Noémie scrutait les alentours. Elle était certaine d’avoir une bonne vue. Mais elle ne parvenait pas à imaginer ce qu’elle devait chercher.
— C’est un être-esprit, dit Aube. Il suffit d’avoir l’intention de l’appeler.
Elle se souvint avec plaisir de son sentiment de pouvoir et de bien-être quand elle l’avait fait apparaître en haut de l’arbre. Elle retrouva sa joie quand elle avait caressé pour la première fois le pelage d’Éfflam. Elle sourit intérieurement en imaginant son ami dévaler la colline pour se jeter dans ses bras. Soudain, tous sentirent une bourrasque de vent frais. Une boule d’énergie bouscula Aube et se blottit contre son ventre.
— Éfflam !
Elle serra très fort l’enfant-chat contre elle. Il la serra plus encore. Et, en guise de bonjour, il ronronna. À nouveau, le cerveau de Aube entra en ébullition dès qu’il se connecta au monde des pensées d’Éfflam. Elle-même débordait. Elle voulait avoir des réponses pour les ondes. Mais aussi présenter son ami à Max, Noémie et Jeanne. Et elle était toujours curieuse d’en apprendre davantage sur les esprits de la colline. Par où commencer ?
« Tu veux savoir comment les animaux peuvent t’aider ? » résonna la langue magnifique des êtres-chats dans sa tête.
« Oui » pensa Aube. Elle retrouva le fil de leur imagination commune. Elle se laissa aller aux images de lumière. Celles-ci l’entraînaient déjà des racines de la colline aux branches des arbres. Elles l’emmenaient des nids haut perchés aux terriers creusés dans la terre. Elle vit des merles, des corneilles, des écureuils, des hérissons, des musaraignes, des chats quitter la colline. Ils s’approchaient des sources d’ondes. Ils se glissaient sous les toits, par les caves, les égouts ou les gaines des tuyaux électriques à l’intérieur des maisons. Toutes étaient parcourues d’ondes, de fils, de prises de courant. Et soudain, tout ce petit peuple sabotait, tranchait les câbles, basculait les interrupteurs, arrachait les composants magnétiques des téléphones portables, des modems, des ordinateurs. Ceux-ci s’éteignaient les uns après les autres et retournaient au noir. Aube ouvrit les yeux.
— C’est ce qu’ils ont choisi de faire ? demanda-t-elle.
La fillette n’était pas encore certaine du sens à donner à sa vision.
— C’est ce dont ils sont capables si tu le leur demandes, lui répondit le doux murmure de la voix d’Éfflam.
— Mais comment est-ce que je peux leur demander ?
— Il suffit que tu choisisses d’y arriver.
— Éfflam ! gronda la fillette en riant. Arrête avec les énigmes !
Max et Noémie l’observaient bouche bée. Ils l’avaient vue sourire puis s’arrêter net alors qu’ils s’avançaient tous entre les ronces et les premiers bouleaux de la colline. Un coup de vent l’avait figée sur place. Un bref moment qui avait paru une éternité. Et voilà que maintenant Aube parlait toute seule. Repliée sur elle-même.
Max crut alors percevoir un bruit étrange comme un murmure persistant dans le vent. C’était l’écho lointain d’une voix qui provenait de l’espace contenu entre les bras de sa sœur.
Noémie se frotta les yeux. Sa vue lui jouait un mauvais tour. Le paysage s’était déformé devant son amie comme si de la terre et des feuilles s’étaient dressées face à elle. La nature dissimulait ce contre quoi Aube s’était immobilisée.
Jeanne observait Éfflam. Elle souriait. Ses petits yeux ridés distinguaient très nettement l’enfant-chat.
— Bonjour jeune esprit de la colline, le salua-t-elle. Je suis ravie de te rencontrer. Voilà bien des années que je n’ai plus eu la chance d’avoir des nouvelles des hommes-chats.
— Bonjour dame Jeanne, répondit Éfflam.
Il avait parlé fort, distinctement et dans la langue des humains. Cela permit à Max de saisir le sens des mots qu’il entendit dans un soupir. Éfflam s’était avancé vers Jeanne. Ce qui aida Noémie à mieux percevoir ses formes. Un être de terre et de feuilles se trouvait bien devant elle.
— J’ai eu le privilège de connaître les esprits de Rosenn et Maïloc lorsque cette colline était encore un refuge des mages-animaux, continua la vieille dame. Dites-moi, jeune Éfflam, auriez-vous des nouvelles de mes amis ?
— Mes parents sont vieux, répondit-il.
Ses phrases étaient lentes, tel un long chant triste.
— Rosenn et Maïloc ne parcourent plus que rarement les pentes de notre colline à l’air libre, continua-t-il. Leur esprit se confond chaque jour un peu plus avec celui de la terre et de nos racines.
Jeanne s’approcha. Elle se pencha pour mieux contempler l’enfant-chat, son beau visage joyeux et fier.
— Oh ! dit-elle la voix cassée par l’émotion. Je ne savais pas qu’ils avaient eu un fils ! Je suis ravie. Enchantée de faire votre connaissance, jeune Éfflam, fils de Rosenn et de Maïloc.
— J’ai encore le bonheur de grandir avec ma sœur aînée, Zoïg, qui consacre les faibles forces qu’il lui reste à prendre soin de nos chers parents et de notre bien-aimée grand-mère Moyrah.
— Moyrah est vivante ! souffla Jeanne.
Elle s’agenouilla devant Éfflam. Les larmes lui traçaient à présent des rides verticales sur ses vieilles joues fripées.
— Comme nous avons pleuré ensemble à la mort de votre grand-père, ajouta-t-elle.
— Vous avez connu Grand-Père Myrddin ?
Jeanne tendit les mains pour toucher le visage du petit être.
— Oh, mon cher enfant ! C’est incroyable comme vous lui ressemblez !
Aube entendit alors son ami chanter dans sa langue mystérieuse. Sa voix s’élevait à la fois triste et joyeuse. C’était un chant de vie qui disait autant sa peine que son bonheur de rencontrer Jeanne, Max et Noémie. Il s’approcha alors des enfants et leur prit la main.
Max tressaillit. Le chant d’Éfflam lui parvenait maintenant clairement. Mais il peinait encore à apercevoir l’enfant-chat, comme si sa vue se troublait. Le toucher l’aida à mieux appréhender qui il était.
Noémie, quant à elle, contemplait, fascinée, sa fourrure chatoyante. Celle-ci donnait l’impression d’être en perpétuel mouvement, telles les herbes d’une prairie. La petite fille trouvait le corps animal d’Éfflam absolument magnifique. Cependant elle l’observait se déplacer sans parvenir à entendre ce qu’il exprimait. À travers leur main, le rythme de la chanson passa soudain en elle.
L’enfant-chat entraîna Max et Noémie dans sa danse avec le vent et les feuilles de la colline. Aube les rejoignit en riant. Rien n’était plus simple que de faire connaissance en dansant.
Jeanne retrouva le sourire en voyant l’énergie des enfants. Elle les accompagna en battant des mains. Elle redécouvrait avec plaisir les sonorités de la langue des esprits-animaux. Noémie se laissa aller de tout son corps. Alors, elle crut deviner une lointaine mélodie. De la musique perdue dans la brise sur la colline. Aube et Max saisirent ensemble le sens du refrain.
« Un jour les mains se lâcheront
Pourtant seul compte aujourd’hui
Et jamais nous n’oublierons
Les moments passés entre amis »
Le ciel était couvert. Lorsque les premières gouttes tombèrent, les enfants eurent l’impression qu’elles se joignaient à leur fête. Tout autour d’eux était en mouvement. Puis, quand la pluie s’intensifia, ils cessèrent peu à peu de danser pour se réfugier au sec sous un grand sapin. Max fut le premier à reprendre ses esprits.
— Aube, dit-il. On doit y aller. Maman nous a demandé de rentrer à la première goutte de pluie.
— Attends, rétorqua sa sœur. Avant de rentrer, on doit savoir ce que pensent les animaux, ce qu’on doit faire contre l’antenne. Éfflam ? Qu’en dis-tu ?
Max, inquiet, trépignait. Noémie, de son côté, craignait toujours de ne pas entendre l’avis de l’enfant-chat. Aube le comprit. Elle pressa son ami d’être bref et précis. Et dès qu’il s’adressa à elle, la fillette traduisit pour son amie.
— Les animaux et les arbres ont peur des ondes et des hommes qui les utilisent. Ils ont vu tellement des leurs disparaître qu’ils doutent que les humains puissent encore entendre raison. Pourtant, ils savent que c’est la seule solution. Les êtres de la colline veulent aider, apporter leur part. Ils sentent l’air s’alléger quand un appareil électromagnétique est éteint dans une maison. Il y en a d’autres chez nous et tout autour de la colline. Ils veulent suivre mon exemple et s’attaquer aux machines. Mais ils ont peur d’affronter les hommes. Ils refusent de briser l’harmonie qui est le secret de la vie. Ils attendent notre aide et notre décision.
— C’est nous qui devons décider ? s’étonna Noémie.
Elle était perplexe devant le contenu du message. Pourtant elle était ravie d’avoir eu l’impression de comprendre l’enfant-chat par l’entremise de son amie.
— Tout cela ne nous avance à rien, s’agaça Max.
— Vous êtes libres de n’agir que pour vous, ajouta Éfflam. Ou de demander l’aide des arbres et des animaux. Sachez seulement que sans vous, la colline ne se soulèvera pas.
Les enfants piétinaient. Ils commençaient à avoir froid.
— Mais on est là, s’impatienta Aube. On a déjà agi, Éfflam. Ce n’est pas rien.
— Et on ne sait pas comment s’y prendre pour la suite, précisa son frère.
Jeanne serra contre elle les enfants qui frissonnaient.
— Il est l’heure de rentrer chez vous, mes petits, conseilla-t-elle. Il nous faut du temps pour réfléchir à ceci avant de trouver des solutions et de choisir quelles seront nos prochaines actions.
« Aube ! Max ! » cria une voix étrange au loin.
Les deux enfants furent les seuls à l’entendre. Mistigri les rejoignit en trottinant.
« Votre mère est réveillée » continua l’animal. « Elle est reposée. Mais son inquiétude et sa colère reviennent avec la pluie qui redouble. Il vous faut rentrer vite pour l’apaiser. »
Noémie était stupéfaite. La petite chatte arrivait en miaulant et ses amis réagissaient comme si elle venait les prévenir. Les ramener à la maison.
— Je ne te traduis pas en détail, la rassura Aube. Mais je sens que tu as compris le sens général de ce que vient de nous annoncer Mistigri. Oh Éfflam ! On doit y aller !
Elle étreignit vivement son ami. Puis, elle embrassa Jeanne sur la joue.
— Je suis désolée, ajouta-t-elle. J’aurais tant aimé qu’on puisse aller saluer ta famille, que vous puissiez revoir vos amis, Jeanne. Mais maman ne veut pas qu’on sorte.
— Filez, les enfants, répéta la vieille dame. Votre maman sent ce qui se passe sur la colline. Elle veut que vous soyez en sécurité.
— Vous voulez dire qu’elle entend comme nous ? interrogea Aube.
Son frère tentait de la tirer par la main.
— Tout le monde peut entendre, confirma Jeanne. Chacun à sa manière même si c’est difficile à accepter.
Éfflam toucha la poitrine de la fillette du bout de ses griffes.
— Écoute ton cœur battre, Aube, lui dit-il. Son rythme te portera conseil.
— Viens ! conclut Max.
Il l’entraîna et salua la compagnie d’un grand geste. On se retrouve vite !
— À bientôt !
Les enfants se mirent à courir. Ils furent accompagnés par un grand coup de vent qui les protégeait de la pluie ou séchait directement les gouttes sur la peau. Ils avaient des ailes et se retrouvèrent rapidement dans leur jardin. Ils attrapèrent la bicyclette de Aube et rentrèrent auprès de leur mère.
— Maman ! cria Aube en débouchant dans la cuisine. Ça y est ! Je sais rouler à vélo !
— Ah ? Super ! répondit celle-ci plutôt surprise, mais à la fois rassurée. J’ai eu peur que vous ne soyez mouillés.
« Qu’est-ce que tu racontes ? » demanda discrètement Max à sa sœur sans rien laisser paraître devant leur mère.
« Je sais rouler », affirma mentalement Aube. « Je t’assure. J’ai vu dans tes pensées comment faire pour y arriver. Tu verras. Je te montrerai dès qu’on pourra essayer sur un terrain plat. »
— Papa n’est pas encore rentré ? demanda-t-elle à sa mère.
— Oh si ! répondit celle-ci. Mais il est déjà reparti. Il a reçu un coup de fil de l’hôpital, un de ses patients avait à nouveau un problème.
Aube sentit une grosse boule de colère gonfler dans son ventre. Elle découvrit que sa mère possédait la même. Taille supérieure.
— Je monte dans ma chambre, décréta-t-elle pour empêcher toute explosion et cacher sa déception.
— Qu’est-ce que tu vas faire ? voulut quand même savoir sa maman inquiète.
— Je vais m’entraîner à lire.
Aube se reprocha d’avoir à nouveau menti. Elle n’avait pas du tout l’esprit à lire. En passant par le couloir, elle saisit le téléphone sans fil et l’emporta avec elle. Cet objet de malheur allait payer pour tous les autres. Non seulement il rendait malade la colline, mais en plus il lui enlevait son père. Elle referma la porte de sa chambre derrière elle. Quelle histoire pourrait être plus importante que la destruction de cette machine ? Aube ouvrit le boîtier des piles. Les retirer ne suffirait pas. Ses parents pourraient vite les remplacer. Alors, elle jeta l’appareil au sol. Et, de plusieurs coups de pied rageurs, elle le brisa en morceaux. La boule explosa dans son ventre et se répandit dans tout son corps.
J'ai trouvé comme d'habitude tes bulles poétiques à l'endroit d'Efflam très douces.
Merci pour ton retour ! Oui, j'ai eu envie de traiter la colère d'une enfant et les conséquences de ses actes ! Et oui, j'aime bien semer des questions pour qu'on ai envie de découvrir la suite !
Et merci pour la poésie d'Efflam !
La rencontre avec Efflam est tout simplement superbe, la description me permet d'avoir une idée assez nette de ce à quoi il ressemble. Encore un très grand bravo
Pour ma part oui j'arrive très bien à le visualiser grâce aux descriptions et peut-être aussi parce que mon imaginaire n'est pas trop éloigné. Et puis, vraiment c'est un personnage qui sort totalement de ce que l'on a l'habitude de voir et ça fait un bien fou!