Annyaëlle plissa les yeux, la tête lourde. Elle avait l’impression que son esprit flottait dans un océan de brume sans pour autant parvenir à améliorer la netteté de sa vision. Elle fit un nouveau pas en avant, mais son équilibre était profondément affecté et tout semblait tourner autour de la jeune fille. Le couloir qu’elle traversait n’était qu’un espace sombre aux contours indéfinis, et le mur de pierre, auquel elle s’agrippait pour ne pas tomber, semblable à de la glace pure. Quelque part dans sa mémoire, l’endroit lui rappelait vaguement quelque chose, mais elle ne parvenait pas à se concentrer suffisamment sur cette intuition pour le reconnaître.
À l’autre extrémité du couloir, une voix semblait murmurer son nom. Sa perception du temps s’étira, hasardeuse, mais il sembla à Annyaëlle qu’il s’était écoulé des heures avant qu’elle n’atteigne enfin une porte entrouverte d’où s’échappait une lumière vacillante. Elle poussa faiblement le battant de bois et fut aussitôt accueillie par une intonation féminine.
— Où étais-tu ?
Annyaëlle cligna plusieurs fois des yeux, incapable de reconnaître la femme face à elle.
— Où étais-tu ? répéta la voix, plus pressante. Où étais-tu !
La femme s’approcha un peu plus, la peur dans sa voix laissant progressivement la place à la colère. Annyaëlle recula, confuse, jusqu’à ce que les traits de l’inconnue se précisent enfin.
— Tali ?
Ses mots lui avaient à peine échappé que la pièce se mit à tourner violemment. La femme disparut de son champ de vision et elle perdit l’équilibre, agitant chaotiquement ses bras pour tenter d’empêcher sa chute. Un haut-le-cœur comprima sa poitrine de douleur, puis, quand elle ne l’espérait plus, le sol redevint enfin tangible.
Annyaëlle releva la tête, encore étourdie, et dévisagea involontairement l’inconnu qui l’avait rattrapé de justesse. Elle sursauta au contact d’une main sur son deuxième bras, et d’une troisième, jusqu’à ce qu’elle soit encerclée par des dizaines d’étrangers qui semblaient tous vouloir la relever en même temps. Elle tenta de refouler la panique qui menaçait de la submerger et de s’écarter d’eux, en vain. Tous les visages étaient braqués sur Annyaëlle et elle voyait leurs traits se déformer sous le coup des paroles silencieuses qu’ils déversaient sur elle. Et soudain, le son revint.
— Toi ! C’est toi !
— Ça aurait dû être toi !
— Où étais-tu ? Regarde ce que tu as fait !
— C’est toi ! Ça aurait dû être toi !
— Tout ça est de ta faute !
Les inconnus hurlaient à ses oreilles sans qu’elle ne puisse rien faire pour leur échapper. Annyaëlle aurait voulu leur dire qu’elle ne savait pas, qu’elle n’y était pour rien, mais aucun mot ne sortait de sa bouche. Elle aurait voulu les repousser, les faire taire, avoir une prise sur ce qu’il se passait. La jeune fille était aussi bien tétanisée par la peur que par la culpabilité qui l’enveloppait peu à peu. Elle vacilla et la pièce se mit à tourner de nouveau, d’une vitesse toujours plus démesurée. Annyaëlle cessa de se débattre pour se laisser sombrer, impuissante. Elle aurait voulu être n’importe où, mais ailleurs, et c’est ce qui se produisit. Tout s’évapora autour d’elle. Elle se retrouva seule, planant dans un espace sans fin, sans relief, sans perceptions.
Le soulagement qui l’étreignit ne dura qu’un instant, puis elle tomba dans le vide. Sa chute était sans fin, comme une éternité de vertige, jusqu’à ce qu’elle finisse par perdre connaissance.
Annyaëlle se redressa brusquement sur son cheval. Elle avait dû s’assoupir et ce moment d’inattention avait failli la faire tomber de sa monture. Ses mains s’agrippèrent fermement à la scelle tandis qu’elle finissait de reprendre ses esprits, encore profondément perturbée par le cauchemar qu’elle venait de vivre. Lorsqu’elle releva les yeux, elle surprit Kaärna qui l’observait de biais et lui lança un regard noir. Elle ne supportait plus d’être constamment surveillée par cette Ombre à l’attitude froide et hautaine. Pas aujourd’hui. Annyaëlle était bourrue de fatigue, mais ce n’était pas seulement dû à la pénibilité de leur voyage. Depuis qu’une Ombre leur avait rapporté l’accident survenu la nuit de son départ elle ne dormait presque plus, constamment assaillie par le même genre de rêves. Elle avait beau retourner les événements encore et encore elle n’arrivait pas à comprendre pourquoi on avait voulu l’assassiner ce soir-là. D’accord, elle était la princesse héritière du Royaume de Carreau, mais elle s’apprêtait à perdre ce titre en intégrant la Confrérie de la Lune, alors à quoi bon la supprimer maintenant ? Pour empêcher les perspectives d’alliances entre son royaume et celui de Cœur ? Même chose, son départ devait ravir tous ceux qui étaient contre. À cause de son Affinité ? L’idée lui semblait ridicule. Elle avait grandi autour des prêtres de l’Église Indicible, entendant constamment quel privilège les Divinités lui avaient accordé en recevant un tel don. Mais elle n’était pas stupide, si on l’avait autant protégé durant son enfance, c’était probablement parce que tous n’étaient pas de cet avis.
Annyaëlle soupira. Rien de tout ceci n’avait de sens, et pourtant la reine avait fait en sorte de précipiter son départ. Elle n’avait fourni aucune explication, mais avait bien précisé que personne ne devait être mis au courant, pas même son père, le roi. Annyaëlle se mordit la lèvre, se demandant si l’accident n’était pas en partie de sa faute. Après tout, Tali ne se serait sans doute jamais trouvée dans ses appartements si elle ne l’avait pas informée de son départ, alors qu’elle était censée partir en secret.
J'ai toujours eu une affection toute particulière pour les passages de rêves dans les histoires, celui-ci n'y fait pas exception !
Petites corrections :
- "sans pour autant parvenir à améliorer" : Annyaëlle se sent flotter dans un "océan de brume", le "pour autant" est inutile puisqu'il indiquerait une contradiction entre deux notions ce qui n'est pas le cas ici (de toute évidence, on ne voit pas clair dans le brouillard)
- "et le mur de pierre, auquel elle s’agrippait pour ne pas tomber, semblable à de la glace pure." => après relecture de la phrase, on se rend bien compte que tu utilises le verbe "être" du fragment qui précède celui que je cite, cependant il y a un petit problème de syntaxe : on ne peut pas reprendre un verbe par procuration sous forme affirmative s'il est préalablement utilisé avec une négation (je ne sais pas si mon explication est claire haha, n'hésite pas à me dire si tu veux que je m'exprime autrement)
- "agitant chaotiquement" => la formulation est correcte, pas de problème de ce côté là, je voudrais surtout mettre le doigt sur le ressenti du lecteur : c'est stupide de ma part mais je m'imagine une sorte de personnage de cartoon qui agite les bras dans tous les sens exagérément x) Peut-être que "tenta vainement de se rattraper" ou autre équivalent serait suffisant ?
- quelques répétitions : "puis" et les verbes "sembler", "tomber", "tourner"
- "La jeune fille était aussi bien tétanisée par la peur" => "bien" est inutile
- "tandis qu’elle finissait de reprendre ses esprits" => "tandis qu'elle reprenait ses esprits" allègerait la phrase.
- "était bourrue de fatigue" => était fourbue (bourrue de fatigue n'existe pas, je crois) et dans cette expression "fatigue" n'est pas utile car le mot "fourbu" se suffit à lui-même
Comme d'habitude, mes corrections (utiles ou non, seule toi le sauras haha) n'indiquent en aucun cas que ton histoire ne me plaît pas ! :))
Merci pour ton commentaire et tes corrections ! Oui je comprends ce que tu veux dire, mais je n'y aurais pas pensé par moi-même xD
Je note précieusement tout ça pour ma prochaine réécriture ! En tout merci beaucoup de prendre le temps de mettre autant de précisions !!
L'histoire avance peu à peu, j'espère que tu continueras à suivre ses aventures :)
Voilà un chapitre qui réveil ma curiosité concernant la mère d'Annyaëlle et ses choix. Je pense pas qu'on aura les réponses de si tôt, mais j'ai hâte de découvrir la vérité ! Peut-être que c'est en rapport avec son pouvoir. Je ne crois pas qu'il a été précisé en quoi il consistait exactement (et si c'est la cas j'ai dû oublié désolée :x ) ou bien l'Eglise n'est en réalité pas aussi bienveillante ? Bon, on verra bien !
J'ai mis du temps à comprendre que c'était un rêve, jusqu'à ce qu'elle se réveille x) On peut dire que je partageais la confusion d'Annyaëlle au début. Je pensais qu'elle était arrivée chez les Ombres et que des gens l'avaient reconnue (oui je suis pas très maligne x) )
Sur ce, je m'en vais lire la suite !
Non en effet, on ne sait pas encore en quoi l'Affinité d'Annya consiste ! Mais ça arrive doucement ;)
Et bien tant mieux, je voulais qu'on soit aussi confus qu'elle (même si je ne sais pas si c'est réellement une bonne chose pour le lecteur ^^')
Merci et bonne lecture !