Après deux bonnes heures de travail et une triple vérification, tout était en ordre. Rena remonta à la surface pour rejoindre ses élèves qui l'attendaient dans le hall de la garde de l'Ombre. Les vingt noms figurant sur sa liste avaient répondu présents à l'appel. Elle ne s'était pas donné la peine d'associer chaque nom à son propriétaire. Elle ne les reverrait sans doute plus jamais après la fin de la journée.
La yôkai guida la petite troupe par les chemins qu'elle avait empruntés quelques heures plus tôt.
— Je n'aime pas cet endroit, c'est terrifiant, chuchota une des filles à sa voisine.
— Si vous avez peur maintenant, alors qu'est-ce que ça va être tout à l'heure, marmonna Rena sans se retourner.
Il n'y eut pas d'autres commentaires et le groupe avança en silence. Ils arrivèrent enfin dans la grande salle souterraine. Rena ouvrit la trappe. Elle avait fixé des torches à la paroi à intervalles réguliers jusqu'en bas de l'échelle, mais malgré cela, on discernait à peine le fond du puits. La vice-capitaine leur intima l'ordre de descendre d'un ton autoritaire.
— On doit vraiment descendre là-dedans ? demanda une fille d'une voix apeurée.
— L'épreuve n'a même pas encore commencé, mais si vous ne voulez pas descendre, vous êtes libre de déclarer forfait tout de suite et de rentrer chez vous.
Rena vit quelques visages hésitants. Certains se demandaient ce qui était le pire : descendre dans ce trou ou devoir repasser par ces tunnels effrayants tout seul ? En fin de compte, personne n'avait renoncé et elles étaient toutes descendues les unes après les autres. Rena fut la dernière à se glisser le long de l'échelle. L'air était moite, et le seul son provenait du clapotis incessant de l'eau. Une légère odeur d'égouts et de matière putride fit plisser le nez des apprenties les plus délicates.
— Je vais vous expliquer le déroulement de la première épreuve : nous nous trouvons au niveau le plus bas de la cité d'Eel. L'épreuve aura lieu en deux temps. Il y a deux salles, et dans chacune d'elles se trouve une planchette en bois avec votre nom inscrit dessus. Le but est de récupérer ces planchettes et de remonter dans la salle au-dessus de nous. Les salles sont bien entendu piégées, sinon ce ne serait pas drôle. Si vous tombez dans un de ces pièges, vous serez éliminées d'office. J'ai aussi invoqué une ou deux créatures, donc soyez prudentes. Des questions ?
Quelqu'un leva timidement la main.
— Vous avez parlé de créatures, quel genre de créatures ? demanda la fille d'une voix angoissée.
— Du genre qu'il vaut mieux éviter si vous ne voulez pas finir en casse-croûte. Mais ne vous inquiétez pas, si vous ne les dérangez pas, elles ne remarqueront probablement pas votre présence.
— Et si elles nous remarquent quand même, qu'est-ce qu'on fait?
— Courez... et vite, répondit Rena avec un regard sombre. Et si vous n'êtes pas assez rapide pour fuir, battez-vous.
— On n'a pas d'armes ? demanda quelqu'un d'autre.
— Non. C'est déjà assez dangereux comme ça, je ne vais pas en plus vous donner une arme avec laquelle vous risqueriez de vous blesser. Je garderai un œil sur vous, mais je n'interviendrai pas. À vous d'éviter les pièges et autres dangers. Vous avez aussi le droit de vous entraider.
Tout le monde acquiesça en silence. Rena était surprise que leurs nerfs n'aient pas encore lâché. Elle pouvait sentir la peur et l'angoisse transpirer littéralement de leur corps, pourtant leur détermination restait intacte. Il fallait croire que personne ne la prenait vraiment au sérieux – après tout ça faisait des dizaines d'années que la garde de l'Ombre n'avait pas fait passer ces épreuves. C'était devenu le genre d'histoire qu'on se racontait le soir autour du feu pour se faire peur, mais à laquelle personne ne croyait vraiment. La légende n'allait pas tarder à devenir réalité.
***
Alors que le groupe se dirigeait en silence vers la première porte, une des filles poussa un cri de terreur.
— Il y a quelque chose dans l'eau ! cria-t-elle. Quelque chose m'a frôlé le pied !
Rena se baissa et dirigea sa torche vers la surface de l'eau, juste à temps pour apercevoir un petit tentacule disparaître dans la noirceur de l'eau.
— Tu ne vas pas nous faire un caca nerveux pour un bébé poulpatata à peine éclos. Allez ! On avance ! les somma Rena qui s'était laissée influencer par les expressions de son compagnon.
— C'était un poulpatata ça ? s'exclama la jeune fille, choquée. Mais c'était tout gluant, et froid, et dégoûtant, et répugnant !
— Il a dû penser la même chose de toi quand tu as failli lui marcher dessus, répliqua Rena avec une pointe de sarcasme dans la voix.
« Dire que j'aurais pu me contenter d'utiliser des familiers. Vu le niveau du trouillomètre, ça aurait été aussi efficace que de vrais monstres, et nettement plus facile pour moi », pensa Rena en soupirant intérieurement.
***
Ils arrivèrent dans la première salle. C'était une vaste pièce aux murs de granit. Le plafond était haut et le sol était tapissé de larges dalles, en granit également. Des anneaux, des crochets, et des chaînes terminées par de vieux fers rouillés, étaient fixés aux murs. La pièce contenait tout un bric-à-brac d'objets divers et variés, essentiellement de vieux instruments de torture, marqués par le passage du temps et l'humidité. Rena donna le départ de l'épreuve et chacun se mit en quête des fameuses planchettes.
— Ah ! J'en vois une avec mon nom là-bas ! s'exclama joyeusement une des étudiantes en pointant du doigt une vieille armoire sans porte dans laquelle se trouvait effectivement une planchette, bien mise en évidence.
Sans plus attendre, la jeune fille s'élança vers l'armoire, mais elle avait à peine fait quelques pas qu'elle sentit une des dalles céder sous son poids. Le sol se déroba sous ses pieds et, pendant une fraction de seconde, elle vit les pics acérés au fond du trou se rapprocher à vitesse grand V. Elle chuta en poussant un cri d'effroi. Les cercles magiques sur les quatre parois du piège s'activèrent et sa chute fut stoppée nette à quelques centimètres des pointes d'acier. Elle se mit à hurler à la mort en pleurant avec profusion.
Rena se pencha au-dessus du trou béant et lâcha d'une voix monocorde :
— Éliminée.
— Sortez-moi de là ! cria la fille en retour, le visage ruisselant de larmes.
— Je viendrai te chercher à la fin de l'épreuve, répondit Rena.
— Non, s'il vous plaît, ne me laissez pas là. Je vous en supplie, je ne veux pas rester comme ça, je veux rentrer chez moi !
— D'accord, céda Rena.
Elle l'aurait bien laissée mariner dans son trou un peu plus longtemps, mais ses cris suraigus et ses pleurs étaient une vraie torture à ses oreilles. Elle se redressa puis, joignant l'index et le majeur de sa main gauche, elle leva lentement le bras du bas vers le haut pour faire léviter la jeune fille hors du trou. Elle la déposa sur la terre ferme et les cercles magiques disparurent aussitôt. Les autres avaient assisté à cette scène dans un silence choqué et la plupart d'entre eux avaient perdu de leur superbe.
— Qu'est-ce que vous fichez plantées là ? On n'a pas toute la sainte journée, dépêchez-vous de trouver votre plaquette.
Trois personnes levèrent une main tremblante.
— On abandonne, dirent-elles la mine déconfite.
Rena ordonna aux quatre filles de remonter dans la salle au-dessus et de l'y attendre. Elles obtempérèrent sans broncher.
« Déjà quatre en moins, et ce n'est que le début», se désola l'Ombre.
***
Il restait encore seize candidates. Trois autres personnes furent éliminées après être tombées dans un piège. Plus que treize. Rena était tout de même impressionnée que treize d'entre elles soient parvenues à récupérer leur planchette sans encombre – l'Académie n'avait pas usurpé sa réputation. C'était la seule école du royaume dédiée à la formation des futurs gardiens d'Eel et elle dispensait un enseignement théorique et pratique de qualité.
Rena les guida vers la deuxième salle, qui était en fait un réseau de pièces de tailles et de formes variées, façonnées à même la roche, à l'image d'un réseau de grottes.
— Les plaquettes sont réparties dans les différentes pièces. Elles sont visibles, mais pas forcément faciles d'accès. À vous de trouver un moyen de les récupérer. Il n'y a pas de pièges cette fois-ci.
Les visages affichaient une expression de soulagement. Ne pas avoir à faire face à une nouvelle vague de pièges tordus semblait être synonyme de facilité. Elles avaient néanmoins retenu la leçon, puisque c'est avec prudence et méfiance qu'elles s'engagèrent dans le réseau de pièces. Rena les suivit de loin en essayant de garder un œil sur tout le monde.
Elle repéra du coin de l'œil un trio qui semblait avoir trouvé les planchettes comportant leur nom, mais ces dernières étaient hors d'atteinte, suspendues au plafond par d'épais fils blancs. Elles entreprirent donc de se faire la courte échelle pour les récupérer. Elles étaient tellement absorbées par les plaquettes qu'elles n'avaient pas remarqué la créature qui, tapie dans l'ombre, les observait avec quatre paires d'yeux avides.
Rena regarda autour d'elle : les autres ne se débrouillaient pas trop mal seules, elle décida donc de se concentrer sur le trio. Elles étaient parvenues à récupérer les planchettes avec leurs noms respectifs et laissaient libre cours à leur joie, lorsque l'une d'entre elles poussa un cri strident.
— Qu'est-ce c'est que c'est que cette chose ? hurla-t-elle en pointant quelque chose dans le dos de ses deux camarades.
Elles se retournèrent et hurlèrent toutes les deux quand elles se retrouvèrent nez à nez avec l'énorme monstre arachnéen. Des gouttes d'un liquide clair comme de l'eau purifiée se formaient au bout des crochets de la bête. Une goutte tomba au sol. La pierre commença aussitôt à s'éroder et à se désagréger en laissant échapper de petites volutes de fumée à l'odeur âcre.
Les filles hurlèrent encore plus fort alors qu'elles tentaient d'échapper au monstre et à son venin mortellement acide. C'est à ce moment qu'elles aperçurent Rena qui, adossée tranquillement au mur, les regardait sans bouger. Les filles l'appelèrent au secours, toutes à l'unisson.
— Vous abandonnez alors ? demanda-t-elle sans lever le petit doigt.
— Oui, on abandonne, on abandonne ! crièrent-elles en cœur. Par pitié, sauvez-nous ! Je ne veux pas mourir.
Alors que la créature était prête à se jeter sur ses proies sans défense, Rena se servit de son pouvoir pour l'immobiliser. En un éclair, elle gela le sol et dirigea la glace vers les pattes du monstre qui se retrouva ainsi entravé. L'araignée géante essaya de se libérer de l'emprise de la glace, mais plus elle se débattait, plus la glace progressait. Elle finit par capituler en poussant une plainte sifflante.
— Vous n'allez pas la tuer ? demanda plaintivement une des filles.
— Pourquoi ferais-je cela ? Elle n'a rien fait de mal, elle ne fait que suivre son instinct de prédateur. Je lèverai l'invocation à la fin de l'épreuve et elle pourra retourner là d'où elle vient.
Incrédules, les filles la regardèrent comme si elle était une sorte de monstre, elle aussi.
— Vous nous auriez laissées mourir si on n'avait pas abandonné ! s'écria l'une d'entre elles d'un ton accusateur.
— Parce que vous croyez que le jour où on vous enverra en mission d'exploration au fin fond de la forêt d'Eel et qu'une créature essaiera de vous boulotter, il y aura quelqu'un pour vous sauver la vie ? Vaincre, fuir ou mourir, ce sont vos seules options.
N'ayant rien à répondre à cela, les trois filles se turent. Elles se sentaient à la fois frustrées, honteuses, et encore un peu terrorisées. Rena les renvoya à l'étage, puis fit le tour des lieux, mais il n'y avait plus personne. Apparemment, tout le monde avait réussi à récupérer sa planchette et était déjà remonté.
Lorsqu'elle remonta à son tour, la gardienne eut la confirmation que tous étaient revenus en un seul morceau avec le précieux écriteau. Ils étaient dix en tout à avoir passé la première épreuve. C'était plus que ce qu'avait espéré Rena qui était agréablement surprise et plutôt satisfaite du résultat.
Elle parcourut ses troupes du regard : elles avaient toutes des égratignures et des bleus un peu partout, leurs vêtements étaient déchirés à plusieurs endroits, et elles paraissaient au bord de l'épuisement. La yôkai remarqua alors pour la première fois qu'il y avait un garçon parmi ses élèves. Elle ne l'avait pas remarqué dans la vingtaine de filles, mais maintenant que le groupe avait diminué de moitié, il ne faisait aucun doute qu'il s'agissait bien d'un garçon.
D'après la forme de ses oreilles et sa queue touffue, sans doute un loup-garou, mais ce qui avait frappé Rena, ce n'était pas son sexe ni sa race, c'était le fait qu'il souriait à pleines dents en faisant sautiller les planchettes dans la paume de sa main. Rena esquissa un léger sourire en se remémorant une scène similaire qui remontait à bien des années.
***
La première épreuve était terminée. Rena avait ramené tout le monde dans le hall principal du Q.G. Les candidates qui avaient été éliminées furent d'abord envoyées à l'infirmerie pour un examen complet, puis chez Kero pour finaliser les formalités administratives et récolter leur zéro pointé. Pour les autres, pas le temps de souffler. Rena les rassembla dans le hall de la garde de l'Ombre et leur expliqua tout de suite la deuxième épreuve. Il y eut des cris et des soupirs de protestation, mais la vice-capitaine les rassura rapidement.
— Ne vous inquiétez pas, la seconde épreuve sera très courte et plutôt tranquille comparée à la première. Dites-vous que vous avez fait le plus dur et que ça ne pourra pas être pire désormais.
— C'est quoi alors la deuxième épreuve ? demanda le jeune loup-garou avec impatience.
— Suivez-moi, je vais vous montrer, répondit la vice-capitaine.
Rena les mena de nouveau aux grands escaliers qui descendaient au sous-sol.
— On va encore descendre là-dedans ? se plaignit une fille.
— On ne va pas au même endroit, se contenta de répondre Rena.
Ils s'étaient arrêtés sur un palier intermédiaire qui donnait sur une porte en bois. De l'autre côté, il y avait une grande pièce qui servait de salle de repos aux geôliers chargés de surveiller les cellules. Un autre escalier descendait jusqu'aux cachots. Le groupe s'était rendu jusqu'au niveau le plus bas, là où plus aucun prisonnier n'était retenu depuis belle lurette.
— Ce sont les oubliettes de la forteresse, expliqua Rena. Vous serez enfermé dans ces cages, et le but de l'épreuve est de vous évader et de rejoindre le hall principal où je vous attendrai. Vous devez également échapper à la vigilance des gardiens qui s'occupent des cellules. Cette fois-ci, il est interdit de vous entraider, c'est chacun pour soi. Je le saurai si la cage a été ouverte de l'extérieur, alors n'essayez même pas. Vous avez quinze minutes.
— Si peu ? s'exclama une autre fille, mais c'est impossible en aussi peu de temps.
Rena reconnut la jeune fille blonde aux allures de poupée.
— Dix minutes.
— Pardon ?
— Si vous continuez à vous plaindre et à prétendre que c'est impossible, ce sera cinq minutes.
— J'aimerais bien vous y voir ! Vous dites ça, mais je suis sûre que vous n'avez même pas essayé ! Vous nous donnez des épreuves impossibles parce que vous êtes en position d'autorité et que vous voulez vous débarrasser de nous ! contesta-t-elle avec dédain.
— Si tu ne te sens pas capable de relever défi, je ne te retiens pas. La sortie est par là.
La jeune fille était furieuse, ses boucles blondes tremblaient comme de petits serpents enragés. Elle tapa violemment du pied, fit volte-face et quitta la prison comme une furie. Rena la regarda partir en soupirant. Ce n'était pas une grosse perte, cette fille annonçait une montagne de problèmes qu'elle n'aurait sans doute pas eu la patience de gérer dans le futur. Les autres ne voulaient pas ou n'osaient pas se rebeller. Elle leur attribua chacun une cage. Après avoir vérifié qu'elles étaient toutes bien verrouillées, elle lança le compte à rebours.
Bon, les survivantes et le survivants sont sûrement la crème de la crème des stagiaires. J'espère qu'ils seront se débrouiller. Ça pourrait
Elle ne leur donne même pas d'arme pour se défendre, jpp. J'adore son sadisme.
Sadique ou juste réaliste.
Quand même, je plains un peu les recrues face à l'araignée venimeuse. Ca doit être assez effrayant (mais le flegme de Rena est tellement drôle, j'adore)
Ce paragraphe est extrêmement drôle aussi :
"Lorsqu'elle remonta à son tour, la gardienne eut la confirmation que tous étaient revenus en un seul morceau avec le précieux écriteau. Ils étaient dix en tout à avoir passé la première épreuve. C'était plus que ce qu'avait espéré Rena qui était agréablement surprise et plutôt satisfaite du résultat."
Encore heureux qu'il n'y ai eu aucun blessé ahah ! Et que Rena se soit attendue à de la casse, vraiment... Gentille, certes, mais pas trop !
Hâte de voir comment les recrues restantes vont se débrouiller (surtout en 10 minutes, merci la p'tite blonde).
Le jeune loup-garou m'intrigue, aussi. J'aime bien qu'à travers lui, Rena se voit. Ca nous donne des informations sur les deux personnages en même temps, c'est vraiment bien fait !
Oui, Rena n'est pas sadique non plus, mais bon elle essaye de leur montrer la réalité du terrain, et encore là, ils sont bien supervisés, on est loin du chaos et de la violence d'un véritable combat sur un champ de bataille, ou face à une créature monstrueuse dans son habitat naturel qui t'a pris en chasse.
Quand elle dit "c'est plus que ce qu'elle espérait", elle parle du nombres de candidats qui ont réussi l'épreuve hein, pas du fait qu'il n'y ait aucun blessé, normalement elle a veillé à ce que ça n'arrive pas, plus de peur que de mal surtout. x) Après elle les a prévenu, ça pouvait arriver, mais rien de grave non plus, elle serait intervenue sinon.
Chrome va devenir un personnage récurrent aussi, puis il est drôle, c'est un personnage très optimiste et un peu désinvolte, un peu naïf et maladroit aussi, mais toujours de bonne humeur et prêt à faire de son mieux et à prouver sa valeur, il apporte de la fraîcheur et de la légèreté à l'histoire.