Chapitre 13

L’assistance retint son souffle, les yeux rivés sur la pendule, suspendue au cliquetis mécanique des balanciers. Tic-tac, tic-tac. Tout allait bien.

La tension retomba d’un coup. Nils, encore incrédule, ouvrit les bras pour enlacer tendrement Lysie, lui touchant le visage, caressant ses cheveux, s’assurant par ces simples gestes qu’il ne rêvait pas. Hyppolite rejoignit les fillettes pour laisser à ses maîtres un peu d’intimité. Le miracle qu’elles avaient accompli méritaient bien quelques félicitations.

Lara et Éloïse, un bref instant rendues muettes par un trop plein d’émotions, manifestaient à présent leur contentement à grands cris, sauts de joie et embrassades. Dieu merci, Moustache n’était pas là pour relever une pareille inconvenance.

Lysie, la voix nouée par l’émotion, prit la parole :

  • Nils, je te présente tes petites filles, Éloïse et Lara. Sans leur ingéniosité et leur courage, tu ne serais pas là. Merci, merci mes chéries.

Nils s’accroupit pour se mettre à hauteur des demoiselles à présent immobiles et un peu impressionnés par ce monsieur habillé d’une drôle de façon. Il les regarda longuement, tentant de retrouver dans leurs visages le souvenir d’autres visages. Une ride plissa son front. Tout ce temps perdu… Lara, la moins timide, se jeta spontanément dans ses bras :

  • Bonjour grand-père, bienvenue à la maison. Papa sera tellement content !
  • Merci à toi de m’accueillir aussi gentiment après tout ce temps…
  • Mon papa, c’est Boris.
  • Boris…

Nils ferma les yeux pour contenir son émotion.

Éloïse s’approcha à son tour. Elle tendit timidement la main vers la tête grisonnante, frôla du bout du doigt la ride profonde qui barrait le front, celles qui encadraient la bouche, les toutes petites qui plissaient le regard.

  • Mon papa a les mêmes au coin des yeux, mais il est beaucoup moins vieux que toi. On doit t’appeler comment ?
  • Nils ou grand-père ou de tout autre façon, comme tu préfères.
  • Je dois en parler avec Lara. C’est une grave décision.
  • Je comprends. Il n’est pas urgent de décider tout de suite.
  • Mon papa à moi, c’est Rafael. Tu le connais ?

Lara qui s’était reculée pour laisser place à sa cousine sursauta, dérangée par un picotement désagréable au niveau de la cheville. Machinalement elle secoua la jambe sans quitter du regard son grand-père, mais la jambe refusa de bouger. Elle baissa les yeux et poussa un cri d’effroi. Une volute sinueuse s’enroulait autour de sa cheville. À quelques pas, la liane serpent éveillée, grossissait à vue d’œil, déployant à une vitesse hallucinante ses tentacules. Elle hurla en se débattant.

Les plus robustes tiges étranglaient déjà l’horloge, tandis que d’autres s’envolaient dans toutes les directions. Le bois craqua sèchement, le verre de la porte vola en éclats. Éloïse regardait la scène pétrifiée, incapable du moindre mouvement. D’une main Hyppolite l’attrapa par le bras, la secouant pour la forcer à réagir, tandis que son autre main armée d’un tisonnier, s’acharnait désespérément à repousser les assauts de la plante. Nils se précipita au secours de Lara, déjouant les branches déchaînées qui fouettaient l’air, arrachaient les ouvrages précieux des étagères et renversaient meubles et bibelots. Mais la liane serpent n’entendait pas lâcher aussi facilement sa proie. Elle lança contre Nils un réseau de tiges volubiles qui l’assaillirent de toute part.

  • Éloïse ! Éloïse ! supplia Lara. Mais fais quelque chose !

La voix désespérée de sa cousine tira enfin Éloïse de sa léthargie. Lorsqu’elle réalisa la gravité de la situation, la fillette prit peur. Que devait-elle faire ? Que pouvait-elle faire ?

  • La fée… hurla Lara avant de tomber à terre.

La fée ? La fée ! Mais bien sûr. D’une main fébrile Éloïse tâta sa poche à la recherche des petits ciseaux d’or, mais ne les trouva pas. Ils gisaient à l’autre bout de la pièce au pied du guéridon, non loin de sa grand-mère.

  • Mamochka, cria-t-elle, les ciseaux !

Lysie réagit promptement, mais, plutôt que de faire glisser les ciseaux au sol, elle les projeta en l’air. Un geste spontané qu’elle ne s’expliqua pas et regretta aussitôt, mais trop tard. Les ciseaux tournoyèrent. L’impulsion détendit les mâchoires de l’instrument qui s’ouvrit largement pour darder ses pointes aiguisées vers le plafond. Tous les regards inquiets suivaient sa progression. Éloïse tendit le bras. Les poignées arrondies s’inclinèrent pour enlacer les doigts de l’enfant. Au contact de la chair tendre, les lames se séparèrent puis s’étirèrent jusqu’à atteindre la taille de longs sabres. Mus par un sortilège propre, les sabres bien trop lourds, échappèrent aux mains graciles pour toupiller et couper et tailler et trancher jusqu’à ce que plus aucun rameau ne subsistât. Enfin, joints dans un même élan, les lames volèrent d’un trait rapide et droit pour se ficher profondément dans le tronc noueux de la liane serpent avant de disparaître. Blessée mortellement, la liane ensorcelée convulsa, puis se rétracta progressivement en un amas de tiges et de racines rabougries qu’Hyppolite jeta au feu.

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Edouard PArle
Posté le 20/11/2024
Coucou Hortense !
Bon chapitre ! On pense d'abord à une résolution, et j'aurais commenté que c'était un peu facile, mais tu gardais une dernière carte dans ta manche. Ca donne lieu à une scène bien angoissante et qui permet de donner un sens à la fée et son cadeau. Je l'avais oublié et puis en revoyant les ciseaux, c'était comme une évidence. Tout ça était bien amené.
Je me lance vers l'épilogue.
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