Chapitre 13 - Anna : Colère et désillusions

À chaque pas que je fais, la rage m’envahit un peu plus. J’ai besoin de laisser éclater ma colère, mais d’abord, je dois trouver mon amie pour me tirer d’ici. En pleine discussion avec Derek, Lexi croise mon regard. Ses sourcils se froncent. D’un signe de tête, je lui fais savoir que je l’attends dehors. Je remercie Marlène de son hospitalité et quitte cette maison. Une tristesse sans nom me foudroie sur place. Tous ces mots odieux s’entrechoquent dans ma tête, répandant en moi l’envie irrépressible de retourner sur mes pas, pour lui dire tout ce qui me traverse l’esprit.

Arrivées devant chez mes parents, Lexi me serre contre elle. Ce simple geste me donne le courage de tout lui révéler. Remontée contre Kyle après mes brèves explications, mon amie décide de riposter. Elle essaie bien de me soutirer plus de détails, mais pour l’instant, je me sens juste vide et je n’ai aucune envie de ressasser cet horrible moment. Compatissante, Lexi pose une main sur mon épaule, et promet de m’appeler très vite.

La porte d’entrée à peine franchie, je prétexte un mal de tête et m’enferme dans ma chambre. En fin de compte, ce que je redoutais le plus me frappe en plein cœur. En allant chez Kyle, j’espérais l’entendre dire qu’il me voulait moi et moi seule, malheureusement mes sentiments sont à sens unique. Rien ne s’est passé comme prévu, je suis cruellement déçue et maintenant, le chagrin étreint mon être.

Tout au fond de moi je le sais, ma façon de réagir est folle, on ne se connaît même pas ; pourtant j’ai l’impression de l’avoir attendu depuis une éternité. Cette attirance a beau être insensée, elle va surtout me rendre dingue !  

Je passe la fin de l’après-midi entre larmes, colère et incompréhension. Ma mère frappe doucement à la porte de ma chambre. Elle m’amène un plateau-repas. Je n’ai aucune envie qu’elle s’en aille, alors j’ouvre le battant. Mes yeux gonflés lui indiquent le déroulement de ma journée. Sans un mot, elle entre et me prend dans ses bras, me console, me caresse les cheveux, m’apaise en m’offrant son amour maternel empli de douceur. Je reste lové entre ses bras, m’imprégnant de son odeur réconfortante. Respectant mon silence, elle me laisse seule à la tombée de la nuit. Je me sens un peu mieux, mais m’endors épuisée d’avoir tant pleuré.

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Après une nuit agitée, je me lève avec un mal de tête impressionnant et le moral au plus bas. Je voudrais accélérer le temps pour que cette journée soit terminée, oubliée, effacée, mais la vie n’est pas toujours juste.

Debout dans la cuisine, j’apprécie la tranquillité du moment en buvant un verre de thé glacé. La sonnette d’entrée retentit, mon père se dévoue pour aller ouvrir. J’avale de travers, en apercevant par la fenêtre Marlène et sa famille traverser le jardin. Ils sont les premiers à arriver, et pour être franche j’aurais largement préféré ne pas les voir. L’expression de Kyle est presque comique tant il est mal à l’aise, tant mieux, je ne serai pas la seule à ne pas me sentir bien. Pour m’occuper l’esprit et éviter de le croiser, j’aide mes parents aux derniers préparatifs, bloquant le plus possible mes émotions dès qu’il est à proximité.

La fête bat son plein et tous les convives semblent profiter de cette splendide journée. Je parviens à plaisanter et même à rire lorsque c’est nécessaire. Je danse quand on m’entraîne sur la piste et parle à chacun des invités, à l’exception de cet abject individu.

Pour couronner le tout, ma mère, croyant me faire plaisir, installe Kyle en face de moi pour le déjeuner. Malgré la distance qui nous sépare, son regard se pose régulièrement sur moi. Tout au long du repas, je me focalise sur les autres convives ; mais gênée par sa présence, je ne comprends les conversations qu’à moitié. La scène, comme un leitmotiv, repasse en boucle dans ma tête. La brûlure de ses baisers, son corps contre le mien, son odeur sur ma peau… Et tous ses mots toxiques et dégradants qui ont été si douloureux à entendre.

Je ne m’abaisserai pas à lui montrer le mal qu’il m’a fait ! Je me concentre, redresse les épaules et affiche un sourire factice, néanmoins efficace, pour oublier qu’il a brisé mes rêves et mon cœur de midinette ! Bien trop occupés par leurs devoirs d’hôtes, mes parents ne s’aperçoivent de rien. Je fais semblant de m’amuser. Jusqu’à ce qu’ils s’en aillent tous, surtout LUI.

La journée touche à sa fin. Épuisée nerveusement, je tombe le masque. Je monte dans ma chambre, me roule en boule pour me laisser aller à mon mal-être et enfin accepter l’évidence. Ce garçon n’est pas celui que j’avais imaginé.

**

Septembre

Me voici à la veille de la rentrée universitaire. Sans nous consulter, Lexi et moi avons choisi, à un cours près, les mêmes options. Moins d’une semaine est passée depuis le fameux repas. Mon père a très vite trouvé ses marques et apprécie de travailler avec Mike. Ma mère a commencé une nouvelle histoire. De mon côté, j’essaie de ne plus ressasser ses paroles minables et cruelles. Quand il nous arrive d’en parler, mon amie m’avoue avoir un plan.

Pour nous changer les idées, Lexi m’a proposé une journée entre filles. Nous voilà parties pour le vaste centre commercial. Il se trouve en périphérie de Demon River et possède une multitude de boutiques aussi diverses que variées. J’ai très envie de m’acheter des vêtements, d’aller chez le coiffeur, de me prendre cette paire de bottes noire et sexy, que j’ai repérée sur le site d’un des magasins. Nous traversons la ville sans nous presser, la musique se déverse dans la voiture, nous chantons à tue-tête, galvanisées par cette sortie. Nous essayons robes, tee-shirts, jeans, chemises, pulls ; les paquets deviennent rapidement encombrants. Je m’offre les bottes qui me plaisent tant. Arrivée chez le coiffeur, j’opte pour une coupe plus pratique. Mes cheveux m’arrivent désormais jusqu’aux épaules, le lisseur fait de moi une toute nouvelle Anna, et ça me fait un bien fou !

Deux heures plus tard, nous voilà assises à la table d’un Starbucks, savourant un Macchiato.

—  J’adore la nouvelle Anna, ton nouveau look est trop top ! s’exclame Lexi d’un air ravi.

C’est elle qui dit ça ? Avec son corps de danseuse, sa chevelure ébène qui lui tombe jusqu’à la taille et ses beaux yeux d’obsidienne, elle ne passe pas inaperçue.

— C’est gentil.

—  Oh, j’allais oublier. J’ai une surprise pour toi, me dit-elle en touillant sa boisson chaude. Regarde ce que je réserve à cet enfoiré.

Elle sort son portable et fait défiler des images. Une photo de Kyle apparaît sur une affiche luttant contre les MST. On peut y lire : « Depuis que j’ai eu ma MST, j’ai décidé de prévenir les jeunes des dangers que peuvent entraîner des rapports non protégés… » Une autre vante les mérites des menottes et d’un fouet pour des pratiques sexuelles de domination. Une autre encore le représente habillé en drag-queen sur une scène de cabaret, un micro à la main en train de chanter.

J’en reste bouche bée.

— Oh ! c’est un peu excessif, non ?

Elle compte sur ses doigts.

— Laisse-moi réfléchir. Premièrement : il t’accueille comme s’il ne t’avait jamais vue. Remarque, il n’a rien fait de plus que de te peloter et t’amener jusqu’à l’orgasme ! Ça ne veut rien dire évidemment, m’explique-t-elle d’un ton ironique. Ce mec est soit un gros nul, soit un débile profond, enfin c’est mon avis. Mais, peu importe.

Elle marque une pause, les yeux plissés, en pleine méditation.

— Deuxièmement, il propose très gentiment d’organiser un plan à trois, avec moi, dois-je le préciser.

Une main levée devant elle, doigts écartés, elle commence à examiner ses ongles.

— J’allais oublier le meilleur. Prendre ta virginité contre un mur, comme si c’était une corvée dont il fallait se débarrasser au plus vite et non l’un des moments les plus délicats dans la vie d’une femme. Cette petite vengeance est juste un en-cas. Maintenant, passons aux choses sérieuses : le plat de résistance, et je te conseille de t’accrocher, est juste parfait.

Attrapant son téléphone, elle tape à une vitesse hallucinante sur les touches et le tourne vers moi. La page affiche un site de rencontres. La photo de Kyle, avec un profil très complet, apparaît sur l’écran. Je reste perplexe.

— Quand je l’aurai finalisé, reprend-elle, il ne pourra pas se désinscrire. Tu ne l’as peut-être pas remarqué, mais j’ai ouvert ce compte avec mes coordonnées. Regarde, j’ai mis en évidence son numéro de téléphone.

Elle prend un air de conspirateur.

—J’ai sous-entendu qu’il était probablement le cousin de Justin Bieber. Perso, je n’aimerais pas être à sa place. Ça va se répandre comme une traînée de poudre et dans la foulée, il va crouler sous les appels.

Ça m’attriste d’en arriver là, et pourtant, je trouve cette idée follement amusante ! je rigole juste à l’idée de la tête qu’il fera.

— Oh, j’allais oublier, à partir de lundi, tu prends soin de toi. Coiffure parfaite, maquillage impeccable, look ravageur. Tu vois le genre. C’est comme si tu lui disais : « Tu as voulu jouer au con, mon coco, alors, mate-moi ça ! Mais c’est tout ce que tu auras, sale petit pervers ! »

Elle s’empare de son portable et fait défiler ses contacts avant de s’arrêter sur celui d’un gars.

— Je te présente ton nouveau flirt, Mark. Il est beau, attirant, intelligent et gay. C’est un très bon ami à moi. Et si tu le demandes, il est ravi de te rendre ce service. Surtout qu’il m’en doit un. Des questions ?

Je saisis mon breuvage en considérant Lexi d’un air admiratif. Je ne sais pas si je dois me sentir coupable de participer à cette mascarade, ou soulagée de reprendre le dessus dans cette histoire, mais je ne m’opposerai pas à la petite vengeance de mon amie. Après tout, on peut être trois à s’amuser à ce jeu-là ! Quant à un flirt fictif avec le fameux Mark, je ne sais pas ce que ça donnera. Néanmoins, ça me permettra, pour un temps, de ne pas être draguée par des gars similaires !

— Je trinque à ton esprit diabolique et à ton manque d’équité.

Dans un grand sourire, Lexi choque son gobelet contre le mien.

— Tchin !