L’intérieur de la maison était à la fois très simple et extrêmement étonnant. Une grande étagère garnie de boîtes, de bocaux et de provisions en tout genre. Un énorme fauteuil où s’entassait un mille-feuille de coussins. Et, au milieu, une table et des chaises en bois. Il n’y avait pas deux objets de la même couleur. Partout où se posait l’œil brillaient des arcs-en-ciel éclatants. Même les plantes en pots sur l’appui de fenêtre participaient à la parade des couleurs. Des bégonias rouges. Des pensées jaunes et bleues. Des orchidées blanches. Aube observa que les tiges et les feuilles elles-mêmes arboraient des verts et des bruns très différents. Du cactus presque gris au ficus fier de son vert plastique. Jusqu’à une plante dont elle ignorait le nom qui associait le vert velouté, le mauve électrique et des bandes argentées. La fillette en avait le tournis. Chaque objet de cette pièce donnait envie de l’admirer.
— Viens t’asseoir, lui proposa Jeanne.
La vieille dame avait déjà installé Noémie et Max autour de petits gâteaux dorés et de tasses de thé bariolées. Toutes ces couleurs évoquaient pour Aube le pelage d’Éfflam. Ce camouflage qui lui permettait de se fondre dans les tons multiples et infinis de la nature.
« Tu nous présenteras ton ami plus tard » la rassura Jeanne.
« Vous connaissez l’existence des enfants-chats ! »
Aube le voyait comme une évidence dans les yeux pétillants de malice de leur hôte surprenante.
« J’ai connu bien des mystères sur cette colline autrefois. Viens prendre des forces avant de me raconter ce que toi tu as découvert » l’invita-t-elle encore avant de s’adresser aux trois enfants réunis chez elle.
— Servez-vous !
— Ils sont délicieux, s’exclama Noémie la bouche pleine.
— Qui veut du thé ?
— C’est à quoi ? demanda Aube.
— Plantes sauvages ! Secret du chef ! se moqua Jeanne. Et mes gâteaux ? Dites-moi, est-ce que vous devinez ce qu’il y a dedans ?
— Des fruits secs ! trouva Noémie la première.
— Oui, mais lesquels ?
— Raisins ! dit Aube.
— Noisettes ! ajouta son amie.
— Et ? demanda encore la cuisinière en se tournant vers Max qui était resté silencieux.
— Des abricots séchés, répondit Noémie à sa place et ravie de sa trouvaille.
— Exact, jeune fille ! reconnut-elle sans quitter Max des yeux.
« Mange un gâteau et je te promets d’aller chercher mes exemplaires de la pétition » conclut-elle secrètement avec le garçon.
Il se dépêcha de croquer un morceau. Jeanne ne s’était adressée qu’à lui. Max était de plus en plus stupéfait que ses intuitions ne soient pas des chuchotements qu’il aurait été le seul à entendre. C’était bien un accès direct à l’esprit des autres. Et plus seulement avec son père ! Avec sa sœur, ça avait été difficile à admettre cependant ça pouvait se comprendre. Mais alors là, avec Jeanne ! Et avec Mistigri, juste avant ! Il pouvait entendre les pensées d’une grand-mère et d’un chat ! Il faudrait plus d’un gâteau pour lui redonner une contenance.
La vieille dame se leva, ouvrit un tiroir de son buffet et revint déposer un petit paquet de feuilles sur la table.
— Je crains que ce ne soit pas extraordinaire, annonça-t-elle en regardant les pétitions devant elle. J’ai eu besoin de plus de temps que prévu pour convaincre les voisins à qui j’ai pu parler. Enfin, ils m’ont écoutée. C’est déjà ça. Il y a longtemps que je n’avais plus vu autant de monde. D’un côté, ce qui nous arrive, c’est une bonne chose pour retisser les liens entre les habitants du quartier.
Pendant qu’elle parlait, Aube et Max l’entendaient compter les signatures dans sa tête. Noémie se contentait d’observer ses doigts parcourir les papiers.
— Huit ! annonça-t-elle. J’ai récolté huit signatures. Et toi, Max ?
— Quinze ! fanfaronna-t-il en sortant les pétitions pliées de sa poche.
— Tu les avais avec toi ? s’étonna Aube.
— J’espérais bien qu’on arrive à s’échapper de la maison. Alors, je voulais les avoir avec moi au cas où j’aurais pu faire signer quelqu’un, peut-être un autre voisin.
— Quinze ! s’exclama Noémie impressionnée. Max, tu es le meilleur !
Le garçon rougit. La vieille dame toussa pour dissimuler son rire.
— Alors, jeunes filles, demanda-t-elle pour sauver les apparences. Combien avons-nous de signatures au total ?
Aube déplia ses mains, la droite pour les unités, la gauche par groupe de cinq.
— Hé ! Tu comptes encore sur tes doigts ? la coupa son frère très sérieusement.
— Dix-huit, dix-neuf... continua Aube que la remarque ne faisait pas rire.
— Mais il y a une méthode de calcul mental pour aller plus vite. Tu prends quinze plus huit et tu le décomposes en quinze plus cinq, pour arriver à un chiffre rond. Et quinze plus cinq, ça fait combien ? interrogea-t-il.
— Vingt-trois !
— Mais non !
— Mais si ! Quinze plus huit, ça fait vingt-trois ! C’est juste, non ? asséna Aube.
— Oui, d’accord. Mais quinze plus cinq, ça fait vingt, s’obstina Max. Puis, il te reste huit moins cinq, ce qui fait...
— Vingt-trois, le coupa à nouveau Aube.
— Mais non ! Huit moins cinq...
— Quinze plus huit, ça fait vingt-trois, triompha sa sœur. J’ai été plus vite que toi !
— Et comment tu as fait ?
Elle regarda son grand frère en silence et pensa juste pour lui : « J’ai lu la réponse dans ton esprit, pourquoi ? »
— C’est du calcul mental, non ? conclut-elle fièrement pour tout le monde.
— Magnifique ! admit Jeanne.
— C’est beaucoup trop peu, bougonna Max.
Il n’avait pas tort. Tout le monde admit que vingt-trois signatures ce n’était pas encore assez. C’était même insuffisant pour espérer voir les autorités de la ville changer d’avis et empêcher la construction de l’antenne-relais.
— Et bien, dit Jeanne. C’est que nous devons encore aller à la rencontre de beaucoup d’autres personnes. Il faudra être persévérants.
— Mais on ne sait même pas combien de temps on a, s’inquiéta Max. Au rythme où on va, ils auront construit leur antenne quand on aura enfin rempli toutes nos feuilles.
— Mmm, ce serait dommage, admit la vieille dame. Alors, que proposes-tu, mon garçon ?
— On pourrait organiser une réunion. On invite tous les voisins pour leur expliquer la situation et on leur fait tous signer la pétition en même temps.
— Une réunion ? s’étonna Noémie. C’est nul une réunion. On va s’ennuyer et personne ne voudra venir.
— Tu as peut-être une meilleure idée ? s’énerva Max qui commençait à rougir. Puisque tu es si maligne !
— Oui, rétorqua-t-elle. On devrait faire une fête, ce serait plus drôle. On pourrait préparer des gâteaux avec Jeanne.
— Je suis d’accord, approuva celle-ci. Vous connaissez déjà ma recette. Si vous acceptez de m’aider, on peut préparer assez de gâteaux pour tout le quartier.
— Mais quel rapport avec l’antenne et la pétition ? s’entêta Max.
Noémie le fusilla du regard. Jeanne les couvait tous les deux de sa présence patiente et bienveillante.
« Regarde avec ton cœur, mon garçon » conseilla-t-elle mentalement. « Et écoute les arguments de ton amie en essayant de voir en quoi vous êtes complémentaires. »
Max avait beau froncer les sourcils, il dut admettre que le conseil était plein de bon sens. Oui, il y avait peut-être là une solution. Il sourit.
— On peut faire une fête-réunion ! s’exclama Noémie.
Elle avait devancé Max, ce qui le laissait déstabilisé et perplexe. Il était incapable de savoir si l’amie de sa sœur entendait elle aussi la voix de Jeanne ou si elle avait lu dans sa propre tête pour lui voler l’idée. Il était certain d’y avoir pensé un quart de seconde avant elle. Mais au fond, peut-être avaient-ils trouvé la même solution en même temps ?
— Bravo ! reconnut Jeanne. Nous offrons des gâteaux, nous tenons réunion et tout le monde signe la pétition.
Max était resté rouge de gêne et d’excitation. Mais il se mit à penser tout haut.
— Le problème reste le même. Comment est-ce qu’on contacte les gens pour qu’ils viennent ? Il faut beaucoup de monde.
— On peut mettre des invitations dans les boîtes aux lettres, continua Noémie sur le même mode. Ou des affiches aux fenêtres.
— Extra ! s’emballa Jeanne en frappant des mains. Ma vieille machine à écrire va encore servir !
— Jeanne ! s’exclamèrent en cœur Max et Noémie les yeux écarquillés.
Max comprit à l’expression de sa camarade qu’elle avait à nouveau la même idée que lui et il la laissa parler.
— On ira plus vite à l’ordinateur, expliqua-t-elle. On en a tous à la maison.
La vieille dame la regarda sévèrement. Elle balançait la tête de droite à gauche, comme une institutrice avant de mettre un zéro.
— Bon, c’est vrai, reconnut Noémie. Pas sûr que mes parents me laissent faire.
— Et je ne vous parle pas de la réaction de notre mère, ajouta Aube.
Ce qui surprit tout le monde, car elle avait gardé le silence jusque-là.
« Raconte-nous ce qui te tracasse, ma princesse » l’encouragea Jeanne.
— Tout ça, c’est bien, continua Aube. La pétition, la fête-réunion. Mais peut-être que ce n’est pas assez. Il y a des ondes dans toutes les maisons. Ça perturbe déjà les animaux. Alors, ça pourrait aussi perturber les humains qui ne voudraient pas signer la pétition ou qui ne changeraient pas d’avis pour l’antenne.
— Oui, mais toi, tu as réussi à comprendre ça, la rassura Jeanne. Alors, comment est-ce que tu crois qu’on pourrait l’expliquer aux autres ? Tout le monde est capable d’apprendre à lire, non ?
Aube les regardait. Elle était un peu troublée. Son esprit, trop rempli, fonctionnait au ralenti, comme un ravier de flanc retourné qui tremble sans tomber. Puis soudain, elle trouva la languette dans son cerveau. L’appel d’air permit à nouveau à ses idées de s’écouler, à sa logique de fonctionner. Une intuition en forme de dessert démoulé.
— Et si on demandait aux animaux ? Et si on demandait à Éfflam de nous aider ? s’exclama-t-elle en se mettant debout.
— Tu as raison, enchérit Jeanne qui se leva à son tour. C’est le moment de nous présenter ton ami.
Et ils sortirent tous les quatre dans le jardin en direction du bois et du flanc de la colline.
— Mais comment est-ce qu’on va le trouver ? demanda Noémie. Tu sais où il est ?
Le passage où Max découvre son don est bien décrit, avec ce que ça implique dans la "contenance", lui qui refusait de croire à ce genre de choses !
Petites remarques :
-Du cactus presque gris au ficus fier de son vert plastique. => dois-je expliquer pourquoi le vert "plastique" du beau ficus de Jeanne qui tape encore à la machine à écrire me déçoit :D
-L’appel d’air permit à nouveau à ses idées de s’écouler, à sa logique de fonctionner. Une intuition en forme de dessert démoulé. => j'aime beaucoup !
A très vite !
Je me suis laissée emporter par ma lecture, toujours agréable.
Dans le chapitre 11, l'histoire était bien mais elle n'a pas l'air d'être sortie d'un livre, mais simplement raconter de mémoire, enfin ça m'a fait une drôle d'impression, mais c'est sans doute que moi.
L'histoire avance bien, toutes les conversations entre enfants sont très réalistes. L'intérieur de Jeanne est très bien décrit, je m'y voyais. Il reflète bien sa personnalité,
Est-ce Efflam va vouloir se montrer à tout ce petit monde ? Je file voir ça.
A bientôt:)
Ravi de découvrir que l'histoire t'a emportée plus loin que prévu ! ;-)
Le livre que Aube a reçu est un recueil de contes. Et ces contes même retranscris par écrit gardent une grande part d'oralité (pas facile à faire mais l'idée c'est qu'on peut les lire comme si on était soi-même un conteur).
Je me réjouis de savoir ce que tu vas penser des prochaines scènes avec Efflam !
Merci pour tes retours !