Elle se réveilla sous la lumière crue du matin qui lui frappait les yeux. La pièce, qui la veille encore était son refuge et son atelier, ressemblait maintenant à un champ de bataille après une défaite. Un tabouret renversé, des esquisses éparpillées, sa propre chemise, déchirée en lambeaux, sur le sol. Elle se sentait vidée, sale, mais en même temps, aussi monstrueux que cela puisse paraître, étrangement, fiévreusement vivante.
La porte s'ouvrit doucement. Julien entra. Il portait un plateau avec de la nourriture – un morceau de pain, du fromage et une chope d'eau. Il le posa sur la table, évitant de la regarder. Un masque gris de fatigue s'était figé sur son visage. Il semblait ne pas avoir dormi depuis une semaine. À côté du plateau, il posa en silence sa propre chemise, blanche et propre. C'était son geste muet. Pas des excuses, non. Juste une constatation de fait. Une reconnaissance de ce qui s'était passé. Elle ne dit rien, mais quand il fut parti, elle se leva et enfila sa chemise. Elle était trop grande, sentait son odeur – tabac, fer et sueur d'homme.
Un nouveau mur invisible s'éleva entre eux. Un mur de silence, de honte et de menaces inexprimées. Il devint encore plus sombre et renfermé. Sa foi, qui avait été la colonne vertébrale de sa personnalité, était brisée. Il ne restait que le devoir, qu'il accomplissait désormais mécaniquement, avec dégoût pour lui-même et pour le monde entier.
Adeline aussi avait changé. En elle, la « Lise Moreau » effrayée était morte. Maintenant, elle portait son vrai visage, sa fierté aristocratique, comme une armure. Elle ne cherchait pas à plaire et n'avait pas peur. Elle travaillait sur le portrait avec une concentration froide et détachée, et cela le rendait fou. Elle comprenait qu'elle avait acquis sur lui un nouveau pouvoir, terrible. Le pouvoir de son secret. De sa culpabilité. De son désir. Il ne pouvait pas la faire exécuter. Ne pouvait pas la punir. Il était pris au piège, tout comme elle.
Un après-midi, comme d'habitude, il entra chez elle. Elle lui tournait le dos, près du chevalet. Sa chemise à lui, qu'elle avait enfilée, glissait d'une épaule, dévoilant une peau délicate et la courbe de son cou. Il se figea en la regardant. La mémoire du corps, traîtresse et impérieuse, le brûla. Il se souvint de ce que c'était de toucher cette peau, de sentir sa chaleur. Une vague de désir sombre et mauvais le submergea, mêlée de honte et de haine de soi.
Elle sentit son regard. Elle savait à quoi il pensait. Et, mue par un instinct cruel et vengeur, elle bougea son épaule un peu plus lentement que nécessaire, rajustant le tissu qui glissait. Le mouvement était fluide, paresseux, presque séducteur.
Il se retourna brusquement et sortit. Elle l'entendit, dans le cabinet voisin, frapper du poing sur la table avec un bruit sourd. Un faible sourire amer apparut sur ses lèvres. Elle avait gagné ce petit duel.
La nuit, elle entendit de nouveau sa toux. Cette fois, elle était plus forte, plus profonde, elle déchirait le silence, douloureuse et rauque. Elle était allongée sur sa paillasse et écoutait. En elle se battaient la jubilation – « Bien fait pour toi, bourreau » – et une pitié non sollicitée, instinctive. Elle se souvint que son père, dans une cellule humide et froide, toussait de la même manière avant son exécution.
Incapable de supporter cela plus longtemps, elle se leva. Elle versa de l'eau de sa carafe dans une chope en étain et frappa doucement à leur porte commune.
Il n'ouvrit pas tout de suite. Il se tenait sur le seuil, pâle, sa chemise déboutonnée au col. Une goutte de sang brillait sur ses lèvres. Il la regarda avec perplexité, ne comprenant pas ce qu'elle voulait.
Elle lui tendit silencieusement la chope d'eau.
Il la prit. Une fraction de seconde, leurs doigts se touchèrent. Et à cet instant, ils n'étaient pas un capitaine et une comtesse, ni un geôlier et une prisonnière. Ils n'étaient que deux êtres humains épuisés, infiniment seuls dans l'enfer qu'ils avaient créé l'un pour l'autre et pour eux-mêmes. Il la regarda, et dans ses yeux, pour la première fois depuis longtemps, il n'y avait ni fureur, ni désir. Seulement l'ombre de quelque chose qui ressemblait à de la gratitude.
Le mur de haine qu'ils avaient si soigneusement érigé se fissura de nouveau.