Chapitre 13 - Charlie

Le repas du midi avait été en famille, juste avant que chacun aille vaquer à ses occupations.

Comme toujours, Clint me jugeait toujours du coin du regard. Il n’arrivait pas à digérer nos dernières conversations. Et désormais, il attendait probablement le moment où il pourrait me dire « j’avais raison » avec tout sa fierté et son ego. Malheureusement pour lui, je savais qu’il regretterait bien vite de ne pas avoir fait preuve d’un peu plus d’humanité.

De retour dans ma chambre, j’avais brièvement préparé mon sac avec le nécessaire. Autrement dit mes clés, mon portefeuille, mon téléphone et sa batterie externe. Puis j’avais quitté la maison sans que personne ne me fasse de remarque. J’avais toujours été assez libre sur mes déplacements. Généralement, il suffisait juste que j’annonce si je rentrais le soir pour manger ou non, mais rien de plus. On me demandait même très peu ce que je faisais. Parfois, on s’informait juste sur mes amis et voir s’ils allaient bien. Un comportement tout à fait sain en soit.

Je traversai discrètement le jardin des Van Rossem pour rentrer dans la maisonnette. Kayla et Blaine étaient dans les derniers préparatifs.

Elle avait attaché ses longs cheveux bruns en un chignon assez simplet. Elle s’était également un peu maquillée, elle avait tenté de faire un eye-liner mais à en voir le tracé hésitant, elle ne devait pas y être très habituée. Elle avait également mis une simple robe noire et un collant gris assez épais.

Quant à Blaine, il avait un look assez sobre et assez noir : chemise noire, pull noir et jean bleu marine. Ses cheveux étaient, comme d’habitude, coiffés légèrement en arrière.

Quand nos regards se croisèrent, il m’adressa un petit sourire que je lui rendais immédiatement.

Kayla m’indiqua qu’on avait une heure et demie de route, ce qui n’était pas si long que ça dans le fond, mais que si j’avais besoin de quelque chose, c’était maintenant.

— J'ai mon téléphone et une batterie externe, la rassurai-je.

— Parfait ! Je vais m’installer dans la voiture ! À moi la place devant !

Elle quitta immédiatement la maisonnette, comme si elle craignait qu’on lui vole sa place. En réalité, elle voulait probablement me laisser Blaine et moi seuls.

Il enfila son long manteau noir.

— Tu as eu le temps de réfléchir depuis la dernière fois ? osai-je lui demander.

Il tourna son regard vers moi. Ses yeux étaient vraiment adorables et en même temps, je voyais à quel point il était perdu. Je ne pus m’empêcher de prendre une longue inspiration à la vue de cette mine.

— Pas vraiment. Je sais pas trop... Et toi ?

— Un peu oui. Mais je préférerais que tu sois un peu plus sûr de ton côté.

— Comment ça ?

— Prends le temps qu’il te faut. Pour l’instant, on va juste profiter de cet après-midi comme des amis.

Je me trahissais déjà en disant le mot « ami ». Je n’y croyais même pas. Et c’était peut-être en le prononçant ainsi que je vis à quel point c’était clair. Je n’avais pas envie de lui comme d’un ami. Certes, j’avais encore beaucoup de choses à apprendre de lui pour envisager plus. Mais ce que je savais déjà me satisfaisait amplement et était suffisant pour que je m’accroche à lui.

Pour une fois, je n’avais pas besoin de prétendre et cette sensation m’avait manqué depuis mon départ de France.

 

*

 

— Alors, soit je vous propose ma playlist de musiques, soit un stupide jeu à base de « j’ai déjà » et « j’ai jamais », lança Kayla alors que ça ne faisait qu’une dizaine de minutes que nous étions partis.

— S’il faut lever la main, je ne vais pas pouvoir participer à ce jeu, rétorqua son frère.

— On fait tout à l’oral enfin !

— Je sens que je vais me faire soutirer stupidement des informations...

Kayla et moi échangeâmes un bref regard tout en riant. Je vis à travers le rétroviseur que Blaine levait les yeux au ciel et malheureusement pour lui, ce n’était que le début de l’après-midi.

— Je commence. J’ai déjà touché à la drogue.

— Sérieusement ? Tu commences par ça ? la sermonna gentiment son frère.

— Bah pourquoi pas ? Alors frérot, drogue ou pas drogue ?

— J'ai déjà touché à la drogue, finit-il par avouer.

Les yeux de sa sœur s’écarquillèrent et je me penchai vers eux, posant chacune de mes mains sur chacun de leur dossier.

— Ne t’en fais pas. C’était juste un joint une fois. Rien de bien extraordinaire.

— J'ai vraiment cru que tu allais me sortir l’alcool. Je suis assez impressionnée !

Elle se tourna vers moi, tout sourire.

— Et toi Charlie ? Drogue ou pas drogue ?

— J’ai déjà touché à la drogue aussi.

— Un joint en soirée aussi ?

— Nope.

Les sourcils de mon interlocutrice se levèrent et elle espérait probablement avoir plus de détails sur mes expériences.

— Cocaïne ? tenta-t-elle en plissant son regard.

— J'en ai testé quelques-unes mais pas celle-ci.

Avant même qu’elle ne puisse me poser d’autres questions :

— Comme c’est pas action ou vérité, j’en lance un autre : j’ai déjà embrassé toutes les personnes présentes à une soirée.

— J'ai cru en voir un aperçu de ça il y a quelques jours, plaisanta Blaine en laissant échapper un petit rire.

Je vis son sourire se dessiner et je devais avouer que je le trouvais terriblement séduisant avec cette expression sur son visage.

— En attendant, ça ne répond pas à la question, le réprimandai-je gentiment.

— Je ne l’ai jamais fait, répondit-il simplement.

— Moi non plus, ajouta sa sœur.

Je les regardais à tour de rôle et je ne pouvais m’empêcher de sourire fièrement, ce qui semblait bien les amuser.

— J'ai déjà abandonné des études, me proposa Blaine.

Je ne pus m’empêcher d’être assez surprise face à cette affirmation. Immédiatement, Kayla répondit par la négative et je fis de même.

— Tu avais commencé quoi comme études ? m’enquis-je.

— Du droit. Mon père avait quelques ambitions pour moi dans ce domaine, soit pour représenter la boutique, soit pour lui-même. Mais j’ai abandonné parce que ça ne me correspondait pas...

— Parce que tu as toujours plus été quelqu’un d’artistique, compléta sa sœur. Mais notre père n’a jamais voulu le comprendre...

— Quel genre d’art ? demandai-je, peut-être un peu trop surexcitée par sa réponse.

— De la peinture surtout. Mais aussi pas mal de dessins. Ça fait quelques années que je n’ai pas ressorti le moindre carnet...

Son visage transmettait à la perfection la peine et la douleur derrière ses mots. Malheureusement, ses envies avaient été brusquées par sa famille.

— J’aurais bien voulu savoir dessiner, lâchai-je simplement.

— Tu sais que ça s’apprend ?

— Il me faudrait un professeur dans ce cas...

Il détourna brièvement son regard de la route pour m’adresser un sourire. Je le lui rendis aussitôt. Nous n’avions pas échangé le moindre mot, mais c’était suffisant pour nous comprendre. Nous avions désormais le meilleur des prétextes pour nous revoir...

 

*

 

En milieu d’après-midi, nous arrivâmes à destination. Je n’étais jamais venu ici et pourtant, j’en avais plusieurs fois entendu parler. Je fus immédiatement subjuguée par ces montagnes russes qui longeaient directement la route et donnaient vues sur la plage.

Blaine entreprit alors de trouver une place, cherchant un parking aux alentours.

Je vérifiai rapidement mes messages sur mon téléphone, juste pour m’assurer que tout allait bien pour tout le monde. Il n’y avait qu’un message de Sydney qui datait d’une dizaine de minutes. Je l’ouvris aussitôt.

« Tu avais raison. J’ai parlé avec Blaine. J’ai compris beaucoup de choses et je crois que je peux désormais avancer. Je crois que c’était plus simple pour moi de le considérer comme responsable de la mort de Wade, que j’arriverais mieux à vivre sa mort et l’accepter ainsi. Mais ce n’est pas la haine qui me fera avancer. Au contraire. »

Son message me fit sourire. C’était peut-être pas grand-chose, mais je savais qu’elle venait de faire un des pas les plus compliqués pour avancer. Je savais à quel point les émotions négatives étaient confortables et qu’on peinait à s’en détacher, mais lorsque c’était enfin le cas, on était enfin libres et bientôt nos pires démons partiront d’eux-mêmes.

Je lui répondis rapidement alors que Blaine était en train de se garer :

« Je suis ravie que tu abandonnes la haine et que tu aies pu discuter avec lui. Vous en aviez tous les deux besoin. J’espère que tu continueras dans cette voie. »

Mon regard se posa sur Blaine qui échangeait quelques taquineries avec sa sœur. J’avais terriblement envie de me confier à Sydney que ce qui se passait dans ma vie, mais il était peut-être encore trop tôt. Malheureusement, je n’avais personne à qui en parler sans que je sois directement jugée. Et puis, Blaine avait encore besoin de recul sur la situation.

Depuis la voiture, nous avions quelques minutes de marche. Heureusement, le lieu n’était pas si rempli que ça. Probablement à cause des fêtes.

Dès qu’on entra dans la fête foraine, Kayla s’extasia sur les barbes à papa et commença à se comporter comme une enfant devant le stand.

— Bon, je suppose qu’on n’a pas vraiment le choix, soupira son frère, un sourire en coin.

Kayla fut alors ravie de se retrouver avec une barbe à papa très encombrante dans les mains. Elle nous en proposa un peu à tour de rôle et je me contentai d’une simple bouchée.

Nous marchâmes quelques minutes, prenant connaissance des lieux et découvrant chacune des attractions. Kayla n’hésita pas à faire quelques remarques à tout ce qui passait sous ses yeux.

Elle avait bien entamé sa barbe à papa quand elle s’arrêta devant plusieurs machines à pince.

— Voilà où je vais passer toute mon après-midi ! nous annonça-t-elle, un énorme sourire jusqu’aux joues.

— Tu es sûre ? Parce que tu vas y perdre tout ton argent.

Elle arqua un sourcil comme pour défier son frère puis elle lui pointa du doigt une petite peluche de léopard.

— Je ferais n’importe quoi pour Gideon.

— Ne me dis pas que tu viens d’appeler cette peluche comme ton crush en primaire !

Je ne pus m’empêcher de rire. J’ignorais à quel point ils étaient sérieux, mais c’était beaucoup trop amusant pour ne pas réagir.

— Hé ! On avait dit que les secrets confiés dans la Confrérie des frites restaient entre frites, le réprimanda-t-elle faussement indignée.

— Très bien ! On va te laisser avec « Gideon » et on va se trouver autre chose à faire pendant ce temps.

Elle nous adressa un sourire malin, un peu trop malin pour être innocent. Peut-être que son coup des machines à pince était totalement calculé pour nous laisser un peu de temps en tête à tête. Et je n’allais pas m’en plaindre.

Nous nous éloignâmes d’elle et continuâmes notre marche.

— Des envies particulières ? me demanda-t-il.

— On verra bien en marchant.

Nous échangeâmes un bref sourire. Je sentais un peu de gêne sur son visage. Visiblement, il n’était pas encore au clair quant à nous deux et je ne pouvais pas lui en vouloir. Il avait encore beaucoup à gérer de son côté.

— On pourrait peut-être trouver quelque chose de calme ? me proposa-t-il.

— Donc on abandonne cette maison d’horreur ?

Il fixa à son tour l’attraction et à en voir l’expression sur son visage, il envisageait désormais cette possibilité. Il ne m'en fallut pas plus pour lui prendre la main et l'entraîner dans la queue. Je relâchai aussitôt sa main, regrettant un peu cette soudaine spontanéité. Il ne semblait pas en tenir rigueur et, tant mieux, j'éviterais de me lamenter pendant des heures à cause d'un truc aussi stupide que ça.

— Je crois que nos parents nous tueraient s’ils savaient qu’on passe ce genre de moments ensemble, lança-t-il d’une voix grave.

Je le regardais et aperçus toute la douleur dans son regard, et même le conflit qui l’animait.

— Je crois aussi... On a déjà franchi les limites en nous adressant la parole. Je vois pas pourquoi on devrait écouter et suivre les diktats de nos familles... mais en même temps, ils ne nous laissent pas le choix.

Aux yeux de nos familles respectives, nous étions probablement en train de commettre un bien pire crime qu’un meurtre. Pour eux, c’était inenvisageable d’aller d’au-delà de ces conflits et de pardonner. Et depuis mon voyage, j’avais appris le pouvoir du pardon et à quel point il pouvait être salvateur. Je l’avais d’abord appliqué pour moi-même, et désormais, je cherchais du bon chez tout le monde, parce qu’il y avait toujours une étincelle quelque part.

Il n’eut pas le temps de répondre que ce fut à notre tour d’embarquer. Nous montâmes sur un petit chariot rien que pour nous deux. L’espace était suffisamment grand pour qu’on ne puisse même pas se frôler et j’ignorais si j’aurais préféré que ce soit le cas ou non.

L’attraction commença assez rapidement et nous passâmes de salle en salle avec une ambiance assez lugubre. Mais rien de bien impressionnant. Il y eut quelques surprises dont une réussit à effrayer Blaine et je ne pus m’empêcher de rire à sa peur passagère.

— Hé ! C’est pas drôle ! Il avait une sale gueule ce fantôme ! me réprimanda-t-il en souriant.

Je me contentai de sourire à mon tour. L’air sur son visage était si doux et naïf que c’était adorable à voir. Et ce fut comme ça que je fus piégée à mon tour par un fantôme. Je manquai de m’écrouler sur lui mais me retins au dernier moment. J’aurais presque eu honte d’avoir été un tel cliché sur pattes.

— Alors c’est toujours aussi drôle ? me provoqua-t-il.

— Totalement ! Oui ! répondis-je en peinant à articuler à cause de mes rires.

Il leva les yeux au ciel faussement indigné et je ne pus m’empêcher de rire de plus belle. Nous agissions comme de réels gamins et c’était si relaxant. Parce que nous étions juste de jeunes adultes qui profitaient du moment présent. Et c’est ce que nous aurions dû faire depuis toujours...

En sortant de l’attraction, on reprit notre marche. Nous nous remémorions tous les moments de l’attraction et chacun d’entre nous, par pure fierté, ne voulait pas reconnaître qu’on avait eu quelques frayeurs.

Je lui proposai alors de nous arrêter pour prendre quelque chose à boire et il me suivit. Ce ne fut qu’un bref détour avant que nous continuâmes notre périple.

— S’il n’y avait pas nos familles, ce serait tellement plus simple... On n’aurait pas besoin de se cacher.

Je me tournai vers lui, l’air triste.

— C’est ce qui me bloque quand je réfléchis à nous deux.

— Je suis déjà amie avec ta sœur et je resterai ton amie quoi qu’il arrive. Alors, je devrais toujours me cacher. Y a pas grand-chose qui changerait... Juste que j’aimerais avoir plus.

Il s’arrêta et se tourna vers moi.

— Moi aussi.

Je m’emparai de ses mains et les serrai dans les miennes.

— Mais on se ferait tuer, ajouta-t-il à demi-voix. Je suis sûr que jamais mon père ne laisserait passer ça. Déjà qu’il n’a pas vraiment d’estime pour moi, il penserait que je fais ça juste pour le provoquer...

— Et mes parents seraient extrêmement déçus...

— On n’est pas suffisamment indépendant de nos familles pour s’en sortir.

— On peut le devenir.

La situation aurait pu être simple pour beaucoup de personnes. On avait envie l’un de l’autre et c’était suffisant pour tout braver. Mais nous avions eu moult exemples dans notre jeunesse que l’amour n’était jamais suffisant. L’argent avait toujours eu bien plus de valeur.

— J’ai déjà franchi la limite que ma famille m’interdisant tant, ajout ai-je simplement. Mais je comprendrais que tu te retires totalement...

Il prit mon visage entre ses mains et plongea son regard dans le mien.

— Je l’ai déjà franchi cette limite. J’en paierai le prix un autre jour.

Il approcha ses lèvres des miennes et j’y plaquai délicatement les miennes. Mes mains se posèrent naturellement sur ses épaules et je profitai de chaque instant, comme si j’étais en manque de cette sensation.

— Tu as raison, ça change pas grand-chose dans le fond, affirma-t-il. On vivrait caché quoi qu’il arrive. Parce que je ne veux pas que tu partes de ma vie.

— Moi non plus...

Je me lovai dans ses bras et posai ma tête sur son torse. Nous restâmes de longues secondes ainsi et quelques larmes m’échappèrent. Je n’étais pas triste pour nous, mais pour nos familles qui s’étaient enfermées dans un stupide conflit destructeur.

— Je sais pas comment tu fais, mais je me sens en sécurité avec toi, lança-t-il d’une douce voix.

— Je ne sais pas. Mais c’est réciproque.

Il caressa délicatement ma chevelure et j’enfonçai ma tête sur son torse. J’entendis alors les lourds battements de son cœur. Ils étaient assez rapides, mais pas trop non plus. Puis je sentis son souffle sur le haut de ma tête et j’aurais pu rester ainsi pendant des heures. Je me sentais si bien dans ses bras.

— Nos familles ignorent plein de choses à notre sujet, pourquoi ils découvriraient ça ? demanda-t-il innocemment.

Je le levai ma tête vers lui. Il y avait un sourire confiant sur son visage et il marquait un point. Je pouvais lister tout un tas de choses que mes parents ignoraient, alors pourquoi une relation avec Blaine serait-elle différente ? Peut-être que c’était naïf, mais j’y croyais.

C’était peut-être complètement soudain et n’importe qui pourrait nous dire que ce n’était pas le vrai amour. Mais je me fichais du vrai amour. Je voulais juste ce moment, cette petite bulle de calme que nous partagions à deux.

On entreprit de retourner voir Kayla – qui avait probablement dû perdre une somme astronomique à son jeu. Durant notre trajet, j’osai prendre sa main et il se laissa faire en m’adressant un doux sourire. Quelques personnes nous regardaient, presque attendries. Et j’étais assez soulagée que nous étions si loin de chez nous. Au moins, on ne se croiserait aucune tête connue.

Au bout de quelques minutes, on tomba sur Kayla qui était pleinement concentrée sur sa machine. Même sans détourner son regard de son objectif, elle nous avait vus arriver.

— Alors qu’est-ce que vous avez fait ?

— Une maison hantée, répondis-je simplement.

— Oh je vois...

Elle posa enfin son regard sur nous et remarqua immédiatement nos mains entrelacées.

— Oh je vois ! s’exclama-t-elle de plus belle.

Instinctivement, je relâchai sa main pour croiser les bras tandis qu’il passa une main dans ses cheveux.

— Mais calmez-vous ! Faites ce que vous voulez et puis je vous trouve très mignons tous les deux.

— Tu sais que ça va être un problème avec nos familles ? lança-t-il, très inquiet.

— Notre famille est déjà un problème de base. Mis à part Ulric, personne n’a de valeurs aux yeux de notre père. On pourrait se faire virer pour l’avoir regardé de travers un jour ou l’autre, alors on n’est pas à ça près.

Au fur et à mesure, je découvrais à quel point leur famille était compliquée. Comme la mienne, ils prétendaient que tout était parfait et que tout allait bien. Mais ce n’était qu’une image. Une apparence qu’ils avaient façonnée au cours des années.

— Bon, j’ai toujours pas eu ma peluche. Je sens que je vais devoir abandonner et me faire à l’idée que jamais je ne l’aurais.

— Tu veux que j’essaie ? se proposa immédiatement son frère.

Elle lui laissa la place en lui indiquant qu’elle n’en attendait plus rien désormais. Il tenta alors de récupérer sa peluche préférée mais son échec fut assez rapide. Malheureusement, il y avait peu de chance de récupérer un quelconque lot à ce genre d’attractions.

Elle nous proposa de changer d’endroit et d’essayer autre chose. Immédiatement, son attention se porta une grande roue et elle accéléra sa marche en espérant qu’on la suive de près.

Pendant notre marche, Blaine me prit discrètement la main et nous échangeâmes un simple regard. A priori, sa sœur nous avait remarqués. Elle s’était brièvement tournée vers nous, sur le point de dire quelque chose mais elle s’était retenue en constatant nos petits regards.

Kayla nous devança à la grande roue et monta toute seule. Elle l’avait forcément fait exprès pour qu’on se retrouve encore une fois tous les deux.

— Je crois que ta sœur est une excellente entremetteuse, lui fis-je remarquer.

— Je n’en mettrai pas ma main à couper...

Sa petite tête sceptique était vraiment adorable à regarder.

Kayla avait deux nacelles d’avance lorsqu’on nous fit monter. On avait dû détacher nos mains quelques instants avant de les reprendre de plus belle une fois dans notre nacelle.

On s’éleva petit à petit et c’était assez impressionnant la vue de la ville qu’on pouvait découvrir.

D’ici on pouvait apercevoir toute la plage et le coucher de soleil était vraiment splendide. La mer prenait de douces couleurs violacées et rouges.

— C’est peut-être cliché, mais j’ai toujours adoré peindre les couchers de soleil, m’annonça-t-il.

Je me tournai vers lui. Ses yeux fixaient l’horizon et un léger sourire s’y dessina.

— Il y a tellement de couleurs qui s’y mélangent. On a autant de couleurs froides que de couleurs chaudes, elles se rencontrent, se superposent, se mélangent... C’est comme une danse, une bataille où finalement l’un des deux prend le dessus. Et au fond, on a l’horizon qui semble n’avoir aucune limite. Ça pourrait durer éternellement mais tant qu’on est pas là pour le voir, on n’en sait rien... Alors on suppose de quoi l’avenir sera fait demain.

Il se perdait dans son discours et je buvais toutes ses paroles. Il y avait une sensibilité dans sa manière de raconter qui me touchait beaucoup.

— J’ai toujours préféré le coucher au lever, ajouta-t-il en se tournant vers moi. J’avais l’impression que l’obscurité prenait le dessus, que la part obscure de ce monde se réveillait. Mais ça me donnait de l’espoir aussi. Parce qu’après un coucher, il y aura toujours un lever. Il suffit juste d’attendre...

Mes mains se posèrent sur son visage. Ses yeux s’étaient embués et je savais que ça avait dû remuer de lourds souvenirs de son vécu. Et ça le faisait aussi pour moi. J’avais eu tellement de moments où je n’espérais plus rien, où je pensais être condamnée, et aujourd’hui, je me rendais compte à quel point j’avais tort.

Mes lèvres se rapprochèrent naturellement des siennes et nous échangeâmes un long baiser alors que nous atteignions le sommet de la roue. Ses mains se glissèrent sur ma taille et je tentai de coller mon corps au sien du mieux que je pouvais.

Mes mains se perdirent dans ses cheveux et mes doigts filèrent entre les longues mèches. Mon dos se cambra un instant et je perdis pendant un bref moment ses lèvres que je retrouvai de plus belle.

J'eus un léger moment de frayeur lorsque la nacelle trembla et il me serra fermement contre lui pour me rassurer.

Je jetai un bref regard aux alentours, nous étions au sommet. La vue était toujours aussi éblouissante et je me concentrai sur les couleurs qui se présentaient à moi dans le ciel.

— Tu as raison... C'est vraiment magnifique, lâchai-je entre quelques souffles.

Je me tournai vers lui. Ses yeux brillaient intensément. Pour beaucoup de personnes, ils m'avaient dit que les yeux marron étaient plus fades que les autres. Aujourd'hui, je pouvais leur prouver le contraire, parce que ceux de Blaine étaient loin d'être fade quand il me regardait ainsi, au contraire.

Nous allions peut-être bien trop vite. Peut-être même que nous franchissions des limites sans penser aux conséquences. Peut-être que j'étais totalement inconsciente et naïve, comme mon cousin le pensait. Dans le fond, je l'avais toujours été. Mais là, je passais juste un moment intime avec quelqu'un qui me comprenait et qui m'aidait à me sentir en sécurité dans ce monde.

J'avais peur de perdre tous mes repères en quittant la France, de devoir de nouveau être confronté au jugement et à de multiples conflits sans sens. Je craignais aussi de perdre tout ce que j'avais pu y trouver là-bas : la confiance, la complicité avec d'autres êtres humains. Et je le retrouvais quand même ici, avec lui, avec sa soeur.

Peut-être que j'étais impulsive et inconsciente de vouloir juste profiter du moment présent et de foncer dans cette relation naissante... Peut-être que je finirai par le regretter, mais pas maintenant.

Alors, j'envoyai voler mes doutes en l'embrassant de nouveau. Je pris son visage fermement entre mes mains. Il répliqua de plus belle et posa une main sur ma cuisse pour me rapprocher de lui.

Nos visages restèrent à quelques centimètres l'un de l'autre, sans dire un mot. Notre regard se perdit dans celui de l'autre et nos mains s'entrelacèrent naturellement.

De nouveau, il y eut une légère vibration et cette fois-ci, j’en ris. Il me prit dans ses bras et je posai ma tête sur ses épaules, profitant encore un peu du paysage jusqu’à arriver sur le sol.

Dès qu’on sortit de la nacelle, on rejoignit Kayla, qui nous regardait avec un sourire en coin et un regard pétillant. C’était assez rassurant d’une certaine manière de voir que cette situation semblait l’amuser.

— Ça vous dit qu’on mange quelque chose, qu’on fasse un dernier tour et qu’on rentre ? proposa Blaine.

Kayla et moi échangeâmes un bref regard et en comprenant que nous étions sur la même longueur d’onde, nous acceptâmes.

Assez rapidement, nous trouvâmes un simple restaurant de burger qui donnait une vie plutôt satisfaisante sur la plage.

— Je vous ai vu tous les deux dans la grande roue, lança Kayla par pure provocation. Vraiment trop mignon...

Elle s’empara de son menu et fit comme si elle n’avait rien dit. Blaine et moi échangeâmes un regard assez gêné et il passa immédiatement sa main dans les cheveux. Visiblement, il faisait régulièrement ce geste alors qu’il était tout aussi adorable lorsque quelques mèches décoiffées tombaient sur son visage.

Entre temps, un serveur vint prendre notre commande entre temps et le choix fut assez rapide pour chacun d’entre nous.

Kayla nous lançait régulièrement des regards pleins de sous-entendus et je voyais bien qu’elle mourrait d’envie de parler de notre relation.

— Vous savez que vous pouvez vous tenir la main et que je ne dirais rien ?

On la regardait sans dire un mot.

— Profitez-en de devoir vraiment vous cacher. Au moins, ici personne ne nous connaît.

— On n’est pas non plus les personnes les plus connues de San Francisco, rétorqua son frère.

— C’est bien vrai, mais on ne sait jamais.

Malheureusement, ces quelques instants coupés de la réalité nous rattraperaient bientôt. Mais je savais qu’on trouverait une solution assez rapidement.

Si nos familles n’avaient pas été un frein jusqu’à aujourd’hui, nous pouvions facilement continuer dans cette voie...

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