Une explosion dorée. La porte de la capitale vola en mille morceaux pour laisser passer deux inconnus masqués, une fille et un garçon. Mais leurs masques n’avaient rien de discrets : Celui de la fille était en bois, grossièrement peint-en blanc avec un croissant de lune sur le front. Celui du garçon était rouge sang, parsemé de paillettes d’or.
Les passants s’écartèrent pour leur céder le passage. Mieux valait ne pas s’interposer devant ceux qui avaient fait tomber la porte la plus solide du Royaume…
Les deux étrangers se dirigèrent vers le centre de la ville.
Vers le palais.
Devant les regards éffarés des spectateurs, ils toquèrent à la grande porte. Sans surprise personne n’ouvrit, et ils se firent rabrouer par les gardes.
-Nous souhaitons voir le roi ! ordonna la fille d’une voix claire et puissante.
-Je suis là ! Qu’est-ce qui vous amène à mon palais , étrangers ?
Tout le monde leva la tête. Sa majesté Talios se tenait, magistral, sur son balcon.
-Nous souhaitons voir la reine ! répondit le garçon.
Le roi éclata d’un rire moqueur.
-La reine ! Et que lui voulez-vous ?
-La sauver, répondit la jeune femme.
-Si vous êtes aussi puissant que vous le prétendez, montrez moi l’étendue de vos pouvoirs ! leur rétorqua le monarque en ricanant.
La fille releva la tête vers lui, tendit les mains en avant et en fit jaillir des lianes dorées. Elles s’allongèrent démesurément pour atteindre l’homme, et s’enroulèrent délicatement autour de lui pour le faire descendre en douceur jusqu’à eux. Quand il fut à terre, les lianes explosèrent en des milliers de pièces que les passants s’empressèrent de ramasser en criant de joie et en bénissant les Dieux.
-Venez, leur intima le roi, estomaqué.
Il les entraîna dans les couloirs du château. Le souverain marchant devant, les deux inconnus en profitèrent pour échanger quelques mots entre eux.
-Eh Nash, chuchota la fille, tu ne crois pas que notre entrée était trop fracassante ?
-Je te rappelle que les princesses ont toujours la classe Keïrah !
Si elle avait eu le pouvoir de tuer en un regard, le jeune homme serait déjà mort.
Ils arrivèrent devant une grande porte richement décorée. Elle était en bois, peinte en bleu nuit. Des petits boutons semblables à des étoiles formaient des constellations. Le roi appuya sur certains dans un ordre précis. Dans un bruit de rouage, elle s’ouvrit sur une immense chambre remplie de fleurs blanches. Au milieu de la pièce, un lit recouvert lui aussi de fleurs. Sur ce lit, une femme. La plus belle femme n’ayant jamais existée.
Ils s’approchèrent d’elle. Aucune lumière n’éclairait la chambre mais la reine Nyana rayonnait, même dans son sommeil. Keïrah sentit les larmes lui monter aux yeux. Elle voyait sa mère. Pour la première fois. Il fallait qu’elle parle à son père.
Elle posa une main sur la poitrine de la femme. Son cœur battait bien. Mais pour le moment, la jeune fille ne pouvait rien pour elle.
-Trois jours. Laissez-nous trois jours, demanda la jeune fille.
-Entendu.
Les deux hommes se serrèrent la main.
-Votre majesté… Puis-je vous parler ? demanda Keïrah.
Nash lui sourit et lui fit discrètement un pouce en l’air.
-Je sais que ça va vous paraître fou, mais tout ce que vais vous dire est réel. Je vous le jure, commença la jeune fille.
-Quoi donc ? demanda le roi, curieux.
Elle prit une grande inspiration.
-Je suis votre fille.
Le vent s’arrêta de souffler. Les oiseaux de chanter. Le temps de défiler. Keïrah paniqua :
-En fait la reine a dû me laisser, mais j’ai quand même un prénom sur le médaillon, et puis c’est Vya qui m’a recueillie, puis j’ai vu Nash et il m’a expliqué, mais vous ne me croirais pas parce que j’ai des pouvoirs qui viennent de je ne sais où, et…
Il la prit dans ses bras. Le roi. Son père.
-Je savais que je te reverrais un jour, lui murmura-t-il à l’oreille. Je le savais. Ma fille.
-Père… chuchota-t-elle, des larmes de joies perlant aux coins de ses yeux.
Au bout de longues minutes ils se relâchèrent.
-Montre-moi ton visage et ton nom, lui demanda-t-il.
Keïrah regarda Nash.
-En fait vous les connaissez déjà… lui répondit-elle en enlevant son masque.
En la voyant, il recula d’un pas.
-Keïrah Dairval… murmura-t-il. Oh mon dieu qu’ai-je fais ! Si j’avais su que c’était toi… Ma fille je suis désolé, cette histoire de Volmaäje ne vient pas de moi mais de Lucius… Pardonne-moi…
-Ce n’est pas grave père, vous ne pouviez pas savoir, lui répondit-elle dans un sourire.
-Qu’est-ce que tu lui ressembles… constata Talios dans un souffle.
A l’évocation de sa mère, la jeune fille sentit sa gorge se nouer, son cœur se serrer. Elle remit son masque, quand on entendit une voix venant du couloir.
-Votre majesté ?
Le roi sursauta.
-Ce… Ce n’est pas le moment Lucius. Je suis occupé !
-Qui sont donc ces jeunes gens ? questionna-t-il d’un ton mielleux.
-Ne lui serre surtout pas la main susurra Nash à Keïrah.
-Nous sommes de lointains et riches voyageurs, nous venons faire affaire avec votre roi !
-D’où venez-vous ?
-De… Du royaume du soleil, Solania, répondit la jeune fille après une hésitation.
-Solania… Magnifique pays, marmonna Lucius.
-Sur ce, nous allons vous laisser ! annonça-t-elle.
-Restez-donc prendre une collation ! insista l’homme.
Nash et Keïrah se regardèrent, alarmés par la situation qui dégénérait.
-Si cela peut vous faire plaisir… céda la jeune fille, anxieuse.
-Parfait ! Suivez-moi !
Lucius les conduisit dans un petit boudoir très modeste, laissant le roi seul.
-Mais je ne connais même pas le nom de mes invités ! s’exclama-t-il.
-Je suis Croissant de lune, répondit Keïrah.
-Et moi Etoile de sang, ajouta Nash d’une voix grave pour ne pas que son père le reconnaisse.
L’homme fronça les sourcils.
-J’ai l’impression de vous avoir déjà croisé Etoile de sang…
-Non, c’est impossible, répondit vivement la jeune fille. Nous ne sommes jamais venus par ici.
Il haussa les épaules.
-Alexander ! Apporte des biscuits pour nos invités !
La jeune fille se figea. Alexander ? Non c’était une coïncidence ! Un autre Alexander !
Pourtant, quand le garçon entra dans la pièce avec un plateau d’argent remplit de petites sucreries, elle le reconnut immédiatement. Mais quelque chose avait changé en lui. Ses yeux reflétaient une grande colère. De la haine.
-Voici Maître, lui dit-il.
Maître ? Il l’avait appelé Maître ?
-Retourne à tes activités mon garçon.
Quand Alex fut sorti, Lucius se pencha vers eux.
-Votre petit jeu ne marche pas avec moi. Qui êtes-vous ?
-Nous… Nous vous l’avons déjà dit ! répondit Keïrah d’une voix légèrement tremblotante.
-Vous vous moquez de moi c’est ça ? répliqua sèchement l’homme. Des Solaniens qui parlent parfaitement le Royaumien sans jamais y avoir mis les pieds ?
-Viens Croissant de lune, on y va, dit Nash.
-Oh non, vous n’allez nulle part !
La porte se ferma.
-Qui. Êtes. Vous? demanda-t-il une nouvelle fois.
Keïrah, sous l’effet de la panique, éjecta sa peur sous forme d’une boule de lumière qui fit tomber Lucius à terre. Nash essayait désespérément d’ouvrir la porte. L’homme et la jeune fille se livraient une bataille de maäjy dantesque. Des sorts plus puissants les uns que les autres fusaient à toute vitesse dans l’air. Couleur or pour Keïrah, sombre pour Lucius.
-On y va! hurla Nash qui avait réussi à enfoncer la porte grâce à une grande statue de marbre.
La jeune fille les protégea tous les deux dans un bouclier maäjyque et ils sortirent en détalant.
-Sarahem ! jura l’homme.
Il courut vers la chambre de la reine où était resté le roi, au chevet de sa femme.
Lucius lui releva le menton et lui cracha au visage :
-Minable ! Tu as cru m’avoir avec cette histoire de négociation ? Tu voulais la sauver hein ? Je vais les traquer, les écraser, les brûler, les découper, les piétiner, les briser en mille morceaux ! Et ta foutue femme ne se réveillera jamais ! Tu m’entends ? JAMAIS !
Il partit sans même regarder Talios.
-Alexander ! appela-t-il.
Son jeune serviteur accourut.
-Mon Maître ?
-Traque-les ! ordonna-t-il. Ramène-les moi morts ou vifs, mais ne les laisse pas s’enfuir !
Le jeune homme hocha la tête, et partit à toute vitesse. Il galopa dans les couloirs du palais, se fiant à ses sens aiguisés.
Alex avait changé depuis quelques jours. Il n’avait plus aucun souvenirs de son passé, mais qu’importe. Il servirait son maître quoi qu’il en coûte. C’était son seul désir. Peu lui importait ce qu’il avait pu vivre avant. Il devait trouver ces deux étrangers.
Alex accéléra, la haine brûlant dans ses yeux.
Une vraie machine à tuer.