Prémonition
(Camille)
Où suis-je encore ? Je vois l’entrée d’une cavité assez sombre. Devrais-je m’y engouffrer ? Dans quelles conditions vais-je à nouveau me retrouver ? Peu importe, je dois y aller!
L’endroit m’est d’abord apparu lugubre et je constate qu’il y fait assez clair… Une lumière solaire semble s’écouler du toit inaccessible de la grotte.
Plus je m’enfonce, plus j’aperçois de la verdure, de la mousse plus précisément et j’entends, au loin, une multitude de cris, grognements, chants s’entremêlant dans une irrésistible cacophonie. Ferais-je dans la grandiloquence si je reconnaissais la beauté et la grandeur ineffable de ce lieu très singulier ? C’est immense ! L’Everest est une dune comparé à ce qui éblouit mes yeux.
Un couloir étroit se présente. Le traverser est mon seul choix car, oui, tout s’est effacé derrière moi. Chaque pas que j’entreprends supprime le précédent. Ici, le présent élimine le passé et si on se penche vers l’arrière, le vide remplit un horizon qui n’existe plus.
Un mur d’eau s’élève et me barre le passage. Quelques réflexions plus tard, je plonge la main en son milieu et je le tire comme un rideau. Je passe.
Au-delà du mur, je me sens au-delà d’un songe. Des étoiles apparaissent, des planètes, météores, la voie lactée et d’autres galaxies m’entourent et s’effacent. Mes mains se soulèvent sans que je puisse les contrôler.
Du bout de mes doigts, s’évaporent des fils d’or. Ils circulent devant moi, longs vers de terre lumineux. Chaque fil tombe sur un sol illuminé par la chute pour s’éteindre ensuite. Je comprends que je dois poser le pied sur ces petits ronds dorés avant leur disparition.
Mon torse se bombe comme un ballon qui en perdant son souffle libère un filigrane d’animaux sauvages dont la course se déroule sur une piste d’aurores boréales. Baboum ! baboum ! badaboum ! Leur entrain fracasse tout et je suis ballotée dans un vent infernal.
Le calme revenu, je continue de suivre cette trajectoire inéluctable. La grotte déjà immense le devient de plus en plus.
En vérité, je rétrécis à grande vitesse. Les ronds dorés, jadis tout petits, deviennent, graduellement, des flaques pour se transformer en une mer safranée. J’entre dans une euphorie qui exaspère mes sens et mes pensées sont teintées d’images insondables. Je nage dans le soleil, dans l’or…
La cacophonie tantôt essoufflée revient plus intense et je vois défiler des espèces rares: tortue de cantor, marsouin du pacifique, le wombat à nez poilu du nord… et j’en passe…
De minuscules pissenlits flottent dans l’air accompagnés d’autant de méduses plus naines encore. Et là, je m’endors. Je ne me noie pas pour autant. Je fais une longue et délicate descente.
Le fond atteint, je me réveille et creuse le sable. En dessous, se trouvent les caves de la grotte. Plus solaires encore. Plus, toujours plus. M’en faudrait-il toujours plus ? Cette idée me lasse aussitôt. Il ne m’en faut peut-être pas plus, il y a que je ne lâche rien avant de l’avoir obtenu.
La tête me tourne. J’ai mal !! C’est si fort avec l’impression que ma poitrine s’ouvre et que ça me brise les os ! Est-ce possible d’endurer cela ?
J’éprouve un manque à me couper le souffle. Je réalise que je ne suis rien ni personne. Et il commence à faire si chaud ici ! Ca brûle !! L’eau part en fumée.
Ma tête me torture à me la taper contre un mur ! Je me mets à crier de douleur ! Je la tiens et tombe à genoux ! C’est trop ! Mais, vraiment… vraiment… comme je mesure ce que je suis en train d’endurer… Comment est-ce possible d’éprouver pareilles épreuves de l’esprit sans en mourir littéralement ? Quelqu’un pourrait-il comprendre cela ?
Ma tête gonfle, des boules apparaissent un peu partout sur mon crâne, mon visage. Sensation d’un déchirement de la chair même si rien ne se déchire réellement… Et les voilà qu’elles sortent enfin ! Ces âmes égarées s’en vont de mon cerveau et voltigent autour de moi. J’entends le chant de cet oiseau qui me suit décidément partout et je perçois: « Lema sabachtani »… dans une voix asexuée, d’abord fébrile et puis claire, plus forte.
La voix bondit de partout comme si les mots tapaient contre le sol, le sable au-dessus de moi. Cet oiseau, je le vois pour la première fois apparaître et je m’en doutais… c’est l’oiseau qui est mort dans ma chambre. « Le minuscule moineau monstrueusement maigre », ainsi décrit par Armel.
J’aperçois très brièvement une longue chevelure dorée flamboyante. Serait-ce elle ? Amélie ? Amélie anéantie par la mort de sa mère ? Amélie tellement sûre d’elle en apparence, aux traits d’ange durcis par sa vaine entreprise de faire semblant ?
Un homme perché sur une branche à observer la vie des autres. Henry ? Nous ne nous sommes entretenus qu’une seule fois. J’ai ressenti une souffrance rare, une mélancolie si intense qu’elle semble enjamber tout espoir de guérison et pour laquelle je ne peux oeuvrer en un temps.
Comment les aider s’ils ne me donnent pas ou plus accès à leur intimité ?
Une dame renversée par un camion. Mme Berit ? M’appellerait-elle de l’au-delà ?
Qui m’appelle ? Montrez-vous ! Montre-toi ! Comment te sauver si je ne te vois pas !
Une ombre surgit… Elle avance vers moi, petite et fine dans une démarche féline. Une queue et ses ondulations, des ronronnements, c’est Salem.
Depuis combien de temps Salem ? Depuis combien de temps n’es-tu pas venu m’accompagner au sein de l’action ? Te voilà mon ami, mon bras droit. Montre-moi la voie, je te suis les yeux fermés. Salem s’approche, son regard suspendu au mien. Je ne sais d’où cela me vient mais à la lueur de ses pupilles, les portes de mon imagination s’ouvrent sur le doute. Il prend toute la place et altère la couleur de mes sentiments.
Terrassée par la confusion, je commence à douter de tout… de tout le monde… même de toi, Salem. Je l’examine et sa pureté semble m’être étrangère. Serais-tu capable d’aussi bien jouer la vérité ?
Notre échange ne s’est borné qu’à quelques mots dont mon esprit comprenait le sens mais pas mon coeur. La route qui les sépare semble bien longue et sinueuse.
Il me saute dans les bras pour se blottir contre moi. J’en viens à me demander s’il ne me donne pas plus de tendresse qu’il ne peut en éprouver. Que m’arrive-t-il ? Où sont mes évidences, mes certitudes ?
Effacé par mon tourment, Salem disparait. La peur me saisit à la gorge. Cette satanée peur qui vient toujours alors qu’elle n’est jamais invitée !
Une voix d’homme retentit et dit: « Je haïs le monde, sauf toi ! Sauve-toi ! ». Une noirceur sans faille s’empare de moi sans m’appartenir. Je reçois des coups invisibles sur tout le corps. Je suis fracassée ! Etalée sur le sol, immobile.
Des gémissements étouffés s’élèvent pour mourir au creux de mon oreille. Il ne s’agit pas des miens, je suis muette. A quelques pas de moi, une giclée de sang et une pendule.
La mort. Quelque chose ou quelqu’un viendrait de mourir ? Non ! Ça ne se peut pas ! Je suis là pour éviter le pire et guérir les maux ! Ca n’a pas de sens ! Je doute encore, je suis perdue ! Mais que m’arrive-t-il !!
Dans l’air, sur les parois de cette sous-cave, sur le sol, se tracent ces mots encore et encore… pour finir par les entendre comme dans un dernier souffle: « Lema sabachtani ». Qui est-ce bon sang ?! Cette âme refuse de se montrer!
Et si la question était plutôt: pourquoi je refuse de la voir…
pauvre jeune fille
qui a un poid si lourd sur les épaules
guérir...
je les ai tous reconnu
ils sont tous là
Le chat noir
le petit frére
Mdme Bérit
henry
l'homme a la ceinture
....
Elle en a du travail
s'enfoncer dans les épaisseurs de la terre
souffrir elle même
et
supréme mission
sauver lema sabachtini
à force de vouloir tout sauver
ne va t'elle pas y laisser son ame ou sa peau!
Et, en.effet, ce n'est pas sans conséquence, surtout à son âge...
Les rêves de Camille me font penser à Alice tombant dans le Pays des Merveilles. Il y a ce côté absurde, grotesque propre à l'œuvre de Lewis (et encore plus à la version psychédélique de Disney) qui n'est pas pour me déplaire. Tu y ajoutes beaucoup de poésie aussi, alors que, faut bien l'avouer, on a souvent l'impression d'être à la limite du cauchemar.
Le côté désespéré de la jeune fille à la fin du chapitre est particulièrement prenant. Il fait écho à toutes les personnes qu'elle veut aider.
J'aime vraiment beaucoup ce chapitre.
Chaque rêve est soit la métaphore d'une situation vécue par celui qui le fait, soit il est prémonitoire.
Ravie que chapitre ait pu te plaire!
A bientôt!!
J'ai mis un peu de temps à comprendre qu'il s'agissait des pensées de Camille mais une fois dedans j'ai été très intéressé par certains passages (le chat, quand elle parle des autres personnages).
C'est très bien écrit et poétique.
Quelques remarques :
"la grandeur ineffables de ce" -> ineffable (je crois)
"le vide rempli un horizon qui n’existe plus." -> remplit
"sauf toi ! Sauve-toi" joli !
Bien à toi
merci beaucoup pour ta lecture et ravie que cela te plaise toujours autant!
Au plaisir
On revient dans la tête de Camille et à travers ses rêves étranges à ses préoccupations essentielles : comment défaire les nœuds ? Comment aider toutes ces personnes qui l'appellent au secours sans lui donner tous les moyens de les aider vraiment. J'imagine sans peine que c'est tout le débat intérieur du psychologue, lire entre les lignes, comprendre à demi-mot, décrypter les moindres signes en faisant abstraction de sa propre histoire. Mais ici l'histoire de Camille entre en résonance avec l'histoire des âmes qu'elle doit secourir et ses interrogations la renvoient face à une autre questions.
Il semble qu'un lien inconscient relie toutes ses personnes et que Camille en soit la clef.
Ce chapitre est très bien écrit, fluide. Le rêve est poétique, mystérieux, inquiétant, angoissant. La sensation de crescendo est très bien rendue.
Je me suis interrogée au départ pour savoir qui parlait, lorsque j'ai compris qu'il s'agissait de Camille tout s'est mis en place.
Juste deux remarques :
- je rétrécie impétueusement : le impétueusement me chagrine, veux-tu dire rapidement ?
-Je réalise tant que je ne suis rien : il me semble que le tant est en trop.
A très bientôt Ella
Ce n'est toutefois qu'un point de vue personnel. Qu'en penses-tu, toi ?
Ton commentaire me fait grand plaisir! Il est très juste sur l'aspect psychologique.
Loin de moi l'envie de te chagriner, je vais donc changer ça 😉😄
Mon point de vue de base concernant son genre était: drame psycho-fantastique mais certains échos le définissent comme thriller psycho-fantastique. Bref, on verra.
En même temps, même si on changeait le nom d'une fleur, changerait-elle pour autant?
Merci Hortense 😊