Anastae ouvrit des yeux gonflés et prit une respiration sifflante à cause de sa gorge desséchée. Elle avait le sentiment qu’elle venait de dormir mille ans et en même temps trois minutes. Des souvenirs de la vieille tentait de lui revenir mais tout était si flou qu’elle ne se souvenait que très brièvement du visage de Luciana qui lui demandait si elle allait bien.
Quelle bête question.
La jeune fée roula dans ses draps, s’étira, grimaça face à son mal de tête et aux nausées qui commençaient à poindre le bout de leur nez. Ce dernier frémit quand elle se rendit compte qu’elle avait encore les cheveux mouillés et une image d’elle en train de se faire jeter dans le bain par sa belle-mère lui revint en mémoire.
Une grimace surgit sur son visage : si sa belle-mère l’avait vue dans cet état, elle ne donnait pas cher de sa peau quand elle sortirait de sa chambre. Pour le moment, elle allait donc rester dans cette dernière.
Cependant, à peine avait-elle eu cette idée, que la porte s’ouvrit doucement, dévoilant le visage d’une pixis aux yeux doux et au sourire poli sur ses lèvres. Anastae cligna ses yeux, se demandant s’il y avait un moyen pour elle de s’échapper à sa vue, mais il était déjà trop tard :
- Mademoiselle, je suis venue vous préparer pour l’Académie.
Anastae secoua sa tête douloureuse en appuyant ses mains contre ses tempes :
- Pas question, je reste ici aujourd’hui.
- C'est un ordre de votre mère, hésita pendant un instant la servante.
Anastae n’avait pas envie de la contrarier plus qu’elle ne l’était déjà et si elle aurait voulu plus que tout au monde rester ici pour aujourd’hui, elle ne voulait absolument pas que sa belle-mère vienne lui faire une leçon et que son père vienne se mêler à cette dernière.
Ce fut donc la mort dans l’âme, qu’elle émergea de son lit, sa robe de chambre glissant sur une de ses épaules, alors que ses cheveux humides venaient frotter sa peau dans une fraîcheur apaisante. Anastae se posta devant sa coiffeuse, prit de l’eau qui se trouvait dans la fontaine à côté et s’en aspergea le visage.
De suite, elle eut l’esprit un peu plus clair et elle put se mettre sur la chaise avec la certitude qu’elle n’allait pas s’endormir sur cette dernière. D’un vague mouvement de doigt, elle indiqua son armoire et clama :
- Trouve moi quelque chose d’ample et de simple.
La pixis obéit de suite à son ordre et se mit à fouiller dans ses nombreux vêtements tout en repoussant du bout de son pied la robe rouge de la nuit dernière qui était encore trempée de son bain de minuit et posée au sol comme si Anastae l’avait jetée sans plus de considération alors qu’elle appartenait à son amie.
Elle se pencha donc pour ramasser cette robe qui pesait désormais deux fois son poids et la jeta sur le dossier de son fauteuil, par simple geste de conscience.
La pixis lui tendit alors une robe bleue, très simple, aux longues manches et sans aucune traîne encombrante. Anastae se leva et se glissa derrière son paravent pour se changer : elle n’acceptait pas de se déshabiller devant ses serviteurs, elle trouvait cela très… étrange.
Elle sortit et s’installa de nouveau à sa coiffeuse, déjà un peu plus présentable, et laissa la pixis nouer ses cheveux dans une natte avant de lui appliquer certains produits qui devaient rendre son teint plus agréable et lumineux : l’effet fut là, elle n’avait plus l’air si malade.
Anastae remercia celle qui s’était occupée d’elle. Cette dernière lui sourit et lui expliqua en quelques mots qu’elle allait ranger sa chambre et qu’elle devrait mieux partir si elle ne voulait pas se retrouver dans un tourbillon de pixis qui allaient bientôt débarquer ici.
De toute façon, elle devait se rendre à l’Académie.
Elle chaussa rapidement des chaussures à petits talons, accrocha à son poignet un bracelet pour la forme, et descendit l’escalier très lentement, au bord de la nausée. Un pixis l’attendait en bas de ses escaliers interminables et portait un plateau sur lequel était posé une tasse fumante :
- Tenez Mademoiselle, déclara t-il après une révérence. Pour vous réveiller.
- Qu’est-ce donc, bailla-t-elle.
-Un mélange d'herbes elfiques qui contient de la membrane de…
Anastae coupa court à ses explications d’un geste de la main et d’un petit sourire, après tout elle s’en fichait de savoir ce qu’il y avait dans cette tasse :
- Merci, dit-elle en saisissant la tasse chaude.
- Je vous en prie.
Tout en avançant vers le salon, elle en but son contenu, contente de constater que cette saveur la réveillait effectivement et calmait ses nausées et son mal de tête. Sur le canapé se trouvaient Luthias et Meludiz qui parlaient des prochaines évaluations à venir.
Anastae ne leur prêta pas plus attention et se dirigea vers l’immense table pour y saisir une tranche de pieds avec du miel dessus. Luciana, à force de l’en gaver, lui avait finalement transmis sa passion pour cette nourriture.
Derrière elle, Luthias se racla la gorge.
Elle devina sans très grande peine que son côté malsain était de retour et qu’il allait, très bientôt, lui faire le plaisir de lui siffler des petites méchancetés, dissimulées par un sourire :
- Alors comme ça, notre chère Anastae commence à fréquenter les fêtes du peuple ?
Anastae sentit sa mâchoire se crisper, appuya ses doigts sur ses tempes pour éviter que son frère lui donne encore plus le tournis. Encore très calme pour la situation, elle tournoya et saisit une coupe de jus de fruits pour la vider. Le liquide la revigora et elle se sentit presque d’attaque :
- Au moins je m’amuse, rétorqua-t-elle sans le regarder.
- Tu as changé, siffla Luthias. Jamais tu n’aurais fait ça avant.
Elle esquissa un petit sourire et tout en saisissant son panier avec son drap dedans, elle lui répondit le plus gentiment possible :
- Luthias, il est encore tôt. Ravale ton venin pour toi, je t’en prie.
Un coup d'œil derrière elle lui permit de voir la bouche de ses frères s’ouvrir en grand et son sourire prit une tournure satisfaite, fière de sa réplique. Désormais, presque de bonne humeur, elle sortit de la demeure, prit le chemin de l’Académie, songeant que malgré tout, Luthias avait raison.
Elle avait changé.
- Luciana ne sera pas là aujourd’hui ?
Anastae secoua sa tête, ce qu’elle faisait désormais à chaque fois qu’on lui posait la question, et pour cause cela faisait bien la vingtième fois. Si son amie ne trouvait pas d’intérêt dans ses camarades, ces derniers semblaient l’admirer plus que tout.
Le jeune elfe se retourna, visiblement déçu, et rejoignit ses amis qui parlaient à voix basse en lui jetant parfois de petits regards. Sans doute car elle était la seule à avoir des nouvelles de Luciana et qu’avant que cette dernière ne devienne amie avec elle, elle était invisible.
Elle étendit ses jambes devant elle, soupira, et saisit son récipient rempli d’eau pour le porter à ses lèvres. Si ses nausées étaient passées, elle avait toujours mal à la tête et ses yeux se fermaient parfois sans qu’elle ne le veuille, ce qui était très désagréable pour suivre un cours sur l’histoire elfique.
Heureusement, la pause de midi était arrivée avec une heure d’avance grâce à l’absence d’un professeur.
Anastae leva ses yeux de son panier et les promena sur la grande plaine où quelques élèves des autres classes venaient se mélanger, riant, délicieuses créatures se comportant comme s’ils étaient des dieux vivants. Elle aimait observer ce genre de scènes, elle avait le sentiment que cela la rapprochait de la vie active.
Mais quelque chose avait changé depuis la dernière fois qu’elle s’était retrouvée seule pour une pause de midi. Si avant elle s’était détachée de tout et qu’elle avait regardé cette plaine avec ce sentiment de vide qui gonflait de plus en plus dans sa poitrine, aujourd’hui, elle éprouvait une certaine gratitude de pouvoir, malgré tout, faire partie de ce monde.
Certe, elle se serait sans doute mieux intégrée dans le monde des humains, avec sa vraie mère, et la vie y serait sans doute plus facile, jamais quelqu’un n’aurait pu la soupçonner qu’elle avait du sang elfique dans ses veines, mais ce monde, à défaut d’être cruel, était tout de même beau.
Alors qu’elle se perdait dans ses pensées, elle se confronta, sans même faire attention, à Thalion qui traversait la plaine, sans doute pour pouvoir rejoindre celle qui se trouvait plus au sud, toujours avec son ami aux cheveux rouges, son sourire malicieux sur ses lèvres tombant de suite quand son regard se confronta au sien.
Bien contre elle, elle garda le contact pendant quelques secondes, durant lesquelles son visage garda une expression neutre. Thalion releva son menton et, sans doute bien contre lui, lui renvoya une image princière, arrogante. Anastae fronça ses sourcils mais alors qu’elle allait détourner les yeux, quand la voix d’un elfe particulièrement exécrable retentit dans ses oreilles :
- Anastae, tu ne m’en voudras pas si je te pose quelques questions ?
- Menfi, siffla-t-elle. Luciana ne viendra pas aujourd’hui.
- Je ne viens pas pour elle.
Ses yeux fougères étincelaient, visiblement content de lui. Anastae soupira : elle savait qu’il allait lui faire une autre remarque sur sa solitude, sur combien elle n’était pas aimée dans cette Académie. Mais cela lui passait bien au-dessus de la tête, surtout quand il s’agissait de remarque de Menfi.
Ce dernier se pencha, comme on parlerait à un enfant, et suggéra de sa plus belle voix :
- C’est vrai que toi et le Prince… Vous passez beaucoup de temps au lit ?
Les rumeurs.
Anastae vit rouge.
Un nouvel élan de colère surgit dans ses veines, l’étranglant presque sur le moment, et elle se retrouva dans l’incapacité de parler, ou même de respirer correctement. Elle espérait juste que grâce à son regard noir, plus que les ténèbres, il comprennait que cela l’énervait vraiment.
Menfi y comprit tout autre chose et sourit encore plus :
- Pas de réponses… J’en déduis que j’ai raison.
Il fallait qu’elle dise quelque chose, maintenant. Même si ce n’était qu’un non étranglé, il fallait que quelque chose sorte de sa gorge.
Mais quelqu’un vint à sa rescousse, bien que ce soit la dernière personne qu’elle espérait qui le ferait :
- Ta déduction est très mauvaise, même inexistante si je poussais un peu loin.
Anastae ne se retourna pas, constata seulement que Menfi ouvrait sa bouche en grand ainsi que ses yeux, les joues devenues rouges. Elle se contenta de laisser son regard sur Menfi, encore en colère et dans l’incapacité d’articuler correctement.
Il soupira derrière elle et continua sur sa lancée :
- Sérieusement, vous n’avez pas mieux à faire que de lancer des rumeurs grotesques comme celles-ci ?
- …
- Eh bien, réponds.
Menfi déglutit avant de chuchoter :
- Je ne sais pas.
-Eh bien réfléchis désormais avant de parler. Anastae et moi ne sommes même pas amis, ne va pas croire qu’à chaque fois que je parle à une fée, j’en fais directement ma pute.
Menfi grommela quelques mots incompréhensibles, lui adressa un signe de menton pour le saluer, et tourna les talons aussi rapidement qu’il était arrivé mais pour une toute autre raison désormais : se prendre une réprimande du Prince n’était pas vraiment une journée souhaitée.
Anastae décida finalement de se tourner et rencontra le regard rubis de Thalion, qui la fixait avec une certaine intensité. Elle ne dit rien, il en fit de même et ils se contentèrent de se dévisager, encore et encore, sans qu’aucune parole ne soit prononcée.
Finalement, Thalion se détourna d’elle et reprit sa marche aux côtés de son ami qui regardait la scène avec un certain détachement. Anastae, quant à elle, se leva, plia son drap de lin, et se dirigea vers un endroit qu’elle espérait un peu plus calme.
Anastae était en train de terminer sa journée enveloppée dans sa couette, un livre entre les mains, une tasse fumante posée sur sa table de chevet, les rayons de la lune éclairant sommairement. Elle aimait ces instants de tranquillité qu’elle avait retrouvé durant ces deux dernières semaines.
Elle se permettait également de rêvasser, de re-penser à sa rencontre avec l’elfe élémentaire sans pour autant ne pas ressentir un petit pincement au coeur : malgré ce que Emma lui avait dit, elle ne l’avait pas revue et elle avait donc subi une petite déception, bien que déjà heureuse d’avoir pu la rencontrer.
Elle soupira et changea de position pour tourner la page d’un livre qui contenait le récit d’une ancienne guerrière qui devait subir la colère des dieux pour s’être considérée comme leur égaux. Une histoire intéressante.
Anastae prit le temps de lire encore deux chapitres avant de poser son livre et de se consacrer à sa tasse remplie d’herbes elfiques.
Perdue dans ses pensées, le visage de Thalion surgit devant ses yeux et, pour la première fois depuis qu’elle lui avait donné cette épée, Anastae se laissa divaguer à son sujet. Le Prince en personne était intervenu pour la défendre, du moins dans une sorte de défense, au sujet des rumeurs qui couraient sur eux. A moins qu’il était seulement intervenu pour sauver sa propre réputation, ce qui était tout de fois sans logique au vu de ses intentions de garder le contact avec elle.
Cependant, n’importe fut les raisons qui l’avait poussé à intervenir, elle se sentait reconnaissante envers lui et peut-être légèrement… coupable ? Sans doute de lui avoir parler de la sorte, de l’avoir repoussé aussi violemment alors qu’il l’avait aidée au détriment de vouloir quelque chose d’elle… Thalion lui avait proposé de lui donner une nouvelle fois des conseils mais elle avait refusé car elle avait peur.
Si son père venait à s’apercevoir qu’elle fricotait avec la royauté, que c’était elle qui avait donné son épée au Prince et qu’elle avait continué de le voir après cela, Anastae ne donnait pas cher de sa peau. Heureusement, du moins pour le moment, son père tournait toujours en rond sur qui avait bien pu prendre son épée. Personne n’avait rien vu ou entendu, aucune trace n’avait été laissée et il ne pouvait pas se permettre de faire une nouvelle conclusion hâtive après ce qui s’était passé avec Meludiz.
Cette histoire était donc figée, pour le moment.
Anastae espérait juste qu’elle le resterait pour toujours.
Elle termina sa tasse sur cette pensée et reposa cette dernière sur sa table de chevet avant qu’elle ne remarque qu’un violent courant d’air venait de secouer ses cheveux.
Perturbée, elle tourna donc son regard vers la fenêtre, qu’elle se rappelait pourtant avoir fermé quand elle se rendit compte qu’une silhouette commençait doucement à se dessiner devant ses yeux, juste en face de son lit.
Si son premiere réflexe fut de paniquer et de saisir sa tasse comme une quelconque arme, Anastae se calma tout de suite: des boucles bleus flottaient dans l’air, une longue robe blanche suivait le mouvement, des iris d’un orange pur se figèrent sur elle et un magnifique visage se présenta à elle.
Emma se trouvait réellement devant elle, à quelques centimètres du sol, volant encore, et esquissa un petit sourire dans sa direction sur ses lèvres rubis.
La tasse s’échappa des mains de Anastae et tomba sur son lit dans un léger bruit. Anastae était figée, la bouche entrouverte et savoura en silence le spectacle inconnu aux yeux de presque toute la population. Des questions surgirent bien dans son esprit mais son admiration l’empêcha de les formuler.
Emma se posa délicatement sur le sol, releva son beau visage et lui adressa de nouveau son sourire le plus doux pour déclarer de sa plus belle voix :
- Bonsoir, Anastae.
A la mention de son prénom, cette dernière se réveilla légèrement de sa stupeur :
- Emma… Q-Que fais-tu là ?
- Désolée de venir aussi tard.
Elle ne répondit pas à la question, s’approcha d’un pas, puis de deux, toujours avec une grâce légendaire et fixa le plafond d’un air perdu qui n’appartenait qu’à elle. Une nouvelle fois, Anastae avait le sentiment qu’elle n’était pas vraiment présente, détachée de tout et de rien à la fois.
Emma prit une grande inspiration :
- Navrée également de ne pas avoir pu te donner de nouvelles ces dernières semaines mais c’était… compliqué.
- Je comprends, répondit Anastae en se redressant totalement. Mais pourquoi…
- Sois honnête, déclara-t-elle alors.
Ses boucles volèrent pendant un instant, ses lèvres se pinçaient, et son magnifique visage se froissa dans une expression indéchiffrable. Anastae ne savait pas ce qu’elle allait lui demander mais au plus profond d’elle, elle savait qu’elle serait incapable de lui cacher quoique ce soit.
Emma repoussa une boucle derrière son oreille :
- Est-ce que quelqu’un a tenté de t’assassiner dernièrement ?
Un éclair de lucidité surgit dans l’esprit de Anastae et elle sut reprendre un peu de son esprit sans se focaliser totalement sur sa présence : désormais, elle arrivait à réfléchir. Si Emma savait qu’un serviteur avait tenté de la tuer, il était possible qu’elle détienne d’autres informations sur le pourquoi du comment. Mais se fier à elle si prématurément était risqué, elle en avait conscience.
Derrière l’image de l’elfe élémentaire, elle restait une elfe qu’elle ne connaissait pas et amie avec la royauté et un certain Thalion avec qui Anastae n’entretenait pas vraiment de bons rapports.
Emma se rendit compte de son hésitation et s’expliqua vaguement :
- Je ne te veux aucun mal, en réalité… Je m’inquiète pour ta situation. De plus, en toute honnêteté, cela concerne d’autres personnes que toi.
Aurait-elle réellement des informations ? Elle n’en n’avait aucune idée. Pour le moment, elle allait l’écouter parler :
- Tu aurais des informations, demanda Anastae.
- Oui.
Emma se racla doucement la gorge :
- Mais pour cela, il faut que tu viennes avec moi.
- Maintenant, s’écria presque Anastae.
Elle ne pouvait pas quitter la demeure ainsi, au plein milieu de la nuit, sans que les gardes postés dehors ne s’en aperçoive, car ils allaient le faire. Si son père venait à découvrir sa petite escapade nocturne, elle ne donnait pas non plus cher de sa peau.
Mais ce qui contraignait le plus Anastae, était que toutes les cellules de son corps lui hurlaient de suivre Emma, qu’elle n’aurait pas cette chance deux fois et qu’elle faisait d’une pierre, deux coups. Cette profonde intuition effaçait toute sa logique, cette dernière lui chuchotait d’attendre au moins demain matin pour prendre un peu de recul sur la situation.
Emma avait toujours cet air contrit sur le visage et s’approcha encore de deux pas, pour se trouver au bord de son lit et Anastae écarquilla ses yeux quand elle vit que sa longue robe flottait toujours autour d’elle dans un petit courant d’air. Emma ne se rendit compte de rien et lui offrit de nouveau un sourire un peu perdu :
- Anastae… Je sais que ce que je te demande est soudain et que tu dois être perdue mais je t’en prie… Viens avec moi.
La jeune fée poussa un râle contre elle-même, contre sa faiblesse face à cette elfe élémentaire, à son beau visage, à sa curiosité un peu malsaine. Emma sursauta presque face à son soudain élan et recula de plusieurs pas pour garder une distance de sécurité raisonnable.
Anastae repoussa d’un mouvement de jambes ses draps, traversa sa chambre non sans peine et saisit dans son armoire sa tenue de combat : un pantalon avec une simple tunique. En quelques secondes, elle l’avait enfilée derrière son paravent et sans aucune parole saisit un élastique pour nouer ses cheveux dans une queue de cheval basse et très mal faite. D’un geste rapide, elle chaussa ses hautes bottes et déclara :
- Je te suis.
- Merci, chuchota Emma. Si ça ne te dérange pas, nous allons passer par ta fenêtre.
Anastae n’eut nul besoin de se pencher par cette dernière pour savoir que sa chambre se trouvait au derrière étage d’une très haute demeure et que deux bonnes dizaines de mètres les séparaient du sol. Si Emma avait réussi à se glisser par sa fenêtre, Anastae ne pourrait pas en faire d’autant.
Elle secoua alors sa tête :
- Impossible pour moi. Nous allons devoir passer par la porte de service.
Pour la première fois, le sourire d’Emma changea : il se transforma en un rictus malicieux qui lui rappela Thalion et elle agita sa main dans un geste presque prétentieux. Cette image lui permit presque de se détendre quand elle se rendit compte que Emma était comme elle : une créature perdue et tellement précieuse qu’on la privait de tout.
Que risquait-elle en venant s’aventurer jusqu’à chez Anastae ?
L’elfe élémentaire s’approcha de sa fenêtre, l’ouvrit très doucement pour ne faire aucun bruit avant de lui faire signe d’approcher de l’ouverture :
- Certes, je ne peux pas te faire fusionner avec l’air mais en contrôlant ce dernier, je pourrais amortir suffisamment notre chute pour que tout se passe bien.
- Tu en es sûre, demanda Anastae, peu confiante par rapport à son plan.
- Je l’ai déjà fait plus d’une fois avec Thalion et Hélios, ça devrait aller.
Elle lui adressa de nouveau son petit sourire :
- Si ce n’est pas le cas et bien… Sache que je mourrais après toi.
- Rassurant, grommela-t-elle en s’approchant malgré tout.
Emma tendit sa main.
Cette dernière prit une lueur légèrement bleutée bien que floue et l’air commença à se faire plus violent jusqu’à secouer leurs cheveux. Fascinée, Anastae ne bougea pas devant ce spectacle, remerciant la Reine de la laisser voir une telle manipulation.
Emma fronça légèrement ses sourcils, sa poitrine se souleva quand elle prit une grande inspiration et sans plus d’hésitations, elle se percha sur le rebord de la fenêtre qui était, par chance, plutôt épais.
Bien que l’elfe élémentaire venait juste de se percher au-dessus du vide, Anastae hésitait : elle n’avait jamais été vraiment addicte aux grandes hauteurs et cela, elle devait bien l’avouer, l’effrayait légèrement. Cependant, en voyant Emma, certes de dos, mais qui paraissait aussi confiante en ses capacités, lui donna le courage nécessaire pour se poster à ses côtés sans l’effleurer ne serait-ce qu’une fois.
L’elfe plissa ses yeux orangés et lui murmura :
- A trois, nous sautons dans le vide.
- Attend, la coupa Anastae dans son élan. Tu es sûre que…
- Un…
Emma ne l’écoutait plus et le vent se faisait de plus en plus violent et frais :
- Attends, répéta la fée.
- Deux…
- Emma, supplia-t-elle une dernière fois.
- Trois !
Anastae n’eut d’autres choix que de sauter à la suite de l’elfe élémentaire.
Retenant par miracle son cri alors qu’elle sentait le vide s’ouvrir en dessous de ses pieds, le vent fouetter son visage et une étrange sensation saisir tout son corps pour le figer, Anastae ferma violemment ses yeux en attente de la chute qui ne vint, en effet, jamais.
Le vent sembla d’un seul coup la retenir, d’abord doucement puis de plus en plus fortement. Alors que les deux jeunes créatures ne chutaient presque plus et se contentaient de flotter, Anastae trouva le courage d’ouvrir ses yeux.
Ces derniers se confrontèrent à Emma.
Bras et mains tendus, elle avait un visage qui n’exprimait que la concentration la plus extrême. Sa main brillait fortement et ses iris semblaient faire de même : cette lueur les illuminait d’une manière tout à fait magique et féerique, sans mauvais jeux de mots.
L’admiration que Anastae ressentait envers Emma ne fit que de s’accroître et elle sut, désormais, que cette créature était réellement la plus magique et la plus magnifique de toutes.
Les pieds de la fée touchèrent finalement le sol :
- C’était… incroyable, déclara-t-elle, le souffle court.
Emma s’effondra alors à ses pieds.
Anastae tenta bien de la rattraper mais ce fut finalement dans la panique qu’elle ne le put et se contenta de se précipiter vers elle pour constater son état. N’osant tout de fois pas la toucher, la fée se contenta d’observer son visage fatigué en lui posant des questions :
- Que se passe-t-il ?! Tu ne te sens pas bien ?
- Juste… u-un moment, ça va passer.
Effectivement, après quelques secondes où Anastae n’osa rien faire à part se dissimuler dans l’ombre de la demeure, Emma posa ses mains à terre et se redressa sur ses genoux, dévoilant sa robe désormais tâchée d’herbe.
De la sueur coulait sur son front, ses mains tremblaient et Anastae saisit alors le sens des paroles de l’elfe élémentaire qui lui avouait qu’elle n’avait plus rien à voir avec ses ancêtres : malgré toute l’admiration qu’elle lui portait, elle devait tout de même admettre que Emma n’était plus ce que les elfes élémentaires étaient, elle était bien plus faible.
Peinée de la voir dans cet état, Anastae se pencha et lui demanda du bout des lèvres :
- Je peux faire quelque chose ?
- Il n’y a malheureusement rien que tu puisses faire, sourit-elle faiblement. Je n’ai pas assez de ressources, c’est tout.
Elle agita ses doigts, comme si elle cherchait quelque chose, et, avec toute les peines du monde, parvint à se dresser sur ses pieds. Rapidement, elle essuya la sueur qui coulait sur son front et repoussa d’une main tâchée de terre ses boucles collées à ses tempes.
Anastae tendit sa main, Emma fixa cette dernière et fronça ses sourcils, l’air déconcertée. La jeune fée se rendit compte de sa bêtise et s’empressa de retirer son aide, riant nerveusement :
- Désolée, j’avais oublié…
- Pas de soucis, chuchota Emma. Mais nous devons nous dépêcher, c’est dangereux de rester ici immobile.
- Nous allons faire tout le chemin à pied, demanda alors Anastae. C’est assez loin…
- Des chevaux nous attendent dans la clairière de cette forêt, répondit l’elfe.
Encore tremblante, elle se mit pourtant à courir, sa longue robe blanche flottant dans le vent à cause de ce mouvement. Anastae ne posa pas plus de questions, il était trop tard pour cela, et suivit l’elfe élémentaire : elle se rendit vite compte que Emma était rapide, bien plus qu’elle, et elle dû redoubler d’effort pour parvenir à la suivre.
Quand l'allure ralenti, la jeune fée lui demanda :
- Où as-tu donc appris à courir aussi vite ?
- Un ancien avantage des elfes élémentaires, lui répondit Emma, encore pâle. Tu ne le savais pas ?
- Ce n’est mentionné nul part en tout cas.
Elle lui offrit un petit sourire :
- Eh bien tu as désormais une information inédite.
Anastae aperçut au loin les chevaux et accéléra une dernière fois pour saisir les rênes d’une des bêtes. Heureusement, Anastae était une bonne cavalière à défaut d’être une bonne guerrière, ce qui n’avait donc aucun intérêt pour son père qui l’interdisait désormais de faire du cheval pour le plaisir.
La jeune fée posa ses mains sur le dos de la bête, se perchant sur sa pointe de pieds, et à la seule force de ses bras quitta le sol pour passer une de ses jambes de l’autre côté du flanc du cheval : ce dernier, très docile, ne broncha pas et se contenta seulement de se secouer légèrement.
Anastae le félicita d’une légère caresse et saisit sa crinière, prête à partir avant de se rendre compte que Emma n’était toujours pas sur le dos de son cheval. Cette dernière était en train de remonter sa robe pour ne pas s’emmêler les pieds dedans et de nouveau d’une grâce inimaginable, se hissa sur le dos de l’animal de la même façon que Anastae quelques secondes auparavant mais tout cela en robe.
Après un dernier regard en arrière, le cheval de l’elfe se mit à galoper à travers les arbres ce qui incita Anastae à suivre le mouvement, mille questions en tête mais n’osant en poser aucune. Le chemin se fit dans le silence où seuls le bruit des sabots qui fracassaient le sol retentissait.
Puis, Anastae se rendit soudainement compte que la destination était possiblement le château où vivait la Reine avec les deux Princes, dont un qu’elle connaissait. Ce qu’elle était en train de faire venait de la frapper de plein fouet et elle comprit rapidement qu’elle ne devait pas se laisser influencer par cette jeune fée bien que son esprit lui hurlait de lui faire confiance:
- Emma, hurla-t-elle alors. Nous nous rendons au château ?
- Oui, répondit simplement cette dernière.
- Je ne peux pas, soupira alors Anastae sans pour autant ralentir son allure. Si on venait à me surprendre en train de rôder là-bas...
Emma tourna sa tête et souffla sur une boucle bleue qui barrait son regard orangé. Elle fronça très légèrement ses sourcils et une expression enfin autre que neutre surgit sur son visage bien que Anastae était incapable de la décrire tant elle était complexe.
Mais presque aussi rapidement, la fée détendit son visage et souffla entre ses belles lèvres :
- Je te promets sur mes ancêtres que personne ne te surprendra ce soir. Parole d’elfe élémentaire alors s’il te plaît, fais-moi confiance.
- Je n…
- Anastae, s'écria-t-elle alors d’un ton suppliant. Je ne vais pas te forcer mais mets de côté cette peur pour enfin comprendre ce qui t’es vraiment arrivée.
Emma ne l’avait sans doute pas fait exprès, mais Anastae eut le sentiment qu’elle s’adressait directement à ce qu’elle était et avait vécu, comme si elle savait tout depuis le début et depuis toujours. La fée lâcha la crinière de son cheval pour tirer sur ses cheveux, perdue avant de se rendre compte, trop tard malheureusement qu’elles étaient déjà devant le château.
Emma stoppa son cheval, descendit de ce dernier et se tourna de suite vers Anastae, plongeant ses yeux étranges dans les siens :
- Aurais-tu peur ?
Anastae répondit presque sans hésiter :
- Non.
Pourtant, sa gorge venait de la brûler.
Effectivement, l'arrivée de l'elfe élémentaire est soudaine, ce qui est voulu, et cet effet qui peut sembler un peu "gros" sera expliqué plus tard :)