Empire, Druus, Premier Monde…
–Alors, Seigneur Mérisol, quelles sont les nouvelles ?
–Comme prévu, ils se terrent dans les tunnels. Ils ont compris qu’ils seraient les prochaines cibles, mais je ne doute pas que notre flotte les élimine comme convenus.
–Qu’avez-vous prévu ? intervint le Seigneur Wullie sy Daft, récemment promu à la tête de Ciryatan. Un bombardement, comme sur Anwa ?
Le Seigneur Mérisol secoua la tête.
–Impossible, malheureusement. Ils sont trop profonds, trop bien protégés. Nous allons bombarder les quelques villes pour marquer les esprits, puis nos gros vaisseaux débarqueront les troupes du Seigneur Mork.
–Contre des Maagoïs ? fit Wullie, dubitatif. On peut leur faire des reproches, mais ce sont d’excellents soldats. Des tueurs.
Plusieurs Seigneurs approuvèrent les paroles de leur confrère. Malgré sa jeunesse apparente, Wullie évoluait à la Cour depuis suffisamment longtemps pour en connaitre les courants. Se ranger auprès des Stolisters lui avait été une évidence, et sa récompense pour aider à la traque du clergé d’Orssanc avait dépassé ses attentes. Dès que Varyl serait couronné Empereur, il serait intronisé comme Seigneur du Quatrième Monde.
Mérisol haussa les épaules.
–L’élite est par définition peu nombreuse. Que pourront-ils, face à nos blindés ? Ils seront submergés.
–Et le Commandeur ? osa Perellis.
Originaire du Deuxième Monde, il s’était précipité auprès de Varyl pour solliciter sa protection dès qu’il avait été clair qu’Anwa subirait le même sort qu’Arian. Varyl se doutait que sa loyauté serait inconstante, mais pour le moment, il lui permettait de montrer l’union de tous les Mondes autour de sa personne.
–Comme le souhaite notre bien-aimé Empereur, Orhim le garde, nous allons tenter de le capturer vivant.
–Il sera un exemple pour les Familles qui nous résistent encore, approuva l’Empereur Varyl. Je suis satisfait de ton travail, Mérisol.
–Merci, votre majesté, fit le Seigneur en s’inclinant.
–Il y a toujours des troubles sur Bereth et Aranel, hasarda le Seigneur Perellis.
–Je sais, sourit Varyl. Et j’ai déjà une solution à ce problème.
Les regards se portèrent sur une silhouette en retrait. Pas le Prêtre au crâne rasé, au regard vide et inhumain, pour l’instant dissimulé sous une ample capuche.
Une silhouette à la posture raide, malgré les coussins sur lesquels elle se tenait assise, une silhouette qui arborait les robes rouges du deuil, un voile écarlate dissimulant ses traits.
Plusieurs des Seigneurs déglutirent, nuls n’osèrent protester.
–Voilà ce qui légitimera ma position, asséna Varyl.
–Je ne suis pas un bibelot que vous pouvez utiliser à votre convenance.
La voix était à la fois douce et sèche.
–Je vous le répète, Varyl, poursuivit-elle en omettant délibérément son titre. Vous vous leurrez si vous comptez obtenir quelque chose de moi.
–Nous verrons bien, susurra Varyl pour cacher son mécontentement.
Qu’elle ose ainsi s’opposer à lui devant les Seigneurs ! Peut-être Orhim avait-il eu raison. Peut-être aurait-il dû l’éliminer dès qu’il en avait eu l’occasion.
Non.
Il ne la laisserait pas l’humilier.
Bientôt, très bientôt, il la posséderait, et l’Empire serait définitivement à lui.
*****
Une fois de plus, la réunion s’éternisait. Le Commandeur Éric soupira. L’envie de voler lui démangeait les ailes dès qu’il restait plus d’une heure dans ces tunnels. Plus loin, Evan discutait ferme avec Kota, un envoyé de Bereth, le Cinquième Monde. Dame Anka avait rejoint les Stolisters, tout en les assurant de son soutien. Elle jouait sur les deux tableaux, et ni Éric ni Evan n’appréciaient cette position.
Jahyr était persuadé qu’elle était de leur côté, et si Éric lui accordait plus de crédit, il restait méfiant. Dame Anka de Bereth avait des raisons de leur en vouloir. Son grand-père, le Seigneur Seregon, était mort lors d’une Purge décidée par l’Empereur Dvorking, Orssanc garde son âme. Son successeur, le Seigneur Noyang, père d’Anka, avait succombé lors de l’attaque organisée par l’Arköm Samuel, vingt ans plus tôt. La Famille de Bereth avait donc souffert sous le joug de la lignée impériale, et Éric savait que le Cinquième Monde serait une recrue de choix pour les Stolisters : c’était sur Bereth que stationnaient les troupes régulières de l’Empire. Une armée immense, largement utilisée par l’Empereur pour maintenir l’ordre au sein des neuf Mondes. Même si Dame Anka les rejoignait, rien n’indiquait que les petits seigneurs de province sous ses ordres la suivraient tous.
Avec Anwa rasé, Arian détruit, Druus aux mains des Stolisters tout comme Ciryatan… Sur Iwar, ils résistaient, pour le moment, mais combien de temps tiendraient-ils ? Les Stolisters possédaient une flotte bien plus importante qu’ils ne l’avaient escompté. Nienna restait aux mains d’Yssa, l’épouse de Jahyr, qui continuait à faire passer son mari pour mort et essayait de gagner du temps. Aucune nouvelle officielle ne parvenait de Meren et d’Aranel ; pour Éric comme pour Jahyr, c’était mauvais signe. Les Stolisters gagnaient en puissance chaque jour davantage, tandis qu’ils étaient piégés ici. L’envoyé de Dame Anka était arrivé juste avant le siège de la planète, et était clairement mécontent d’être coincé ici avec eux.
— Dame Anka ne nous trahira pas, dit doucement Jahyr en suivant son regard.
— Et Kolgulir de Meren nous a promis assistance, ajouta Evan.
Éric renifla.
— Ce gamin ? Il est entouré de bien trop de vieux conseillers pour décider lui-même de ses repas… et je n’ai pas vu ses couleurs sur les rares vaisseaux qui s’attaquent aux Stolisters.
Le Commandeur était le seul à se rendre quotidiennement à l’extérieur.
— Il nous a fait parvenir un message, pourtant, réfléchit Jahyr. Ses chantiers navals tournent à plein régime, je peux le confirmer.
— Pour nous ou pour les Stolisters ? rétorqua Éric.
Evan fronça les sourcils.
— Kolgulir, travailler pour les Stolisters ? Impossible ! Il a toujours vénéré l’Empire. Quant au design des vaisseaux qui nous attaquent… tu auras remarqué qu’il est clairement différent des nôtres.
— Tu n’as pas tort, reconnut Éric.
— Je sais que tu ne l’apprécies pas, poursuivit Jahyr. Et c’est compréhensible, après le… différend qui a marqué vos familles. Néanmoins…
Il s’interrompit devant l’air sombre du Commandeur.
— Un différend ? siffla-t-il. Kolgulir est en vie de part notre volonté et il ferait mieux de ne pas l’oublier.
— Il est vrai que nous nous attendions tous à ce que le sang coule davantage, osa Evan.
Éric balaya ses paroles d’un geste de la main.
— Assez parlé du passé. La survie de l’Empire passe avant tout le reste. Nous prêterons main-forte au Seigneur de Meren sur le champ de bataille, si besoin.
Jahyr sentit un poids invisible lui être ôté des épaules. Les inimités étaient fréquentes, au sein des Familles. Heureusement, le Commandeur était un homme pragmatique et sa loyauté envers l’Empire primait sur tout le reste. Ils auraient besoin de toutes les bonnes volontés, pour qu’il reste un Empire à sauver lorsque le prince Rayad reviendrait.
–Seigneur Éric !
Le Commandeur sortit de ses pensées comme son second, essoufflé, s’inclinait brièvement devant lui.
–L’usurpateur Varyl est sur tous les écrans.
Les conversations se turent dans la grande salle quand l’image apparut sur le mur. La connexion était mauvaise, l’image sautait de temps à autre, mais Varyl était clairement reconnaissable, avec la couronne d’or et de rubis sur son front. Plus inquiétant, une silhouette portant le rouge impérial, entièrement voilée, se tenait en arrière-plan. Éric fronça les sourcils.
–Je n’aime pas ça, marmonna Jahyr, préoccupé.
–Fais venir Dame Esbeth immédiatement, ordonna Éric.
Son second s’esquiva aussitôt.
Le discours était des plus communs ; Varyl demandait à tous de se rendre et de se convertir au culte d’Orhim. Les statues d’Orssanc devaient être détruites. Tous les crimes passés seraient pardonnés. Éric ricana. Le premier imbécile venu aurait pu comprendre que de discrets accidents s’assureraient de la mise au pas des dissidents des premiers temps.
Il se détourna de l’écran un instant pour accueillir son épouse. Le souffle court, Esbeth était prête à lui passer un savon de la déranger pour si peu quand elle aperçut l’image. Elle pâlit aussitôt et Éric se précipita pour lui proposer une chaise.
–Orssanc me brûle, murmura-t-elle. C’est bien elle ?
–Je le crains, commenta sombrement Jahyr. Peux-tu le confirmer ?
Esbeth plissa les yeux, comme pour mieux discerner ses traits voilés. La silhouette restait droite, digne, immobile, les mains sagement croisées sur son ventre, alors que Varyl dévoilait ses plans à tous les citoyens de l’Empire.
Il comptait utiliser l’Impératrice Iris, Orssanc lui donne sa force, pour asseoir son emprise sur les neuf Mondes, et surtout, légitimer son occupation du trône.
Éric serra les dents. Qui oserait lui tenir tête, après son mariage ? Alors que l’Impératrice paraissait aussi docile qu’une esclave ?
Esbeth saisit son bras.
– Regarde.
Éric reporta son attention sur Iris, cherchant un détail qui lui avait échappé. En vain. À ses côtés, Esbeth souriait, malgré les larmes dans ses yeux.
– Ses mains.
Il les repéra aussitôt. De temps à autre, elles bougeaient. Les paumes s’ouvraient, des doigts s’étendaient ou se repliaient. Si lentement, si subtilement, qu’il était difficile de le remarquer.
Un code étrange que seules les femmes de Nienna maitrisaient.
– Que dit-elle ? demanda Jahyr, tendu.
– Elle ne se soumettra pas, dit Esbeth, les yeux fixés sur l’écran. Elle n’accepte pas ce mariage et elle ne l’honorera pas.
– Grand bien lui fasse, renifla Éric. Elle ne sera ni la première ni la dernière à être prise par la force.
Un coup de coude sous les côtes lui coupa le souffle.
– Imbécile, marmonna Esbeth en se frottant discrètement le bras. Crois-tu qu’elle ignore le sort qui l’attend ? Elle est trop surveillée pour s’enfuir, le Palais est une prison. Il ne lui reste qu’une seule option, et elle va la prendre.
– Si elle est aussi surveillée que tu le dis, nota Jahyr, ils ne la laisseront pas mettre son plan à exécution.
Le sourire carnassier d’Esbeth tranchait avec ses yeux rougis.
– Tu devrais avoir confiance en notre cousine, Jahyr. Iris n’a qu’une parole, et sa détermination est intacte. A-t-elle seulement versé une larme, quand son père l’a conduite sur Druus pour qu’elle devienne l’une des nouvelles Iko, à vingt ans à peine ? Au contraire d’autres candidates, elle a accepté son sort pour en tirer le meilleur parti. Pas étonnant qu’elle ait fini par séduire Dvorking lui-même, Orssanc garde son âme.
– Comment sa survie a-t-elle pu nous échapper ? questionna Éric, préoccupé. Nous pensions avoir vu son corps.
– Elle est douée, admit Jahyr. Nul doute qu’elle aura orchestrée sa mort. Si elle se retrouve maintenant aux mains des Stolisters… c’est qu’elle a été trahie par quelqu’un qui la connaissait bien.
– Ne pouvons-nous rien tenter pour la sauver ?
Esbeth posa une main apaisante sur le bras de son époux.
– Non, répondit-elle doucement. C’est ce que les Stolisters attendent. Et ce qu’elle refuse. La cérémonie de mariage est pour dans deux jours. Je n’ai pas réussi à comprendre si elle comptait s’ôter la vie avant ou pendant la cérémonie, mais une chose est sûre, Varyl va avoir une drôle de surprise.
******
Lorsque la caméra s’éteignit, Iris s’obligea à rester immobile. Surtout, ne pas se trahir. Quelqu’un avait-il capté son message ? Elle l’espérait. Le Commandeur Éric résistait toujours, sur Iwar, selon les rares rumeurs qui lui parvenaient. Avec le Seigneur Jahyr, il avait sauvé ses enfants. Chaque jour, elle priait Orssanc qu’ils soient en sécurité. Peut-être aurait-elle dû se révéler à eux, ce jour-là. Elle avait cru pouvoir jouer les infiltrées, découvrir qui était derrière ces machinations.
Elle avait sous-estimé Varyl, et surtout, sous-estimé son acolyte. Orhim avait regardé droit vers elle, à travers le mur. Était-il l’incarnation d’un Dieu comme il se murmurait ? La plupart du temps, il ne disait rien, le visage inexpressif plongé dans les profondeurs de sa capuche. Varyl lui caressait la tête, comme il l’aurait fait à un chien bien dressé. Non, cet Orhim ne pouvait être un Dieu. Jamais il n’aurait pu accepter cette déchéance.
Sauf si Varyl avait un moyen de pression sur lui, un moyen de lui faire exécuter sa volonté ?
Elle aurait aimé poursuivre ses investigations davantage, transmettre ses informations, mais le temps lui manquait, désormais.
Iris serra les poings. Varyl se leurrait s’il imaginait qu’elle deviendrait sa chose. Elle n’avait jamais été celle de Dvorking, Orssanc garde son âme, et jamais elle ne serait le jouet d’un autre homme.
Elle avait été l’une des plus jeunes parmi les Iko nouvellement reformées ; les plus âgées, épanouies dans leur maturité, l’avaient regardée de haut. Certes, Iris avait pour elle la jeunesse, mais elles possédaient l’expérience.
Les premiers temps, Iris s’était fait discrète. Chaque Iko disposait d’une chambre et d’un petit salon personnels au sein du harem. La garde était exclusivement féminine, de nombreuses servantes étaient à leur service. Chaque semaine, elles avaient la possibilité d’écrire une liste de leurs souhaits ; les douceurs, cosmétiques, robes et accessoires leur étaient livrés. Iris avait pu décorer sa chambre avec le jaune et l’orangé qu’elle adorait ; une bibliothèque s’était rapidement remplie de livres. Chaque jour, une servante la massait avec une huile parfumée. Il avait fallu plusieurs jours à Iris pour faire son choix. Le jasmin, la rose ? Trop communs. La vanille ? Trop entêtante. C’était finalement sur la mangue qu’elle avait arrêté son choix. Se démarquer tout en restant subtile. Car Iris n’oubliait pas que malgré les sourires et la bonne humeur relative qui régnait au sein des Iko, la rivalité était au cœur de la vie au harem. Qui serait la prochaine Iku, la favorite reconnue ?
Dvorking était venu les visiter une semaine après leur installation. Son choix s’était arrêté sur Sémilla, venue de Bereth. Et dans une routine qui s’était établie, chaque soir, ou presque, elles se présentaient pour son choix, apprêtées avec soin. Si le tour de certaines revenait plus souvent qu’à l’habitude, aucune favorite ne s’était encore clairement démarquée, et la frustration grandissait au sein du harem.
Iris se souvenait parfaitement du jour où le choix de Dvorking s’était posé sur elle, ces quelques secondes où son cœur s’était arrêté de battre sous la surprise et l’émotion. Elle s’était levée pour le suivre, sans oublier de rabattre la gaze écarlate devant son visage dès qu’ils avaient quitté les quartiers du harem.
Les appartements de Dvorking étaient tout proche ; malgré tout, Iris se demandait s’il serait différent en privé de l’image qu’il donnait en publique.
Cette première soirée ne s’était pourtant pas déroulée comme prévue. Le Commandeur Éric s’était fait annoncer, porteur de nouvelles urgentes. Dvorking avait marmonné, préoccupé, avant de quitter les lieux.
Iris s’était retrouvée seule, ne sachant que faire. Déambuler dans le Palais n’était pas interdit aux Iko, même si elles quittaient rarement les quartiers du harem. Elle n’avait reçu aucune consigne. Devait-elle rentrer dans ses appartements, devait-elle l’attendre ici ?
Une part d’elle était mue par la curiosité ; l’autre par la peur. L’Empereur Dvorking, Orssanc lui prête sa force, se montrait impitoyable dans ses colères.
Doucement, elle avait poussé la porte de la chambre, allumé la lumière. Un style minimaliste, avait-elle aussitôt songé. Une vaste armoire, un lit, un bureau impeccablement rangé aux tiroirs verrouillés. Les murs étaient nus et blancs.
Avec un soupir, elle était revenue dans le petit salon, détaillant la décoration. Une table basse, entourée d’un large sofa et de plusieurs fauteuils. L’un d’eux était plus usé que les autres, nota-t-elle. Une bibliothèque était richement garnie ; Iris reconnut plusieurs de ses auteurs préférés. Une coïncidence ? Dans l’une des niches inoccupée, la statuette d’un phénix en plein essor. L’artiste avait réussi à sculpter des flammes dans la pierre, avec un réalisme époustouflant.
Dans un coin de la pièce, d’immenses fleurs rouges étaient mises en valeur dans un vase peint avec délicatesse.
Si l’Empereur ressemblait à sa décoration, songea Iris, il était bien plus subtil qu’on n’aurait pu le penser au premier abord. Elle étouffa un bâillement et s’assit dans le sofa. Elle n’avait pas d’autre choix qu’attendre.
Sous son voile, malgré la précarité de la situation, Iris sourit au souvenir. Elle ne s’était réveillée que bien plus tard, dans des draps de soie. Une lumière diffuse lui avait permis de se rendre compte qu’elle n’était pas dans sa chambre ; son cœur s’était emballé aussitôt. Elle s’était endormie ? Orssanc la préserve ! C’était une faute impardonnable.
–Vous êtes réveillée ?
Iris s’était redressée au son de la voix grave. Assis à son bureau, Dvorking feuilletait plusieurs documents.
–Je suis désolée, avait-elle commencé. Je…
–Ne le soyez pas. Il n’était pas prévu que je rentre si tard.
La suite, Iris s’en souvenait parfaitement. Elle avait été formée pour être une Iko, après tout, même si plus précipitamment qu’à l’habitude. Elle s’était levée pour s’approcher de lui. Dvorking était intimidant, avec ses yeux rouges, ses fines ridules autour de son visage, et surtout, avec ses dents écarlates. Si le teint sombre comme l’ébène était commun sur Druus, Iris n’avait jamais vu de dentition aussi sanglante.
– Comment puis-je vous être agréable ?
– Je n’aime pas votre sourire satisfait, lâcha Varyl en saisissant son menton au travers du voile.
D’une tape sur le poignet, Iris lui fit lâcher prise.
– Mes pensées m’appartiennent encore, Varyl.
Elle se redressa, hautaine, avec toute la dignité qui lui restait.
– Je regagne mes appartements.
Iris n’attendit pas qu’il s’écarte pour quitter la pièce, ignora qu’il lançait ses ordres pour qu’elle soit suivie et gardée. Jamais elle n’accepterait d’être prisonnière dans ce Palais, jamais !
Ce ne fut qu’une fois dans sa chambre qu’elle s’autorisa à relever son voile.
Deux jours. C’était tout ce qui lui restait. Rayad et Shaniel avaient survécu ; ses enfants s’assureraient que Varyl connaisse le sort qu’il mérite. Et tandis qu’elle leur écrivait une dernière lettre, Iris convoqua un autre souvenir.
Le cœur battant, Iris avait dit être attendue par Dvorking pour entrer dans ses appartements. Le mensonge était venu facilement à ses lèvres. Elles étaient autorisées à circuler dans le Palais, après tout, et bénéficiaient de la faveur de l’empereur, Orssanc lui prête sa force.
Néanmoins, cette fois, Iris était anxieuse. Dvorking l’avait nommée Iku cinq mois plus tôt ; une récompense en soi, mais aussi de nouvelles responsabilités et des rancœurs à gérer. Il avait fallu si longtemps à Dvorking pour se décider que toutes avaient eu l’occasion d’y croire… et les déceptions avaient été d’autant plus vives. Si ses anciennes rivales ne lui avaient causé aucun tort, Iris n’était pourtant pas prête à leur faire confiance sur un point aussi important.
Alors, anxieuse, elle avait patienté, assise sur le sofa qui avait accueilli nombre de leurs étreintes. Plusieurs heures s’étaient déjà écoulées, quand enfin, la porte avait tourné sur ses gonds.
Dvorking avait tressailli en la découvrant là, et un bref instant, la colère avait gagné les iris écarlates.
– Je m’excuse, avait aussitôt balbutié Iris en s’inclinant profondément. Je ne savais pas vers qui me tourner. J’ai si peur…
– Des menaces ? coupa Dvorking d’une voix lasse. C’est à la Garde qu’il faut en référer. Ma journée a été difficile, Iris. Je me reposerai seul, ce soir.
Ainsi congédiée, il ne s’était pas attendu à ce qu’elle se relève et s’enhardisse jusqu’à croiser son regard.
– Vous aviez dit… que si jamais…
La jeune femme ravala sa salive, serra ses mains l’une contre l’autre.
– Il est possible que je sois enceinte. Je n’ai pas osé en parler à un médecin. J’ai eu peur que…
Dvorking s’était déjà détourné d’elle pour se saisir d’un communicateur.
– Je veux Sintior, dans mes appartements, tout de suite.
Le médecin personnel de Dvorking avait confirmé ses impressions. Iris en avait été soulagé et angoissée à la fois. Maintenant, elle deviendrait la cible de tous les opposants de l’Empereur.
Dvorking avait perçu ses craintes car il avait saisi délicatement son visage pour déposer un baiser sur ses lèvres.
– Tu m’offres le plus beau des cadeaux, Iris. N’aie crainte, tu seras protégée.
L’Empereur avait tenu parole. Un goûteur avait été mis à sa disposition, la garde renforcée autour de ses appartements dès qu’il n’avait plus été possible de tenir le secret. Les mois s’étaient écoulés, entre envie et appréhension. Dvorking s’était montré plus présent que ce qu’elle n’avait escompté, même si elle n’ignorait pas qu’il visitait les autres Iko. La naissance des jumeaux restait son plus beau souvenir. Les tenir contre elle, après les avoir sentis en elle si longtemps !
Aujourd’hui, ses enfants lui donnaient le courage d’accomplir sa dernière action en tant qu’Impératrice.
Elle ouvrit le tiroir de son bureau, souleva le double fond pour saisir un sachet de bonbons. Tellement roses, tellement inoffensifs…
Sauf s’ils étaient mélangés avec une autre substance - tout aussi inoffensive seule.
Iris se leva, déambula devant sa bibliothèque, se saisit de son recueil de poèmes préférés, l’ouvrit sur le marque-page. Un simple morceau de papier calligraphié Pour l’Éternité, agrémenté d’une feuille. Avec des doigts tremblants, elle la détacha et la posa sur sa langue, ferma les yeux tandis qu’elle se dissolvait.
Varyl devrait se passer de la marionnette qu’il désirait tant.