Anastae se sentait comme une criminelle.
Toute sa vie elle l’avait été, vivre parmi les elfes et les fées alors qu’elle était en partie humaine : le plus grand crime que l’on pouvait commettre sur cette terre. Mais dans un sens, avoir son père qui connaissait cette situation l’avait rassurée, bien qu’il n’hésiterait pas à lui planter une épée dans le ventre.
Maintenant, elle n’avait plus personne de son côté pour ce qu’elle venait de commettre.
L’épée se trouvait à côté d’elle, entourée d’un drap blanc alors qu’elle venait de la dérober une heure plus tôt dans le bureau de son père. Elle attendait le Prince, Thalion, au lieu de rendez-vous, une grande clairière auprès du royaume de la Reine et si elle n’était pas là pour commettre un crime, elle aurait pu apprécier la beauté de cet endroit.
La jeune fée tripota ses oreilles, pensive et anxieuse, pour finalement passer ses mains dans ses cheveux encore ondulés de son bain. Elle avait revêtu un pantalon d’entraînement et une simple blouse blanche si une quelconque difficulté venait à apparaître : ainsi elle pourrait s’enfuir plus rapidement.
Une branche craqua : Anastae leva sa tête et constata qu’il ne s’agissait que du Prince.
Ce dernier s’approcha un petit sourire sur les lèvres, ses cheveux blonds tout ébouriffés et ses yeux rubis brillant , les lèvres gonflées. Elle en déduit rapidement qu’il devait prendre du bon temps avant de venir à elle et avec horreur, elle se demanda si Emma était cette jeune elfe.
Elle secoua sa tête.
Emma ne pouvait pas toucher les elfes trop longtemps :
- Je vois que tu as réussi, sourit-il. Je ne suis pas déçu.
Une nausée la saisit en songea à ce qui l’attendait quand elle rentrerait chez elle.
Thalion voulait peut-être tout simplement cette épée pour son propre plaisir personnel et rien d’autre : qu’est ce que cela allait lui coûter ? Elle serra sa mâchoire et hait pendant un instant d’avoir cette partie elfe en elle qui ne pouvait refuser sa part de marché.
Elle lui tendit l’épée sans aucune réponse et aussitôt qu’elle fut saisie par des mains du sang royal, elle se leva.
Anastae était tout de même satisfaite d’une chose : Leith avait touché cette épée, si jamais il la lui fallait absolument, grâce à son don, il pourrait la téléporter dans ses mains. Elle espérait juste que le Prince ne s’en rendrait pas compte mais elle ne se faisait pas tellement de soucis à ce sujet.
Elle tourna le dos au Prince, estimant que tout se finissait là et maintenant, quand Thalion la saisit par le poignet :
- Anastae…, chuchota t-il.
Elle haïssait la manière qu’il eut de prononcer son prénom : ce murmure grave qui semblait vouloir en dire beaucoup plus, comme s’il regrettait que tout cela se finisse maintenant. Elle haïssait la façon dont ce faux prénom sonnait, comme pour mieux lui rappeler que ce n’était pas le sien.
Anastae ferma pendant quelques secondes ses yeux et lui répondit :
- Qu' y a-t-il ?
- Si tu veux t’entraîner avec moi… Tu peux. Ma part de marché n’avait pas de limite dans le temps et il n’y a…
- Je préférerais que nous ne parlions plus de ce qu’il s’est passé. Par la même occasion, si tu pouvais avoir la délicatesse de ne dire à personne que c’est grâce à moi que tu as obtenu cette épée, je t’en serais reconnaissante.
Un bref coup d’oeil derrière lui lui permit de voir que le Prince fronçait ses sourcils :
- Qu’as-tu risqué en m’apportant cette épée ?
Un ricanement jaillit de sa gorge sans qu’elle ne puisse s’en empêcher. Elle ne pouvait définitivement pas lui dire que son père allait sans doute la frapper pendant le dîner de ce soir et que tout le monde la regardait avec une certaine pitié sans jamais oser se confronter au monstre qu’était son géniteur.
Anastae avait trop de fierté pour cela.
Alors, elle se contenta de s’arracher à sa prise et de souffler :
- Rien qui ne devrait t’importer.
- Je veux savoir si quelqu’un a touché à cette précieuse épée !
Jamais Anastae n’avait vu son père autant en colère : son beau visage devenu rouge de colère et sa voix se brisant sous une fureur à l’état pur. Il semblait et était prêt à frapper quiconque dirait quelque chose de suspect, c’était sans doute pourquoi ses frères ne disaient rien et que sa belle-mère avait presque les larmes aux yeux.
Anastae se murait dans le silence et n’était pas prête d’en sortir, peu importe ce qu’il disait. Le silence valait mieux avec son père : un seul mot de travers et c’était la gorge tranchée, surtout pour elle.
Il abattit lourdement sa main sur la table en verre, la cassa sous sa force, et poussa un feulement de colère.
La jeune fée tremblait.
Les mains serrées autour de sa robe en lin ,qu’elle avait revêtue après avoir brûlé ses habits qu’elle portait pour apporter l’épée au Prince, se retenant de toucher son oreille comme à chaque fois qu’elle était stressée, des sueurs froides remontant le long de son dos.
Elle cligna une fois des yeux, puis deux, puis trois, alors que la voix de son père résonnait dans le salon :
- Ce ne peut être que l’un d’entre vous ! Personne d’autre ne connaît l’emplacement de la clé de secours !
Bien sûr que si !
Cette cachette était si évidente pour un général, quiconque d’un peu futé pouvait la trouver et son père n’avait jamais voulu réellement la cacher. Alors pourquoi…
Un rire nerveux lui chatouilla la gorge. Tout ce que voulait son père en ce moment précis était de rejeter la faute sur elle. Elle en était convaincue jusqu’à ce que… :
- Meludiz, sourit alors son père en prenant un ton doux. Mon très cher fils, je sais combien tu aimes cette épée car elle te reviendra quand tu deviendras général, mais n’aurais-tu pas voulu précipiter ton rêve ? Serait-ce pour cela ta crise de colère et ta fuite d’une journée ?
- Que…, souffla son frère, choqué comme l’était toute la famille.
- Meludiz, souriait toujours son père. Tu me déçois énormément.
Il brandit son poing.
Jamais il n’avait frappé l’un des frères, au grand jamais : il devait être tellement plongé dans sa colère qu’il n’arrivait plus à réfléchir correctement et en perdait son discernement. Sinon ce poing se serait dirigé vers Anastae.
C’était elle qui avait volé cette fichue épée, si Meludiz s’était comporté comme le pire des ingrats la dernière fois, il ne méritait pas de subir cela.
Le poing se rapprocha du visage de son frère :
- Père, hurla alors Anastae.
Le poing se figea dans l’air :
- Une révélation à faire, claqua t-il.
- Non, mentit-elle en sentant sa gorge brûler. Seulement une supposition.
Elle tenta de paraître assurée, releva son visage et planta son regard dans celui fou de rage de son père :
- Je pense et il semble logique que quelqu’un en ai contre nous. Un serviteur à tout de même voulu me tuer quelques jours plus tôt, il ne serait pas impossible qu’une rebellion s’opère contre notre famille et que cette dernière souhaite nous dérober certaines choses précieuses.
Elle prit une grande inspiration :
- L’emplacement de cette clé n’était un secret pour personne qui prêtait un peu près attention à notre mode de vie. Je pense et suis certaine qu’un espion extérieur nous surveille sans que nous ne nous en rendions compte. Meludiz porte trop d’affection pour vous et cette épée. Jamais il n’aurait commis pareil crime.
Un silence plana sur le grand salon et elle crut pendant un instant qu’elle n’avait fait que jeter de l’huile sur le feu. Elle se mordilla la lèvre inférieure dans l’attente de la réponse de son père :
- Bien, soupira-t-il alors en baissant son poing. Pour le moment, je m’en tiendrais à cette explication. Mais si j’apprends que c’est l’un d’entre vous qui l’a dérobée, je ne me montrerai pas aussi clément. N’est-ce pas, Anastae ?
Cette dernière hocha la tête.
Son père ne perdit pas plus de temps ici et après de dernières paroles informant qu’il allait se renseigner sur les groupes de rebelles et chercher cette épée aussi loin qu’il le pourrait, le reste de la “famille” se retrouva seule.
Luthias, qui avait été figé depuis que son père avait tenté de lever la main sur son jumeau, se rapprocha de ce dernier et en posant une main réconfortante sur son épaule lui demanda avec sérieux :
- Tout va bien ?
- Oui, répondit-il en tremblant. Je crois.
Sa belle-mère se leva et se précipita vers Meludiz pour venir l’enserrer de ses bras en chuchotant des choses telles que “mon pauvre chéri”, “tout va bien”... Malgré elle, Anastae sentit une douleur dans son cœur en songeant que personne ne s’était jamais comporté comme cela avec elle alors qu’elle se faisait battre en face d’eux.
Elle se leva sans adresser un seul regard à ses frères et commença à rejoindre les escaliers quand la voix de Meludiz la stoppa :
- Anastae…
Sa mâchoire se crispa :
- Merci pour…
- Ne dis rien, s'étrangla-t-elle presque. Je ne veux pas de ton merci.
Tout cela était de sa faute, si elle l’avait sauvé des coups de son père, c’était par simple culpabilité. Si elle n’avait rien fait, qu’il s’était trouvé qu’elle n’avait pas touché à cette épée, sans doute l’aurait-elle laissé faire…
Son côté humain sûrement, cette partie si égoïste qui venait parfois l’étrangler, lui aurait hurlé de le laisser subir ce qu’elle avait elle-même enduré pendant des années. Une certaine satisfaction l’aurait sans doute envahi quand elle l’aurait vu prendre ces coups qui lui étaient normalement destinés.
Anastae était loin d’être une bonne personne, une héroïne d’histoire à l’image parfaite et qui se sacrifiait sans cesse pour les autres, Anastae, malgré tout, cumulait les défauts des humains et des fées.
Sous ces pensées, elle se précipita dans sa chambre et ferma sa porte à clé : Anastae espérait seulement que Meludiz n’aurait pas la bonne idée de se téléporter ici.
Elle retira sa robe, la mort dans l’âme, et se vêtit de sa robe de chambre pour s’allonger sur ce lit si confortable. Bien qu’elle n’éprouvait pas une seule once de fatigue, elle se sentait vidée. Elle avait envie de tout oublier, de ne plus penser à ce qu’elle avait fait.
Malheureusement, Anastae était en partie humaine.
Et les humains, à défaut de ne pas vivre longtemps, avaient une excellente mémoire.
Deux semaines s’étaient écoulées.
Deux semaines sans turbulences, où le calme avait régné sur sa demeure, à l’Académie, où le Prince n’était pas revenu la voir, que son père n’avait rien découvert sur l’épée volée, où personne n’avait tenté de la tuer et où ses frères commençaient à redevenir comme avant…
Anastae avait commencé à se détendre, à ne plus être constamment sur les nerfs, et sans doute était-ce pourquoi elle avait accepté cette soirée de bal avec Luciana.
Elle se trouvait donc dans la chambre immense de cette dernière, en train de se faire maquiller par son amie, une robe rouge qui dévoilait tout son dos et le début de sa poitrine sur elle. Anastae avait vu la robe sur le lit, l’avait fixée avec de gros yeux mais n’avait pas encore osé se regarder avec ce vêtement sur son corps.
Luciana n’était pas quelqu’un qui faisait les choses à moitié et Anastae l’avait compris après avoir passé ces deux dernières semaines uniquement avec elle. Cette dernière s’installa plus confortablement sur ses genoux et appliqua un rouge à lèvres pour finalement se relever et sourire :
- Absolument parfait.
- Ce n’est pas trop ?
- Bien sûr que c’est trop, s’amusa t-elle. Mais comme ça, tout le monde se retournera sur toi.
Ce n’était pas vraiment le résultat souhaité mais Anastae savait que si elle osait dire une remarque déplacée sur son maquillage et sa tenue, Luciana se ferait un plaisir de le lui rendre au centuple. Son amie était sadique, elle l’avait également comprise.
Anastae se leva, prit une grande inspiration, et se tourna vers le miroir qui faisait deux têtes de plus qu’elle pour se contempler : effectivement, c’était trop. Mais qu’est ce qu’elle était jolie de cette façon. Elle qui s’était toujours considérée comme une des plus moches fées, ces magnifiques créatures, se rendit compte aujourd’hui qu’avec seulement un peu d'artifice, elle pouvait ressembler à son espèce.
Sa robe rouge soulignait la courbe délicate de ses épaules ainsi que sa taille, remontait sa poitrine d’une façon presque indécente et la façon qu’elle avait de mouler chaque courbe de son corps lui donnait un air de tentatrice. Ses cheveux attachés en chignon bas dévoilait ses oreilles rehaussées de nombreuses créoles bien que toujours trop petites, et les mèches qui tombaient sur le début de cou affinait son visage. Visage qui était couvert d’un très joli maquillage ombragé et ses lèvres couvertes d’or tranchaient avec son teint de neige.
Anastae se trouvait belle, indécente mais belle.
Elle tourna un instant sur elle, ses talons claquant sur le sol en verre de Luciana, et le bracelet de diamants se balança à son poignet :
- Je suis jolie, déclara-t-elle.
- Bien sûr que tu l’es, sourit tendrement Luciana. N’en doute plus jamais. Maintenant aide moi à fermer cette robe.
Anastae s’empressa de le faire et, d’humeur festive, elle déposa dans ses cheveux une broche de diamants qui étincelait de mille feux. Luciana jeta un regard critique à sa tenue et, d’un geste sûr, elle fendit la longue robe d’une seule main. Anastae faillit s’étrangler devant son geste et manqua de lui demander ce qui lui avait pris avant de se rendre compte que ce mouvement était plus que contrôlé.
Désormais, la robe était fendue le long d’une de ses cuisses et lui donnait un air encore plus tentateur, dévoilant la peau pâle de ses jambes et la couleur dorée du vêtement s’accordant à merveille :
- Tu n’as pas peur du risque, déclara alors t-elle.
- J’ai d’autres robes, gloussa Luciana. Je ne me serais pas attristée de la perte de celle-ci.
Sans plus attendre, son amie se leva, la saisit par le bras et la conduisit dans les couloirs de sa demeure, adressant un signe de la main à une proche de leur famille qui était chargée de surveiller leur habitat pendant la semaine : les parents de Luciana n’étaient que très rarement chez eux.
Anastae songea que c’était sans doute à cause de ça que lui était venu ce caractère fougueux : Luciana était libre comme l’air, elle devait se croire tout permis.
Mais après tout, c’était cela qui faisait son charme, elle aurait tort de s’en priver.
Anastae avait le sentiment d’être dévisagée par tout le monde.
Elle qui avait pris l’habitude d’être dans l’ombre de ses frères et de son père lorsqu’elle se rendait aux bals royaux, avoir le sentiment d’être le centre de l’attention dans un bal avec des nobles la rendait presque mal à l’aise. Sans doute était-ce la présence de Luciana qui attirait les regards mais Anastae savait très bien que plusieurs d’entre eux se posaient également sur elle.
Elle remarqua le soulèvement des lèvres d’un elfe alors qu’il la dévisageait des pieds à la tête, ou encore le baiser qu’une fée lui avait envoyé, la gorge rejetée en arrière.
Inconsciemment elle se rapprocha de son amie et baissa les yeux vers le sol : d’un seul coup elle avait le sentiment d’être nue devant la foule. Ce fut alors que Luciana lui donna un coup de coude et la força ainsi à relever sa tête pour la regarder et lui jeter un coup d’oeil agacé :
- Redresse-toi, lui ordonna son amie. C’est normal d’être regardé de cette façon.
- Pour toi peut-être, grommela Anastae.
- On va s’amuser, rétorqua Luciana avec un petit sourire en coin. Cesse donc de t’en faire pour trois fois rien.
Sur ces mots, son amie se dirigea vers le buffet et s’engagea ainsi dans une immense clairière où plusieurs elfes et fées dansaient en riant, une coupe dans la main et des chaussures dans l’autre. Anastae songea que cette soirée avait l’air bien plus festive et détendue que celles de la royauté. Mais après tout, quoi de plus normal, ces créatures étaient libres de tout mouvement ici.
Comme pour faire échos à ses pensées, un cri de douleur retentit plus loin et une fée à côté d’elle gloussa, ses cheveux argentés flottant dans le vent. Encore plus loin, Anastae aperçut une pixis agenouillée dans l’herbe qui était en train de pleurer alors que plusieurs fées lui tiraient les cheveux et la noyaient sous des boissons elfiques.
Elle frissonna et frotta ses bras de ses mains pour finalement se résigner à suivre Luciana qui était en train de choisir quelques coupes gorgées d’alcool elfique. Cette dernière s’empressa de lui en donner une et Anastae trempa ses lèvres dans ce mélange qu’elle savait divin mais addictif :
- Je sens une bonne ambiance ce soir, déclara alors son amie.
- Vraiment, railla-t-elle. En deux secondes, j’ai déjà pu voir une pixis se faire martyriser.
- Elle s’en remettra.
Anastae haussa un sourcil, consciente que cela faisait partie de son mode de vie, mais se retint de dire quoique ce soit pour ne pas engager une conversation délicate. Dans tous les esprits des elfes et des fées, ceux qui leur était inférieur par leur sang était leur jouet.
Mais ce soir, elle s’amusait.
Elle termina sa coupe en une gorgée et reposa le verre sur un plateau, sa tête tournant déjà légèrement. A peine l’avait-elle reposée que Luciana lui en donnait une deuxième mais cette fois-ci en l’entraînant sur la piste de danse. Son amie la prit par la main, la fit tourner sur elle-même et Anastae gloussa en terminant sa deuxième coupe.
Elle tira sur son bras, le lâcha et Anastae se mit à tourner sur elle-même, les bras grand ouverts et rejeta sa tête en arrière. Par la suite, elle souleva sa robe et entama une suite de pas de danses apprise dans sa jeunesse alors que Luciana la suivait avec une grâce inimaginable.
Anastae passa ses bras autour du cou de son amie et elles commencèrent toutes les deux à valser en riant, gloussant, enchaînant coupe sur coupe.
Anastae s’amusait. Vraiment.
Certes Luciana pouvait se montrer cruelle par moment, ou arrogante avec un sale caractère, mais elle restait une très bonne compagnie et avec elle, Anastae avait enfin le sentiment de pouvoir se montrer comme elle était vraiment.
Si on excluait sa partie humaine, bien évidemment.
A cette pensée, elle gloussa une nouvelle fois et sentit à peine une main saisir la sienne et l’éloigner légèrement de son amie qui prenait des coupes sur le plateau. Elle se retrouva confrontée à un elfe au sourire de chat qui lui rappelait vaguement quelqu’un mais en moins bien.
L’elfe passa ses mains sur ses bras et lui chuchota au creux de son oreille :
- Tu me réserves une danse ?
- Non, sourit Anastae. Je passe la soirée avec mon amie.
Elle se dégagea d’un coup d’épaule et s’apprêtait à saisir la coupe que Luciana lui tendait quand l’elfe insista en posant de nouveau sa main sur son bras :
- Allez, sourit-il. Juste une.
- Raahhh… Fous-moi la paix.
- Pas besoin d’être désagréable, siffla t-il. Allez viens.
Désormais de mauvaise humeur, comme si ce seul petit incident avait sapé toute sa joie de profiter enfin d’une soirée, elle écrasa le pied de l’elfe de son talon de sept centimètres. Avec satisfaction, elle entendit un grognement de douleur dans ses oreilles et il la lâcha finalement.
Luciana passa un bras autour de ses épaules et plaqua sa joue contre la sienne :
- Maintenant va-t'en, dit-elle toujours à l’adresse de l’elfe. Tu es en train de gâcher notre soirée.
- En plus ton sourire de chat ne lui ressemble pas, gloussa Anastae, la vue floue.
Elle tangua sur ses hauts talons et fit un signe de la main pour qu’il s’en aille, ce qu’il fit avec une belle insulte à leur égard. Luciana ne se fit pas prier pour murmurer la pire insulte elfique, haut et fort, faisant tourner les têtes sur leur duo.
Anastae saisit finalement la coupe et la vida d’un seul coup : cette fois-ci, elle eut un instant de lucidité lui disant qu’elle abusait trop et qu’elle ne tiendrait sans doute pas aussi longtemps que Luciana qui, elle, semblait encore avoir le contrôle de son corps.
Elle était grisée, comme si elle pouvait faire n’importe quoi, comme si elle pouvait tout dévoiler sans que cela n’ait aucune conséquences. Anastae allait sans doute faire n’importe quoi sous très peu mais elle s’en fichait : ce soir, elle s’amusait et assumera les conséquences demain matin.
Elle releva sa robe et manqua de tomber en avant, ce qu’elle aurait fait sans l’aide de son amie qui gloussa :
- Tu n’as plus toute ta tête…
- Tu t’es vue, rigola Anastae. La déesse qui ne sait presque plus marcher avec des talons.
Luciana rougit presque :
- Ne t’avises pas de le dire à qui que ce soit…
- Dis-moi, changea alors Anastae de sujet. Comment ça se fait que tu n’ait pas vraiment d’amis proches ?
- Tout le monde veut être mon ami, sourit-elle. C’est pourquoi j’ai le luxe de les choisir et avant, aucun d’entre eux n’était intéressant. Toi, tu l’es bien plus.
Une certaine tristesse surgit dans ses veines.
Est-ce que Luciana était seulement amie avec elle car elle possédait des secrets ? Ce serait probable mais Anastae ne voulait pas d’une amitiée basée sur cela… La chose la plus simple serait sans doute de lui poser la question mais l’ivresse la saisit de nouveau et elle tituba jusqu’à un banc proche.
Elle s’assit sur ce dernier, enleva ses chaussures d’un coup rapide de pieds, et commença à ne pas se sentir bien. Sa tête tournait trop, elle voyait trouble devant elle et si ces dernières heures avaient été géniales, désormais, elle les regrettait presque.
Un frisson la saisit mais elle gloussa une nouvelle fois :
- Tout va bien, demanda Luciana après l’avoir rejointe.
- Moyen, avoua Anastae en reprenant son souffle. Je crois que j’ai trop bu.
- Il se fait tard, on peut rentrer si tu veux.
- Ouais, je veux bien.
Luciana l’aida à se relever, lui avoua au creux de son oreille qu’elle était en train d’user de son don car elle n’avait aucune force physique et que si elle vomissait, elle lui en tiendrait rigueur. Anastae se contenta de lui sourire et se concentra sur comment ses pieds pouvaient avancer sans prêter attention à ses chaussures, délaissées sur le sol.
Elles montèrent toutes deux dans le carrosse de la famille de son amie et Anastae s’empressa de s’étendre de tout son long sur la banquette, légèrement transpirante et sa tête tournant de plus en plus. Malgré ça, une certaine euphorie restait, ce qui était étrange en prenant en compte le fait que son corps ne suivait absolument pas le rythme.
Le trajet se fit dans le silence et Luciana la laissa rejoindre seule sa demeure, lui souhaitant une bonne fin de soirée et lui expliquant qu’elle devait rejoindre son fiancé assez rapidement, qu’elle était déjà assez en retard. Anastae se contenta de lui adresser un grognement et tanga sur ses pieds nus dans la grande allée.
Il faisait nuit noire et ses yeux plus faibles que ceux des fées et des elfes avaient du mal à s’y habituer, elle manqua donc de tomber deux ou trois fois ou de se prendre les pieds dans les buissons qui bordaient son chemin. Une nausée la saisit mais elle pouffa, contente d’elle-même, sans penser à ce qui allait lui arriver si son père ou sa belle-mère la trouvait dans cet état.
Manque de chance, ce fut sa belle-mère qui lui ouvrit, ses yeux lançant des éclairs, enveloppée dans une robe de chambre en satin, ses boucles blondes regroupées dans un chignon las. Anastae lui adressa un bref sourire et la salua :
- Bonsoir…
- Pourquoi rentres-tu si tard, siffla-t-elle, toujours agacée.
Anastae pouffa :
- Je me saoulais, je dansais, le temps passe très vite.
Elle rentra dans la demeure, se prit les pieds dans le tapis, tomba en avant dans un petit cri et s’étala, face la première, sur ce parquet parfaitement lissé. Anastae éclata de rire, son ventre se tordit douloureusement et elle roula sur le dos, le regard fixé sur le lustre :
- Heureusement que ce parquet est parfaitement nettoyé, railla-t-elle en gloussant. Les pauvres pixis ne se sont pas tués à la tâche pour rien.
- Jeune fille, relève toi.
Sa belle-mère avait croisé ses bras, la porte désormais fermée, et avait toujours ce regard si sévère et agacé. Anastae ne se souvenait pas l’avoir déjà vu porter un autre regard sur elle. Pourtant, cette fée était persuadée qu’elle était sa progéniture, comme quoi on ne pouvait pas duper le véritable instinct d’une mère.
Cette fée lui procurait toujours de la peine, à la voir se démener pour avoir l’intention de son père, mais en ce moment précis, Anastae pensa uniquement au fait qu’elle était plus pathétique que jamais.
Sa belle-mère se pencha, lui prit le bras violemment et la força à se relever dans un simple geste qui indiquait à quel point elle avait bien plus de force qu’on ne le pensait :
- Tu vas aller prendre un bon bain froid et ensuite tu iras te coucher, compris ?
- La soirée vient juste de commencer, répliqua Anastae. C’est bon, c’est la première fois que je fais ça…
- Tu as une image à garder, je n’ose pas imaginer ce que les autres ont pensé de toi en te voyant dans cet état… Tu me fais…
Sa belle-mère se coupa dans son élan, se mordant la lèvre inférieure, et sembla regretter ce qu’elle s’apprêtait à dire et bien que Anastae savait mieux que quiconque l’idée qui lui était venue en tête, cela la blessa plus qu’elle ne l’aurait pensé.
Ce fut pourquoi elle gloussa, s’accrocha au cou de sa belle-mère et lui sourit de toutes ses dents :
- Je vous fais honte, c’est ça ?
- Je…
- Vous ne pouvez pas mentir, continua Anastae en jubilant. Vous avez honte de votre propre fille, comme tout le monde ici je pense. Mais rappelez-vous que c’est cette même fille qui a sauvé l’un de vos fils chéris des coups de notre père. Ayez un peu plus de reconnaissance.
Une gifle claqua sur sa joue et la réveilla partiellement de cette étrange réalité floue.
Sa belle-mère la regardait presque avec haine cette fois-ci et elle lui cracha au visage :
- Navrée que tu ne sois pas la fille que j’espérais, navrée que tout ce que tu fasses soit un désastre, navrée que ta simple présence me donne la nausée. Je me demande comment je peux seulement être ta mère, une personne comme moi ne peut pas donner naissance à quelqu’un comme toi, c’est impossible…
Anastae eut le sentiment qu’on lui plantait un couteau dans le ventre et se mit à manquer sa mère, à se demander ce qu’elle aurait dit en la voyant ainsi. Mais Anastae avait un caractère distant et ne pouvait pas montrer à quel point ses mots l’avaient blessés.
Elle se contenta donc de lui répondre sur le même ton :
- Je me demande exactement la même chose.
J'avance petit à petit dans ma lecture et j'aime vraiment ce que je découvre. Les personnages deviennent de plus en plus intéressant et les tensions qui surgissent sont fantastiquement dramatique!
En bref, j'adore!
Ravie que l'histoire te plaise, ça me va droit au coeur, en espérant de tout coeur que la suite te plaise et soit au niveau de tes attentes et encore merci pour ton intérêt !
Tu gagnerai sans doute à approfondir davantage des passages qui aurait pu être intéressants (comme cette fête) !