Chapitre 12 : Au fond de la Gorge

Par Bleiz
Notes de l’auteur : Ce chapitre est un vrai premier jet, donc vos retours sont les bienvenus. Bonne lecture !

Ça brillait comme de l’or au loin, ça reflétait la lumière jusque dans les yeux de Chidera pour qui le monde devenait une toile blanche traversée de lents fantômes pastel. Ça lui rappelait les cristaux sur les portes du temple. Ça dessinait un long rectangle entre ses doigts, placés devant son visage pour ne plus être aveuglée, percé d’une rangée de cinq fenêtres à l’étage et de deux portes en bois craquelé. Ça se rapprochait rapidement, au fur et à mesure que la barque accélérait dans les courants. Ç’avait un cercle d’herbe tout autour, duquel aucune maison n’osait s’approcher : trois rues partaient de ce rond-point improvisé. C’était vieux, et pittoresque, et ça faisait penser à un décor de théâtre. « Logique, » pensa la jeune femme. « C’est là que nos meilleurs acteurs vont s’affronter. »

Ça s’appelait la Gorge et c’était au bord de la ruine. Si ce n’avait été pour l’usage qu’on en faisait, et encore ! Une fois par décennie, seulement, que les gens passaient ses portes ! On l’aurait détruite, cette vieille bâtisse qui tenait à peine debout, plus par orgueil que par la force de ses pierres. D’ailleurs, la pierre, on ne la voyait plus : les prêtres y avaient peint par-dessus une décoction de leur fabrication, une peinture qui rappelait le ventre des saumons argentés, frétillants et désespérés de passer entre les mailles du filet, une peinture qui chatoyait comme ces perles qu’on écrasait pour fabriquer de nobles remèdes et qui s’écaillait désormais comme la poudre blanche d’une vieille courtisane après une longue soirée de travail. On l’avait surnommé la Gorge, bien avant que Chidera ne naisse, parce que les murs étaient de cette étrange couleur de peau, oscillant entre blanc nacré et beige poussiéreux, et que le hall d’entrée était tout de rouge et de rose. « Les prêtres devaient faire office de dents, » supposa Chidera en saluant une dernière fois sa mère qui disparaissait entre les battants du vieux manoir.

La Gorge faisait partie de ces trésors de conquête que s’étaient répartis entre eux les grandes familles. La chute du temple avait révélé une richesse, non pas inattendue, mais malgré tout surprenante par sa taille et sa variété. Si les Volindra et leurs rivaux s’étaient d’abord battus pour les meilleurs morceaux, personne ne s’était proposé pour récupérer la Gorge. Mais comme elle ne pouvait pas rester abandonnée, les Qatiss l’avaient récupérée. Une grande partie du mobilier des appartements du grand prêtre leur avait été concédé en échange de ce fardeau. 

Toujours était-il que la Gorge jouait un rôle particulier dans la vie de la cité : pendant neuf ans, elle tenait lieu de maison hantée pour les enfants, de danger architectural pour les bourgeois qui habitaient les quartiers résidentiels bâtis autour, de mange-argent pour les prêtres à l’époque, pour les Qatiss désormais. Puis, une fois par décennie, on se rappelait que le lieu sur lequel elle était construite était celui où le tout premier traité de paix avait été signé, il y a de cela bien des siècles. Alors on dépêchait les servantes et les valets jusqu’à cette partie de l’île, on chargeait les barques de tapis brodés et de lourdes tentures pour les acheminer tant bien que mal jusqu’à la Gorge qui avalait tout ce qu’on voulait bien lui donner. C’était que l’îlot sur lequel elle se trouvait avait beau n’être qu’à une heure du centre, et donc du temple, il était séparé de part et d’autre par la lagune et de ses rochers trompeurs, l’isolant du reste de la cité. Un des tuteurs de Chidera lui avait raconté que le courant était parfois si fort que les barques se renversaient et que les mauvais nageurs remontaient rarement. Ç’avait failli provoquer une guerre, il y a trente ans. Quelle idée aussi que de porter une robe à paniers pour l’occasion.

Chidera souriante se tourna vers le reste de la délégation impériale, les héritiers des grandes familles et leurs entourages. Séléné, radieuse dans son sari rose, faisait déjà demi-tour en s’esclaffant avec ses jeunes amies. Chidera reconnut une poignée de filles dont les parents travaillaient de près ou de loin avec les Bellusuk. Un instant, elle s’imagina s’approcher d’elles et se joindre à leur discussion. « Je n’ai pas le temps de perdre mon temps, » se morigéna-t-elle aussitôt. « Je ne peux pas me permettre de m’amuser et de ne penser à rien, moi. » Elles riaient sans doute de choses stupides, ou discutaient de sujets sans importance. Tant que Séléné ne se ridiculisait pas à nouveau auprès du vicomte, Chidera serait satisfaite. Alors elle se détourna du groupe de jeunes filles, qui riait toujours, pour observer les autres héritiers.

Jonas Ruzdorn était un jeune homme rond avec beaucoup de manies intrigantes, comme sa passion pour les bateaux en bouteille ou sa moustache en croc qu’il ne cessait de triturer. À vingt-cinq ans, il était toujours célibataire, et les rumeurs disait que sa mère devrait bientôt porter des perruques tant elle s’arrachait les cheveux de désespoir de ne jamais être grand-mère. Certes, il restait son petit frère, mais il n’avait que six ans et préférait de loin se chamailler avec les petits Serza dont l’aîné n’avait que quinze ans, et les autres en dessous de l’âge de raison. Quant à l’unique héritier des Fulmen, Pollux, ce n’était qu’un adolescent. Certes, plein de bonne volonté et d’ambition, mais qui ne l’est pas à douze ans ?

« L’avenir de Galatéa, » songea Chidera avec dérision. « Les descendants des grandes familles et le fleuron de l’île. Pas étonnant que les royaumes s’effondrent. » Aucun n’était particulièrement stupide ou incapable, malgré ce qu’elle pouvait parfois penser en leur parlant. Aucun n’était toutefois suffisamment doué pour préserver Galatéa de la guerre. Les yeux de Chidera balayèrent la foule qui les avaient suivis, composée de petits marchands, d’épéistes et de mercenaires reconvertis en chefs de guerre, de banquiers, de savants en mal de mécènes, de nobliaux venus d’ailleurs mais qui avaient planté leurs racines dans cette cité et en avaient embrassé les valeurs et les traditions. Ils devaient être plus de cent. Tous les avaient rejoints pour être témoins de cette nouvelle page de l’Histoire.

C’est parmi eux que Chidera devrait chercher ses alliés de demain. Le statu quo ne suffirait pas à protéger la cité de la guerre.

Mais le moment n’était pas le bon. Tant pis si le futur des grandes familles se dandinait sur le parvis d’un manoir en ruines, et tant pis si le destin de Galatéa se déciderait dans ledit manoir par une poignée d’individus dont les intérêts divergeaient plus qu’elle ne l’aurait aimé. Elle avait son propre rôle à jouer. Alors la jeune Volindra alla glisser son bras sous celui de Jonas, qui avait abandonné son frère à une servante, et tandis que les spectateurs se retiraient petit à petit jusqu’au canal, lui dit :

—J’ai organisé une petite réception pour fêter l’ouverture des négociations. Vous vous joindrez à nous, j’espère ? J’ai à peine pu vous parler lors du banquet de bienvenue des Serza…

—Avec plaisir ! C’est toujours un plaisir de se rendre chez vous, chère Chidera, dit-il de cette voix ronronnante qu’il utilisait envers les dames. Qui y sera ?

—Ma foi, comme d’habitude. Les enfants de nos familles, quelques invités de mon choix – vous vous rappelez de Marcia, la fille de l’archiviste ? Elle sera là – et bien sûr nos amis de l’Empire.

—C’était inévitable, je suppose, soupira le jeune homme en tordant sa moustache. 

—Allons, pas de ça, dit-elle en lui administrant une légère tape sur le bras. C’est déjà si rare d’être tous présents. Il faut profiter de l’occasion. Par exemple, je veux que vous me racontiez comment s’est déroulé votre excursion du mois dernier. Vous êtes passés par une chaîne d’îlots proches, non ? En remontant depuis Ters ?

—C’est ça. Nous avons suivi la Course des étoiles – c’est comme ça qu’on les appelle, là-bas. Cinq d’entre elles sont habitées, quoiqu’on ne puisse pas dire qu’elles soient vraiment civilisées. Ils n’ont pas de port, pas de boutiques… Mais ils ont des arbres fruitiers incroyables, et leurs femmes sont magnifiques, conclut-il avec un clin d’œil qui lui donna la nausée. 

Chidera acquiesça d’un mouvement de la tête à ses paroles, se demandant simultanément si les citoyens de l’Empire parlaient des Galatéens de cette manière : comme des créatures d’un monde différent, beau mais sauvage, presque barbare, qui ne leur ressemblaient que de loin. Elle eut brusquement envie de se défaire du bras de son ami. Mais les conventions étaient ce qu’elles étaient, et elle continua à sourire et à marcher à ses côtés. 

Ils arrivèrent au bord de l’eau. Déjà le public grimpait dans les gondoles qui les avaient amenées, il y a une heure de cela, pour la cérémonie précédant l’entrée des négociateurs dans la Gorge. Chidera avait beau y avoir assisté, elle n’en gardait qu’un souvenir flou, comme si les beaux discours préparés par l’occasion avaient perdu leur sens dans la bouche de ces hommes et de ces femmes qui n’ignoraient pas la réalité des choses. À quoi bon prêter serment d’honnêteté et de probité, quand tous savaient que les véritables discussions avaient cours à des kilomètres de là, dans un pays qui n’était pas le leur et où ils n'avaient pas voix au chapitre ? À quoi bon se serrer la main, faire la révérence au peuple qui priait et applaudissait à tout rompre tandis que le drapeau vert et jaune de l’Empire claquait dans le vent à côté de la fleur rouge sur le bleu de Galatéa ? Le peuple, cette masse informe qui avait manqué de brûler l’île toute entière il y a un an de cela et qui suppliait qu’on la sauve aujourd’hui, n’avait-il pas conscience de l’impuissance du Conseil pourpre ?

« Peu importe. Seules les apparences comptent, » réalisa Chidera. « Avoir l’air d’être est presqu’aussi important qu’être. Parfois plus. » Quel genre de leçon était-ce là ? Où était la morale qu’on leur avait enseigné enfants ? La jeune femme, debout au milieu de ces gens, certains qu’elles connaissaient depuis toujours, qui avaient partagé les mêmes leçons qu’elle, se rendait compte avec un désespoir grandissant que la vertu dont on les avait abreuvés valait aussi peu qu’un conte de fées ; pire, que tous le savaient et qu’elle devait faire partie des rares à ne pas l’avoir compris. Les valeurs qu’on leur avait inculquées avaient vu leur sens dissous dans la réalité de la vie. Ne restait plus que la brutalité de leurs ambitions et un vague parfum de cendres.

Distraite par ces sombres pensées, elle ne fit pas attention à la main qui l’aida à s’installer dans la barque. Ce n’est que quand son propriétaire s’assit en face d’elle qu’elle réalisa que Jonas se tenait encore sur la rive. Astor Duad-Govel la salua :

—Demoiselle Chidera, vous êtes ravissante aujourd’hui.

—Merci, fit-elle d’un ton un peu trop froid pour les circonstances.

Son attitude peu amène ne parut pas bouleverser le jeune homme. Au contraire, il parut à Chidera qu’il s’en réjouissait, car son expression ne vacilla pas un instant, et elle le détesta un peu plus encore.

—Jonas, vous ne m’en voudrez pas, j’espère ? s’écria-t-il à l’adresse du fils Ruzdorn. Je dois absolument parler à demoiselle Chidera. 

—Pas du tout, mon vieux. Mais faites attention à ce que vous lui dites, ou gare à vous !

Et Jonas de leur faire au revoir de la main tandis que Astor, souriant, et Chidera, sidérée, glissaient loin du rivage. Quand elle reprit ses esprits, et ce fut bien vite malgré le choc, elle siffla :

—Je ne sais pas quel genre de manières on vous apprend, dans les Landes, mais à Galatéa, il est inconvenant de sauter dans l’embarcation d’une femme sans lui demander son autorisation !

—Navré, mais je devais vous parler.

—De quoi ? s’écria-t-elle en fermant le poing sur sa robe pour ne pas l’étrangler.

—Je voulais vous présenter mes excuses.

Chidera en fut coupée dans son élan. Désarçonnée, elle regarda le jeune homme sans le voile de la colère, et vit qu’il était sincère. Il passa la main dans ses cheveux, puis son front, puis sa nuque. Quand il s’avéra qu’aucune partie de son corps n’allait parler à sa place, il s’éclaircit la gorge et dit :

—Lors du banquet de bienvenue… J’ai été indélicat. Mes paroles ne reflétaient pas mes pensées. Je ne blâmerai pas l’alcool, car avec ou sans, ma conduite était indigne d’un gentilhomme. Je ne voulais pas vous offenser. Aussi, je vous prie de bien vouloir accepter mes excuses.

—Oh, parvint à lâcher Chidera. Je vois. Elle ouvrit la bouche, la referma, sans trouver les mots justes. Alors elle dit simplement : Je vous pardonne.

Et le soulagement qui envahit le visage d’Astor était si évident qu’elle en aurait ri, si elle n’avait pas été aussi surprise. Toute sa personne s’était éclairée, comme si la joie de retourner dans ses bonnes grâces l’avait libéré d’un poids. Il souriait de nouveau, et Chidera remarqua soudain que des fossettes creusaient ses joues. 

—Moi aussi, laissa-t-elle échapper, et elle précisa face à son expression étonnée : Ce que j’ai dit… À propos du prince… Elle n’osait pas répéter ses propos. Déjà elle sentait la honte revenir et lui brûler les joues. Je n’aurais pas dû.

Astor, songeur, la regarda un temps avant de murmurer :

—Non, en effet. Mais à votre place, peut-être aurais-je agi de même.

Ce fut au tour de Chidera de se sentir plus légère. 

—Merci pour votre générosité, dame, dit-il en remontant ses lunettes le long de son nez. J’espère que nous pourrons désormais être bons amis.

—C’est également mon souhait, répondit-elle, à mi-chemin entre la politesse et l’honnêteté.

Le silence retomba, agréable et frais, tandis qu’ils sillonnaient le canal. Le gondolier avait ralenti pour se faufiler entre les courants qui déjà bringuebalaient la barque. Ils étaient presque seuls sur l’eau désormais : ceux qui étaient partis avant eux se trouvaient loin devant, et ceux qui les suivaient étaient loin de les rattraper. Chidera réalisa brusquement qu’une telle opportunité ne se représenterait pas de sitôt. Les paroles de Mirage lui revinrent à l’esprit. Il fallait qu’elle saisisse sa chance.

—Vicomte, si nous devons être amis, alors j’aimerais vous demander une faveur.

—Si c’est dans mon pouvoir, je le ferai, lui assura Astor en se penchant vers elle.

Elle l’imita et, s’assurant que le bruit des vagues étouffait suffisamment le son de sa voix, demanda :

—Que savez-vous des Fonds Sombres ?

Le changement fut immédiat. D’ouvert et attentif, Astor devint sombre, sur ses gardes. Un autre n’aurait peut-être pas remarqué la différence, mais Chidera l’avait suffisamment observé depuis son arrivée pour le voir. Le naturel qu’il avait montré jusqu’ici avait laissé place à une retenue bien exercée. Chidera fit taire le regret qui naissait en elle. Elle était l’héritière des Volindra ; le destin de sa cité était plus important que n’importe quelle illusion d’amitié.

—Les Fonds… ? répéta Astor en levant un sourcil. Qu’est-ce que cela signifie ?

—À vous de me le dire.

—J’en suis incapable.

« Voilà quelque chose qui n’est sans doute pas un mensonge, » pensa Chidera. « Il n’en a sans doute pas le droit. » Au moins avait-elle désormais la confirmation qu’il s’agissait d’une information cruciale.

—Je sais de source sûre que ces Fonds Sombres ont un lien avec l’attaque du monstre qui a déjà tué deux de mes concitoyens. Je sais aussi qu’ils ont un lien avec l’Empire. 

—Chidera, la coupa Astor, et la jeune femme dut tendre l’oreille car sa voix s’était faite plus basse encore, je ne sais pas d’où vous tenez ce nom, mais oubliez tout ce qui vous a été dit.

—Pourquoi ferais-je une chose pareille ?

—Parce que ce n’est qu’une rumeur, aux origines et au but néfastes. Celui qui vous en a parlé n’est pas votre ami.

—Il serait le vôtre, alors ?

—Ceux qui mentionnent les Fonds Sombres, aussi loin de nos côtes, ne sont l’ami de personne.

Un frisson parcourut sa colonne vertébrale. Chidera se redressa avec une énergie renouvelée. Elle planta son regard dans celui d’Astor, bien décidée à obtenir de lui tout ce qu’elle pourrait. Le jeune homme insista :

—Les Fonds Sombres ne sont qu’une légende, une histoire sombre destinée à effrayer les enfants.

—Pourtant, vous semblez y attacher vous-même une grande importance, remarqua-t-elle. C’est étrange, vraiment : d’abord vous prétendez n’en rien savoir, puis vous me dites de tout oublier à ce sujet, avant de me dire qu’il ne s’agit qu’une d’une légende. Décidez-vous.

—Je n’ai pas menti. Je ne sais rien des Fonds sombres, hormis ce que n’importe quel enfant des Landes sait, c’est-à-dire pas grand-chose. Je sais aussi que les gens sont prêts à utiliser n’importe quelle excuse pour justifier des crimes. Chidera, avez-vous confiance en la personne qui vous en a parlé ?

Chidera, ne pouvant pas lui dire la vérité, qui était que non, sa source étant plutôt étrange, voire carrément suspecte, se contenta de dire avec hauteur :

—Assez pour croire qu’il y a bel et bien un lien.

Mais Astor n’était pas dupe. Il poussa un profond soupir et dit :

—En vérité, Chidera, il semblerait que vous n’avez pas la moindre intention d’être mon amie. Pourtant, je me comporte comme le vôtre, que vous le croyiez ou non. Ne parlez plus des Fonds Sombres. Ne cherchez pas à en savoir plus.

—Et si je refuse ? rétorqua la jeune femme en croisant les bras. Que ferez-vous ?

—Absolument rien, si ce n’est prévenir mon père que les Volindra nous soupçonnent d’être liés aux meurtres qui agitent votre cité. Ça fera tache sur le traité, vous ne pensez pas ?

Ils se jaugèrent du regard, chacun mesurant la détermination de l’autre. Voyant que ni lui ni elle n’étant prêt à céder, Chidera sentit la colère l’envahir à nouveau. Sans se détourner de lui, elle posa ses deux mains sur les rebords de la barque. Astor écarquilla légèrement les yeux.

—Qu’est-ce que vous faites ?

—Rien, dit-elle. Vous êtes sûr de ne rien vouloir me dire ?

—Chidera, vous ne savez pas ce que vous faites-

—Ce que je sais, lâcha-t-elle d’une voix tranchante, c’est que vous en savez beaucoup plus que vous ne voulez me le dire. Mon pays est en danger à cause d’un monstre et vous refusez de m’aider. Vous avez beau jeu de venir vous excuser tout en vous faisant le gardien de je-ne-sais quel mystère. Vous dites vouloir être mon ami ? Prouvez-le.

Il se tut. Chidera se balança sur le côté, poussa à droite ; la barque fit un mouvement brusque. Astor se rattrapa à sa banquette.

—Arrêtez ça, dit-il d’une voix ferme, mais Chidera pouvait voir le blanc de ses articulations cramponnées à son siège.

—Ça quoi ? répondit-elle. Oh, vous voulez dire ça ? Et elle bascula la barque vers la gauche.

L’eau frappa la coque avec violence. Le visage d’Astor était blanc, sa nuque raide. 

—Dites donc, dame, m’sieur, il faut pas jouer avec la gondole, hein ! s’écria soudainement le gondolier, qui se retournait pour mieux les admonester. C’est dangereux-

Il n’avait fallu que quelques secondes. Leur pilote, déconcentré par ses passagers, avait détourné son attention de la lagune. Or les eaux de la Gorge étaient traîtresses pour ceux qui la connaissaient, mortelles pour quiconque l’ignorait en voguant sur ses flots. L’embarcation tangua entre les vagues, rencontra un rocher, se renversa.

En un instant, le monde chavira, et Astor et Chidera furent précipités dans les courants du canal.

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Raza
Posté le 19/07/2025
Mais quoi ! Elle se jette à l'eau ? Et met en danger ce pauvre gondolier !
Mais !
Cet étonnement passé, je dirais que, contrairement à Edouard, je suis à demi convaincu par le "ça" du debut de chapitre. C'est presque ça justement, je pense qu'en gardant l'idée et en la poussant avec un autre mot ça pourrait marcher. Ça vient pour moi du fait que lenmot "ça" me parait détonner avec le reste de ton style.
Pour l'histoire, je suis team Chidera là, qu'est ce qu'il nous fait Astor, il ne peut pas raconter une légende quz Chidera peut a priori aller demander à n'importe quel gamin qui serait venu avec la déléguation ?
J'espère que son bain va lui remettre les idées en place !
;)
À bientôt et merci ! <3
Bleiz
Posté le 20/07/2025
Pour sa défense, elle avait pas l'intention de renverser la barque, juste de lui faire peur ! C'est un accident -mais je me demande si je n'ai pas suffisamment insisté du coup x)
Merci pour ta perspective sur le "ça", je pense quand même le modifier à la réécriture en changeant le mot et en gardant le "ça" pour une autre fois :)
Astor et Chidera, ils sont intelligents, mais ils sont pas toujours malins : la preuve, ils font plouf alors que c'était pas le plan de base !

À bientôt :)
Edouard PArle
Posté le 02/07/2025
Hello Bleiz !
J'ai trouvé l'effet de style autour du "ça" intéressant en début de chapitre. Je me demande cependant s'il ne pourrait pas être encore plus opportun dans un autre contexte, pour accentuer le contraste avec le style habituel et souligner qu'il s'agit d'un passage différent. Ca fonctionne bien ici mais je me demande si ce n'est pas "sous" exploité.
Le déroulé du chapitre est très cool. Les excuses sincères d'Astor sont surprenantes, tranchent avec son comportement lors des précédents échanges avec Chidera. Ca nuance d'autant plus ce personnage, c'est dur de jauger s'il peut ou non devenir un allié. Tu as réussi à bien le nuancer bravo.
Encore une fois, les dialogues de Chidera sont très réussis, tu tiens bien ce personnage. Elle s'en sort vraiment bien malgré la position politique délicate des siens. Très belle chute de chapitre également ! Elle permet de comprendre le titre, et donne très envie de découvrir la suite. Bien joué ! J'imagine que Chidera a calculé cet "accident", mais que vise-t-elle, je suis bien curieux de le savoir.
Mes remarques ;
"Une grande partie du mobilier des appartements du grand prêtre leur avait été concédée en échange de ce fardeau." je pense qu'il faut plutôt accorder avec mobilier
"passé votre excursion du mois dernier. Vous êtes passés" répétition
Un plaisir de te lire,
A bientôt !!
Bleiz
Posté le 03/07/2025
Salut Édouard,

Merci pour l'idée sur les "ça", effectivement je vais peut-être garder le style et le mettre à un chapitre plus tard. Ça me permettra d'éclairer celui-là et de garder la technique dans ma boite à artifices :)
Chidera a essayé de calculer son affaire, mais visiblement les maths ne sont pas son forte... Tu verras !
Merci pour les remarques, je vais corriger ça.

À bientôt !
Maëlys
Posté le 22/06/2025
Coucou !
Heureuse de lire ce nouveau chapitre !
J'aime bien l'effet du début même si j'avoue que le "ça" me perturbe un peu, ça sonne un peu familier. (peut-être remplacer par "il") ? Pareil pour le "logique", je trouve que ça tranche un peu avec le style habituel !
Sinon, belle description de ce lieu intrigant !

Je t'avoue que tu as déjà mentionné pas mal de fois les grandes familles mais j'ai encore du mal à me repérer, il y en a beaucoup je pense que ça viendra... Sinon peut-être leur attribuer un signe distinctif, ou les introduire au fur et à mesure...

On retrouve notre Chidera un brin condescendante (on la pardonne), ça me ravit !

Le fait que tu écrives "son ami" m'étonne, est-ce que Jonas est vraiment l'ami de Chidera ? Vu l'avis qu'elle a l'air d'en avoir...

"Quand il s’avéra qu’aucune partie de son corps n’allait parler à sa place" : j'adore, c'est drôle.

Mystérieux, cette histoire de Fonds sombres, hâte d'en savoir plus. J'imagine ça comme une sorte d'abysses d'où viendraient les monstres ? On verra bien...

C'est toujours un plaisir de lire les dialogues, ils sont vraiment efficaces et réalistes et on perçoit bien l'intelligence de Chidera comme d'habitude.

J'aime beaucoup la technique d'intimidation de Chidera et...oups bon elle y a été un peu fort, espérons qu'on les repêche vite :)

Hâte d'avoir la suite !
Bleiz
Posté le 23/06/2025
Salut Maëlys,

J'ai essayé un effet de style en début de chapitre, tant pis si ça marche pas x') Je voulais aussi marquer un côté plus "familier" et spontané de Chidera quand elle est seule ou perd le contrôle de ses émotions... Mais là aussi, si ça ne fonctionne pas, tant pis.
Par "ami", j'entendais ami d'enfance, dans le sens où ils se connaissent tous depuis la naissance ou presque. Mais effectivement ça induit en erreur, je vais remplacer le mot.

À bientôt !
Vous lisez