Les coups fusaient. Le métal des épées se fracassait, assourdissant de bruits aigus les deux combattants. Puis le silence revenait le temps d'un échange de regards – remplis d'incompréhension mutuelle, d'espoir, d'absence aussi. Puis de nouveau les épées jaillissaient en des trajectoires mortelles.
Quand il n'échangeait plus de coups, Davvy entendait en bruit de fond les échos du combat que menait Gabrielle. A chaque instant il voulait la rejoindre, l'aider à vaincre ses adversaires. Mais l'adolescent savait qu'il ne pouvait lâcher l'archange des yeux une seule seconde. Une seule erreur de sa part serait définitive.
* * * * * * *
Kaworu rejoignit les renforts un instant avant qu'ils ne lancent l'assaut final sur la cité. Devant eux, les Trônes s'étaient rassemblés en un mur géant, les empêchant de rejoindre la cité. Le feu des épées, la lumière de leurs armures aveuglaient en partie les rebelles. La bataille rangée qui s'annonçait serait décisive.
Tous les rebelles se rassemblaient, en une seule masse compacte, prête à charger. Ceux qui étaient trop blessés se reposaient sur les barges d'offrandes amenées par les renforts. Dans celle-ci, déjà bien pleines, des anges blessés, des estropiés, qui avaient voulu continuer la bataille pour Davvy, pour eux surtout. Dans les yeux des renforts se reflétaient la fatigue, la peur, la souffrance qu'avaient découvert la première vague que Kaworu avait menée. Mais rien de cela ne sembla les faire reculer, fléchir. Bien au contraire. Ils semblaient bien plus ardents qu'ils voyaient leur frères exténués, prêts à tout, pour se créer un futur, une vie.
Assurément leur charge se briserait sur ce mur rayonnant, fumant de la chaleur des épées. Mais ils chargeraient tous. Un dernier baroud d'honneur, qui ne servirait à rien, à part à eux même. A partir en paix avec leur conscience. Avoir vécu une vie, une seule, mais jusqu'au bout. Sans reset, sans remise à zéro. Une vraie vie.
Quand tous les rebelles se furent remis en ordre, ils chargèrent. Dans un silence sacré. Pas un mot, pas un cri ne fût prononcé. Un hommage silencieux, aux morts. A eux même qui allaient tomber. D'un même mouvement des milliers de paires d'ailes s'étaient mis à battre. Se rapprochant sans faillir du mur de lumière.
Le bruit de l'impact se fondit avec le tonnerre, avec le vent qui s'engouffre dans le feu. Mais le mur ne bougea pas, à peine un frémissement le parcourutr. Les rebelles avaient chargé. Ils s'étaient brisés.
* * * * * * *
« Pourquoi Davvy ? Pourquoi t'être enfui ? Pourquoi le défier ? Jusqu'ici au cœur de la vie, au cœur de notre amitié. » L'archange s'étaient mis à parler tout en tournant autour de Davvy.
A peine eu-t-il fini, ne laissant pas à Davvy le loisir d'y répondre, qu'il repartit à l'assaut.
Passe à gauche, feinte de la droite, salto avant qui se termina par un piqué vers la tête de Davvy. Ce dernier puisa un peu plus dans ses réserves d'énergie pour repousser l'archange.
« Tu avais été accueilli au saint des saints. Et pourtant tu nous as tous trahis. Tu es parti comme un lâche. El dit que tu gardes la porte que nous devons emprunter, que tu nous la caches.
- Et toi qu'en dis-tu ? »
Trop concentré sur les paroles de Mickaël, il ne vit pas l'archange plonger sur lui, et ne réussit à l'esquiver qu'en tombant par terre. Sa propre épée glissa vers l'autre côté de la salle. Il se retrouvait allongé sans arme face à un Mickaël qui semblait plus que déterminé.
« Pas la peine de parler, je sais déjà ce que tu en penses. Toi aussi tu te souviens. De notre passé, notre amitié. Et pourtant tu le suis, El. Pourquoi le suivre dans sa folie ? Dans son oubli ? »
Mickaël, la pointe de son épée appuyant sur la gorge de Davvy, avait suspendu tout geste, toute action. De sa position Davvy n'avait plus qu'à attendre le jugement, celui que donnerait la propre conscience de l’archange.
« Quand tu étais avec nous, Davvy, toi et El étiez rois. Vous aviez tout. Puis tu nous as trahis, sans un mot, une explication. Pourquoi ?! »
Le visage de l'archange reflétait la haine, tandis qu'il crachait ce dernier mot. Mais son bras, son épée ne bougèrent pas. Au fond yeux de l'ange, Davvy, vit aussi un désespoir, une peur de cette vérité qu'il cherchait à comprendre.
« Pour être moi-même. » Sa réponse avait fusée dans un murmure inaudible, mais de l'avoir énoncée Davvy en ressorti renforcé, assuré. Il puisa dans cette certitude soudaine pour affirmer avec plus de vigueur ses pensées.
« Comment veux-tu être ‘Mickaël’, si chaque jour on efface ce que tu as été ? Si chaque jour tu es de nouveau aussi neuf qu'un nourrisson. Il faut apprendre, se remémorer les bons et mauvais souvenirs. C'est cela qui fait que nous sommes, qui fait nos envies, nos désirs, nos amours. Comment peux-tu avoir été ‘Mickaël’ si tu es nouveau chaque jour ? Comment peux-tu être toi même, si ton passé est soumis au caprice d'El ? »
L'épée s'était dégagée de la gorge de Davvy. Elle restait toujours tendue entre les deux anciens amis. Le regard de l'archange était perdu. Tout comme lui-même sûrement.
« Je ne comprends rien à ce que tu racontes, Davvy. Avant on était tous ensemble ! Plus maintenant. Pourquoi ? Je crois me rappeler, me souvenir. Je ne suis pas sûr de le vouloir. »
La pointe de l’épée descendit vers le bas tandis que Mickaël parlait. Davvy voyait son ami faiblir, douter de plus en plus. Il aurait pu s'arrêter là, le réconforter, lui dire qu'ils allaient tout reconstruire, leur amitié, les souvenirs, leur passé. C'était comme un appel, à baisser les armes, cesser le combat. L'appel était tentant, subtil, irrésistible. En bruit de fond, les armes de Gabrielle sonnaient.
Revenir comme avant, de simples amis, Davvy n'en voulait pas. Il avait commencé une bataille pour sortir de ce présent sans fin, pour avoir et un passé et un futur. Il lui fallait alors appuyer sur les doutes de Mickaël. Détruire toutes ces certitudes, lui assurer qu'il ne pourrait revenir en arrière.
« Tes doutes, El n'en voudra jamais. Il effacera tout, pour te plonger dans les abîmes de l'oubli, où pas un seul souvenir, pas un sentiment ne refait surface. Un Mickaël tout neuf ressortira alors, un Mickaël qui déjà ne sera plus toi-même. »
Davvy continua sur sa lancée décrivant une vie qui n'en est pas vraiment une. Terrifiante idée que de recommencer chaque jour une nouvelle vie. Et donc mourir chaque jour de la vie qu’on avait commencé. A la fin quand Davvy n'eut plus rien à dire. Il regarda Mickaël les yeux dans les yeux. Davvy attendait la réaction de Mickaël, qui semblait de plus en plus perdu. Davvy était prêt à deux réactions de la part de Mickaël, qu'il reprenne les armes contre lui, ou qu'il le soutienne contre El.
L'angoisse et l'adrénaline soumettaient son corps à une forte tension, dans l'attente du choix de Mickaël. Être prêt à plonger sur son épée pour se battre, sans se montrer agressif pour être prêt à l'accueillir. Puis à un moment, il sembla que Mickaël avait pris sa décision, celle qu'il défendrait coûte que coûte.
« Je ne vous comprends pas toi et El. Vous aviez tout. Vous étiez les seigneurs des vents. Rien ne pouvait vous résister. Et pourtant ….Vous vous battez. L’un contre l’autre. »
Tout en parlant Mickaël s'était dirigé vers la sortie de la salle. Derrière eux le combat entre Gabrielle et les deux Trônes s'était arrêté. D'un simple coup d'aile, l'archange s'envola et sortit de la salle, sans un regard en arrière, sans une autre parole. Suivis des deux Trônes.
* * * * * * *
Kaworu sentit qu'on le rattrapait. Des mains saisirent ses épaules, et sa chute commença à ralentir. Il regarda l'ange qui l'avait sauvé d'une chute directe vers l'océan, des kilomètres plus bas, un rebelle. L'archange aurait voulu le remercier en l'appelant par son nom, mais ne le connaissait pas, comme ceux de presque tous les rebelles qui étaient sous ses ordres. Il y en avait trop. Il se contenta d'un simple « Merci », qui franchit difficilement sa bouche, mais l'ange sembla avoir compris le principe.
Brisé, c'était exactement ce qui était advenu des rebelles, après leur charge contre le mur de Gardiens. Une fois la chargé brisée, le mur avait avancé méthodiquement, refluant les rebelles de plus en plus loin de la ville. Réduisant de plus en plus les effectifs des combattants.
Quand il fut certain que les rebelles ne pourraient lancer de nouveaux assauts, les Trônes s’éparpillèrent. Les abords de la cité devinrent le chaos d'une bataille aérienne. Plus de ligne, de front, d'unité, juste des épées qui jaillissaient comme des éclairs. Les rebelles furent vite dispersés au bon vouloir des défenseurs de la cité.
C'était dans ce chaos, que Kaworu fut blessé. Se battant depuis cinq minutes avec un officier de la cité, il n'avait pas vu un autre adversaire arriver dans son dos, par-dessus. Il avait juste senti le choc sur son aile, puis la douleur fulgurante dans le dos. Ce furent quelques secondes plus tard, quand il entamait déjà le long piqué vers la mer, qu'il ressentit la douleur dans son aile gauche, cassée définitivement.
L'ange, qui s'appelait Ethroun, le ramenait maintenant vers une barge d'offrande que les rebelles tenaient encore. Tout autour, les Trônes tourbillonnaient dans l'espoir d’une faille de la part de ses défenseurs. Avec quelques acrobaties, qui firent tourner la tête à Kaworu, Ethroun réussit à éviter les Trônes, et à reposer son blessé sur la barge. Ce dernier n'eut pas le temps de le remercier, qu'Ethroun déjà repartait pour défendre la barge.
Le général réussit à se relever pour contempler le résultat de la bataille : quelques dizaines de groupes, comme sa propre barge, semblait résister aux défenseurs de la cité, mais guère plus. A part ces points où se concentraient les rebelles, et leurs bourreaux, tout était vide. Kaworu, n'eut ni cœur, ni la force, pour se pencher par-dessus la balustrade, regarder s'il pouvait voir des rebelles faisant la même chute vertigineuse qu'Ethroun lui avait évitée.
Il réfléchissait à sonner la retraite, qui assurément serait délicate, et meurtrière, quand il vit au loin, venant de la cité, un ange, qui avançait, en dehors de toute zone de combat. A son allure, sa façon de voler ce ne pouvait être qu'un archange. Quand il fut plus près, la tunique blanche, le confirma. La blondeur des cheveux le désignait comme étant Mickaël. Mais l'ange qui volait ne portait pas d'armure, aucune épée scintillante à son coté non plus.
L'archange fit un geste, sans se presser, avec sa main, désignant d'un cercle toutes les batailles en cours. D'un seul geste, sans une seule parole, tous les Trônes s'écartèrent des combats. Les flammes qui animaient leurs épées, s'éteignirent tandis qu'ils les rangeaient, tantôt dans leurs dos, tantôt à leur ceinture.
Tous les rebelles s'étaient arrêtés de bouger, net, dès que les Trônes s'étaient éloignés. Trop stupéfaits pour comprendre. Tellement estomaqués que certains avaient gardés leur position de combat, en un mime trop véridique pour qu'on puisse en rire. Les Trônes rejoignirent Mickaël, et quand l'archange s'envola, ils le suivirent, s'éloignant de la cité, leurs armures scintillantes sous le soleil couchant.
Les combats étaient finis. Ils devaient bien rester dans la cité, des anges fidèles à El, mais Kaworu doutait que ceux-ci soient prêts à continuer le combat. Pas après le départ des Trônes. Kaworu, vit tous les anges valides plonger, vers la mer, sûrement avec l'espoir de rattraper quelques camarades qui seraient en train de tomber. Ce fut la dernière chose qu'il vit, puis la douleur de son aile le submergea, et il sombra, inconscient.
* * * * * * *
Davvy courut rejoindre Gabrielle, qui fatiguée s'était assise. Elle ne semblait pas blessée, mais dans son regard Davvy lut l'effort qu'elle avait accompli.
« Je ne pourrais pas, désolé. Lui dit-elle une fois qu'il se fut rapproché.
- Ne dis rien. Tu n'es pas blessée ? On va attendre que tu te reposes. On a tous notre temps. Et puis il n'y a plus que Raphaël avec lui. Nous nous en chargerons tous les deux, puis tout sera fini. On pourra reconstruire une vie. La nôtre. »
Son dernier mot, sonnait comme une question, un espoir. Mais Gabrielle ne dut pas le remarquer, trop fatiguée. Elle observait, avec la toute concentration dont elle était encore capable, les murs de la salle. Les écritures qu'il y avait dessus s’effaçaient doucement. La lumière qui parcourait auparavant les lettres s'était arrêtée, puis s'était dispersée tentant de retrouver une cohérence, dans ce récit changeant. Gabrielle revint à Davvy, qui la soutenait, la pressant contre lui, comme pour lui redonner de la force.
« Tu as vu, Davvy. » En lui parlant elle désignait le mur. Le garçon, presque un homme maintenant, n'avait pas remarqué les changements sur le mur, trop préoccupé par l'état de Gabrielle. Elle reprit :
« Mickaël est parti, il a abandonné El, parti trouver une vérité, qui ne soit pas celle du Seigneur des Vents. Il doit être très affaibli. Ratziel, est parti pour toujours, là d'où, même nous ne pouvons revenir. Mickaël l'a quitté, pour vivre ailleurs, autrement. Moi je t'ai choisi. Il n'y a plus que Raphaël avec lui. El, il essaye encore de reconstruire une histoire. Il a tout effacé, et il cherche une histoire qui ait un sens, qui soit forte. Sans histoire, il n'ira pas loin. Il lui faut une histoire à opposer à ton passé, à tes souvenirs. Tant qu'il n'a pas d’histoire, il est faible. Dépêche-toi. Il faut le frapper tant qu'il est faible. »
« Dépêche-toi » voulait rajouter Gabrielle, quand elle s'endormie. Sa dernière pensée consciente fut qu'elle sentait que Davvy était prêt d'elle, alors qu'il aurait dû partir. Au lieu de la déposer, il prit l'ange entre ses bras, et sortit de la salle, avec elle.
Plus rien ne l'empêchait de marcher dans le sanctuaire. La brume, qui s'était prise dans leur tête, à l'aller, rendant leur avancée hasardeuse et tortueuse, semblait partie. Avant de partir à la Grande Salle, là où siégeait El, il fit un détour vers le quartier des chambres, et déposa Gabrielle dans la sienne. Il eut un dernier coup d’œil, sur l'archange allongée, avant de se détourner d'un coup. Il craignait de ne pas réussir à partir s’il la regardait plus longtemps.
* * * * * * *
Davvy rejoignit la Grande Salle, sans difficulté. Quand il rentra dans la salle, il vit, sur son siège, El qui semblait inanimé. Seuls les bouts de ses ailes battaient la mesure, indiquant qu'il était bien vivant. Il avança en direction du Seigneur des Vents, d'une démarche vive et puissante. Il failli tomber de surprise quand Raphaël surgit entre les colonnes, l'empêchant d'accéder à El. Ce dernier n'avait pas bougé. Bien trop préoccupé à reconstruire une histoire, son histoire, et celle des anges. Il n'avait aucune attention pour ce qui l'entourait.
« Laisse-moi passer, Raphaël. Je n'ai rien contre toi. Tu as dû changé, oublié l'amitié qui nous liait tous. Mais moi je me souviens, de nos jeux, de nos vies emmêlées les unes aux autres. C'est avec El que je dois régler tout cela. Seul lui peut arrêter la folie, vers laquelle il nous a tous dirigé. »
Sans une parole, ce n'était pas dans son habitude de tergiverser, Raphaël sauta, se mit à voler, et plongea vers Davvy. L'adolescent aurait pu se battre contre l'archange. L'issue n'était pas certaine, il avait confiance en lui, malgré sa fatigue. Mais Davvy n'était pas venu pour Raphaël, mais pour El. Il ne voulait risquer qu'El sorte de sa torpeur, qu'il réussisse à concocter une histoire.
Davvy tendit une main, vers l'archange, et se contenta de crier « STOP ». Le cri ne résonna pas, dans cette grande salle pleine de colonne. Il s'arrêta net, tout comme Raphaël : stoppé en plein vol. Suspendu dans l'air, un arrêt sur image. Davvy regarda cette statue irréelle, et l'émotion des souvenirs faillit le submerger. Il détourna la tête, et s'avança vers El, qui entre temps était sorti de son état inanimé, et souriait cruellement à Davvy.
J'espère que Gabriel va bien, j'ai un peu peur qu'elle soit morte...
J'attends vraiment qu'El nous partage son côté de l'histoire, et les raisons qui se cachent derrière son comportement, ça peut être vraiment intéressant de découvrir une autre vision des évènements :)
Pour Gabriel et El, je ne vais pas spoiler, et te laisserais me dire ce que tu en penses.
Je ne m'attendais pas à ce qu'on arrive déjà à ce dernier chapitre même si ce n'est pas illogique. J'attends la partie 2 avec impatience !
Quelques remarques :
" serait définitive, et la dernière." mettre les deux ca fait bizarre
"armures aveuglaient en partis les" -> en partie
"un frémissement le parcouru" -> parcourut
j'aime bien la charge désespérée des rebelles !
"qu'il reparti à l'assaut. " ->repartit
"Tu avais été accueillis au saint" -> accueilli
"les bons et mauvais souvenir." -> souvenirs
"qu'il ressenti la douleur dans son" -> ressentit
" qui avançaient, en dehors" -> avançait
"Trop stupéfiait pour comprendre." -> stupéfaits
"Tu as du changé, oublié l'amitié" -> dû changer oublier
Bien à toi !
Merci, a bientot
Effectivement 'définitive et la dernière'. Cela fait trop. je voulais accentuer 'définitive'. Mais trop c'est trop. On va rester sur du simple. A bientôt.