Ionawyn, à nouveau vêtue de ses prestigieux vêtements, déposa le bol de riz au centre de la table, juste à côté de l’immense marmite qui émanait d’une merveilleuse odeur de curry. Une myriade de petits cubes de légumes colorés flottaient dans un ragoût onctueux, il n’était rien de plus réconfortant à dévorer du regard. Tous les convives se frottaient déjà les mains. Honorine observait les mouvements de son hôte, méticuleux et légers.
— On a à peine la vingtaine et voilà qu’on partage un repas digne de la haute, plaisantait Sylvain. Excuse-nous, Iona, mais nous sommes tous étrangers à l’étiquette, ici.
La jeune rousse s’assit en souriant.
— Pas de ça avec vous. Faites-vous plaisir.
Le groupe d’élèves, tous réunis en bout de la longue table de bois de marbre, firent passer entre eux le bol de riz puis la louche pour le curry. Visiblement, la magie de l’âtre ne franchirait pas les portes de sa pièce pour les aider. Elle en était probablement incapable. Honorine en était navrée, elle s’était faite un nouvel ami dans cette cuisine. Après tout, d’après ce qu’elle avait lu dans quelques bouquins, la magie de l’âtre restait scellée dans l’enceinte de la cuisine qu’elle occupait, ayant pour vocation absolue de maintenir un feu suffisant pour son hôte.
— Que font tes parents alors ? interrogea Percutio en se tournant vers Ionawyn. Ministres ? Avocats ?
— C’est un peu compliqué… ils travaillent pour l’Autorité Magique et Mécanique, mais dans la région d’à côté. Enfin, pour l’instant.
— Pour l’instant ? articula Ernest, la bouche pleine de riz.
— Avant le dernier Grand Remodelage, ils travaillaient dans la région qui se trouvait à peu près ici. On ne l’a pas connue, nous, mais vous avez peut-être vu des cartes. Mais après le Remodelage, lorsque la région a été complètement fracturée et secouée, les équipes de mes parents ont naturellement migré vers l’ouest, et ils les ont donc suivies.
Cela faisait beaucoup de choses à assimiler pour Honorine. Les parents de son amie travaillaient donc pour l’Autorité, rien que ça. Ils avaient affaires à une famille particulièrement importante de la société.
— Depuis ce jour, ils y passent le plus clair de leur temps. Je peux profiter du château à moi toute seule.
— Ceci explique cela, conclut Camilla qui s’acharnait à couper un morceau de bœuf. En tout cas, ton plat est une merveille, je n’ai jamais mangé de repas aussi réconfortant, merci Iona.
« Merci Iona », répétèrent jovialement le reste des invités.
— C’est gentil, répondit-elle en dissimulant sa bouche derrière une serviette en tissu rouge. Et vous alors ? On pourrait apprendre à se connaître.
Honorine était étonnée de l’avenance de son amie, qu’elle connaissait si timide. Il y a quelques jours c’était à peine si elle connaissait le son de sa voix. Elle fut ravie quand le tour de table des présentations débuta. Ernest, le plus jeune du groupe, était fils de chaudronnière. Son père tenait la boutique familiale, vendant les œuvres de sa femme au nord de la cité, et toute la petite famille partageait le dîner chaque jour avant d’aller au lit. C’était le même schéma pour Sylvain, à la seule différence que ses deux parents étaient conducteurs d’équinaxes. Le jeune homme était souvent livré à lui même et pouvait profiter de son temps comme bon lui semblait.
Vint le tour de Camilla, dont le passé s’avéra plus triste qu’il n’y paraissait pour une jeune fille aussi énergique et rayonnante. Ses deux parents avaient péri le jour de sa naissance, emportés par un parasite qui n’avait jamais montré signe de présence auparavant. Par une chance miraculeuse, la jeune fille était tout de même née en parfaite santé, et une famille l’avait adoptée dès sa première semaine. Cette famille était la même aujourd’hui, un père boulanger, une mère restauratrice, un frère et une sœur tenant déjà une auberge ensemble dans une région voisine. Camilla était la petite dernière, mais ses résultats satisfaisants à l’Académie et sa fascination pour les automates laissaient profiler pour elle un avenir radieux. Aucun élève autour de la table ne réussissait à pénétrer dans son esprit pour autant : d’elle, il n’existait que la façade qu’elle acceptait de montrer. Elle avoua toutefois un de ses rêves d’avenir : devenir gérante d’un hangar à équinaxes.
Enfin, en ce qui concernait Percutio, tout le monde connaissait à peu près les grandes lignes qui circulaient par rumeurs depuis des mois, au sein de l’académie. Trouvé par un membre du personnel de l’académie, dans une flaque d’eau et sous une pluie torrentielle alors qu’il était encore nourrisson, sa vie ne tenait alors qu’à un fil. Heureusement, la direction de l’établissement s’était portée elle-même volontaire pour protéger le nouveau-né, le délivrant alors d’une mort certaine. Aujourd’hui et depuis ce jour, il vivait dans les quartiers supérieurs de l’administration, assurant sa scolarité littéralement chez lui malgré les quelques séquelles de son incident d’enfance. En termes de connaissances à propos de l’académie, Percutio était certainement le mieux placé.
L’ambiance est merveilleuse songeait Honorine, les yeux ondoyant sur chacun de ses amis. Elle aurait voulu que cela dure toujours : constater l’épanouissement chez les autres, rien que l’épanouissement. C’était inspirant.
Puis vint son tour de se présenter. Elle aurait adoré conter son histoire à ses camarades. Elle avait même eu le temps d’inventer mille mensonges à propos de son passé. Elle pouvait passer pour une héroïne, une martyre, une délinquante, tout ce qu’elle voulait tant que cela faisait rêver. Mais quand tous les yeux se tournèrent vers elle, elle ne trouva rien d’autre à dire que « je ne peux pas », avant de détourner l’intégralité de son attention vers son assiette, tapant frénétiquement du pied sur le parquet. Puis, elle s’en voulut lorsque le son des couverts était le seul vestige de leur discussion.
— En tout cas, je suis heureuse que le château soit à votre goût, conclut Ionawyn d’une voix assurée. Je vous ferais volontiers la visite après le repas. Vous buvez des cafés ? Honorine, j’ai besoin d’aide en cuisine, viens m’aider.
La jeune fille aux cheveux platine nettoyait déjà la marmite de curry dans l’évier gigantesque, les yeux plantés à travers les carreaux de la fenêtre lui faisant face. De l’autre côté du château s’étendait une forêt infinie, bercée dans la nuit. Le Vert Éternel qui, la nuit, devenait l’abysse éternelle.
— Que veux-tu me dire ? lança-t-elle d’une voix monotone alors que Iona arrivait avec une pile de vaisselle sur les bras.
La porte battait dans l’air derrière elle, ce que la magie de l’âtre interrompit au plus vite dans un agacement étonnamment très communicatif pour une simple volute d’énergie.
— Je n’ai rien à te dire, ne t’en fais pas. Reste là autant que tu le désires, d’accord ? Je vais préparer le café.
— Je peux le faire, si tu veux. J’ai quelques bases.
— C’est vrai ? s’étonna la cuisinière, illuminée. Ce serait génial, je déteste faire ça.
Elle présenta le moulin à grains et la luxueuse cafetière à pression à Honorine, qui entreprit de moudre la bonne quantité de grains dans un vacarme assourdissant. Iona dut hausser la voix pour se faire entendre.
— Ne te sens pas obligée de répondre quand tu ne le veux pas. Ne te sens pas gênée non plus. Tu te fais du mal.
— J’en ai assez que toutes les discussions mènent à mon passé ou à mes parents. J’aime en apprendre davantage sur vous, mais lorsque ça me concerne, tout retombe. J’aimerais juste être spectatrice, parfois.
— Ce n’est pas ton genre d’être une simple spectatrice, avança Iona avec un sourire en coin. Au contraire, tu as plutôt tendance à incarner le spectacle tout entier. Toutefois, ça ne veut pas dire que tu dois être la protagoniste de toutes les scènes. Alors ne te sens pas forcée.
Une telle cafetière représentait un vrai casse-tête pour la jeune fille. Elle n’avait jamais rencontré pareille machine dans son café habituel. L’engin se présentait sous forme d’un immense cylindre vertical de couleur ambrée, segmenté d’une multitude de joints en caoutchouc à la manière d’un tuyau d’eau. La partie inférieure de ce cylindre était constituée cette fois-ci de verre, où l’infusion du grain devait se produire, pour ensuite couler par un élégant bec de bismuth jusque dans la tasse. Il fallut l’aide de sa camarade pour qu’Honorine découvre que la partie en verre coulissait à la manière d’un tiroir, accueillant le filtre en tissu et le grain moulu. L’eau était automatiquement propulsée dans le cylindre, et la magie de l’âtre terminait le travail dans un nuage de vapeur. En résultait un parfum formidable et une carafe de pleine de café.
— Effectivement, tu as l’air de plutôt t’y connaître.
— C’est une drôle de machine… je n’en ai jamais vu de telle.
— Une des qualités de mes parents est qu’ils ont un formidable sens des innovations et de la nouveauté.
Honorine huma le merveilleux parfum du café : entre caramel, cannelle et charbon de bois, précisément ce qu’elle adorait.
— Tes parents sont des personnes intrigantes.
— Et pourtant tu n’as pas l’air de les apprécier. Je te comprends, après tout ils n’apparaissent pas comme des personnes chaleureuses au premier abord.
— Et au second abord ? ironisa Honorine, revigorée par la boisson chaude.
— Au second abord non plus, je te l’accorde. Ne ris pas comme ça ! Allons rejoindre les autres.
Étonnamment, Iona n’insista pas sur la question des parents. Honorine s’était pourtant préparée, cette fois-ci, à un changement de sujet acrobatique. Les deux jeunes filles rejoignirent le repas avec une carafe pleine de café et quelques sucreries pour le dessert. Le volume des voix avait drastiquement baissé tout d’un coup, et la discussion semblait d’autant plus sérieuse. Honorine en saisit aisément le sujet en appréciant tous les yeux rivés sur son poignet droit alors qu’elle s’asseyait. Après un court silence, Percutio se lança en premier.
— Dis, Honorine… on était un peu inquiet pour ton poignet. Après tout, c’est pas rien ce qui t’est arrivé à la tunnellerie.
Sa voix abîmée fit grincer d’inconfort la prothèse de l’élève. Elle ne souhaitait pas particulièrement aborder ce sujet aujourd’hui. Ni jamais, en fait.
« Ca va aller ? » intima Sylvain d’une voix douce, alors que Ionawyn interrogeait la blessée des yeux comme pour lui proposer de parler à sa place.
— Ca ira, trancha Honorine. Aux grands mots les grands remèdes… Sans cette prothèse, j’aurais perdu mon poignet un jour ou l’autre. C’est ce que l’infirmière m’a dit. Je ne suis plus aussi habile qu’avant l’accident, et j’ai perdu un peu de mes capacités magiques… mais vous voyez, je vais bien et je peux vivre comme avant.
La tension pesant sur l’assemblée s’évanouit d’un coup, les regards davantage curieux qu’inquiets désormais. Ionawyn proposa même de lancer une musique sur le caterophone, qui s’anima aussitôt d’une magie bleue mélodique. Un cerceau d’énergie se mit à défiler autour et à travers la drôle de machine en forme d’écritoire, faisant résonner le mécanisme à l’intérieur.
— Je peux voir ? implora Ernest à Honorine, les yeux pétillants.
— Oui, vas-y.
Le jeune homme s’approcha, appréciant la prothèse comme s’il s’agissait d’un bébé animal. Camilla le suivit, et les deux autres garçons guettèrent de loin.
— Comme par hasard.
Tous soulevèrent un sourcil suite à la remarque de Sylvain. Personne ne répondit.
— Comme par hasard, dès qu’Honorine commence à s’intéresser aux affaires de l’administration, on lui fracasse le poignet. Et hop, sans prévenir, l’infirmière elle-même lui colle une prothèse métallique incapacitante.
— Sylvain, t’abuses, lança Percutio, agacé. N’essaie pas de tout lier à cette fichue affaire, surtout lorsqu’on parle de notre camarade : je ne suis pas certain qu’elle ait envie de se concentrer là-dessus pour le moment.
— Mais je sais que tu es d’accord avec moi, Honorine. Est-ce réellement un hasard ? Sérieusement.
Les élèves échangeaient des regards, silencieux. Percutio commençait à sérieusement s’agacer.
— N’essaie pas de la convaincre ! Profitons juste de la soirée, d’accord ? On passait un bon moment, là.
— Changeons de sujet, glissa Iona d’une voix estompée.
Si vraiment ce n’était pas un hasard… je ne veux pas croire que c’est un coup de Desonges. Ca fait donc une nouvelle pièce à mettre sur l’Automate.
Un air de valse débuta dans le canterophone, et Camilla bondit au centre du salon pour entamer une petite danse. Pour détendre l’atmosphère, il fallait toujours compter sur Camilla. Ernest continuait d’ausculter la prothèse métallique alors que les deux autres garçons détendaient leurs traits.
— On en reparlera. Pendant ce temps, je t’invite à danser, enterrons la hache de guerre, déclara Sylvain avec un ton noble parodique.
—Gaffe à tes pieds alors. Si la danse est un art, je suis celui qui renverse les pots de peinture des autres.
Iona ricana tandis que les deux garçons se rejoignaient sur la piste improvisée. De son visage détendu comme jamais auparavant, elle adressa un sourire envoûtant de bonheur à Honorine, incapable de ne pas le retourner.
Camilla s’était rangée sur le côté, applaudissant au rythme de la musique et riant au rythme de son propre amusement. Bien que Sylvain présentait des bases de danse évidentes, les deux garçons étaient comparables à deux truites dans un seau d’eau trop petit. Enfin cela, c’était l’image qu’Honorine avait en tête, tout aussi amusée que Camilla. Percutio excellait effectivement dans l’art d’écraser les pieds, au point où l’on se demandait si ce n’était pas le but initial. Au bout de quelques minutes, Sylvain s’écroula par terre de rire et Percutio le suivit par compassion tragique.
Honorine se servait une troisième tasse de café, la dernière de la carafe, ravie par l’arôme délicieux qu’elle en tirait. Elle songeait à ce qui la rendait la plus heureuse à l’heure actuelle : être entourée de ce qu’on peut appeler « amis », profiter de la chaleur intérieure au lieu du froid hivernal comme chaque nuit, le merveilleux repas dont elle avait profité, ou savoir sa nouvelle amie aussi heureuse qu’elle à l’heure actuelle. Le clou du spectacle était qu’elle pouvait observer les fenêtres droit devant elle, et tout ce que le monde extérieur avait à lui offrir. Cependant, car toutes les bonnes choses avaient une fin, le luxueux pendule de bois situé dans le couloir près de la cuisine retentit de douze coups résonnants.
— Oh ça, je n’ai même pas vu l’heure passer ! s’exclama Ernest en gobant d’une traite un petit financier à la pistache. Je dois y aller, et je n’habite pas tout près.
— Je dois y aller aussi, suivit Sylvain qui se tenait les abdominaux après avoir tant ri.
—On vous suit, conclurent en chœur Percutio et Camilla, réunissant déjà leurs affaires.
Honorine voulait pouvoir dire qu’elle aussi, on l’attendait quelque part. Malheureusement, elle n’était pas certaine que les équinaxes du hangar l’attendaient particulièrement, et encore moins leur conducteur le lendemain matin. Elle se leva malgré tout par mimétisme, réfléchissant déjà à où aller et pourquoi. L’émotion froide et plate qui l’habitait habituellement la gagnait à nouveau. Elle consulta une dernière fois la fenêtre, songeant à une première nuit au cœur de la forêt, juste pour essayer.
— Au revoir tout le monde, on se revoit demain ! Rentrez bien !
La voix d’Ionawyn retentissait, joviale, au loin. La jeune fille aux cheveux platine n’avait même pas remarqué qu’elle avait passé cinq minutes à admirer l’horizon, et tous étaient déjà partis. Elle vit leurs petites têtes, un étage plus bas sur le pavé glacial, et leur adressa un signe de main.
— Tu n’as nulle part où dormir, n’est-ce pas ?
Iona se dévoilait à peine derrière la tonne de draperie colorée qu’elle tenait péniblement dans ses petits bras, dans l’encadrement de la porte.
— Pardon ? Si, si, j’ai toujours quelque part où dormir. Je vais rentrer chez moi, il est l’heu…
— Bon, alors je t’invite à passer la nuit dans mon luxueux château. Tu es libre de choisir ta chambre et d’y rester autant que tu veux demain matin.
Honorine resta figée avant de se retourner du côté de la fenêtre. Même le triple vitrage (un luxe véritablement décadent à Cité Thorredd) n’empêchait pas le froid de raffermir son épiderme.
— Ca va, j’accepte. Je ne te dérangerai pas longtemps.
— Juste le temps d’une nuit et d’un petit déjeuner. Un repas, même, qui sait. Suis-moi, je vais te montrer les chambres.
Ionawyn peinait à contenir sa surprise du choix de chambre de sa convive, et pour cause : parmi une myriade de pièces toutes plus luxueuses et confortables les unes que les autres, entre lits trois places, encens floraux et draperie en satin, Honorine s’arrêta dans une petite pièce plutôt sombre, où se trouvaient une petite table de nuit toute simple surmontée d’une lanterne à huile, un parquet abîmé et ancien, des toiles d’araignée et un bureau en bois simpliste complété d’une chaise du même style. Le minuscule lit, plus petit même que le standard une place, faisait dos à l’entrée et face à une grande fenêtre alcôve dans laquelle était encastré le bureau.
— Celle-là, vraiment ? Il reste encore deux chambres à visiter…
— Celle-ci est parfaite. Juste un plaid et ça ira.
Ionawyn déplia un plaid indigo sur le lit grinçant et admira la chambre d’un nouvel œil. Quelle que soit son utilité, cette pièce ne devait pas être souvent d’usage.
— Je te comprends. Maintenant que je regarde attentivement… c’est une belle fenêtre. On en a une autre comme ça, dans la salle de bain voisine. Tu verras. Je vais te laisser seule pour ce soir, on se retrouve demain matin dans la cuisine ?
— Merci de me laisser dormir ici.
Une nouvelle fois, la surprise gagnait Ionawyn qui n’essaya même pas de la dissimuler. Elle déposa le reste de la draperie à ses pieds.
— Tu rigoles ? On a sept chambres inutilisées, je ne pouvais pas juste te laisser… partir.
— C’est généreux de ta part. D’autres personnes ont des chambres en trop, de la nourriture en trop aussi, et ça ne veut pas dire qu’ils partageront naturellement pour autant.
Une vague carmin progressait sur les joues d’Iona, toute petite.
— Eh bien… merci de me dire merci, j’imagine. Tu es une amie, alors cela va de soi. J’imagine que c’est rendu pour tout ce que tu as fait pour moi.
Les deux jeunes filles s’échangeaient la surprise comme une patate chaude. On entendait le canterophone au loin, diffusant un air simple, reposant. Ionawyn prit place sur le lit.
— Je n’ai rien fait.
— Activement, peut-être. Toutefois, en étant toi-même, tu as ouvert un nouvel œil dans mon esprit. Je pense que j’ai changé récemment, en partie grâce à toi. Recevoir cinq personnes chez moi m’aurait semblé inconcevable il y a une semaine. Et voilà tout d’un coup que je prépare à manger pour tout un groupe de nouveaux amis un soir, dans ma propre cuisine.
— C’est toi qui effectues ce changement, pas moi. Au contraire, moi, je t’ai juste fait perdre une heure de leçon pour m’accompagner à l’infirmerie et y poireauter en m’attendant.
Ionawyn s’anima d’un rire sincère et doux qui contamina Honorine. Le reflet de la lune éclatait sur sa prothèse alors qu’elle observait l’horizon boisé, d’où les lumières féeriques de Cité Thorredd émanaient à la manière d’un prisme au soleil.
— Je pense que tu manques un peu de confiance en toi et en les autres. Ce n’est pas grave, tu restes une personne formidable, plus intéressante que la totalité des livres de ma bibliothèque réunis.
Honorine aurait certainement fondu en une vulgaire flaque d’émotions si une foulée de bruits de pas métalliques ne l’avait pas soutirée de ses pensées. Les pas, vifs et légers comme ceux d’un chien sur du parquet, résonnèrent dans le couloir pendant plusieurs secondes avant de finalement révéler leur intégrité physique sur le seuil de la porte.
Une petite poupée, à hauteur de genou, s’était dévoilée. Son corps argenté, probablement un alliage précieux et durable, arborait les mêmes courbes qu’une femme adulte de silhouette moyenne, ni mince ni corpulente. Enfin, c’est ce que l’on devinait sous son ample robe à crinoline noire, or et indigo, cousue avec une finesse exceptionnelle et ornée de dizaines de broches et boutons complexes aux motifs divers. Iona se leva d’un bond, faisant onduler dans le vent les élégantissimes boucles brunes de la poupée qui dévalaient jusqu’au sol.
— Madame Sandy, je…
— Au lit Demoiselle ! Au lit Demoiselle ! Je vous attendais, et j’étais triste. Rejoignez-moi ou ma contrariété grandira. Qui est-ce ?
Beaucoup de pensées circulaient dans l’esprit d’Honorine, mais il était difficile de se concentrer avec un tel regard braqué sur elle : deux opales nacrées faisaient guise de globes oculaires, aussi profondes qu’impénétrables.
— Madame Sandy, vous vous adressez à une de mes amies. Je vous implore de rejoindre la chambre, je vous y rejoindrai dans dix minutes, tout au plus.
— Je note : dix minutes, demoiselle. Amie, je vous souhaite une merveilleuse nuit de sommeil.
Et de repartir du même pas léger et précipité dans un nuage de magie couleur lavande. Les petites foulées retentirent encore plusieurs secondes avant de s’estomper complètement. Honorine restait subjuguée. Un automate qui parle ? Qui vit ? Qui… réfléchit ?
— C’est très gênant, désamorça Ionawyn, la tête enfouie dans ses mains.
— Tu as une poupée automate ?
— Ce n’est pas vraiment… si, c’est complètement ça. Mes parents me l’ont offerte à ma naissance. Personne ne me connaît mieux que Madame Sandy. Quand je suis malade ou triste, c’est Madame Sandy qui cuisine pour moi et m’apporte mes plats. C’est elle que j’enlace quand je vais au lit. Parfois, elle m’aide à faire mes devoirs. Bref… c’est Madame Sandy.
— Et c’est donc elle qui dicte tes heures de sommeil ?
Les lèvres d’Ionawyn se crispèrent, son regard dans le lointain.
— Non, ça, c’est mes parents. Mais Madame Sandy en est l’exécutrice. C’était un secret jusque aujourd’hui alors…
— Je ne le répéterai jamais, termina Honorine en portant sa main gauche à son cœur en guise de preuve de confiance.
Cette dernière limita le geste avec un grande grâce avant de finalement rejoindre le couloir, souhaitant bonne nuit à Honorine et, sans le savoir, réduisant tous ses démons à néant le temps d’une soirée.
Attends quoi, ils ont 20 ans ? Je m'imaginais qu'ils étaient max au lycée. (L'habitude de Harry Potter, je pense...)
"Pas de ça avec vous. Faites-vous plaisir." => et ils commencèrent à s'empiffrer avec les doigts en en foutant plein partout et mettaient les pieds sur la table et jonglaient avec les fourchettes... OK j'arrête
"Pour l’instant ? articula Ernest, la bouche pleine de riz." => ah bah finalement j'étais pas si loin du compte
"C’est gentil, répondit-elle en dissimulant sa bouche derrière une serviette en tissu rouge." => Ah bah en voilà une de civilisée à cette table
"Ses deux parents avaient péri le jour de sa naissance, emportés par un parasite qui n’avait jamais montré signe de présence auparavant." => Euh on est d'accord que le parasite, c'est un vrai parasite, c'est pas une façon de désigner Camilla qui aurait tué de peur ses parents à l'accouchement parce que maman faisait un déni de grossesse ?
"la jeune fille était tout de même née en parfaite santé, et une famille l’eut adoptée" => problème de concordance des temps, une famille l'avait adoptée
"Aucun élève autour de la table ne réussissait à pénétrer dans son esprit" => c'est une métaphore ou de la télépathie ? On sait que la télépathie existe, mais lire dans les pensées des autres pas trop (et puis ça ne se fait pas, si ?) donc ça porte à confusion.
"Elle n’avait jamais rencontré pareille machine dans son café habituel." => Ah donc le café dans lequel elle a pris un café après la nuit aux écuries, c'est le café où elle travaille pour gagner des sous pour s'acheter à manger en hors-champ ?
Et sinon, que fait la petite chambre décrépite dans le château ? Pourquoi ils ont une telle pièce ? Sacré coup de chance pour Honorine, mais quand même...
Dernière chose : je trouve qu'on ne parle pas beaucoup du fait qu'Honorine vient quand même de se faire amputer, ça a quand même l'air d'avoir très peu d'impact sur elle, sur ses pensées, sur sa perception de ses mouvements ? Bon après je n'ai jamais eu de telle blessure, donc je ne sais pas ce que ça fait d'avoir subitement du métal à la place de la chair.
Voilààà c'était tout
Concernant les parents de Camilla, oui on parle d'un vrai parasite et non pas de la pauvre fille haha. Et merci pour la correction de temps.
"Aucun élève autour de la table ne réussissait à pénétrer dans son esprit" est une métaphore en l'occurrence, je vais préciser ça lors de ma relecture !
Honorine ne travaille pas au café comme tu l'as compris. Ce détail aussi mérite une précision. Il s'agit juste de son café habituel, où elle vient consommer parfois.
La chambre décrépite (pas tellement d'ailleurs, mais en tout cas laissée à l'abandon) recevra peut-être quelques précisions aussi, mais dans la suite de l'histoire.
C'est vrai qu'on ne parle pas beaucoup de la prothèse d'Honorine, mais ce n'est pas un élément principal de l'intrigue en soit. D'ailleurs, pour corriger : elle ne s'est pas faite complètement amputée, il s'agit simplement d'un renfort pour son poignet meurtri. Sa main est toujours parfaitement organique mais a perdu de sa motricité. Encore une fois, la relecture rendra ce point plus cohérent.
Merci pour ce retour Blairelle !
Dans la continuité du précédent, j'ai l'impression qu'ici tu veux développer les relations entre les personnes et que nous en apprenions un peu plus, plutôt que d'avancer sur l'intrigue. C'est bien aussi, tout dépendra de l'équilibre entre les chapitres qui font évoluer la trame principale et ceux là !
Est-ce que tu as déjà mis en place l'organisation de ton roman dans sa globalité ou tu es plutôt du genre à écrire au fil de l'eau ?
Sinon petites coquilles :
"Une myriade de petits cubes colorés de légumes flottaient" > cubes de légumes colorés. C'est plus jolis dans ce sens là ^^
Un petit coup de correcteur otho serait bénéfique.
"les équipes de mes parents ont naturellement migré vers l’ouest, et il les ont donc suivies" > Ils
Bonne soirée !
Effectivement, ce sont les personnages que je mets largement en avant dans ce chapitre. C'est quelque chose d'important pour moi, et je ne l'ai pas encore vraiment traité dans l'histoire.
Je constate évidemment que le texte est plutôt irrégulier jusqu'ici; le rythme et le style varient en même temps que mon écriture qui change (et s'améliore, je l'espère) beaucoup en ce moment. Le travail de réécriture sera important, mais je ne souhaite pas m'y pencher trop tôt. Pour l'instant, j'ai de la matière pour la suite !
Comme tu as sûrement pu le remarquer, j'écris majoritairement au fil de l'eau. J'ai tout de même établi un plan il y a quelques temps, devenu très approximatif au fur et à mesure de mon avancement dans l'histoire. Je suis incapable de me cantonner aux plans que je construis, et je trouve que c'est même mieux ainsi. Les idées qui me viennent naturellement sont celles qui résonnent le plus en moi, alors je leur fais confiance. Encore une fois, c'est la réécriture qui m'aidera à corriger le tir sur les incohérences et les soucis de rythme.
Merci pour les corrections et bonne lecture/écriture à toi !