter après ça. Sa trahison était dure.

_ Mais oui, mais oui… Si c’est tout ! Tu devrais y aller. A part si tu veux reprendre l’entraînement ?

Je secouai la tête. Il n’avait aucune chance de me retenir auprès de lui. Je me retournai et le saluai d’une main en partant.

Je quittai le terrain de combat, agacée par les taquineries de Léandre après son refus. Bien que je savais que mes sentiments étaient égoïstes, je ne pouvais m’empêcher de me sentir abandonnée.

La fraîcheur des couloirs de l’académie m’apaisa un peu bien que ses mots résonnaient encore dans mon esprit.Comment pouvait-il se moquer de mes sentiments ? Même si je n’avais aucune intention de l’admettre, ses sous-entendus avaient touché une corde sensible. Je n’étais pas prête à assumer mon attirance pour le meilleur ami de mon frère.

En marchant dans un couloir éclairé de la lumière extérieure, mon regard fut attiré par le petit jardin situé à l’arrière de Clerfort. Ce lieu, devenu mon refuge au fil des années, m’avait permis durant quelques minutes ou heures de mettre de côté mes responsabilités et mes peurs. Ici, personne ne viendrait me chercher avant un moment.

Arrêtée au milieu du corridor, je me dirigeai vers la sortie la plus proche et pénétrai dans ce lieu de paradis. Les grands arbres qui entouraient le jardin formaient comme toujours une sorte de mur naturel, isolant ce coin du reste de l’académie.

Je m’approchai d’un banc en pierre, recouvert de mousse, qui se trouvait à l’ombre d’un vieux chêne et passai ma main sur la surface rugueuse, savourant la sensation froide et apaisante sous mes doigts, avant de m’y asseoir lentement. Le silence du jardin n’était interrompu que par le doux murmure de l'eau qui coulait dans une petite fontaine située à quelques pas de moi. Je fermai les yeux. Ce bruit délicat, presque hypnotique, m’aida à calmer le tourbillon de pensées qui s’agitait en moi. Le piaillement des oiseaux et le bruissement des feuilles était aussi apaisant qu’une douce mélodie.

Je restai assise un long moment, savourant les odeurs et les sons, absorbant chaque détail de cet endroit paisible. Je finis par rouvrir les yeux. Les feuilles des arbres dansaient doucement dans la brise, créant un jeu d’ombres mouvantes sur le sol. Le ciel au-dessus de moi commençait à se teinter de nuances dorées et orangées, signalant que le soleil déclinait lentement à l’horizon. J’inspirai profondément, laissant l’air frais et légèrement parfumé de fleurs sauvages remplir mes poumons. C’était comme si chaque inspiration m’arrachait un peu de la tension accumulée au fil des jours.

Je m’étendis sur le banc, les bras croisés sous ma tête, et laissai mon regard errer sur la cime des arbres. Les branches se balançaient doucement, faisant miroiter la lumière du soleil qui dansaient sur les feuilles. Je m’émerveillais de la beauté simple de ce moment. Pendant quelques minutes, je réussis à ne penser à rien, à me contenter d’être là, de savourer la paix qui m’entourait.

Mais peu à peu, mes pensées revinrent vers l’Iragwa. Ce pays de l’Est lointain qui m’attirait autant qu’il me faisait peur. Ce que Céleste m’avait révélé plus tôt ajoutait une dimension supplémentaire à ma décision. L’idée de partir sans mes piliers habituels m'effrayait.

Je me redressai légèrement, posant mes pieds sur le sol. Quand avais-je décidé que suivre les mystérieuses demandes d’un dieu de pacotille était une bonne idée ? J’aurais dû refuser et rester ici sans m’impliquer. Mais les dés étaient jetés et je ne devrais pas reculer.

Peut-être que mon ami avait raison, Léoni pourrait venir avec moi en tant que chevalier.

Un sourire se dessina sur mes lèvres à cette pensée. Avec sa loyauté indéfectible et son attitude protectrice, il serait un allié précieux. J’imaginais déjà sa réaction si je lui proposais de m’accompagner. Probablement une combinaison de surprise et d’humour bien trouvé, suivi d’un cri de remerciement pour lui permettre d’obtenir sa première vraie mission. Mais en aurais-je le courage ? Sûrement pas. Mieux valait laisser le destin décider de mon sort.

Je soupirai en me levant du banc, sentant le besoin de bouger après être restée si longtemps immobile. Je me dirigeai vers la fontaine, attirée par le doux clapotis de l’eau. M’accroupissant, je plongeai mes doigts dans l’eau claire et fraîche, savourant la sensation piquante sur ma peau. Les reflets de lumière sur la surface de l’eau créaient des motifs changeants, comme des arabesques de lumière qui dansaient sous mes yeux.

Je relevai les yeux vers le ciel, qui s'assombrissait peu à peu, la lune était désormais bien visible. Avec une dernière inspiration, sentant le parfum des fleurs et de la nature, je me redressai et quittai le jardin.

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