C’est incroyable ce que la fortune peut apporter, songeait Honorine, assise sur un tabouret face à une fenêtre de la cuisine. Dès son arrivée à l’aube, alors qu’elle posa son pied sur le carrelage d’argile, la magie de l’âtre surgit avec une énergie décoiffante, démarrant un feu réconfortant dans la cheminée. C’était cette même magie qui avait déplacé en hâte un tabouret devant la fenêtre, juste pour elle. Cette même magie qui avait même déplacé un plateau de pain à côté de la jeune fille, qui attendait cependant l’arrivée d’Ionawyn pour se permettre quoi que ce soit (bien que la cafetière lui faisait de l’œil).
Un automate qui parle… Sans une telle preuve, je n’y aurais jamais cru. C’est peut-être juste un haut-parleur dissimulé dans la poupée, mais comment se fait-il qu’elle puisse comprendre et répondre à des phrases ? Si cette minuscule poupée peut parler, je ne vois pas pourquoi les gardiens de l’académie ne le pourraient pas. Je devrais essayer de leur adresser un mot, juste pour voir. C’est fou, c’est comme si je découvrais un monde complètement nouveau entre ces murs. Qui sont ses parents, au juste ?
— Honorine, je… je t’entends…
La voix matinale d’Ionawyn était encore plus douce que sa voix habituelle, ce qui était déjà sujet d’émerveillement. La jeune rousse franchit la porte de la cuisine les yeux plissés et les mains enfoncées dans les poches de son pyjama cotonneux bleu. Sa chevelure étincelait par son désordre inhabituel.
— Ne prends pas la mauvaise habitude d’écouter les esprits. Je parie que mes pensées finiront par te choquer un jour ou l’autre.
— Je ne fais pas exprès, s’excusa péniblement Iona en attaquant le plateau à pain. Depuis quand es-tu levée ? Tu n’es même pas fatiguée ?
— Je n’ai pas l’habitude de beaucoup dormir.
La plus petite saisit un couteau que la magie flamboyante brandissait déjà dans les airs près d'elle. Elle découpa plusieurs tranches de pain qu’elle déposa sur une poêle beurrée.
— Prépare du café, si tu veux. Tu sais, Madame Sandy m’a beaucoup parlé de toi hier soir.
Heureusement qu’Honorine n’avait rien en bouche, car elle aurait certainement tout recraché sur le carreau.
— Pardon ?
— Elle m’a dit qu’elle reconnaissait une part d’elle en toi. Je n’ai pas compris pourquoi, par contre.
— Mais c’est un automate. Un amas d’énergie magique, tout au plus.
Ionawyn retourna les tranches de pain doré d’un saut de poêle. L’odeur du café se répandit dans la pièce alors qu’Honorine ouvrait le bocal de grains. Sa camarde lui adressa un clin d’œil et un sourire rayonnant.
— Je crois qu’on a encore beaucoup à apprendre sur la magie, tu ne crois pas ?
— Tu as l’air d’en savoir déjà beaucoup, j’ai l’impression.
— Je dois tirer ça de mes parents. Quand j’étais plus jeune, et qu’ils habitaient encore fréquemment ici au château, je pouvais entendre et observer ce qu’ils faisaient. L’Autorité Magique et Mécanique répertorie et régit toutes les formes de magie, dont j’ai forcément acquis quelques connaissances grâce à eux.
Iona déblaya deux places sur l’îlot central, l’ambiance était chaleureuse autant grâce à l’âtre qu’à sa magie et à l’odeur du café. Le soleil n’était pas encore levé et la pièce était majoritairement éclairée par le feu de cheminée et les quelques lanternes orangées pendant du plafond.
— Tu as donc une explication à pourquoi une poupée mécanique peut-elle s’exprimer et communiquer avec des humains ? ironisa Honorine en apportant adroitement la carafe de café sur la table.
— J’aurais aimé te répondre que oui, mais… eh bien, non. Honnêtement, même mes parents ne connaissent pas ses secrets. Et pour lui avoir déjà demandé personnellement, elle-même n’est pas capable de répondre. Mais ça ne me dérange pas, je suis heureuse d’avoir Madame Sandy auprès de moi, quoi qu’elle soit réellement.
L’horloge sonna onze heures. Les deux camarades, toutes deux à peine réveillées, partageaient leur petit-déjeuner comme deux membres d’une même famille l’auraient fait, et cette pensée martelait l’esprit d’Honorine au point de nouer sa gorge. Elle qui avait passé tant d’années à vivre et survivre seule, ou presque, elle avait trouvé en Ionawyn une amie si bienveillante et fiable qu’elle avait fini par dormir chez elle. Évidemment, la taille et l’opulence du château encourageait cette béatitude, mais malgré tout rien ne semblait réel pour Honorine. La veille, elle se réveillait au cœur glacé d’un hangar entre deux véhicules, se dirigeant ensuite pour son café habituel, le tout avec ses deux poignets en état. Les temps avaient déjà beaucoup changé en vingt-quatre heures, et le simple fait de trouver du réconfort dans l’œil de quelqu’un d’autre représentait une émotion nouvelle pour la jeune fille.
— Dis moi, articula Iona entre deux bouchées de pain, cette nuit, j’ai pensé à Siglinde. A nos cours avec elle, en particulier.
— Ca m’arrive aussi, de temps à autres.
— Et tu ne t’es jamais posée la question de… pourquoi on a changé de salle tout à coup ? Je veux dire, même si on a finalement rejoint la serre hier, la salle aux orgues est une salle très secrète. Et surtout, elle n’a rien à voir avec la magie végétaïque.
Effectivement, Honorine ne s’était jamais vraiment posée cette question. Pourtant, à sa simple itération, la magie d’or se mit à frémir dans le corps de l’élève. Honorine se figea complètement le temps de quelques secondes, frappée par le fait de n’y avoir jamais pensé plus tôt. Quoi que cela veuille dire, là résidait peut-être un indice sur leur enquête. La salle aux orgues renfermait peut-être des informations, peu importe lesquelles.
— C’est une très bonne question, euphémisa-t-elle. Qu’est-ce que tu en as déduit, toi ?
— Moi ? Rien. J’y pensais juste, c’est tout. Mais j’ai quand même remarqué quelque chose en révisant mes leçons. Je vais te montrer.
Iona réapparut dans la cuisine, sac en main, après plusieurs minutes d’absence. Elle dégaina trois de ses cahiers, tous soigneusement complétés, qu’elle étala sur la table derrière les assiettes pleines de miettes.
— Regarde, j’annote toutes les leçons selon la magie qu’on y étudie. Au début de l’année, avec Siglinde, on a étudié presque exclusivement la magie végétaïque.
Des dizaines de lignes étaient encadrées d’un crayon vert feuille, indiquant effectivement la magie verte. Dans les deux autres cahiers, on trouvait majoritairement du bleu marine, un peu de bleu clair et d’autres couleurs beaucoup plus rares.
— Ici, le bleu marine, c’est la magie astrologique. Rouge, c’est l’âtre, et ça, enfin, c’est la fameuse magie bleue, en bleu clair. On l’étudiait déjà beaucoup avec Desonges et l’Automate, mais maintenant regarde nos récentes leçons avec les autres professeurs.
L’harmonieux mélange de couleurs s’était transformé en un amas bleu clair sans nuances ou presque, et l’évidence frappa aux yeux d’Honorine : cette fameuse magie bleue, qu’elle détestait tant, était devenue un de leurs sujets principaux en l’espace d’une semaine.
— Tu vois ? On ne fait presque que ça désormais. Sauf avec Delcourt en astrologie, seulement parce que la magie bleue est inefficace dans ce domaine. Mais hormis ça, cette énergie est capable de tout faire. La salle aux orgues en est la source principale dans notre académie. Tu sais, le grand vitrail au fond de la pièce.
— C’est peut-être une révolution technologique ? Centraliser toutes les activités dans un seul domaine magique serait sacrément pratique pour nous, avança Honorine.
— On ne peut pas dire le contraire, il s’agit d’une vraie révolution technologique. Après tout, les sources de magie bleue sont complètement artificielles, mais…
Un courant d’air congela Honorine sur son tabouret. C’était à peine si son cœur battait encore.
— Attends deux minutes, tu as dit « artificielles » ?
Ionawyn se figea à son tour, comme un chien que l’on surprendrait en train de dévorer le repas familial.
— Je… Je ne suis pas censée en parler…
La foulée mécanique familière de Madame Sandy tambourina alors sur le parquet du couloir, avant que la poupée, complètement embaumée de sa lueur lavande, ne franchisse péniblement la porte de la cuisine.
— Demoiselle ! Je vous surprends en retard à nouveau. Bonjour, Amie. Demoiselle ! L’heure de vos études à la bibliothèque a sonné ! Je vous invite à presser le pas !
Ionawyn semblait perturbée, penchant la tête avec lassitude au dessus de sa coupole de café. Sa frange pendait dangereusement au dessus de la surface noire de sa boisson. L’élève aux cheveux platine, doublement confuse, s’essaya sur un coup de tête à briser la glace entre elle et la machine. Après tout, le matin était le moment parfait pour ne pas réfléchir à ses actes.
— Bonjour Madame Sandy. Pouvez-vous vous présenter à moi ?
— Honorine, qu’est-ce que tu…
La poupée approcha dans son fameux « tip-tap-tip-tap » métallique jusqu’au tabouret d’Honorine.
— Je suis Madame Sandy. Poupée automate autonome offerte aux parents de Demoiselle Ionawyn ici-présente, puis d’eux-même à elle-même par l’intermédiaire d’eux-mêmes. J’accompagne ma Demoiselle depuis le jour de sa naissance et voue mon existence à la sienne.
Honorine se perdait complètement dans les deux opales qui la fixaient de cet air brumeux et insondable. Elle trouvait au moins un peu de réconfort dans le parfum de violette qui émanait de la petite chose, quoi qu’elle en était davantage hypnotisée qu’autre chose.
— Madame Sandy, lança Ionawyn en bondissant de son tabouret, je vais rejoindre la bibliothèque. Je vous invite à rejoin…
— Amie, vous êtes une grande source d’intérêt pour moi.
— Vous m’écoutez, Madame Sandy ? Je pars ! Venez m’aider à me préparer.
La jeune rousse rangeait à toute vitesse sa vaisselle dans l’évier sans même la faire tremper. Honorine le négligea complètement :
— Si je vous intéresse tant, alors on pourrait s’entretenir quelques minutes, n’est-ce pas ?
— J’ai besoin de l’accord de ma Demoiselle pour cela.
Les deux opales, implorantes, se tournèrent vers Ionawyn. Celle-ci saisit la poupée dans ses bras d’un geste vif avant d’avancer vers la porte.
— J’aimerais… j’aimerais que vous ne communiquiez pas ensemble. Du moins, pas sans ma présence. Je suis désolée.
Et de quitter la pièce de précipitamment en compagnie de sa poupée, laissant Honorine seule face à son café tiède et à une magie de l’âtre errant confusément dans la cuisine.
— Je pars à la bibliothèque, glissa Ionawyn en hâte alors qu’elle s’affairait près de la porte d’entrée.
Honorine attendait, confuse, en voyant son amie s’agiter pour chercher ses affaires. Coiffer sa longue chevelure rousse avait nécessité bien trente minutes à la jeune fille, qui devait désormais réunir une dizaine de pièces de vêtements différentes, plus pour se conformer à l’étiquette que pour se satisfaire elle-même. Honorine ne savait pas où se mettre, et surtout, où elle irait ensuite.
— Tu as besoin d’aide ?
— Ca ira ! s’animait Iona en enfilant un dernier manteau de faux daim. Je suis prête !
— Et moi ? Je peux partir quand je veux ?
Les yeux de crème de la plus petite se remplirent d’une émotion nébuleuse, en tout cas triste et pénible.
— Oh, je suis désolée, je pensais que tu prévoyais quelque chose… Tu peux rester évidemment, mais s’il te plaît n’adresse pas la parole à Madame Sandy. Et ne te balade pas trop au hasard. Tu sais… le béryl…
— Ça ira. Je ne veux pas déranger alors je vais partir dans dix min…
— Reste, s’il te plaît. Je reviendrai dans quelques heures mais tu es libre de partir et de revenir, évidemment. On ira à l’académie ensemble ce soir !
Contrairement à son ton précipité, Iona resta quelques secondes sur le pas de la porte à regarder ses bottines. Quand finalement elle quitta la demeure, un silence assommant s’écroula sur Honorine, qui observait une dernière fois sa camarade partir par les hautes fenêtres de la pièce à vivre.
— Drôle de fille quand même, s’intima-t-elle à haute voix. C’est comme si je la redécouvrais à chaque fois… Bon, après tout, on ne se connaît que depuis une journée. C’est amusant de se dire qu’on est déjà si proche après si peu de temps.
Aussi heureuse qu’elle fut cependant, elle se retrouvait seule désormais. Et ce n’était pas comme si les possibilités étaient nombreuses pour s’occuper : la pièce à vivre ne présentait qu’une poignée de livres superficiels à consulter, un canterophone et une multitude d’assises. La cuisine était probablement un meilleur choix pour passer le temps, près d’un feu réconfortant et entourée d’une magie particulièrement amicale. Honorine finit par s’y rendre ; au moins, ici, on l’écouterait parler. La magie flamboyante tournoya autour de la cafetière dès que la jeune fille posa un pied sur le carrelage, mais cette dernière préféra simplement rejoindre un tabouret.
— Tu es une drôle de chose, tu sais. Je me demande si tu me comprends. Est-ce que toutes les magies de l’âtre sont comme ça ? Non, j’en doute… les rares fois où j’ai pu en profiter, l’ambiance était plus terne, plus normale.
Évidemment, aucune réponse. L’énergie flamboyante s’était logée dans le feu de cheminée, camouflée dans les flammèches.
— C’est dommage que tu ne me comprennes pas. J’ai beaucoup de chose à mettre sur le tapis, mais personne avec qui les partager. Je reverrai mes… mes amis ce soir, à l’académie. D’ici là, c’est juste moi et le reste. Moi et mes hypothèses, moi et mon poignet broyé. Tu me diras… j’ai l’habitude. Pas du poignet broyé, cependant.
L’élève se servit un morceau de pain de seigle qui trônait seul sur l’îlot central. Elle admirait les murs recouverts de petits carreaux d’argile colorée, du vert au brun dans de magnifiques motifs naturels. Elle humait de loin les herbes aromatiques, les épices séchées, l’odeur du feu de bois. Jusqu'à converger jusqu'à son poignet métallique, étrange membre hybride, qu'elle peinait encore à reconnaitre. Heureusement, l'infirmière s'était appliquée dans ses soins, et sa main avait pu être sauvée. Le métal brillait finement selon l'angle de vue, jamais terne, jamais éclatant.
— Que veux-tu, ça ne passe pas. Une professeure qui meurt, remplacée immédiatement par une marginale instable, ensuite la salle aux orgues, enfin mon poignet broyé… J’ai comme l’impression qu’on est loin d’en avoir fini avec ces histoires. J’ai cette impression d’être introduite peu à peu dans un engrenage que l’on ne doit pas non plus approcher de trop près. D’Ambroisie a beau vouloir me tenir éloignée de cette histoire, il est pourtant clair qu’on nous siphonne tous à l’intérieur. Tous les élèves sont concernés. Et dès lors qu’un vilain esprit curieux s’y intéresse, des mesures drastiques sont prises. J’en suis convaincue, mais il manque des preuves. Des arguments concrets, autres que « la professeure m’a regardée étrangement » ou « j’ai subi un accident pendant une leçon ». Et cette lettre… Bon sang, si seulement j'avais un moyen de nous protéger tous.
La magie de l’âtre s’anima d’un rouge écarlate le temps d’une seconde. C’était ce même rouge qui la composait lors de l’accident de la veille, avec le béryl.
— Ah non, hein. Il n’y a plus de béryl ici. Tu vas me frapper à nouveau ?
Aucune réponse. Seulement le lointain « tip-tap » métallique de Madame Sandy, qui mit Honorine en alerte. Malheureusement, elle hésita trop longtemps avec de se décider à partir. La poupée pénétra la cuisine alors qu’elle s’y tenait encore.
— Amie, que faites-vous ici ?
— …Vous, que faites-vous ici ? répondit Honorine, honteuse.
— Je cuisine pour ma Demoiselle afin qu’elle puisse profiter d’un repas chaud et réconfortant avant ses leçons de ce soir. Sur le menu figure : « poulet pané à la chapelure fine sur riz blanc à l’œuf, tiges de ciboule et germes de soja, accompagné de son bouillon de poule aux petites pâtes ».
— Et vous êtes capable de préparer tout ça vous-même ?
La poupée tentait péniblement de déplacer un escabeau sous une rangée de placards, le faisant traîner dans un crissement horripilant.
— Je sers à ça.
La voix de Madame Sandy était un mystère en soi. En l’absence d’une bouche articulée, le son ne pouvait provenir que d’un haut parleur. Et même si cette hypothèse était probable, étant donné que la fortune de ses propriétaires pouvait largement couvrir un haut-parleur de la dernière technologie, aucun n’était visible sur la petite poupée. Pourtant, une voix résonnante, terne et métallique, articulait bien des phrases avec même quelques intonations.
Iona ne voudrait pas que je lui parle, se rappela Honorine dans son esprit. Je ferais mieux de filer, je reviendrai ce soir.
— Je ne considère pas que ma Demoiselle nous en voudra pour avoir parlé de telles mondanités. Restez à l’intérieur, il me semble qu’il fait très frais là dehors.
Honorine manqua de trébucher sur le carrelage. Même cette fichue poupée percevait ses pensées. Cette fois-ci, par contre, elle n’avait aucune idée de pourquoi. Il lui faudrait enfouir ses idées profondément en elle.
— Vous avez certainement raison. Vous avez besoin d’aide en cuisine ? Je serais heureuse d’apporter un coup de main.
Madame Sandy s’était suspendue au seuil d’un placard où étaient rangés toutes sortes de farines et de grains. Ses petites jambes toutes fines gesticulaient en quête d’équilibre.
— Avec plaisir, amie. S’il vous plaît, coupez les légumes qui se trouvent dans l’évier en gros morceaux.
La magie flamboyante surgit tout à coup de l’âtre, transportant avec fracas tous les légumes directement sur le plan de travail. Honorine s’affaira sans mot dire, peu à l’aise de son poignet et encore moins de son couteau.
— Les parents de ma Demoiselle vous intriguaient, je vous ai entendue en parler à plusieurs reprises.
La jeune fille décida de garder le silence.
— Il s’agit de deux personnes importantes, haut placées à l’Autorité Magique et Mécanique. Ils sont les médiateurs des projets inter-régions, comme le projet de couverture des cités par chauffages publiques, par exemple. Leurs missions sont toutes d’autorité publique et présentent un large impact sur les populations.
— Ce n’est plus du tout un sujet mondain, madame Sandy. Je préférerais ne pas parler de ça avec vous sans Ionawyn dans les parages.
— Vous dites faux. Vous désirez parler de cela dès que possible.
Prise au dépourvu, sans trop de surprise pour autant, Honorine garda le silence. Évidemment qu’une poupée animée par magie pouvait lire dans les pensées et détecter les mensonges, c’était bien logique.
— Lorsque les légumes seront coupés, jetez les dans la marmite au dessus du feu et fermez le couvercle après avoir mélangé. Les parents de ma Demoiselle étaient aussi médiateurs des travaux des deux dernières académies magiques et mécaniques, installées récemment dans le sud. La quantité d’élèves pouvant être reçus par jour s’élève à…
— S’il vous plaît, Madame Sandy, je suis persuadée que vous en dites beaucoup, beaucoup trop. Je ne dois aucunement entendre ça.
— Vous faites fausse route, Amie.
La poupée était en train de s’emballer dans une longue toile de tissu crème, qui lui servait sûrement de tablier. La voir tourner sur elle-même au cœur d’un monologue aussi professionnel rendait la scène complètement lunaire aux yeux d’Honorine, au point d’en douter d’être bien éveillée.
— Si ma Demoiselle est réticente à l’idée que nous communiquions, c’est car…
— Je me fiche de savoir pourquoi. Je ne veux pas.
— …c’est car ma Demoiselle s’inquiète que je révèle des éléments honteux à propos de son passé et de son présent de jeune fille. En l’occurrence, si vous souhaitez apprendre quoi que ce soit sur ma Demoiselle, il faudrait au moins trafiquer mon mécanisme, si ce n’est complètement me refabriquer. Bottée et bouche scellée.
— Pardon ?
— Il s’agit d’une expression.
Il était compréhensible de douter de la sincérité d’un automate, surtout quand il s’agissait du premier que l’on rencontrait capable de communiquer. Ainsi, des doutes emplirent la tête de la jeune fille. Et malgré la honte qui lui pesait à le faire, elle jugeait clairement son interlocuteur (interlocutrice ?) sur son apparence, soit une poupée aux traits nébuleux et angoissants et plus riche qu’elle, de surcroît.
— J’ignore d’où provient votre doute, Amie.
— Appelez-moi Honorine, s’il vous plaît. Ionawyn m’a distinctement demandé de ne pas vous adresser la parole.
— J’en endosserai la responsabilité. S’il vous plaît, battez deux œufs dans un bol. Ma Demoiselle est une femme au potentiel exceptionnel et pleine de vie. D’ailleurs, Honorine, vous brûlez de la même flamme qu’elle.
— Qu’est-ce que ça veut dire ?
La poupée se figea sur place, comme désactivée. Apparemment, son intellect avancé n’était pas sans limites.
— Description impossible. Vous partagez toutes les deux une volonté puissante, c’est pourquoi je vous apprécie.
— Sans vouloir vous offenser, madame… vous êtes une machine. Comment pouvez-vous apprécier quoi que ce soit ? En fait, d’où vient votre conscience ?
Un silence oppressant s’installa à nouveau. La poupée ne bougeait plus, et Honorine sentait une fine pellicule sueur froide la recouvrir. La chaleur et l’inconfort faisaient surgir des picotements sur toute sa peau. De plus, elle ne trouvait pas de fouet pour battre ses œufs et la magie de l’âtre ne semblait pas décidée à l’aider, cette fois-ci.
— Description impossible, émit Madame Sandy plusieurs minutes plus tard. Avez-vous battu les œufs ? Les parents de ma Demoiselle sont à l’origine de ma situation, mais pas de ma conception. Les interroger serait une meilleure décision pour apprendre à me connaître.
Apprendre à connaître quelqu’un par l’intermédiaire de quelqu’un d’autre, voilà une drôle d’éventualité. La commise déversa les œufs dans un bol et y mélangea quelques épices sur la demande de la poupée, qui prépara dès lors la panure du poulet de ses petites mains articulées étonnamment habiles.
— Les parents de ma Demoiselle séjournent en ce moment à Brinévis, au nord-est du continent. Ils y régissent l’installation d’une nouvelle manufacture d’échelle continentale, à l’instar de la tunnellerie mécanique de Cité Thorredd. De plus, Honorine, vos récents agissements au sein de l’académie s’opposent à leurs intérêts.
Honorine se figea à son tour. Elle aurait préféré posséder un esprit de machine et ne rien comprendre à cette phrase de bout en bout.
— Que savez-vous de mes « récents agissements » ? Je suis une simple élève.
— Description impossible, répondit rapidement la poupée. Il s’agit d’une déduction logique par rapport à ce que ma Demoiselle m’a raconté hier soir.
— Bon, je dois partir. Je vous souhaite bon courage en cuisine, Madame Sandy.
Aucune réponse. Honorine quitta la cuisine en trombe, les mains encore tâchées d’œuf battu, la porte battant furieusement après son passage. Elle traversa le couloir aux senteurs pleine de colère, vibrante de sa magie d’or et baignée dans la confusion. Les parents d’Ionawyn, mystérieux couple aux allures de ministres, soulevaient les émotions de l’élève à leur simple évocation. Elle ne connaissait même pas leur prénom que leur comportement l’épuisait : négliger et utiliser leur propre fille, la noyer dans l’opulence par pure lâcheté, rendre impossible toute communication, réduire leur vie aux affaires, et la liste était encore longue. Mais quelque chose par-dessus tout soulevait les doutes d’Honorine : leurs intérêts. Si d’après Madame Sandy les intérêts des deux médiateurs étaient gênés par les agissements de la jeune fille, cela pouvait dire qu’elle était en train d’isoler l’origine du mystère de l’académie.
Et si les parents d’Ionawyn étaient les exécuteurs du programme de remplacement des professeurs ? Si c’était de leur faute, si Siglinde était décédée ? et si d’Ambroisie avait été placée dans son établissement par leurs soins ?
Il n’y avait plus qu’à attendre leur fille pour en avoir le cœur net.
Chapitre intéressant où l'on apprend plus sur l'univers. Je suis contente étant très curieuse, mais peut-être que j'aurai apprécié que des bribes soient évoquées dans les premiers chapitres.
Par exemple que des élèves abordent lors d'une discussion différents types de magie ou alors qu'un "récapitulatif" soit fait à l'arrivée de la nouvelle prof ou dans la serre (puisque la magie bleu et d'or sont déjà citées/expliquées). Comme tu dis écrire au fil de l'eau, ça pourra toujours être revu lors de la réécriture pour que l'on ait plus d'empathie envers Hono qui paraît secrète et distante au début (s'attacher au personnage principal donne aussi envie de le suivre).
Ah, tu as aussi noté qu'elle dormait chez elle le jour de leur rencontre > soit tu reformule en "le premier jour qu'elle vient chez elle" soit tu supprime. On comprend déjà assez bien qu'elle réagis avec Iona comme si c'était une amie de longue date.
Pour Mme Sandy : elle prend beaucoup de liberté à parler des parents de Iona alors que cette dernière lui a interdit. Il serait judicieux d'aborder que Sandy, sachant lire la pensée, comprends réellement les souhaits de sa maîtresse. Donc iona voudrait se rapprocher d'Hono et lui parler de sa famille, mais n'ose pas et Sandy le fait. Pour hono, elle veut savoir mais ne veut pas "trahir" la confiance d'Iona (il faut l'aborder).
Si sandy ne peut pas répondre. Quelques seconde de silence suffisent (pas quelques minutes, sinon, autant que Sandy ne réponde rien du tout)
Voilà voilà ! À plus tard 😊 bonne journée.
Je comprends le soucis de l'exposition qui arrive peut-être trop tard dans l'histoire. C'était volontaire de ma part d'être avare en informations dès le début, en concordance avec l'aura de mystère que je voulais faire planer dans l'académie. Maintenant, je visualise bien le problème et ma réécriture devra certainement s'attarder sur ce point. A croire que le second jet me demandera davantage de travail que le premier...
Je note ta remarque sur la nuit d'Honorine chez Iona. Je pense supprimer effectivement ce qui est en trop.
Enfin, concernant le triangle de confiance entre les trois protagonistes du chapitre, c'est un sujet un peu compliqué. Il y a des informations que le lecteur n'a pas. Je pense laisser la scène intacte (ou presque) pour l'instant, mais je visualise bien le soucis que tu soulèves. Ça méritera une attention de ma part.
Merci pour ce précieux retour ! Bonne lecture/écriture à toi (:
Concernant Madame Sandy, ça me surprend qu'elle puisse désobéir à un ordre de sa Demoiselle. À mon avis, soit elle a été programmée pour être un peu trop indépendante -> auquel cas il faut probablement se méfier d'elle, soit Iona a levé au moins partiellement l'interdiction de parler à Honorine.
Pour le fait qu'elle se sente proche d'Honorine, au début je pensais que c'était dû à la prothèse qui fait qu'elle est à moitié automate, mais finalement je me demande si ce ne serait pas dû à la magie d'or. Théorie : Madame Sandy sert à absorber la magie d'or de Iona, parce que les parents de Iona ainsi que les illuminati qui ont orchestré la mort de Siglinde sont contre la magie d'or, et contre toutes les magies naturelles qu'ils ne peuvent pas contrôler.
alors qu’elle posa son pied sur le carrelage d’argile, la magie de l’âtre avait surgi => problème de concordance des temps
pourquoi une poupée mécanique peut-être s’exprimer et communiquer => peut-elle
Je note ton intérêt pour l'univers. J'ai peut-être trop délaissé cet aspect pour essayer de construire coûte que coûte une intrigue, d'où les soucis de rythme.
Madame Sandy est un personnage qui m'intrigue probablement autant que vous, lecteurs. Et c'est un plaisir ! J'ai encore beaucoup à apprendre d'elle malgré l'attention que je lui ai déjà portée. Ta théorie est intéressante et probable. La vérité apparaitra plus tard dans l'histoire, mais peut-être pas complètement, qui sait.
Et merci encore pour les coquilles. A la prochaine !