Chapitre 12

— Que pensez-vous de cette tour Eiffel ma chère ?

Thomassine se promenait sur le Trocadéro en compagnie du nouveau prétendant que sa mère lui avait dégoté. Charmant et gentil, sa culture générale tranchait avec les aspirants que Giselle lui présentait. Mais elle n’était pas très concentrée sur ce qu’il racontait.

— Mademoiselle Fèvre ?

— Ho oui pardon, oui, j’aime bien la tour, je trouve qu’elle met un peu de modernité dans le paysage parisien. Puis elle est issue du fleuron de notre sidérurgie lorraine !

— Hummm oui, issue d’ouvriers sales et transpirant, ce n’est pas très glorieux non plus.

Toi aussi tu serais sale et transpirant si tu travaillais, pensa la jeune femme. Les atouts qu’elle lui trouvaient s’envolèrent. Cela l’énervait toujours de voir tous ces riches bourgeois ou nobles, souvent rentiers, dénigrer les ouvriers, et ne parlons pas de l’opinion qu’ils avaient sur les femmes qui occupaient un emploi.

La guerre avait modifié beaucoup de choses pour les femmes de basses extractions. Pour celles de la grande bourgeoisie dont elle faisait partie, l’inverse semblaient s’être produit. Plus figé que jamais. Et bien que la mode garçonne soit d’actualité, l’accomplissement dans l’oisiveté ou la famille semblaient être le destin privilégié de sa classe.

Elle profita de cette conversation pour se rapprocher de l’édifice. Qui sait, avec un peu de hasard, elle tomberait sur l’homme au béret et son enquête avancerait. Autant croire aux mouches qui pètent en plein vol…

Quant à savoir si la chance du débutant l’accompagnait avec elle, il se trouve que l’homme au béret était bien au pied du monument. Thomassine n’en crut pas ses yeux en l’apercevant. Elle frotta plusieurs fois ces derniers pour être sûre qu’elle ne rêvait pas.

-Un soucie avec votre œil ma chère ? demanda le galant.

-Ho non, ce n’est rien, juste une poussière.

Elle farfouilla sa mémoire pour être sûre d’elle. Tout son être lui disait qu’il s’agissait bien du lascar.  Adossé à une des énormes dalles de béton qui constituaient la base des pieds, il fumait une cigarette. Derrière cette apparente banalité, il jetait des coups d’œil discret autour de lui.

Accompagnée de son prétendant actuel, Érik on ne sait trop où, il lui semblait compliquer de faire quoi que ce soit. Il ne fallait sûrement pas compter sur les quelques policiers qui parcouraient de temps en temps la zone à la recherche de pickpocket. De toute façon, que leur dirait-elle ? « Bonjour monsieur l’agent, vous voyez le type là-bas, il est louche hein ? Moi je vous dis qu’il prépare un mauvais coup ».

Au mieux il lui rirait au nez, au pire il la ferait interner. Il fallait donc qu’elle le surveille elle-même le plus longtemps possible. Elle lança une conversation sur des banalités affligeantes sur le pourtour de la tour, posa toute un tas de questions absurdes à son compagnon de promenade. Elle redoublait d’effort pour le retenir sur place alors que celui-ci souhaitait aller marcher le long de la Seine.

— Je voudrais la visiter très cher ! S’exclama-t-elle alors qu’il commençait à l’entrainer vers le fleuve.

— Vous voulez visiter ce tas de ferraille ?

— Oui, je n’en ai jamais eu l’occasion ! S’il vous plait mon ami !

Elle jeta un coup d’œil furtif vers l’homme au béret. Disparu. Elle jura intérieurement. Elle scruta toute la zone autour du pilier. Elle le repéra alors qu’il se dirigeait vers un des ascenseurs.

— Tant pis, j’irai sans vous, déclara-t-elle subitement en se jetant à son tour vers l’élévateur.

Le prétendant n’eut pas le temps de la retenir, qu’elle était déjà derrière la grille de protection.  L’engin emmenait Thomassine et l’homme au béret.

La jeune fille n’était pas passé inaperçu en s’engouffrant dans la cabine pour fuir son le galant. Les petits sourires en coin de plusieurs femmes à ses côtés en disaient long sur leur approbation. L’homme au béret lui n’avait pas bronché ni tenu aucun compte de ce petit événement. La machine s’arrêta une première fois, laissant s’échapper une partie des passagers. L’homme au béret descendit au second arrêt. Thomassine se glissa parmi le petit groupe pour le suivre en toute discrétion. Rapidement, le suspect ralentit le pas et se mit à l’écart. N’ayant aucune envie de le perdre dans les méandres de la tour, la jeune fille se glissa à son tour hors du groupe. Se croyant seul, le suspect ouvrit un cadenas qui permettait d’accéder à des zones interdites au public. De toute évidence, ce n’est pas la première fois qu’il venait ici. Il semblait très bien savoir où il allait. Les chaussures de la jeune femme n’étaient pas adaptées à une filature discrète, les petits talons claquaient sur les poutres en métal. Elle les retira. Ses collants laissaient passer la froideur du matériau.

Elle réussit à le suivre pendant un bon moment avant de le perdre totalement de vu. Elle prospecta les alentours où il avait disparu, jusqu'à ce qu’un choc sur la tête la fasse sombrer dans le noir.

Lorsqu’elle se réveilla, elle était saucissonnée et allongée sur une étrange plaque de métal.

— J’sais pas ce qu’vous v’ niez faire ici ma ptite dame, mais vous ‘avez trouvé les ennuis.

L’homme au béret se tenait là, il bricolait d’étranges engrenages.

— S'il vous plait, laissez-moi partir, supplia Thomassine.

Elle ne jouait pas la comédie. Elle était terrorisée. Prisonnière d’un personnage supposément dangereux, personne ne sachant où elle se trouvait, sans aucune issue en perspective… Elle jetait des coups d’œil inquiet dans toutes les directions cherchant une solution à sa situation. 

Un bruit sourd attira son attention. La machine sur laquelle elle était ligotée venait de se mettre en marche.

— J’suis désolé ma ptite dame, mais vous allez être réduite en bouillie.

Elle releva la tête pour voir ce qu’il se passait à ses pieds. En dessous d’elle, une effroyable machine à visage humain semblait brouter le métal, et elle était inévitablement attirée vers cette face. Thomassine commença à se débattre pour essayer de se dégager et ne pas finir broyée.

Alors qu’elle se débattait et que l’homme au béret semblait prendre un malin plaisir à la regarder faire, un corps vola à travers les poutres et vint s’écrouler au pied du tortionnaire. Dans un mouvement de cape, toujours très théâtral, le fantôme de l’Opéra fit son apparition. Malgré les circonstances, Thomassine remarqua quelques gouttes de sueur perlée sous mon masque blanc et il semblait essoufflé. Il toisa l’homme au béret qui était encore sous le coup de la surprise. Dans un geste fulgurant, ce dernier saisit un tube de métal qui trainait au pied de la machine infernale et menaça Érik. Il en fallait plus pour que, celui qui n’avait pas hésité à pendre un homme, ne se laisse effrayer. En un clin d’œil, le lasso du fantôme avait arraché l’arme des mains de l’inconnu. Bien que plus petit, l’homme au béret se jeta sur son opposant. Un duel s’engagea alors. Les coups pleuvaient, mais souvent dans le vide car les deux adversaires semblaient habitués aux combats au corps à corps. Un uppercut puissant de l’homme au béret fit voler le masque d’Érik. Thomassine n’eut pas le temps de voir son visage, car il le dissimula immédiatement sous sa cape. Elle ne vit qu’un front à la peau grisâtre, parsemé de taches plus foncées, et ses yeux enfoncés dans leurs orbites et dont les coins étaient parcourus de ridules. La situation devenait critique pour la jeune femme et pour son ami démasqué.

C’est alors qu’un deuxième larron entra en scène.

— Qu’est ce que tu fous gros ? Tout va se péter la gu …. Il ne finit pas sa phrase en apercevant ce qu’il se passait.

Érik lança alors son lasso qui entoura la gorge du nouveau venu. D’un geste de la main, la corde entraîna sa prise qui vint s’écrouler sur l’homme au béret. Et tel un marionnettiste, il fit virevolter le pauvre bougre sur l’autre à plusieurs reprises. Après plusieurs volées, l’homme au béret sortit un couteau dans sa poche et trancha l’entrave. La rupture brusque de la corde fit basculer Érik en arrière. Le temps qu’il se relève, les deux lascars avaient filé. Il voulut se lancer à leur poursuite, mais Thomassine l’interpella.

— Érik !

Il se stoppa net dans son élan et regarda par-dessus son épaule. Après une courte hésitation, il revint vers elle en ramassant son masque au passage. Il étudia la machine qui continuait de manger le métal, et bientôt la jeune femme avec.

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Zig
Posté le 23/04/2020
Alors... autant j'ai beaucoup apprécié les deux chapitres précédents, autant je suis restée un peu confuse devant l'élément qui entraîne l'action... la ficelle du "oh, tiens... le type que je cherche", est un peu trop grosse pour passer dans ta trame, c'est vraiment dommage ! Le roman est, pour l'instant, très court, tu gagnerais à rajouter des chapitres avec, pourquoi pas, des phases de recherche plus poussées.
Par exemple : qu'est-ce qui a permis à Thomassine de penser que la Tour Eiffel serait menacée ? Ne peut-elle pas remonter la piste de l'homme au béret, autrement que par une simple coïncidence ? C'est comme s'il manquait des scènes, des morceaux, qui seraient extrêmement intéressants à lire pourtant.

Cela dit, c'est beaucoup plus simple de rajouter des choses à son intrigue de base, que de devoir en enlever !

Petit détail : "— Qu’est ce que tu fous gros ? "
Le "gros" fait complètement anachronique... c'est une expression très récente qu'on ne s'attend pas à trouver dans la bouche d'un homme de ce temps. Si tu veux donner du caractère au personnage par le biais du discours, essaye de remplacer par une expression familière de l'époque, qui pourrait correspondre.

Je sens qu'on approche doucement du retour à ton début alors je continue, curieuse de voir comment tu vas retomber sur tes pattes !
SalynaCushing-P
Posté le 24/04/2020
J'avoue qu'arrivé à ce moment du récit, je coinçais et j'ai fais une "résolution" facile. Alors le "gros" c'est aussi une expression en Lorraine X) Vieux réflexe.
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