Chapitre 12 : Où Bartholomé apprend ce que sont les Fées

Par Eulalie

Aussitôt le voile sombre qu’il portait devant les yeux tomba et Bartholomé revint à la vie.

« Ne dérange pas Gunther pour ça, je vais m’en occuper. »

Il se leva rapidement, oubliant le bol de soupe qu’il tenait encore à la main et manqua de renverser. « Merci Anne, merci pour la soupe, pour ta présence. Je n’ai pas fait mon devoir mais vous pouvez compter sur moi à présent. »

Tout en disant cela, il avait enfilé ses bottes de cavalier et sa pelisse et il dévalait à présent les escaliers en direction des écuries. Auguste avait besoin de courir et lui avait besoin d’aérer son esprit. Ils feraient la paire.

La cour était vide et tapissée de neige. L’écurie sentait la paille humide et aucun des deux palefreniers n’était là. Dehors, serrées les unes contre les autres, les maisons des fermiers tremblotaient de froid et leur haleine dessinait dans le ciel de long fils d’argent. Dans le silence de la neige, Rheinenberg semblait s’être endormi.

Bartholomé fit le tour de chaque chaumière, veillant aux besoins, écoutant leurs doléances. Il alla jusqu’au chais, envoya le vieux Franck louer des journaliers pour récolter le riesling. Il salua dame Trude qui allait de foyer en foyer prodiguant des soins. Il mangea sur le pouce une tranche de pain rassis et un morceau de fromage que Liesel lui porta pendant qu’il pansait son cheval. Il alla chercher un sac de grain pour Gunther, attisa tous les feux dans les cheminées, nourrit les cochons, écrivit un courrier à son cousin Frederick.

Quand il eut raccommodé sa dernière chaussette, il resta un instant assis, les mains sur les genoux. Il avait occupé son temps de son mieux, repoussé l’échéance jusqu’à l’épuisement de son corps.

 

La peur et la colère secouaient ses entrailles. Mais le besoin de comprendre était le plus fort des trois. Il verrouilla la porte de sa chambre, avança jusqu’à sa malle de voyage et l’ouvrit.

« Mon seigneur veut-il bien de nous ? » grommela le livre et faisant craquer ses pages.

« Je vous ai mal traités, je vous ai ignorés. Je vous prie de me pardonner. J’avais peur. J’ai toujours peur et aujourd’hui je suis prêt à l’affronter. J’ai tellement de questions pour vous. »

« J’accepte tes excuses » dit Cuillère en se hissant hors de la malle. « D’autres m’ont traitée bien plus rudement que toi. Nous avons passé un pacte : Tu me protèges, je te protèges. T’en souviens-tu ? Tu m’as fait sortir de Castelvoyant, je te suis redevable. Et comme le savoir permet la protection, je paierai ma dette en répondant à tes questions.

– Tu es étonnamment sage pour une cuillère. Répondras-tu à toutes mes questions ?

– Suffisamment.

– Holà, une minute mes amis, celui qui répond aux questions c’est moi ! grinça le livre. Et j’ai passé un pacte moi aussi, j’ai soif d’apprendre !

– Ne vous disputez pas je vous en prie, deux objets qui parlent dans ma chambre est suffisamment déroutant pour ne pas y ajouter les tensions de la querelle. J’aurais bien besoin de deux instructeurs si je veux saisir votre monde.

– Vous pouvez dire « notre » messire, vous en faites partie à présent. »

Bartholomé senti son cœur s’accélérer. Ce monde inconnu lui avait tellement plu lorsqu’il l’avait effleuré dans l’armurerie de Castelvoyant. Malgré la frayeur que lui avaient causé les lutins et leurs alliées Gargouilles, il s’était senti attiré vers la terra incognita. Il se souvint d’avoir pensé aux dragons avec défiance et humour. À présent il se demandait…

« Dites-moi, amis, les dragons existent-ils ?

– Non, bien sûr que non, affirma le Livre. Chimères et balivernes. Il n’existe que les Fées et les Elfes.

– Je n’en ai jamais vu, modéra Cuillère, mais je pense qu’il en existe. Sinon pourquoi les non-voyants en parleraient-ils ?

– Non, non, les Fées ne peuvent pas faire ce genre de choses.

– Pas même les Façonneuses ?

– Il n’existe pas de telles Fées, voyons !

– Mais si !

– Mais non !

– Mais si ! »

Bartholomé s’assit sur son lit et pris sa tête entre ses mains. Gargouilles, lutins, élémentaire, fées, façonneuses, dragons ? Le bestiaire s’allongeait, dangereusement.

« Pas de dragons par ici, cette réponse me convient, coupa Bartholomé. Livre vous m’avez déjà appris ce qu’était un voyant. Pourriez-vous m’en dire plus sur ces Fées et Elfes dont vous parliez ? Il me semble que vous aviez également mentionné les Démons lors de notre rencontre. Le terme m’est familier hélàs mais je doute qu’il ait le même sens dans le monde des hommes et dans le nôtre. »

Dire «  le nôtre » lui en coûtait mais qu’il le veuille ou non, c’était la vérité.

« Page quinze, regardez, dit le livre de sa voix nasillarde. Les Faes sont esprits plus existants que Aelfes, plus grands et plus limités également. Mais ont grands pouvoirs et infinies connoissances. Plus dangereuses, plus sournoises, Satan incarné. »

Il avait dit la dernière phrase avec colère. Cuillère eut un hoquet de surprise et le livre agita ses pages comme si une bourrasque les faisaient défiler. Puis il reprit :

« Pardonnez-moi, messire, mon auteur, Bodrulf le lourd, avait l’esprit plus dur et impénétrable que la pierre. Il m’a écrit quand il était voyant puis m’a raturé quand il était moine. Je ferais mieux de vous dispenser mon savoir sans vous faire la lecture. Voyons, où en étions nous. Les Fées. Il existe deux types de Fées.

– Ah bon ? couina Cuillère, je pensais qu’elles étaient plus variées.

– Chacun son tour, Cuillère, je vous prie, intervint Bartholomé, anticipant un conflit.

– Certaines Fées sont là depuis toujours, on les appelle Primordiales. D’autres sont des Voyants ou des Animants devenus Fées. En échange de pouvoirs immenses ils troquent leur mortalité.

– Certains trouveraient que ce n’est pas cher payer.

– Certes, messire, mais le processus est risqué et beaucoup de Fées n’ont pas la force mentale nécessaire pour traverser les époques indemnes. Beaucoup sont folles, recluses ou renoncent à leurs pouvoirs.

– Moi je pense qu’il existe plus de Fées que cela, ajouta Cuillères. Je connais les Morriganes, les Façonneuses, les Enchanteresses, …

– Oui, on peut y ajouter les Walkyries, les Hybrides et d’autres sans doute mais ce sont là es différences dans leurs pouvoirs, pas dans leur essence. À présent, messire, j’aimerais en savoir plus sur cet homme que vous appelez Charlemagne. »

Cuillère renifla avec dédain et effectua une torsion sur elle même, comme si elle faisait la moue. Bartholomé esquissa un sourire et s’appliqua à restituer les leçons que sa mère lui avait données enfant jusqu’à l’heure du dîner.

 

Dans les jours qui suivirent, les gens de Rheinenberg prirent l’habitude de voir leur seigneur réciter l’histoire de France tout seul ou marmonner dans sa barbe, la tête inclinée vers une sacoche qui ne quittait plus son côté. Le château reprit son activité quotidienne tandis que l’hiver arrivait. Le chais était plein, les granges aussi, les gens affluaient dans la grande salle et organisaient des veillées. Bartholomé essayait de chercher des elfes. Le livre et Cuillère lui avaient indiqué : des lutins dans les maisons des hommes, des korrigans dans les lieux d’arts, des pixies dans la nature, des élémentaires partout dans l’air, dans l’eau, dans le feu. Jusqu’à présent il n’avait rien trouvé. Le livre affirmait ce c’était parce qu’il n’était pas encore Compreneur, mais il n’avait pas su lui expliquer en quoi cela consistait. Cuillère explorait ses limites de gargouilles. Elle avait compris qu’elle n’était pas fragile comme Bodrulf et prenait un malin plaisir à sauter hors de la sacoche, de préférence lorsque Bartholomé chevauchait dans la neige. Bartholomé s’était habitué à leur présence, la joie enfantine de Cuillère et l’antique sérieux du Livre faisaient de bons compagnons et son cœur guérissait. Noël était proche, son cousin Frederick allait traverser le Rhin le lendemain pour venir chercher Anne et leur mère qui passeraient la froide saison dans un château mieux chauffé et plus gai que le donjon de Rheinenberg. Quant à lui, il aurait plus de temps pour ses recherches.

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