Chapitre 14 - Blaine

Les jours qui suivirent notre virée à Santa Cruz furent tout aussi remplis, mais pour une tout autre raison. Les festivités de Noël approchaient à grands pas et toute la famille se devait d’aider aux préparatifs.

J’avais alors à peine eu le temps de revoir Charlie. Nous avions échangé quelques messages. Nous n’avions même pas eu le temps d’entrer dans de longues et profondes discussions. Néanmoins, prendre de ses nouvelles chaque jour était assez satisfaisant.

Parfois, je l’avais aperçue penchée sur sa fenêtre. On s’était échangé de timides regards en espérant que personne ne nous surprenne. Jamais je n’avais autant angoissé à l’idée de ne serait-ce que sourire à quelqu’un. À chaque fois que nous avions une petite interaction, je vérifiais plusieurs fois aux alentours que personne ne nous voit.

J’ignorais combien de temps je serais capable de tenir ainsi, mais je savais que j’appréciais déjà beaucoup trop cette fille pour l’abandonner par solution de facilité. Je ne saurais dire tout ce qu’elle m’apportait pour le moment, mais c’était probablement déjà beaucoup.

Alors que nous attendions tous la venue de mon cousin et de sa femme pour commencer le repas du réveillon, je passai brièvement dans la chambre de ma grand-mère. Elle était en pleine lecture d’un roman. Mais elle s’arrêta dès qu’elle croisa mon regard.

— Tu es vraiment très classe mon petit, me lança-t-elle en voyant ma tenue.

Je n’avais mis qu’un simple costard noir, une chemise blanche et une cravate noire. Il n’y avait rien de plus classique que ce genre de tenue.

Quant à elle, elle avait mis une sublime robe aux motifs fleuris qui mettait en valeur sa silhouette élancée.

Elle se leva de son fauteuil pour venir me réajuster ma cravate.

— C’est pas très droit ça... Et tu devrais te faire un nœud de cravate plus gros.

— D’accord, je vais chercher sur Google Images.

Elle arqua un sourcil et fut à peine étonnée de me voir sortir mon téléphone. Mon attention fut alors perturbée par un message de Charlie. Elle commençait déjà à se plaindre de la lourdeur de son futur repas alors qu’elle aurait préféré rester dans sa chambre à regarder une série complètement fade.

Immédiatement, je lui répondis que j’étais dans la même situation. Me retrouver qu’avec des membres de ma famille ne m’enchantait pas vraiment.

— À qui tu réponds pour sourire autant ?

Je levai aussitôt mon regard vers ma grand-mère qui semblait très amusée par la situation.

— Serait-ce cette fille, Charlie ? osa-t-elle me demander.

Je hochais timidement la tête en me mordant la lèvre inférieure.

— Ça ne pouvait être qu’elle. Tu la dévores des yeux à chaque fois cette petite.

— Mamie, je suppose que tu sais garder un secret, lâchai-je, la voix tremblante.

— Ça fait combien de temps ?

— Pardon ?

— Combien de temps que vous sortez ensemble ?

— Tu sais ?

— Peut-être que personne n’a remarqué, mais je sais bien voir deux jeunes tourtereaux qui sont amoureux et qui se cachent.

Je ne pus m’empêcher de rire à cette remarque. Elle était bien plus observatrice et perspicace que je ne le croyais.

— Ça fait quelques jours seulement, finis-je par lui répondre.

Elle sourit à ma réponse.

Notre conversation fut alors interrompue par mon père qui nous somma de descendre pour accueillir mon cousin et sa femme.

Ma grand-mère s’exécuta et je la suivis jusqu’au salon où Dermot et Tamara, mon cousin et sa femme, s’étaient déjà installés dans le canapé.

Comme ils nous l’avaient annoncé quelques mois auparavant, ils attendaient un bébé au courant de l’année prochaine et c’était désormais bien visible. Tamara avait un ventre rond assez développé, mais elle n’était pas si proche que ça du terme. Elle avait également coupé ses cheveux en un carré et avait viré vers un violine profond. Comme toujours, cette femme était sublime et elle avait toujours des tas d’histoires où elle avait brisé le cœur de nombreux hommes sans le vouloir et ne cessait de dire que sa liste de prétendants était immensément longue.

Quant à Dermot, il n’avait pas l’allure d’un mannequin et il s’était régulièrement vanté d’avoir réussi à draguer une femme comme Tamara. Avec le recul, j’avais commencé à trouver leur relation malsaine, parce qu’il considérait sa femme comme son meilleur trophée et sa meilleure réussite dans la vie.

Néanmoins, je mis de côté mes doutes et lui serrai la main avec un grand sourire avant de m’asseoir assez proche d’eux.

— Ça te va mieux les cheveux un peu plus longs, me fit remarquer mon cousin.

Je le remerciai sans lui préciser que j’avais juste eu la flemme d’aller chez le coiffeur un jour et que, finalement, ce n’était pas si mal que ça.

Mon père ne semblait pas apprécier ce choix. Même si les cheveux longs chez un homme n’étaient plus aussi dégradants qu’avant, il n’avait pas évolué avec la société sur ce point. Quelques fois, il m’avait même proposé de me payer le coiffeur et même de m’y conduire si c’était mon seul problème. Pour quelques centimètres, il était prêt à partir en guerre. C’était peut-être à ce moment que j’avais compris que ça m’allait terriblement bien.

Mon père se lança alors dans une discussion à propos du futur enfant de mon cousin comme si c’était le meilleur événement du monde. Il attendait probablement qu’un de ses enfants se lance aussi dans cette voie.

J’écoutai à moitié la conversation et répondis de nouveau à Charlie qui, visiblement, manquait terriblement de câlins. Je lui envoyai une petite image toute mignonne en espérant que ce puisse être un bon début. Néanmoins, je rajoutai aussitôt que j’aurais probablement préféré être à ses côtés pour vraiment la prendre dans mes bras. Et je me surpris à être un peu trop romantique, ce qui était assez perturbant.

Je constatai alors que mon père me dévisageait du regard, comme si je l’avais insulté alors que je n’avais répondu qu’à quelques messages. Il semblait vraiment de mauvais poil et peut-être qu’il y avait bien plus que les querelles habituelles.

— Peut-être que ça arrivera bien plus tôt que prévu les bébés, plaisanta mon cousin.

— C’était juste un message débile de Kate pour préparer le Nouvel An, mentis-je.

— Kate est pourtant quelqu’un de très bien, rétorqua mon père.

J’étais à peine étonné de cette réaction. Après tout, Kate venait d’une famille mondaine et très riche, elle était forcément la prétendante idéale aux yeux de mon géniteur. Malheureusement, j’allais encore le décevoir sur un point.

— Je ne sors pas avec Kate, répliquai-je assez frontalement.

Ce fut suffisant pour que mon père lève les yeux au ciel tandis que Tamara laissa brièvement entrevoir sa gêne.

Mon frère vint presque à ma rescousse en me proposant de venir l’aider en cuisine. J’acceptai aussitôt et le rejoignis en cuisine où s’y trouvait également la sœur.

Aujourd’hui, elle s’était amusée avec ses cheveux, faisant de nombreuses tresses dans tous les sens et avait une simple robe rose en satin. Mon frère, quant à lui, avait le même genre de tenue que moi mais il avait abandonné la cravate pour un nœud papillon.

— Dis donc ça fait quelque chose pour énerver papa ? me demanda Ulric en baissant le ton de sa voix pour ne pas se faire entendre.

— Pas plus que d’habitude...

Nos derniers contacts avaient été assez conflictuels, surtout depuis cette violente dispute. Jamais je n’avais senti à ce point sa haine dans son regard et ses gestes, et j’avais commencé à craindre pour ma sécurité et ma vie. Heureusement, ma mère m’avait soutenu. Elle aussi subissait depuis des années pour une erreur, mais elle acceptait parce que la culpabilité la rongeait chaque jour de plus en plus.

Je reçus alors un nouveau message de Charlie qui me demanderait si on se verrait après Noël. Simplement, je lui demandai si elle passait le Nouvel An chez Kate. Même si ce n’était pas l’endroit rêvé, c’était toujours une occasion de se croiser. Certes, le danger d’y être découvert pourrait être amplifié mais ce serait peut-être tout aussi suspect de ne pas s’y rendre.

Elle me répondit par un simple « pourquoi pas ».

En me voyant sourire, Kayla jeta brièvement un regard vers mon téléphone et elle se contenta d’un simple haussement de sourire avec un petit rictus.

— Vous pourriez m’aider vous deux au lieu de faire je-ne-sais-quoi de suspect ? nous demanda notre frère, plus sur le ton de l’ordre.

J’échangeai un bref sourire avec ma sœur et on s’exécuta.

 

*

 

Au bout d’une bonne heure, nous étions passés à table.

Comme d’habitude, mon père ne cessait de prendre la parole pour étaler sa richesse matérielle ou d’expériences. Il se devait d’être le centre de l’attention, auquel cas, le repas serait totalement raté selon ses dires.

À de nombreuses reprises, il me dévisagea comme si j’avais la peste. J’ignorais pourquoi il se comportait ainsi. Depuis notre dernière confrontation, il ne s’était pas montré aussi violent à mon égard.

Je tentai de faire comme si de rien n’était et d’échanger un peu avec mon cousin, mais ce ne fut pas une tâche aisée. Mon père ne cessait de me couper la parole. J’avais alors rapidement abandonné ce combat. Tant pis.

Ma sœur semblait terriblement s’ennuyer et elle tremblait beaucoup. Entre son traitement et ce repas qui était plus angoissant qu’autre chose, son état était on ne peut plus compréhensible.

Mon frère, quant à lui, semblait s’intégrer parfaitement à la situation. C’était comme s’il était dans son état naturel. Malheureusement, ce n’était pas la première fois que je constatai un éloignement aussi flagrant avec mon frère.

Comment avions-nous pu en arriver là alors qu’il y a à peine un an nous étions inséparables ? Pourquoi se fiait-il encore à ce point à notre père sans jamais remettre en question ses dires ?

En quelques mois, nous avions pris des chemins si différents. Malheureusement, j’avais découvert quelques saloperies destructrices de notre monde. Peut-être que mon frère préférait garder sa vision où chacun méritait son vécu, parfois aussi atroce soit-il. Parce que se rendre compte de certaines injustices est destructeur.

Peu après minuit, mon cousin et sa femme nous quittèrent. D’habitude, le repas s’étalait encore un peu et nous étions nombreux à peiner de garder les yeux ouverts. De toute manière, il y avait de grandes chances qu’ils reviennent dans les jours suivants.

Mon père avait raccompagné mon cousin et sa femme jusqu’à leur voiture, avec un grand sourire sur les lèvres. Puis son visage s’était immédiatement assombri lorsqu’il avait franchi le perron. Il s’approcha alors de moi, le regard complètement noir.

Ma sœur tremblait toujours autant et elle avait pris mon épaule pour se tenir debout.

Sans dire un mot dans un premier temps, mon père sortit une petite boîte orange de sa poche et me la tendit. Je n’avais même pas besoin de la prendre en main pour comprendre qu’il s’agissait d’une boîte de Subutex. Et qui plus était, à mon nom.

— Blaine, commença-t-il d’une voix atrocement grave. Je sais ce que c’est et je sais que tu traînais avec des toxicos. C’est pour ça que tu agis autant un con, parce que tu te drogues ?

Malheureusement, il n’y avait pas un milliard d’hypothèses possibles en tombant sur une boîte de Subutex à mon nom.

Ma sœur s’apprêtait à prendre la parole et n’eut le temps que d’émettre un petit « je » avant que je prenne les devants. Je savais qu’elle était prête à tout avouer et assumer tellement la culpabilité la rongeait, mais je savais qu’elle serait incapable de se rétablir correctement avec une telle pression.

— Oui. Je me drogue, mentis-je d’une voix extrêmement calme. Enfin, je me droguais. J’essaie d’arrêter.

— J’aurais dû me douter que tu te droguais avec Wade... Et maintenant, après m’avoir menti, tu prétends que tu veux vraiment arrêter ? Si tu voulais vraiment arrêter, tu ne prendrais pas ces merdes !

Il me mit la boîte en évidence sous les yeux et sa main tremblait de colère, suffisamment pour faire rebondir les cachetons dans la boîte dans un bruit strident.

— C’est juste pour mieux sentir ta prochaine dose, ajouta-t-il avec dédain.

Il serra fermement la boîte dans ses mains, comme s’il allait l’exploser avec sa simple force. Jamais je ne l’avais vu dans un tel état, même lors de notre dernière altercation, il ne semblait pas aussi à bout. Il était à la limite la dernière fois, mais il l’avait franchi.

Son visage avait viré au rouge et ses sourcils s’étaient tellement froncés que je découvrais des rides au-dessus de son nez. Quelques veines avaient également fait leur apparition sur son front.

Ma mère, ma grand-mère et mon frère s’approchèrent de la scène, néanmoins, ils restaient tous en retrait.

Encore une fois, je voyais le même regard effrayé sur le visage de ma mère. Elle devait probablement bien plus craindre pour ma vie que moi-même.

— Qu'est-ce qu’il se passe encore ? s’écria ma mère. Tu ne veux pas le laisser tranquille enfin ?

— Savais-tu que notre fils se drogue ? Ça explique désormais tellement de choses dans son comportement !

— Et alors ?

— Tu vas le laisser faire ? Tu vas le laisser claquer notre argent dans ses merdes ?

Elle voulait répliquer mais elle venait de perdre l’usage de la parole et seules ses larmes qui s’accumulaient aux coins des yeux pouvaient exprimer toute sa détresse et son impuissance.

— Sache que si je n’avais pas envie d’avoir à m’expliquer, je t’aurais mis dehors ! reprit-il de plus belle à mon égard.

Il baissa son bras le long de son corps. Il tenait encore la boîte fébrilement dans sa main, comme une bombe prête à exploser.

J’aurais tellement voulu m’imposer et le contredire, mais je devais probablement lui être encore reconnaissant d’avoir un toit pour vivre. Malheureusement, il me tenait au piège et c’était une solution qui lui était bien plus avantageuse. Je n’étais rien sans lui et sa fortune et je n’avais pas non plus de quoi m’en sortir en dehors de l’entreprise familiale.

Désormais, je regrettais de ne pas avoir poussé un peu plus loin mes études...

— Je ne veux plus te voir à la boutique et tu vas jeter tout ce qu’il te reste dans ta chambre ! m’ordonna-t-il toujours avec la même vigueur dans son ton.

— Ne t’en fais pas, je ne te ferai pas honte, rétorquai-je, pouvant à peine masquer mon mépris.

— Tu crois que je ne pense qu’à ma réputation alors que ta santé est en jeu ?

— Je ne crois pas, j’en suis sûr.

J’allais probablement bientôt regretter de l’affronter à ce point. Mais tant pis, j’étais capable de prendre sur moi pour protéger ma sœur et lui éviter une nouvelle rechute qui pourrait lui être fatale.

Soudainement, mon père fut pris d’un accès de rage et jeta violemment la boîte au sol. Ma sœur resserra fermement son emprise sur mon bras et enfonça brusquement ses doigts dans ma chair.

J’eus un bref geste de recul, tout comme le reste de ma famille. Même Ulric qui semblait jusqu’alors assez partagée dans le conflit ne put retenir sa crainte. Cette fois-ci, son visage avait totalement changé d’expression.

Mais le plus frappant sur le visage de ma grand-mère. Il y avait une atroce détresse. Elle n’avait pas dit un mot jusqu’alors, et pourtant, tout son visage et son langage corporel hurlaient de douleur. J’avais comme l’impression qu’elle avait été poignardée à plusieurs reprises dans le cœur et pire que tout, qu’elle culpabilisait pour ça. C’était en partie la même expression sur son visage lorsqu’elle m’avait parlé de regrets à plusieurs reprises.

Mon père n’ajouta rien, mis à part un regard rempli de haine, et quitta la pièce d’une démarche bruyante pour rejoindre sa chambre.

Immédiatement, ma sœur me prit dans ses bras et laissa couler un torrent de larmes sur mon épaule. Elle eut à peine la voix pour me remercier. Elle tremblait et s’agrippait à moi pour ne pas tomber.

Ma mère ramassa la boîte et me la tendit quand ma sœur me relâcha. J’eus alors à affronter son regard complètement dévasté. Parce que même si elle m’avait protégé, elle aurait préféré éviter que de la drogue soit intégrée dans le problème. Parce que maintenant, elle pensait que son fils qui en subissait déjà suffisamment les sautes d’humeur de son père se droguait. Dans le fond, ça ne changeait pas grand-chose : un de ses enfants avait eu des problèmes avec la drogue.

Je pris la boîte et c’était maintenant que j’avais soudainement envie de pleurer. Parce que le regard de ma mère était probablement le pire et le plus violent.

Et j’aurais tellement voulu qu’elle arrive à quitter mon père et qu’elle se libère de son emprise. Mais encore aujourd’hui, elle se croyait responsable de la situation. Maintenant, elle s’en voulait également qu’un de ses enfants se drogue et d’avoir été encore plus impuissante que d’habitude.

Je rangeai la boîte dans la poche de ma veste. Ma mère quitta le hall sans dire un mot et sa démarche était proche de celle d’un zombie. Elle avait été complètement vidée de son énergie et c’était comme si cette altercation l’avait totalement achevée.

Je ne pouvais cesser de la fixer en train de monter les escaliers et une larme m’échappa. Une unique larme. Parce que je n’avais plus la force de pleurer plus.

Puis mon regard se posa sur toutes les personnes présentes. Seule ma grand-mère ne connaissait pas la vérité, mais elle n’avait pas l’air d’être à la recherche de la vérité. Elle était juste là, au cas où quelqu’un aurait besoin de soutien.

Je soupirais longuement et quittai la pièce pour rejoindre la cuisine. Je me servis un grand verre d’eau et le fixai. Mon estomac était totalement retourné et même de l’eau serait impossible à faire passer.

Ulric, Kayla et ma grand-mère entrèrent dans la pièce et en constatant que je tenais à peine debout, ma grand-mère m'aida à m’installer. En plus, je commençai à ressentir violemment la fatigue et ça me rendait davantage à fleur de peau.

Finalement, j’éclatai en sanglots sans dire un mot et je me sentais terriblement misérable de me retrouver dans un tel état devant eux.

Mon frère s’assit devant moi en me tendant une boîte de mouchoirs. J’hésitai à m’en saisir jusqu’à ce qu’il m’adresse un sincère sourire.

— Désolé, souffla-t-il.

Il prit un temps de pause et je me fixai, incapable de prononcer le moindre mot.

— Je ne savais pas que tu avais perdu quelqu’un à cause de ça...

J’essuyai mes larmes et un léger sourire m'échappa. Parce que, pour la première fois, j’apercevais une forme d’empathie chez mon frère. Pour une fois, je sentais qu’il était prêt à s’ouvrir et juste à écouter sans juger.

— C’était en mai, avouai-je entre quelques reniflements. Je l’ai vu mourir... sous mes yeux. Et j’ai même pas pu me rendre à son enterrement, parce qu’à chaque fois... je revoyais ces derniers instants.

Mon frère me prit la main dans la sienne et me rassura en me disant qu’ils étaient tous là pour moi.

Kayla me fixait comme si elle était tiraillée à l’intérieur d’elle-même. Elle se mordait la lèvre inférieure comme pour s’interdire de parler. Elle voulait probablement hurler toute la vérité, mais elle en était encore incapable.

— J’aurais voulu le sauver... mais malheureusement, je ne pouvais pas.

Je pris une longue inspiration, comme si je réalisais un peu plus la vérité. À force de le répéter, je commençais à le comprendre.

Je sortis mon téléphone de ma poche pour y jeter un bref coup d’œil. Il y avait un message de Charlie qui datait d’un certain temps déjà. Je relâchai un instant la main de mon frère pour lui demander si nous pouvions nous voir rapidement. Je savais qu’elle me comprendrait...

Puis je posai mon téléphone et passai brièvement mes mains sur mon visage, sous les regards silencieux de ma famille.

— Je crois que je ferais mieux d’essayer de dormir... Sinon je vais juste chialer pendant toute la nuit.

— C’est pas grave, lâcha ma sœur d’une voix faiblarde. On peut rester là autant qu’il le faut.

Mon regard se posa longuement sur elle et elle essayait de sourire du mieux qu’elle pouvait. Je sentais qu’elle voulait me rendre la pareille. Je souris faiblement aussi.

— Peut-être demain.

Elle hocha la tête et dès que je me levai, elle me prit fermement dans ses bras, les yeux en pleurs. Malheureusement, je n’avais même plus la force de réagir à son affection. J’étais juste complètement vidé, tout comme ma mère l’était quelques minutes auparavant.

Ma famille se souhaita à tour de rôle une bonne nuit tout en me rappelant que je pouvais venir les voir à n’importe quel moment de la nuit et pour n’importe quoi.

Dès mon arrivée dans la chambre, je fouillais dans mes affaires à la recherche de mon matériel de dessins. Assez rapidement, je retrouvai une boîte où j’y avais entassé des années d’entraînement. Une boîte qui avait été cachée parce qu’on m’avait bien fait comprendre que le contenu était totalement honteux.

Je la posai sur le lit et l’ouvris pour y découvrir de nombreux carnets. Les croquis à l’intérieur étaient extrêmement nombreux. J’y voyais quelques visages connus. Il y avait Wade qui souriait et comme si rien ne pouvait l’arrêter. Quelques dessins de son frère Tyler également. Lui aussi semblait respirer la joie de vivre. J’avais même osé dessiner Kate et j’avais réussi à la rendre plus sympathique, ou peut-être avait-elle osé me montrer plus à ce moment-là.

Il y avait tant de souvenirs à travers ces feuilles et je les avais tous enfermés comme si c’était mieux ainsi. J’avais complètement tort...

Je reçus alors un message de Charlie. Elle n’était pas sûre qu’on puisse se voir le lendemain à cause des festivités familiales, mais elle me tiendrait au courant si elle trouvait un peu de temps.

Tant pis, je pourrais bien tenir une journée de plus maintenant que j’avais trouvé quelques repères...

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