Chapitre 12 : Matir

Par Talharr

Matir :

      — Matir ! Viens m’aider.

Dans la maison cossue du conseiller le plus proche du seigneur de Mahldryl, Matir accourut sans discuter.
Dans la bibliothèque privée de Prasto Llandryl, ce dernier tentait de déplacer une lourde table.

L’esclave s’exécuta, sans attendre de remerciements. Il le faisait par habitude, mais surtout parce qu’un refus aurait entraîné une punition. Mieux valait éviter. Même si Prasto était, parmi les maîtres, un des plus cléments.

      — Bien. Si tu pouvais m’apporter une tasse de Grozyl maintenant, lui sourit le conseiller.

Matir hocha la tête et quitta le sanctuaire de connaissances pour se rendre à la cuisine, une petite pièce dont il doutait que son maître ait déjà franchi le seuil.

Il n’avait jamais envisagé d’empoisonner Prasto. Il voyait encore un peu de bon en lui. Et puis, si un maître mourait, ses esclaves étaient généralement exécutés dans la foulée. Alors autant bien doser le Grozyl.

Il prépara la tisane selon l’habitude, y ajouta quelques biscuits à tremper, et disposa le tout sur un plateau.
Mais lorsqu’il revint devant la bibliothèque, une tension inhabituelle flottait dans l’air.

      — Qui êtes-vous ? demanda Prasto.

      — La mort, la vengeance, la vie. Tout dépendra de vous, répondit une voix féminine.

      — Et que me voulez-vous ?

      — Elira. Vous allez m’aider à la faire évader.

Matir entendit son maître éclater de rire. Un rire sincère, presque moqueur.

      — Vous croyez vraiment que je vais accepter de libérer une traîtresse ?

      — Une traîtresse ? Vous la connaissez, au moins ? rétorqua la femme, piquée au vif.

Matir posa son plateau au sol, puis s’approcha discrètement de l’embrasure de la porte.

Il aperçut une femme svelte aux cheveux bruns, une lame pointée sur la poitrine de Prasto.

Dois-je l’aider ?

Son maître, ou cette inconnue qui le menaçait… mais pourrait peut-être les aider.

      — J’en sais assez pour savoir qu’elle mérite de croupir là où elle est ! trancha Prasto.

Cette fois, ce fut la femme qui rit. Un rire plus sec, plus menaçant.

      — Vous ne semblez pas tenir à la vie, murmura-t-elle.

Elle approcha la lame jusqu’à effleurer son torse. Matir vit son maître grimacer.

      — C’est justement pour cela que je refuse. Dès qu’ils verront qu’Elira n’est plus là, ils me tueront.

      — Et vous pensez que je tiens cette épée sur vous pour vous laisser en vie ? ricana-t-elle.

Prasto lança un regard suppliant vers la porte. Vers Matir, qui se décala vivement de peur d’être vu.

Mais soudain, la femme l’appela :

     — Je ne te ferai aucun mal, Matir. Je suis ici pour t’aider, toi et les tiens.

Elle connaît mon nom ? Elle parle de nous aider ?

     — C’est un esclave. En quoi pourriez-vous l’aider ? s’écria Prasto, déstabilisé.

     — Voilà pourquoi il faut des yeux et des oreilles partout, répondit-elle avec un sourire qu’il devinait dans sa voix.

Matir hésitait. Elle savait quelque chose. Trop de choses.

Il pensa un instant à fuir, mais sa curiosité prit le dessus.

     — De quoi parlez-vous ? osa-t-il.

     — Matir, tais-…

Prasto n’eut pas le temps de finir. La main de la femme s’écrasa sur son visage.

     — Je sais ce que vous préparez dans l’ombre, dit-elle. Vous avez besoin d’aide, et j’ai besoin de vous. On peut agir ensemble. Dès aujourd’hui.

     — Agir ? murmura Matir.

     — Vous pouvez être libres. Ce soir même.

Matir jeta un coup d’œil dans la pièce. Il vit d’abord Prasto, yeux écarquillés, la lame sur la gorge. Puis il croisa le regard de l’inconnue : ambré, traversé de rouge.
Son regard transperçait le sien.

Ses cheveux bruns cascadaient sur ses épaules. Elle dégageait quelque chose de… sauvage, envoûtant.

     — Tu comptes rester derrière la porte ou te joindre à nous ? dit-elle, en l’invitant d’un geste de la main.

Il ne se sentait pas en danger. Alors, lentement, il franchit le seuil.

Prasto lui lança un regard noir comme il ne l’avait jamais vu faire.

     — Ne le regarde pas. Il ne mérite pas ta pitié, dit-elle.

Matir détailla enfin la femme. Un visage fin, marqué par la fatigue, deux poignards à la ceinture, un arc dans le dos. Elle l’observait elle aussi.

Que pense-t-elle de moi ? pensa-t-il, gêné de ses vêtements en loques.

     — Il est temps de sauver Elira, et de vous libérer, dit-elle en souriant. Et de semer la terreur dans Drazyl.

     — J’ai entendu mon maître parler d’elle… et d’un certain Malkar. Qui sont-ils ?

Il n’osa pas regarder son maitre.  

     — Elira est la clé. Celle qui peut unir notre Terre. Les forces de Malkar, elles, sont une menace pour tout ce qui vit. Ils ne savent pas ce qu’ils vont produire. Ce ne sera pas la vie mais la mort. Notre mort à tous.

     — Mensonges ! J’ai entendu Malkar !

     — Pauvre fou. Comment un dieu enfermé pourrait-il te parler ?

Prasto baissa les yeux, mais Matir devina la rage derrière son silence.

Il ne comprenait pas tout, mais il en savait assez. Il avait entendu Prasto évoquer la conquête de la Terre de Talharr au nom de ce Malkar. Notamment avec le nouveau seigneur de Mahldryl, Rhazek.

     — Alors, marcherons-nous ensemble cette nuit ? demanda la femme.

Matir hésita. Puis il croisa le regard de son maître, rempli de haine.
Elle, elle pouvait offrir ce que tous les esclaves rêvaient d’avoir : la liberté.

Il n’y avait plus à hésiter. Un monde contrôlé par Drazyl n’était pas une option.

     — Nous marcherons ensemble.

Elle lui tendit la main.

     — Talkys.

     — Matir, répondit-il, en la lui serrant.

Elle rit, cette fois d’un rire plus doux. 

Ses dents étaient... limées. 

     — Allons mettre la pagaille.

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Scribilix
Posté le 08/08/2025
Super chapitre, j'ai adoré. Peut-etre que j'aurais poussé un peu plus loin l'humiliation de Prasto meme si ce n'est pas le plus terrible des maitres. En tout cas c'était palpitant et rien à dire sur la forme. Bravo !
Talharr
Posté le 08/08/2025
Ahh merci beaucoup pour ce retour ! :-))))

C'est un chapitre clé dans la suite des évènements.

Pour Prasto, oui je pourrais voir comment faire mais déjà il se fait humilier devant Matir qui lui-même humilie son maitre en rejoignant Talkys. Surtout que la suite lui réserve d'autres humiliations aha

Encore merci, j'ai vraiment essayé de rendre ce chapitre avec un bon moment de tension sans que ça dure trop longtemps pour rien. Hâte d'avoir tes retours sur la suite. ça risque d'être explosif :)
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