— Omar —
J’ai passé la journée d’hier sur une nouvelle affaire. Une affaire que j’ai dû travailler en urgence. Tôt hier matin, ma sœur Malaïka m’a appelé, elle m’a demandé mon aide pour un procès. Les avocats d’affaires étant quasiment tous en inactivité, elle a préféré me solliciter. Son affaire de meurtres comporte aussi une arnaque financière. J’avoue que pour quelqu’un d’autre avec un délai aussi court j’aurais dit non, mais c’est Malaïka et je ne peux rien lui refuser.
Confinement J — 8
J’ai senti que la journée d’hier a aussi été dure pour Gabrielle. Hier matin, elle est sortie faire les courses puis à son retour elle s’est précipitée dans sa chambre. Elle a abandonné les commissions sur la table. Puis elle est venue plus tard les reprendre. À midi, elle n’a même pas le prit le temps, de s’arrêter, elle semblait travailler dans l’urgence et avec un peu d’énervement. Je soupçonne qu’elle ne sache pas dire non quand on lui demande quelque chose. Gabrielle a l’air d’une femme timide et qui se laisse exploiter par sa faiblesse. Mais je l’aime bien. Elle est vraiment conciliante comme colocataire. J’avoue que dimanche je me suis sentie coupable d’avoir volé la connexion pour jouer avec Raph, la prochaine fois je lui demanderai si cela ne la dérange pas. Je crois qu’elle ne s’est pas amusée elle, mais a travaillé toute la journée. Travaillé un dimanche, je vois bien qu’il n’y a pas que le métier d’avocat qui peut déborder sur la vie personnelle. D’autant qu’elle n’a pas l’air de définir de frontière.
Alors qu’il est déjà presque 10 h, je continue d’étudier les derniers éléments de l’affaire. Je me récite à mi-voix l’accusation que je compte présenter cette après-midi. L’audience a été avancée en urgence devant la taille du scandale potentiel. Ma sœur y travaille depuis des semaines.
J’entends Gabrielle descendre, elle a sûrement entendu une partie de ce que je dis, je lui demande :
— Bonjour, je ne vous dérange pas j’espère ? Depuis tout à l’heure, je récite et parfois je m’emporte ! Une mauvaise habitude.
Elle me rassura :
— Non.
Elle alla se chercher un café dans la cuisine, elle me proposa un, j’acceptais. À ma grande surprise, elle vint le boire dans le salon et elle me demanda :
— C’est quoi votre affaire si ce n’est pas confidentiel ?
— Oh tout ne l’est pas et puis cela devait être un procès public, mais vu les circonstances bien sûr il n’y aura personne.
J’esquivais un léger sourire, puis je poursuivis :
— Il s’agit d’une entreprise de médicament, qui pour occulter un scandale financier, a fait tuer un de ces employés qui commencer à parler. Ils ne sont pas faciles à coincer, ils ont de bons avocats en face. Mais ils sont les Labadie face à eux, ils n’ont qu’à bien se tenir.
Elle sourit et me demanda :
— Les Labadie ?
— Je plaide avec ma sœur Malaïka, avocate pénale. Elle m’a demandé de l’aide. Elle s’occupe de l’employé, je suis là pour le scandale.
Elle plaisanta :
— Une bonne équipe alors.
Je tentais de lui demander :
— Et toi, le travail, ça va ? Tu avais l’air de « rusher » hier. Et aussi un peu contrarié ?
Elle parut surprise que je lui pose des questions sur son travail, mais elle finit par me dire :
— On est un peu court niveau délai et le confinement n’arrange rien.
Elle ne voulut pas s’étendre. Elle restait toujours très secrète, mais j’arrivais petit à petit à lui arracher des informations sur elle. Je ne jouais pas l’agent secret, mais j’avais envie d’apprendre à la connaître. Je voulais découvrir les joyaux de personnalité qu’elle s’appliquait à me cacher.
Notre conversation ne dura pas plus de quelques minutes avant que je remonte pour partir au travail. Je rassemblais mes affaires et lançais à Gabrielle qui était presque déjà dans sa chambre :
— Je pars au palais, je ne sais pas jusqu’à quand cela va durer. Dans le doute, ne m’attends pas pour dîner.
Elle répondit :
– D’accord
Puis elle disparut derrière la porte. Je pris la route vers le tribunal avec ma précieuse attestation qui signalait que je devais travailler. Le procureur m’avait aussi envoyé un papier attestant que je plaidais aujourd’hui. Beaucoup d’avocats craignent de tomber malades. Alors la plupart refusent les affaires. Je ne veux pas non plus être contaminé, mais il faut bien que les gens continuent d’être jugés. Certaines affaires ne peuvent pas attendre. Cela risquerait de laisser des coupables dans la nature et des innocents en prison.
Quand j’arrive au palais, Malaïka m’attend en haut des marches. Depuis les nouvelles règles, je ne peux ni prendre ma sœur dans les bras, ni lui faire la bise, ni même lui serrer la main. Je comprends les raisons de cela, mais cela n’empêche pas que je ressente un pincement au cœur. Malaïka semble ressentir la même chose, car elle a cette expression sur le visage qui veut dire je sais moi aussi. Finalement, nous rentrons dans le palais. Alors que nous passons par des mesures draconiennes de nettoyage et de désinfection, je réalise un peu plus à quel point la situation s’aggrave.
Alors que le procès commence, j’écoute les plaidoyers s’enchaîner. Je vois ma sœur plaider. Cela fait longtemps que je n’ai pas assisté à l’un de ses procès. J’étais là au premier. Mais je dois avouer que depuis elle a fait d’énormes progrès. Elle est devenue méticuleuse, plus précise dans ses propos. Son éloquence s’est beaucoup améliorée. J’aurais pu ne connaître aucun élément de l’affaire que je me serais laissé convaincre rien que par le son de sa voix. Je ressens un nouveau pincement au cœur. Je sais, je suis fière d’elle, voilà ce que je ressens. Du haut de ses 22 ans, Malaïka est maintenant une déesse du barreau. Je l’écoute avec un plaisir peu commun. Malgré moi, je suis souriant alors qu’elle plaide une affaire de meurtre. Je m’imagine comme spectateur extérieur, regardant cette scène, voyant une belle jeune femme parlant avec une force dans la voix, et l’autre gars derrière avec un énorme sourire aux lèvres cela me fait encore plus sourire.
Puis ce fut mon tour, je commence toujours avec une voie calme et posée. Je ne réserve mes haussements de voix que pour les éléments importants et décisifs. Je m’efforce à chaque fois de partager mes regards entre la cour, et les différents participants de l’assistance. Quand je croise le regard de Malaïka, elle sourit à son tour. Et c’est la chose la plus belle de l’univers en cet instant.
Ce moment à la barre me fait réaliser à quel point mes proches me manquent. Ce confinement les éloigne de moi et creuse un fossé invisible qui me sépare du monde.
La fin de mon discours arrive, je finis avec comme à mon habitude une phrase qui choque, censé marquer les esprits. Cela semble fonctionner.
Puis le jury se retire pour délibérer. Comme le confinement oblige des mesures exceptionnelles, il a été décider que les verdicts seraient donnés au plus vite. Et effectivement, il semble bien respecter cela, nous attendons moins d’une heure avant qu’ils ne finissent par nous dire d’entrer pour le résultat.
Nous sommes tous assis à un mètre de distance les uns des autres. La cour annonce finalement le verdict, l’entreprise en question est reconnue coupable d’avoir tué son employé pour masquer une arnaque financière. Nous avons gagné ! Je me tourne vers Malaïka sans pouvoir encore une fois la prendre dans mes bras en signe de victoire. Nouveau pincement au cœur.
Malaïka finit par me dire :
— Une de nos premières affaires ensemble, on le gagne et on ne peut même pas fêter ça ! Foutu Covid.
Je tentais de la consoler alors que je ressentais la même chose :
— T’inquiètes, on se rattrapera après. Et puis on n’aura qu’à faire une visio avec une bière à la main. Ça serait presque pareil.
— Très drôle… me dit-elle moqueuse. Ah oui, au fait en parlant de visio, maman veut faire un appel vidéo familiale, avec tout le monde dimanche, elle n’a pas eu le temps de t’appeler pour te dire. Tu es dispo ?
Je ne fus pas surpris que quelque chose comme ça s’organise dans mon dos cela arrivât souvent. J’étais de loin celui qui avait le moins d’obligation d’après ma mère. Célibataire sans enfant, elle avait toujours considéré que le dimanche j’avais toujours du temps pour la famille. Je répondis :
— Euh oui.
Puis nous nous sommes quittés. Je rentrais à Marray. En arrivant, Gabrielle semble avoir entendu la porte. J’arrive, il est 19 h 30. Elle me demande aussitôt :
— Omar, alors tu as gagné ?
Elle me le demanda avec un entrain qui me surprit, je lui répondis :
— Oui, j’ai gagné.
Elle continua :
— Alors il va falloir fêter ça !
J’eux comme une déception au fond de moi c’est avec Malaïka que j’aurais dû fêter ça, elle perçut mon malaise, elle s’en excusa :
— J’ai dit quelque chose…
Je la rassurais, je ne voulais pas qu’elle se referme comme une huître :
— Non, je suis désolé ce n’est pas vous, c’est juste que d’habitude je fête ça avec ma sœur, l’avocate. Mais avec ce coronavirus. Bref, ne faites pas attention. Vous avez raison faut fêter ça.
Le covid vole des instants de vie…