Chapitre 14

Anastae observait, avec des yeux écarquillés, la beauté qu’était ce palais, remplis de couloirs eux-même constitués d’or, de tableaux plus immenses les uns que les autres, de plantes dont la jeune fée ne connaissait jusqu'alors pas l’existence. Des fenêtres géantes venaient illuminer le couloir de la lumière de la lune, Emma n’avait pas voulu prendre le risque de prendre un cierge, ce que Anastae comprenait totalement. 

Emma trottinait dans le couloir, ses pieds nus s’enfonçant dans la moquette rouge, et Anastae était à sa suite, ses bottes dans une main et l’autre s’occupant de lui faire garder un équilibre précaire alors qu’elle s’efforçait à faire le moins de bruit possible. 

Ses yeux rencontrèrent très brièvement un tableau où elle y reconnut, très facilement cette fois-ci, Thalion, un petit sourire en coin sur ses lèvres, Emma assise à ses côtés, habillée richement : la jeune elfe était recouverte de joyaux plus coûteux les uns que les autres et une lourde robe pesait sur ses épaules. Thalion abordait à peu près le même type de tenue mais était à l’aise, une assurance parfaite émanant de lui. Emma, quant à elle, semblait mal à l’aise, les lèvres pincées et les sourcils légèrement froncés, sa main agrippant la manche de Thalion.  

Emma se retourna alors subitement et surprit son regard posé sur son portrait. D’une voix si basse que Anastae eut l’impression qu’elle parlait derrière le mur, elle déclara : 

- J’ai horreur de ce tableau… Cela… Cela ne me ressemble pas. 

- Tu n’as pas l’air très à l’aise, chuchota Anastae. 

- Qui le serait avec une robe aussi lourde ? 

Sur ces mots, elle fit une légère pirouette sur elle-même, jeta un regard autour d’elle, et grâce à ce dernier lui fit comprendre de se rapprocher. Un léger bruit de poignée que l’on tournait retentit et sous ses yeux ébahis, une partie du mur se détacha pour dévoiler une pièce dont une lumière bleue émanait. 

Anastae se figea sur ses jambes, immoblie, et ouvrit sa bouche pour interroger Emma. Cependant, cette dernière, semblant très pressée, ne fit pas dans la dentelle et un petit courant d’air vint heurter le dos de la fée, l’obligeant ainsi à faire un pas en avant : lancée, elle continua jusqu’à ce qu’elle se retrouve au milieu de cette salle étrange. 

La porte se referma derrière elle et Emma. 

Au centre de cette pièce, se trouvait une fontaine qui brillait intensément, il ne faisait aucun doute qu’elle était magique. Se trouvaient également des sièges en velours luxueux qui contrastaient avec la végétation grimpante qui camouflait la seule petite fenêtre de cette sorte de salon. Un tapis était sous ses pieds, bien qu’il ne mérite pas tellement le titre de tapis tant il était dur : 

- Où est ce qu’on est, murmura Anastae. 

- C’est là que je m’entraîne, répondit Emma sur un ton normal. Personne ne peut nous entendre ici, tu peux parler normalement. 

Elle se dirigea sans plus attendre vers cette fontaine et effleura du bout de ses doigts l’eau qui résonnait contre la pierre dans un petit clapotis. Anastae s’essuya nerveusement les mains sur son pantalon, peu confiante en ce qui allait se passer, et bien, qu’encore une fois, tout son être lui hurlait de rester ici, une petite voix lui soufflait de s’enfuir avant de se mettre en danger. 

Cependant, une nouvelle fois, elle ignora cette pensée et s’avança donc à la hauteur de l’elfe : 

- Ce que je vais te montrer, déclara cette dernière. N’est qu’une vague image de ce que j’ai vu, j’ai conscience que ce ne sera pas parfait tant par ma technique que par ma mémoire mais si l’eau que je vais manipuler te dit une petite chose, dis-le moi de suite. 

- Je vais faire de mon mieux. 

Emma se pencha donc, ferma ses yeux, et prit une grande inspiration avant que ses mains ne s’illuminent. Comme lorsqu’elles avaient toutes les deux sauté de la fenêtre, Anastae se retrouva hypnotisée par la beauté de ce qu’elle voyait, de la magie qui émanait d’elle et la forme si délicieuse que prenait cette dernière. 

L’eau se souleva, se mit à tourbillonner dans un bruit de clapotis et la lueur éclaira le visage d' Emma dans une expression concentrée mais toutefois paisible. D’un seul coup, elle bougea ses mains et l’élément prit une forme où surgit des couleurs toutefois un peu pâles. 

Anastae ferma ses yeux une seconde, quand elle les ouvrit de nouveau, ils se confrontèrent à un visage d’un elfe plus que banal. Elle chercha pendant quelques instants où elle aurait pu le voir mais son regard bleu ciel ne lui disait rien, pas plus que la cicatrice qui barrait sa lèvre rouge sang ni ses traits légèrement rugueux pour un elfe. Si ce dernier semblait hostile, les sourcils froncés et un rictus mauvais sur son visage, il ne lui évoquait rien. 

Son attention se tourna alors sur ses cheveux. 

Un cri d’effroi monta dans sa gorge. 

Les yeux écarquillés, elle avala sa salive pour se donner une contenance mais ne put s’empêcher de trembler : 

Les cheveux de l’elfe étaient d’un rouge sang, parsemés de quelques mèches noires que Anastae n’aurait jamais pu oublier : il s’agissait, sans aucun doute, de l'elfe qui avait surgi par effraction chez elle et qui avait probablement tué sa pauvre mère.

Si elle tenta de dissimuler l’horreur qu’elle ressentait en ce moment-même, elle ne tint pas longtemps et dût s’appuyer à la fontaine pour ne pas tomber. La vision floue, Anastae se rendit à peine compte que Emma se penchait à son tour pour trouver son regard, l’air inquiète : 

- Anastae… Tu reconnais cet homme ? 

- Oui, admit-elle dans un filet de voix, faible. J’ai déjà vu cet elfe. 

Ses mains tremblèrent autour de la paroie et elle dût prendre une grande inspiration pour relever son visage horrifié vers celui de Emma, avec une expression que la jeune fée ne parvint pas à décrire. Comme si elle venait enfin de faire une découverte cruciale pour quelque chose. 

L’elfe s’approcha cependant d’elle et lui indiqua d’un geste de main poli un banc qui se trouvait dans cette pièce afin que Anastae s’y assoit. Cette dernière suivit ce conseil et enfouit sa tête dans ses mains ouvertes : Anastae n’avait rien imaginé, elle ne s’était pas du tout monté la tête. Un événement tragique allait arriver, relié à la partie la plus sombre de sa vie, sans qu’elle n’ait aucune idée de comment faire. 

Elle étouffa un gémissement nerveux et tira sur ses oreilles. 

Dans un vague bruit de vêtements, Emma prit place à ses côtés, l’air soucieuse, et, tout en gardant une distance de sécurité raisonnable, tenta de la rassurer : 

- Il ne peut rien t’arriver ici, tu es en sécurité. 

- Je ne doute pas de cela, siffla Anastae, consciente qu’elle se trouvait dans l’endroit le plus sûr de tout le royaume. Je viens juste de… comprendre certaines choses. 

La jeune elfe s’agenouilla face à elle. De ses yeux orangés légèrement en amandes, elle lui adressa un sourire réconfortant et posa ses mains sur ses propres cuisses. Comme si cette simple marque d’attention avait détendu tout son corps, Anastae sentit ce dernier se relaxer et son souffle se stabiliser : 

- Je sais que cela doit être compliqué, mais tu dois me raconter ce que tu sais à propos de cet… elfe. Tes informations pourraient m’être d’une grande utilité. 

Il était hors de question que Anastae lui dise quoi que ce soit sur ce qui s’était passé dans son enfance : enfance qu’elle avait passé dans le monde humain, avec une mère humaine et qui se terminait par un terrible massacre dans sa maison tout aussi terrienne. 

Cependant, si Anastae ne pouvait évoquer cette histoire, elle pouvait tout de même lui donner quelques renseignements: 

- Cet elfe m’a fait énormément de mal, avoua-t-elle. Je ne peux pas te dire comment ni pourquoi, mais… C’est un monstre, j’en suis convaincue et si je ne l’ai pas vu de mes propres yeux, je sais que ses motivations sont terribles. 

- Tu n’as aucune idée avec qui il travaille, quelque chose de moins vague… 

- Malheureusement non, la seule chose que je pourrais te dire est qu’il ne se limite pas aux elfes ni aux fées. 

Emma se leva de suite après cette phrase et se dirigea sans plus attendre vers la fontaine. De nouveau, ses mains brillèrent et l’eau se souleva dans une douce lueur pour faire apparaître cet affreux visage. De dos, Anastae put simplement remarquer qu' Emma tremblait elle aussi et que ses mains se crispaient de plus en plus. 

L’eau tomba dans un bruit plus violent que le précédent et elle se tourna vers Anastae : 

- Cet elfe fait parti d’une organisation qui agit sur le meurtre dans tous les royaumes. Sans aucune pitié, ils agissent pourtant dans l’ombre et je sais que cet elfe est à la tête d’une section très importante. Je sais également qu’ils ont comme plan d’attaquer le royaume. 

- Que… 

- C’est pour cela, que je suis convaincue que cette organisation s’en ait pris à toi pour ébranler la sécurité qui semble planer sur notre royaume. Tu es la fille de l’ami le plus proche de la Reine, ancien général qui a apporté victoires et gloire à cet univers. Si tu venais à mourir, cela signerait le début de la panique, de la peur et de la guerre. 

Anastae serra ses mains autour de sa tunique et prit de nouveau une inspiration tremblante, soudainement paniquée par son futur et pour une tout autre raison désormais. Elle avait conscience qu’elle était le maillon faible de sa famille, que malheureusement, ils n’auraient aucun mal à la tuer. 

Si ce que affirmait Emma était vrai, elle ne donnait pas cher de sa peau pour les quelques jours, semaines à venir. Comment allait-elle pouvoir se rendre à l’Académie, sortir avec Luciana, si elle savait qu’elle pouvait succomber des mains d’une organisation meurtrière à tout moment ? : 

- S' ils s’en prennaient à toi, demanda alors Anastae. Ce serait possible, non ? Tu es la seule elfe élémentaire vivante, cela pourrait également… 

- Je ne pencherai pas sur cette option, la coupa Emma. Ils ne savent rien de moi, ne m’ont jamais vu, et je suis enfermée dans cette cage en or. Grâce à la réputation des elfes d’auparavant, ils se méfient de moi : je pourrais très bien être extrêmement puissante, comme une arme de combat que la royauté garde cachée. 

Comment avait-elle un esprit si tactique ? 

Une réponse s’imposa très rapidement à elle : à défaut de ne pouvoir profiter pleinement de ses pouvoirs élémentaires, elle gardait le même esprit critique et vif que ceux de ses ancêtres, Emma était loin, très loin, d’être bête. 

Désormais, Anastae ne savait que faire des informations qu’elle venait d’apprendre plus violemment que prévu : on voulait sa peau, très bien, mais que pouvait-elle faire pour les empêcher, elle qui n’était même pas une fée à part entière. 

Emma remarqua son trouble, comme à son habitude, et esquissa un pauvre sourire ; 

- Tu dois sûrement te demander ce que j'attends de toi… 

- Effectivement, répondit Anastae prudemment. 

L’elfe élémentaire rejeta sa tête en arrière, ses longues boucles tombant en cascades sur ses hanches, et elle se pinça l’arrête de son nez, concentrée.  

La demi-fée n’avait aucune idée de quoi faire mais elle se doutait bien que ce n’était pas le cas de Emma, jamais elle ne l’aurait fait venir pour seulement arracher de sa bouche une simple information qui ne faisait que confirmer ce qu’elle croyait. Anastae avait un rôle à jouer dans son futur plan et si elle ne saurait dire ce qu’elle ressentait face à cet avenir certain, son instinct lui hurlait de retourner sous ses couettes et de s’enfermer dans sa chambre jusqu’à ce que cette affaire soit réglée. 

Finalement, Emma brisa le long silence qui s’était installé : 

- Nous allons devoir mener notre petite enquête. 

Elle pointa Anastae du doigt avant de faire de même pour elle alors que la fée sentait une appréhension sans nom monter en elle : 

- Je n’aime pas vraiment l’idée de me mettre à dos la confiance de la Reine en sortant plus que nécessaire du Palais mais… 

- Non, protesta Anastae en se levant du banc. Ce n’est vraiment pas une bonne idée. Qu’est ce que nous pouvons faire à deux contre une organisation criminelle ? 

Elle passa une main tremblante dans ses cheveux désormais presque détachés : 

- Je peux en parler à l’ancien Général. Il saura mieux que nous comment régler cette situation. 

- Sans vouloir manquer de respect à ton père… 

Emma s’interrompit en constatant que le ton de sa voix commençait à tourner à l’énervement, chose qui étonna également Anastae qui l’avait crue impossible à être crédible lorsqu'elle voulait élever la voix. Seulement, Emma pourrait très bien parler de la pire des façon de son père, elle n’en n’avait que faire. 

L’elfe élémentaire lui adressa un petit sourire désolé et continua doucement : 

- Il est persuadé que la paix qu’il a instauré sur le royaume perdurera pour toujours. La Reine à déjà omi l’idée qu’une organisation souhaitait s’en prendre à notre peuple mais… il l’a aussitôt rejetée en lui assurant que c’était impossible et la Reine a une confiance aveugle en lui… 

- Mais nous avons des preuves, continua Anastae. 

- Des preuves fondées sur des “je me souviens de tel ou tel visage.”Malgré que l’expression de cet elfe montre son atrocité, on ne peut rien en tirer. La Reine et son Conseiller ne nous croiront pas. 

Anastae secoua sa tête, mais au fond, elle savait que Emma avait raison : son père pensait qu’elle était une créature vicieuse qui ne savait que mentir et jamais il ne porterait un œil neutre à son témoignage. Au sujet d’Emma, Anastae connaissait l’avis de son père sur elle. 

“Cette elfe n’est plus rien qu’un moyen d’appuyer la puissance du royaume, mais en termes de performances, elle ne vaut rien du tout.” 

Il avait éclaté d’un rire gras. 

“ Ce n’est pas un petit jet d’eau qui va impressionner qui que ce soit !” 

Quand elle était plus jeune, il lui avait confié qu’il l’avait de nombreuses fois aperçue et qu’il était impossible qu’elle fasse du mal à une simple créature du royaume, bien trop douce et menue selon lui. 

Anastae prit une grande inspiration :

- Que suggères-tu alors ? 

- Thalion et Helios, eux, nous croiront. 

Une grimace surgit sur son visage : les deux frères princiers n’étaient pas vraiment des personnes qu’elle appelait dignes de confiance au vu de son expérience avec Thalion. Ce n’était pas tant qu’elle doutait de son talent, car il en avait, c’était un fait, mais il restait une créature manipulatrice qui lui avait déjà montré un fois à quel point il était doué dans cet art. 

De plus, bien que cela puisse paraître enfantin, elle craignait toujours la réaction de son père s’il venait à s’apercevoir qu’elle fricotait avec la royauté  : 

- Nous ne sommes que de jeunes fées et elfes, rétorqua-t-elle en sentant sa gorge brûler. Nous n’arriverons à rien… 

- Détrompes-toi, sourit-elle presque. Ces deux-là ont un don inexplicable pour réussir à résoudre les situations les plus complexes. Le fait qu’ils soient jumeaux est un atout extraordinaire dans leur complémentarité. 

Anastae fronça ses sourcils. 

Emma tira sur son visage cette fois-ci un sourire doux : 

- As-tu déjà entendu parler de leur don ?