Allongée sur son lit, Solola fixait le plafond, entourée du silence d’une Deter endormie. Malgré l’excitation, elle avait tout de même réussi à somnoler, et à quelques minutes de la sonnerie du réveil, la curiosité avait pris le pas sur l’anxiété. Quoi qu’il arrive, Solola allait avoir des réponses et c’était ce qui l’importait le plus.
Concentrée, elle était déterminée à ne pas laisser la place au doute. Son plan était loin d’être sans failles, mais aucun plan ne l’était. Elle devait accepter cette part d’incertitude et arriver à ses fins malgré tout.
Arrivée devant la lourde porte en bois qu’elle franchissait tous les vendredis, Solola s’attela à faire le vide dans ses pensées. Elle avait préparé ce moment afin de toujours avoir un coup d’avance sur sa coach, mais pour que cela fonctionne, elle devait à présent s’efforcer de tout oublier. Aucune pensée parasite ne devait traverser son esprit au moment où Théia Jensen croiserait son regard.
- Bienvenue Solola. Alors, comment vas-tu cette semaine ?
- Ca va mais … c’est pas facile en ce moment.
- Ah ? demanda Théia d’un hochement de tête penchée.
Théia Jensen adoptait souvent cette position lorsqu’elle souhaitait montrer à son étudiante une compassion destinée à l’encourager à poursuivre. En général, c’était les révélations suivantes qui étaient rapportées à Eustache Lawal et utilisées lors que la session de réalité virtuelle.
Solola réprima un sourire. Elle avait piqué la curiosité de sa coach et devait à présent se montrer convaincante. Solola soupira en se reconnectant à tous les sentiments négatifs qu’elle avait pu éprouver dernièrement. Elle releva finalement la tête pour affronter le regard de Jensen et prononcer les mots qu’elle avait préparés. Des mots emprunts d’une certaine vérité qu’elle pouvait affirmer avec conviction.
- Oui … Je me sens seule en ce moment. Je sais que l’école a une bonne raison de nous faire passer ce test d’isolement et je veux vraiment trouver mon Talent, mais ce n’est pas facile à vivre. Le contact social me manque, et puis je m’ennuie souvent.
- Mmmh, murmura Théia les sourcils froncés. Et c’est tout ?
La question désarçonna Solola. En général sa coach cherchait à creuser les émotions qu’elle avait pu détecter. Aujourd’hui pourtant, sa tête s’était redressée. Les hochements avaient cessé et tout son corps semblait être en alerte. Solola se concentra de toutes ses forces. Les images de Marcelin dans l’arrière-cuisine lui revenaient en tête malgré son acharnement à les chasser.
- Oui, c’est tout, répondit Solola avec une pointe d’étonnement innocent et toute la force de conviction qu’elle avait pu rassembler.
Jensen posa son carnet de note sur la table basse qui les séparait, les lèvres pincées.
- Solola les règles de ce coaching sont claires depuis le début. Je dois faire tout ce que je peux pour t’aider à trouver ton Talent, et en retour tu dois être parfaitement honnête avec moi. Je ne doute pas que tu l’ais été jusqu’à présent et il est toujours possible que je me trompe à propos d’aujourd’hui. Tu me dis que tu te sens seule et en effet je ressens cette tristesse. Mais je vois aussi une flamme, un changement, une force. J’en déduit donc que tu me caches quelque chose. Je vais te proposer deux solutions. Soit tu me révèles la chose en question, soit tu me dis, de manière convaincante et en me regardant dans les yeux, la phrase suivante : « Théia, je me sens triste d’être seule et rien d’autre n’occupe mon esprit en ce moment ».
L’adrénaline se déversa d’un coup dans les veines de Solola. Elle se savait incapable de prononcer la phrase de manière convaincante car si Théia avait détecté quelque chose au moment où elle se sentait en pleine possession de ses moyens, elle n’aurait aucun mal à en détecter beaucoup plus à présent. Une seule solution subsistait : trouver une vérité qui la mette à nue. Une vérité suffisamment embarrassante pour que cela justifie qu’elle n’en ai pas parlé, mais qui ne soit pas LA vérité.
Solola releva un air craintif vers Théia, espérant que sa peur de voir son plan échouer soit interprété comme une preuve de bonne foi.
- C’est vrai, j’ai menti… J’ai toujours très envie de découvrir mon Talent, mais d’un autre côté… Depuis que Marcelin a découvert qu’il avait un Talent inutile, je me dis qu’au pire nous pourrons faire quelque chose ensemble comme … ouvrir un commerce ?
- Ah ? Et quel genre de commerce ?
- Une euh … Jardilibrairie. Un endroit avec des livres et des plantes quoi …
Un sourire en coin se dessina sur les lèvres de Jensen. Elle ressentait le malaise de son étudiante qui ne l’avait pas quitté des yeux. Solola se tortilla sur sa chaise. En choisissant de révéler une vérité, elle s’exposait, chose qu’elle avait toujours évité de faire jusqu’à présent. Théia connaissait son amitié pour Marcelin, même si elle n’avait aucune idée de leurs dernières péripéties. Cette révélation n’avait donc rien de particulièrement étonnante, si ce n’est qu’elle la forçait à ouvrir une porte de son jardin secret en évoquant un lieu imaginaire qui lui semblait très poétique dans sa tête mais parfaitement ridicule à verbaliser.
Solola baissa le regard en espérant que Théia mette cette fuite sur le compte de la gêne. Evoquer un manque de motivation à trouver son Talent était le plus grand tabou de la Deter. Solola avait pris un risque qui pouvait lui valoir l’exclusion, ou persuader Théia de la sincérité de son élève.
- Je vois, je vois. Bon. Je te remercie d’avoir été honnête avec moi. Je sens que tu es gênée, tu dois donc avoir conscience du ridicule de ce rêve. Ne te méprend pas, je trouve ça important de rêver, surtout qu’en ce moment l’isolement peut amener nos cerveaux à divaguer.
Le visage de Jensen s’inclina légèrement et les muscles de Solola se relâchèrent de soulagement.
- Cependant tu ne dois pas te laisser convaincre par ce genre de mirages et y puiser ta force. Si tu te mets à y croire vraiment, tu risques de tomber de haut quant à 25 ans tu seras Indéterminée et que Marcelin aura un métier respectable et une vraie place dans la société. Je sais que vous êtes amis, mais Marcelin a trouvé son Talent et tout Talent a une utilité. Nous trouverons bientôt la sienne et lorsque cela sera le cas, il aura bien d’autres préoccupations que de prendre sous son aile une Indéterminée n’ayant pas été assez forte et motivée pour découvrir le sien…
- Oui, vous avez raison, je vais me reprendre.
- Bien, conclu Théia en souriant.
Elle la raccompagna jusqu’à la porte, se retournant juste avant de l’ouvrir.
- Aller, remotive-toi Solola. Personne ne découvre jamais son Talent avec une motivation en demi-teinte. Et si un jour tu deviens Indéterminée, alors là tu connaîtras la vraie solitude.
Lorsque la porte se referma, une grande fatigue s’empara de Solola. Elle avait évité le pire, elle avait réussi à berner sa coach. Cependant, il ne lui restait que quelques heures avant la séance de réalité virtuelle et toute la préparation qu’elle avait mise en place sur le sujet de la solitude semblait à présent obsolète. Quoi que Lawal décide de faire, elle n’y serait pas suffisamment préparée car pour la première fois, ce qu’elle avait révélé en coaching la touchait de trop près.
Les quelques heures qui séparaient son coaching de la séance avec Eustache Nawal défilèrent à une vitesse déconcertante. Les yeux fixés sur la cabane de miroirs, Solola laissait ses jambes avancer toutes seules. Elle avait l’impression de se rendre sur un champ de bataille, uniquement armée de sa détermination. Autour de la salle, la verdure luxuriante cachait certainement un Marcelin et une Palmyre accroupis, prêt à jaillir pour lui porter secours.
A cette pensée, elle jeta un rapide coup d’œil aux alentours mais ne put rien distinguer. Quand soudain, un son étrange retentit de derrière les buissons :
- Kouiiii Kouiiii Rrrrroukoukoukoukou !
Solola se retint d’éclater de rire. L’image de Marcelin, allongé dans son lit, en train de tester différents cris supposément animaliers, pour finalement choisir celui-ci qui ne se rapprochait de rien de connu s’imposa à son esprit. Il eut toutefois le mérite de lui donner la force dont elle avait besoin pour franchir le pas de la porte.
Afin de ne plus se laisser surprendre par l’obscurité de la pièce, Solola avait pris l’habitude de fermer les yeux quelques secondes avant d’entrer, et de ne les rouvrir qu’une fois à l’intérieur. Elle évitait ainsi la sensation dérangeante d’être vue sans pouvoir faire de même.
Sans jeter un regard au professeur, Solola se dirigea directement dans la seconde partie de la salle et prit place sur le fauteuil inclinable. Elle ne voulait pas laisser l’occasion à Eustache Lawal de l’intimider. Elle ne voulait pas voir son sourire carnassier ou attendre dans le silence de son regard perçant qu’il lui indique enfin le chemin. Aujourd’hui elle avait décidé d’être plus forte et de prendre les choses en main. Plus vite il l’endormirait, et plus vite tout ceci serait terminé.
De longues minutes s’écoulèrent avant que le professeur Lawal ne s’avance dans la salle. D’un geste mécanique, il attacha les électrodes sur le corps de Solola. Comme dans un rituel, les mouvements étaient toujours les mêmes. Après quelques secondes d’absence il reparut avec la seringue. Solola ferma les yeux en attendant l’injection qui ne vint cependant pas. Surprise, elle souleva ses paupières pour découvrir le visage souriant du professeur penché vers le siens.
- Prête pour le grand saut ?
La bouche de Solola s’ouvrit d’étonnement mais elle ne put prononcer un mot avant que le professeur ne commence à injecter la seringue dans son bras. Une toute petite dose circulait dans ses veines, trop petite pour l’endormir mais assez puissante pour l’empêcher de bouger et de parler. Immobile, Solola ne pouvait qu’observer avec horreur le plaisir manifeste de Lawal qui projetait avec ses mots l’odeur nauséabonde de son haleine.
- Votre esprit m’appartient. Aujourd’hui, impossible de m’échapper. Emprisonnée dans le virtuel, vous devrez fuir pour retrouver le réel. Fuir … ou mourir.
La voix du professeur se fit de plus en plus lointaine et Solola perdit connaissance.
Lorsque ses yeux se rouvrirent, seuls les derniers mots de Lawal lui restaient : « Fuir … ou mourir ». Accroupie sous un bureau, elle observa autour d’elle, cherchant à repérer un détail, quelque chose pouvant lui indiquer où elle était. La salle était plongée dans la pénombre. Devant elle un mur gris, habillé seulement d’une fenêtre. A ses côtés, une porte laissait passer un rai de lumière. Lentement, Solola se releva pour étudier plus en détails la salle.
Elle eut pourtant peu le temps de s’en préoccuper avant que des bruits de pas retentissent. Immobile, l’oreille aux aguets, Solola tentait de calmer les battements de son cœur afin de distinguer l’origine du bruit. Finalement, elle aperçut deux tâche sombres bloquer la lumière derrière la porte. Son cœur sembla s’arrêter pendant que ses yeux sautaient follement du rai de lumière à la poignée.
Dans un faible grincement, la poignée de la porte se mit à pivoter.
Fuir.
Courir.
Se cacher.
Tout son corps était en panique. Elle ne savait pas ce qui se cachait derrière cette porte et n’avait clairement pas envie de le découvrir.
Un seul sentiment : la peur.
Une seule certitude : le danger.
Sans réfléchir, Solola agrippa la poignée de l’unique fenêtre de la salle et l’ouvrit. Deux mètres plus bas, un toit en tuiles partiellement délabré lui faisait face. Grimaçant à l’idée de sauter, elle tourna la tête à la recherche d’une autre solution. Elle entrevit alors une deuxième porte à quelques mètres de celle qui s’ouvrait bien trop vite à présent. Un homme immense en jailli, armé d’un couteau dentelé d’une trentaine de centimètres.
Trop tard.
Les yeux écarquillés d’horreur, Solola se jeta dans le vide sans plus y réfléchir. Lorsque ses pieds rencontrèrent les tuiles, celles-ci se dérobèrent sous son poids.
Le choc lui coupa la respiration. Sur le dos, Solola se redressa péniblement afin de jeter un œil à sa jambe droite qui la lançait terriblement. Dans un gémissement, elle constata une longue et large coupure sur toute sa longueur qui laissait deviner le blanc de son os. La vue de Solola se brouilla et ses oreilles se mirent à bourdonner. Malgré la douleur cuisante, Solola s’appliqua à respirer. Shootée à l’adrénaline, elle se releva tant bien que mal et se traina jusqu’à l’arrière d’un meuble sur lequel elle s’adossa. Ses jambes tremblaient.
Au fond de cet entrepôt surchargé, aucune issue n’était visible. Des pas précipités retentirent à l’autre bout de la salle. Son assaillant connaissait vraisemblablement les lieux et avait trouvé un chemin plus sécurisé vers l’entrepôt.
Solola avait peu de choix. Elle se sépara de son éternel gilet pour le nouer autour de sa jambe, espérant ainsi limiter les traces de sang qui trahissaient ses déplacements. En quête d’une arme, elle ne trouva qu’une poêle rouillée qui trainait par terre. Or Solola ne savait pas se battre, elle ne connaissait pas les lieux et elle était blessée. Sans utiliser sa jambe invalide, Solola continua à avancer le plus silencieusement possible. A son arrivée sur les lieux, son adversaire haletait sous l’effet de sa course. A présent, il était calme, silencieux, et Solola n’avait plus aucune idée de sa localisation.
Longeant les murs, son seul espoir résidait dans le fait de tomber sur une porte donnant sur l’extérieur, puis de courir jusqu’à perdre haleine.
Dans le silence pesant de l’entrepôt, Solola avançait prudemment, jetant des regards réguliers de tous les côtés. Le son même de sa respiration lui semblait trop fort. Soudain, un bruit métallique la fit sursauter ! Sa poêle avait buté contre une chaise en acier…
Le son éclatant dans le silence, Solola entendit des pas précipités se diriger dans sa direction. Abandonnant son arme traitresse, elle se mit à courir aussi vite que sa jambe le permettait, se cognant dans les meubles au passage. Les pas de son assaillant se rapprochaient. Se cramponnant à tout ce qu’elle pouvait trouver, Solola fit tomber tout ce qu’elle croisait derrière elle pour le ralentir.
A bout de souffle, elle se retrouva finalement nez à nez avec un mur.
Un cul de sac.
Solola se retourna, prête à rebrousser chemin, lorsqu’elle l’aperçut. Il avait arrêté de courir et se tenait là, à l’orée du cul de sac. L’homme au couteau avançait doucement. Il partageait le même sourire narquois qu’Eustache Lawal mais sa stature était toute autre.
Solola ne pouvait pas se faufiler sur le côté.
Elle ne pouvait plus se cacher.
Elle était coincée.
En réalisant qu’aucune solution n’était possible, elle fut prise d’effroi. Sa vie ne défila pas devant ses yeux. Elle ne vit que cet homme immense à la musculature impressionnante. Sa transpiration et son sourire satisfait. Elle ne ressentit qu’une peur colossale, comme elle n’en avait jamais connu avant, et la douleur cuisante de sa jambe qui ne serait certainement rien comparée à celle que le couteau dentelé pourrait lui infliger.
A quelques pas de Solola, l’homme s’arrêta. Le regard de Solola migra du couteau à son visage lorsqu’il s’adressa à elle d’une voix glaciale.
- Votre esprit m’appartient. Aujourd’hui, impossible de m’échapper.
Il brandit son couteau, prêt à l’abattre sur Solola.
J’ai eu un peu de mal à me remettre en tête la raison qui la poussait à appréhender l’entretien avec sa coach, puis les références au jeu de regard m’ont permis de me souvenir qu’elle lisait dans les pensées.
Ah et note spéciale à Marcelin qui parvient à nous faire rire malgré le stress ! C’était très bien trouvé et ça permet de le rendre présent sans le faire interagir avec Solola.
Le Professeur Lawal est un grand psychopathe, à ce que je vois ! Je ne m’attendais pas du tout à ce genre de rebondissement. On se demande pourquoi elle doit subir un tel cauchemar en réalité virtuelle… (je pensais qu’il utiliserait la jardilibrairie !) Et risque-t-elle vraiment de mourir ou cherche-t-il simplement à l’effrayer ? Je penche plutôt vers la deuxième solution (je me souviens que Marcelin disait que l’école achetait toujours autant de nourriture, les élèves ne sont donc a priori pas morts!).
Sur la forme, quelques coquilles relevées en chemin :
Aucune pensé parasite = pensée
et utilisées lors que la session de réalité virtuelle. = lors de
elle jeta un rapide coup d’œil aux alentours mais ne pu rien distinguer = put
Solola se retient d’éclater de rire. = retint
Elle ne put s’empêcher d’imaginer Marcelin => répétition avec ne put rien distinguer, autant enlever le verbe pouvoir ?
Il eut toutefois le mérite de lui donner la force dont elle aurait besoin pour franchir le pas de la porte.= « avait besoin » sonnerait mieux
aucune issu n’était visible. = issue
elle ne pu se munir que d’une poêle = ne put / ne trouva que (pour éviter la répétition)
Soudain, un bruit métallique la fit sursauter ! = j’ai trouvé les deux points d’exclamations successifs superflus, mais là c’est totalement subjectif !
Merci pour ton commentaire et pour ta vigilance, j'ai corrigé tout ça.
Oui j'ai un petit peu perdu le rythme pendant quelques temps, j'ai l'impression que je fonctionne par phase :)
En tout cas je suis contente que ce chapitre t'ai surprise et j'espère que tu trouveras la suite à la hauteur ;)