Chapitre 14

Par Froglys

Le soleil de fin d’après-midi inondait le salon commun d’une douce lumière. J’étais assise sur l’un des fauteuils moelleux, le dos enfoncé dans les coussins, un livre ouvert sur les genoux. A côté de moi, Léandre, assis sur le sol, parcourait distraitement un manuel, tandis que Clémie, allongée sur un canapé, jouait avec une plume d’oiseau qu’elle faisait voltiger entre ses doigts, maniant avec aisance la magie de l’air. D’après sa concentration elle semblait dessiner quelque chose.

Nous profitions de ce moment de répit après les cours, sans véritable discussion mais il était agréable d’être avec ses amis. Depuis quelques jours, j’avais de plus en plus de mal à lire dans mon coin. Fallon ne m’avait pas rendu visite ces dernières semaines et je me demandais ce qu’il se tramait. Était-il occupé par les affaires auxquelles Sothos et lui ne voulaient pas que je me mêle ?

Nous n’étions pas les seuls à cette heure de la journée à occuper le salon. D’autres étudiants profitaient aussi de la soirée pour se reposer.

Le calme fut soudainement interrompu par le léger bruit d’une porte qui s’ouvrait. Je levai les yeux, curieuse de qui pourrait bien entrer.

Pierre Salament, le très cher directeur de Clerfort, apparut à l’entrée de la salle commune. Grâce à sa grande silhouette fine et ses vêtements luxueux, il dégageait toujours une certaine autorité. Il s’avançait vers nous, ses pas résonnant sur le parquet. Beaucoup de regards étaient tournés vers lui. Que venait-il faire dans un espace dédié aux élèves ?

_ Anthéa, j’aurais besoin de te parler, dit-il alors d’une voix posée qui contrastait avec ce à quoi il nous avait habitués.

Mon sang se glaça. Non pas que j’avais peur d’avoir fait une bêtise mais il venait d’attirer l’attention de toute la pièce sur moi. J’adressai un regard à Léandre qui haussa les épaules.

_ Ou… oui, bien sûr, bégayai-je.

Je fermai mon livre avant de le suivre. Mon cœur battait fort, le directeur n’avait pas l’habitude de se balader dans les couloirs, il envoyait généralement d’autres personnes réaliser ses sales besognes.

Le trajet jusqu’au bureau de Monsieur Salament fut silencieux. Nos pas résonnaient dans les longs couloirs vides de l’académie, à cette heure-ci les élèves ne circulaient pas beaucoup. Finalement une grande porte en bois massif se dressa devant nous, le mage tourna la poignée et me fit entrer.

La pièce était éclairée par de grosses bougies accrochées aux murs. Le bureau du directeur était encombré de livres, de parchemins et de divers objets qui ne laissait pas beaucoup d’espace pour y travailler. Les murs de pierre étaient ornés de multiples runes que j’avais, pour la plupart, vu en cours. Au centre, une grande table de bois verni trônait, entourée de fauteuils confortables.

Mon regard s’arrêta sur un visage familier. Léoni se tenait près de la fenêtre. Pendant un instant, j’eus l’impression de voir ses yeux me sourire, avant même que ses lèvres ne s’étirent.

_ Ma chère Anthy ! Quand Emile est venu me voir lui-même pour me donner une mission j’ai tout de suite su que j’allais m’éclater, mais si en plus c’est avec toi !

_ Je ne m’attendais pas à te voir ici…

Quelque chose vint percuter l’arrière de mes genoux, manquant de me faire tomber. Une chaise venait d’arriver derrière moi. Je lançai un regard surpris au directeur.

_ Navré de vous interrompre mais nous avons à faire.

Un courant d’air fort me fit tomber sur le fauteuil qui glissa ensuite jusqu’à la table. Le chevalier s’installa également avec nous. Je replaçai les mèches de cheveux que le directeur avait fait voler grâce à la magie.

_ Bien, commença le directeur, son regard passant de Léoni à moi. Si vous êtes ici aujourd’hui c’est pour discuter de la demande d’Anthéa.

_ Je ne…

_ Le prince l’a fait pour toi, c’est la même chose, balaya-t-il d’un revers de main. Comme vous le savez peut-être, Orane et Iragwa entretiennent depuis quelques siècles des relations diplomatiques. Nous sommes même responsables de leur jeune souveraine.

Il marqua une pause, posant une nouvelle fois son regard sur Léoni puis moi.

_ Suite à ta demande, nous avons envoyé une proposition d’échange scolaire avec l’académie d’Iragwa, Esaekose. Hier j’ai reçu une réponse et le temps de tout organiser, me voilà seulement apte à vous en parler.

_ Je ne savais pas que tu voulais aller en Iragwa, prononça mon ami alors que le directeur venait de se couper.

Je posai les yeux sur ceux à la couleur de l’océan qui me fixaient.

_ Je ne savais pas que tu venais à l’académie aujourd’hui.

_ C’est quand même diff…

_ Vous réglerez vos différends plus tard. Je voulais discuter de certains points en amont avec vous avant de proposer à d’autres élèves de rejoindre le programme, nous interrompit le mage. Depuis quelques années, nos relations avec l’Iragwa sont un peu tendues, alors sous couvert que vous décidiez de réaliser cet échange scolaire il y aurait quelques conditions.

Il marqua une pause, s’assurant que nous comprenions bien ce qu’il allait dire.

_ Ne faites pas de vagues et ne vous mêlez pas de leurs affaires. Il est important que tout se passe bien et que nous conservions de bonnes relations.

Léoni hocha la tête sans plus réfléchir, il était chevalier après tout, malgré son caractère, jamais il n’oserait mettre en péril l’Orane.

Moi non plus, évidemment.

_ Si cela vous convient, je prévois un départ dans un mois avec deux autres élèves méritants et volontaires. Je parlerai aussi à un professeur pour vous accompagner et je vous tiendrai au courant.

Joignant ses mains, il les posa devant lui, désormais il semblait encore plus sérieux.

_ Bien, maintenant j’aimerais vous parler d’autre chose. Il s’agit de la raison pour laquelle vous vous trouvez là tous les deux avant même que le projet ne soit divulgué.

Son ton était pesant, il contrastait avec la légèreté qui régnait juste avant.

_ Le fait que la jeune Céleste Abini nous ait été confiée il y a deux ans a forcément été causé par quelque chose. A treize ans, elle aurait été capable de reprendre les fonctions de sa famille, avec un peu d’aide. L’envoyer de l’autre côté de l’océan n’est pas anodin.

Parler de Céleste, mon amie, de cette manière, ça faisait bizarre. Je n’avais toujours pas digéré le fait qu’elle était souveraine de son pays.

_ Les rebelles qui sévissent dans notre royaume se sont bien calmés. Il pense qu’ils pourraient essayer de chercher des soutiens ailleurs. Coswel est un pays frontalier de l’Iragwa et vous avez dû étudié en cours les nombreux conflits internes qui y règnent. Il serait bon de vérifier qui est à l’origine du régicide et de déterminer si cela représente un danger pour nous.

Cela faisait beaucoup d’informations d’un coup. Mais je connaissais déjà ces faits grâce aux cours d’histoire que dispensait l’académie d’Orane.

_ Et vous pensez que nous ne représenterions aucune menace pour eux en tant qu’étudiants, n’est-ce pas ? en déduisis-je.

Un éclat de surprise passa dans les yeux du directeur quand un sourire discret se dessina sur ses lèvres. Il hocha la tête.

_ Je n’aurais pas dit mieux ! Léoni vous accompagnera en tant que Saint-Chevalier. A peine sorti de Clerfort il n’attirera pas trop les soupçons. Et puis, il s’agirait d’une mission tranquille, loin de vous attirer des ennuis tant que vous suivez quelques consignes simples.

Pour la troisième fois, son regard passa lentement de Léoni à moi.

_ Enquêtez discrètement et n’entrez jamais en contact avec des personnes suspicieuses, vous n’êtes pas formés pour. Et surtout, profitez de cet échange scolaire.

Ce projet prenait une tournure inattendue, et je sentais le poids des responsabilités peser sur mes épaules. Fallon et Sothos devaient bien être au courant de tout cela et pourtant ils m’avaient demandé d’y aller. Qu’allait-il se passer à Orane pour qu’ils jugent l’Iragwa comme plus sécuritaire pour moi ?

J’avalais difficilement ma salive, ma gorge comprimée par les secrets et l’inconnu.

Léoni se pencha légèrement vers moi, son sourire rassurant habituel plaqué sur son visage.

_ Si cela t’inquiète, sache que je serai toujours là pour assurer tes arrières. Tu es bien plus futée que moi mais en termes de combat, je suis quand même l’un des meilleurs de ce pays.

Je lui souris en retour, cela ressemblait à une promesse et mon coeur se mit à battre plus fort à ses mots.

Quoi qu’il en était, je n’avais pas beaucoup de choix. Sothos voulait que je m’y rende alors autant y aller pour une bonne raison.

Satané dieu de pacotille…

_ Vous n’êtes pas obligés d’accepter cette partie. Le roi vous serait gré d’ouvrir l'œil, il ne vous en demande pas plus. Il vous confie cette mission parce qu’il a confiance en vous.

_ Je n’ai pas vraiment de raison de refuser, je suis chevalier du royaume. J’ai le devoir d’obéir à mon roi et de protéger mon peuple, déclara Léoni d’un ton brave et vénérable que je n’avais que peu l’habitude d’entendre chez lui.

_ S’il ne s’agit que de vous confirmer certains faits…

_ C’est cela, un simple rapport à votre retour sera amplement suffisant. Vous vous y rendez dans le cadre d’un échange scolaire, ne l’oubliez pas et amusez-vous !

 

_ Alors, c’est décidé ?

J’acquiesçai. Marchant dans les couloirs aux côtés de Léandre, nous nous rendions au réfectoire pour le dîner.

_ J’étais certain qu’ils allaient confier cette tâche à Léoni. Il a encore l’âge d’aller à l’école et il reste Saint-Chevalier.

_ Parfois j’ai l’impression que tu es devin, plaisantai-je.

Il leva ses bras vers le ciel avant de répliquer.

_ Oh ! Les dieux me montrent que tu vas bien profiter ! clama-t-il d’une voix dont il avait accentué la profondeur grâce à la magie.

Mon rire résonna dans le couloir alors que nous arrivions à destination. Puis nos plateaux repas en main, nous nous sommes rendus à une table libre. Derrière moi, deux filles parlaient des actualités et celles-ci ne semblaient pas très bonnes.

_ Tu as entendu la rumeur ?

_ Non, quoi ?

_ Apparemment, un magistrat et son élève sont morts la semaine dernière. Une mission qui aurait mal tourné.

Morts ? Comment un magistrat, un mage puissant et chef de clan, pouvait mourir comme cela ? Ils étaient considérés comme des archimages, les meilleurs de leur génération et surtout, des êtres invaincus. Cela me paraissait insensé. Jusqu’à ce que je me souvienne de Sothos. Il devait avoir une excellente raison de me demander de partir un moment.

Je soupirai alors que Léandre me regardait, incompréhensif. Je secouai la tête en balayant l’air devant moi, il n’y avait pas de quoi s’inquiéter…

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