Léa fixe le plafond noir. Encore une fois elle n’arrive pas à dormir. Elle est frustrée de tout ce qu’elle a entendu, de tout ce qu’elle a découvert aujourd’hui. Elle soupire, puis se tourne sur le côté. Seule la lumière rouge de son réveil est visible dans l'obscurité. Il est une heure douze. Elle ferme les yeux, puis essaie de chasser Louise, Lucie, Thérèse et Félicie de sa tête afin de pouvoir s’endormir. Lorsqu’elle commence à entrer dans la phase inconsciente, un bruit la réveille brusquement. C’est un bruit étrange, un bruit qu’elle connaît bien mais qu’elle n’a pas entendu depuis des mois. C’est la sonnerie du téléphone.
En regardant le combiné comme s’il était un ovni, Léa le prend et décroche, curieuse de savoir qui cela peut bien être.
— Allo ?
La mystérieuse voix met du temps à se manifester. Finalement elle entend une voix qui lui semble masculine et qui paraît surprise.
— Oh mais… je croyais… je croyais que ça ne marchait pas. Désolé.
L’inconnu raccroche aussitôt. Sans vraiment savoir pourquoi, Léa a envie de pleurer. Sûrement un trop-plein d’émotions, comme disait sa mère. Elle vient seulement d’apprendre que sa grand-mère a été adoptée, que son arrière-grand-mère n’est pas de sa véritable famille, que ses parents ont été tués par un tueur en série qui avait promis leur mort il y a soixante-dix ans, et voilà que son téléphone marche à nouveau et qu’un mystérieux inconnu l’appelle à une heure du matin en ne s’attendant pas à ce qu’elle décroche. Et pour couronner le tout, sa maladie commence à se faire sentir et elle a de plus en plus de mal à respirer. Elle n’en peut plus, elle a besoin de parler à quelqu’un. Elle prend le téléphone, retourne dans sa chambre et cherche les lettres que lui avait écrites Quentin. Dans l’une d’elle il lui avait donné son numéro de portable, au cas où elle trouverait un moyen de l’appeler. Elle compose le numéro, en priant pour qu’il ne soit pas en train de dormir.
— Allo ?
Léa est heureuse d’entendre sa voix. Elle a vraiment besoin de lui.
— Quentin ? C’est Léa. Je ne te dérange pas ?
— Léa ? Euh non non, tu ne me déranges pas, mais ton téléphone fonctionne ?
Elle hoche la tête, puis réalise qu’à l’autre bout son ami ne peut pas la voir.
— Oui, il faut croire qu’ils ont réparé la ligne.
— Ça ne va pas ? demande-t-il d'une voix inquiète.
Léa n’aime pas se plaindre. Depuis qu’elle est toute petite elle prend tout sur elle, sans faire comprendre qu’elle ne va pas bien. Mais cette fois elle a vraiment besoin d’aide, elle n’en peut plus.
— Pas vraiment. J’ai du mal à respirer, j’ai la tête qui tourne, je n’arrive pas à dormir, j’ai trop de choses en tête que je ne peux pas oublier, et puis…
Son ami l’interrompt d’un air déterminé.
— J’arrive.
Sans qu’elle ne puisse réagir, il raccroche. Comme elle sait qu’elle ne peut plus rien faire, elle va dans la cuisine et s’assoit sur une chaise. Moins de dix minutes plus tard, Quentin toque à sa porte. Elle va lui ouvrir avec un soupir de soulagement.
— Merci d’être venu. Tu n’aurais pas dû te déranger, mais je suis heureuse que tu sois là.
Pour une fois il ne fait pas froid dehors. Léa s’habille tout de même chaudement, et sort à l'extérieur avec Quentin. Elle sait qu’il fait nuit, elle sait qu’il est deux heures du matin, mais elle s’en fiche. Ils s’assoient dans l’herbe, devant la maison. Sa respiration s’est calmée, mais elle a encore besoin de parler, de laisser sortir ce qu’elle a en elle.
— Quand le commissariat m’a annoncé la mort de mes parents, ils ont employé le mot « tués ». Mais je ne pouvais pas croire qu’ils disaient vrai. Je n’arrive pas à accepter que quelqu’un ait pu vouloir leur mort, qu’on ait pu les tuer sans aucune pitié.
Quentin a l’air de l’écouter attentivement. Il ne dit rien, mais elle sait qu’il est là, qu’il l’écoute et, probablement, qu’il la comprend. Elle continue, laissant les émotions guider ses mots.
— Ils n’avaient rien fait de mal, Quentin. Ils n’avaient rien fait, ils étaient innocents. Qui était capable de juger qu’ils devaient mourir ?
Son ami regarde droit devant lui, tout en lâchant quelques mots.
— Le monde est injuste. C’est comme ça. C’est une généralité qu’on devrait apprendre dès la naissance. La vie n’est pas juste, et les gens sont méchants.
Léa reste dubitative. L’orage de colère qui s’est formé en elle est en train de sortir, mais il en reste un peu.
— Je dois le retrouver, tu m’entends ? Je dois retrouver cet homme qui fait du mal à nos familles. Je ne peux pas laisser passer ça. Il faut que je le retrouve.
Quentin reste d’abord silencieux, puis il met son bras dans le dos de Léa, d’une manière rassurante. Il parle ensuite doucement, d’un ton calme et apaisant.
— Ne te soucie pas de ça pour l’instant. Laisse la vie passer, Léa. Tout ira bien.
Léa pose sa tête sur l’épaule de son ami, essayant de trouver un repos intérieur. Quentin continue de parler.
— Tu comprends pourquoi je ne voulais pas te dire la vérité… Regarde un peu l’effet que ça a sur toi.
Elle ne répond rien, elle essaye de profiter de l’instant, de cet air doux et de ces étoiles lointaines. Quentin fait des allers-retours dans son dos avec sa main, comme pour la protéger et la calmer.
— N’y pense plus. Chasse ces idées noires de ta tête. On est bien, là. N’y pense plus.