Après une bonne semaine couchée au lit, Elena était finalement parvenue à reprendre des forces. Mais, ce fût au tour d'Alec et Harry, d'être couché par une grippe particulièrement virulente. Ils s'étaient transformés en zombies sous la surveillance d'Elena, devenue leur infirmière attitrée.
La première nuit de convalescence fût à la fois la plus difficile et la plus réconfortante. Le silence avait envahi l'appartement. Elena, dormait profondément tandis qu'Alec sentait la fièvre monter, le plongeant dans un état important d'inconfort. Pourtant, une soif insupportable l'obligea à quitter son lit.
Il se redressa péniblement, le corps alourdi par la fatigue, et posa les pieds sur le sol froid. Chaque mouvement semblait peser une tonne mais, il se refusait à demander de l'aide. Avec lenteur, il se dirigea vers la porte. Cependant, à peine avait-il fait quelques pas dans le couloir qu'il trébucha sur des chaussures abandonnées là. Dans un bruit sourd, Alec s'effondra de tout son long.
Le bruit réveilla Elena en sursaut. Elle ouvrit les yeux, le cœur battant, et se précipita hors de sa chambre. En découvrant Alec étalé au sol, essayant tant bien que mal de se relever. Elle accourut, la panique peinte sur son visage. Elle s'accroupit rapidement devant lui, posant une main sur son épaule. « Alec ! Tu t'es fait mal ? »
Il releva un visage fatigué mais se voulant rassurant, il répondit « Non, non, ça va. Je me suis juste pris les pieds dans ces fichues chaussures qui traînent. »
« Pourquoi tu ne m'as pas appelée ? » sa voix pleine de reproches. Alec avait été là pour elle et elle voulait être là pour lui.
Il haussa légèrement les épaules, un brin gêné. « Je ne voulais pas te réveiller. Tu dormais et je sais que c'est pas toujours le cas... »
« Alec, ce n'est pas grave. Tu peux m'appeler, tu sais. Je suis là pour veiller sur toi, comme vous avez veillé sur moi, toi et Harry. » Un léger silence suivit ses paroles, avant qu'elle n'ajoute d'un ton plus doux, « Pourquoi tu t'es levé, au juste ? »
« J'avais soif, » avoua-t-il.
« Allez, viens. Je vais t'aider à te relever et te recoucher. Je t'apporterai de l'eau et un paracétamol. »
Passant un bras sous l'épaule d'Alec, elle l'aida à se redresser. Chaque pas était une épreuve pour lui, c'est pourquoi il accepta de se laisser guider par sa colocataire. Arrivés dans sa chambre, elle le déposa doucement sur son lit. Alors qu'elle s'apprêtait à repartir pour lui chercher de l'eau, Alec attrapa sa taille pour la plaquer contre lui. Elena bascula à califourchon sur ses genoux et si en temps normal elle l'aurait incendié pour un tel comportement elle se laissa faire. Il posa sa tête contre sa poitrine. Son front était brûlant, « Reste comme ça, juste un instant, s'il te plaît, » murmura-t-il, sa voix basse et teintée d'une vulnérabilité qu'il montrait rarement.
Elena resta figée un moment, surprise, avant de céder. Elle l'enlaça doucement, lui caressant la nuque affectueusement, « D'accord, mais juste un instant. » L'instant s'étira, suspendu dans une bulle hors du temps. Alec ferma les yeux, savourant la chaleur rassurante d'Elena contre lui. Elle sentit son souffle s'apaiser, et une tendresse discrète s'infiltra dans son propre cœur. Après ce qui sembla une éternité, Elena murmura, « Tu devrais te reposer. »
À ces mots, Alec resserra légèrement son étreinte, comme s'il craignait qu'elle ne disparaisse. Ses doigts pressèrent doucement sa taille.
Elena, dont le cœur avait sauté un battement, hésita avant de proposer, dans un souffle, « Tu veux que je reste dormir avec toi ? »
Il hocha la tête, incapable de formuler une réponse.
C'était la première fois qu'Alec était à l'initiative d'une telle demande. Elle n'eut pas le cœur à le repousser. Et puis, si elle était honnête avec elle-même, une part d'elle était heureuse de pouvoir partager une nouvelle nuit dans ses bras. Elle avait ainsi le sentiment d'être protégée, à l'abri de tous les dangers. Un sentiment précieux qui l'avait longtemps quitter. Elle se redressa légèrement. « Je vais te chercher un verre d'eau et je reviens. »
Alec s'allongea sur son lit, le cœur battant à un rythme irrégulier. Une part de lui se sentait coupable de profiter de cette situation. Pourtant, il ne pouvait nier que sa présence l'apaisait et lui était de plus en plus indispensable. Quand elle revint, un verre d'eau à la main, il se redressa pour boire d'un trait. La fraîcheur de l'eau apaisa sa gorge, et il s'allongea à nouveau, faisant de la place pour elle. Elena se glissa à ses côtés, tirant la couverture sur eux. Alec sentit son cœur s'emballer lorsqu'elle se pressa doucement contre lui, comme pour chasser le froid de la nuit.
Aucune parole n'était nécessaire. Lovés l'un contre l'autre, ils trouvèrent rapidement le sommeil.
***
Elena passa les jours qui suivirent au chevet des deux malades, naviguant de l'un à l'autre, pour répondre à leurs besoins. Alec, enveloppé dans une couverture jusqu'au nez, murmurait parfois un « Merci, chaton », ce qui lui valait un tendre sourire en retour. Harry, quant à lui, se lamentait bruyamment, « Si je meurs, je veux que vous passiez du systeme of a down ! » Elena, exaspérée, lui répondait sans ménagement, « Arrêtes de faire ta chochotte Harry, c'est juste une grippe, tu vas pas en mourir ! ».
Alec malgré son affaiblissement ne pouvait s'empêcher de rire en les entendant se chamailler. Ce qui accentuait aux plaintes lancinantes d'Harry. « Et pourquoi Alec tu le chouchoutes ? C'est moi ton frère adoré ! »
Tandis qu'Alec souriait imperceptiblement à ce constat, Elena répondit, « Peut-être parce qu'il ne fait pas le bébé et ne m'appelle pas toutes les deux secondes. Ça m'arrache la gueule de dire ça mais, Alec est adorable quand il est malade, c'est pas comme d'autres. »
« T'es tellement méchante avec moi ! » feignit de s'offusquer Harry. « Je veux voir voir Jenny. »
« C'est qui Jenny ? » demanda-t-elle intriguée.
Alec tendit l'oreille lui aussi curieux d'entendre la réponse.
« Personne » se reprit-il.
En dépit de ses répliques cinglantes, Elena veillait sur eux deux avec une attention sincère.
Pour ne pas accumuler trop de retard dans ses études, elle avait demandé à Lucas et Suzanne de l'aider en suivant les cours en visio. Cette organisation de fortune lui permettait de rester aux côtés des garçons tout en suivant les interventions importantes.
Quand Alec et Harry commencèrent à aller mieux – c'est-à-dire quand ils furent capables de se laver et de râler à nouveau avec énergie – Elena décida qu'il était temps pour elle de reprendre les cours en présentiel. Elle savait qu'elle ne pouvait pas se permettre de rester à la traîne plus longtemps malgré ses facilités.
***
Le matin de son retour à l'université, Elena eu la désagréable impression de sentir certains regards pesants. Bien qu'il n'était par rare qu'elle attire l'attention elle percevait une différence malaisante. Elle prit son portable à la hâte afin de vérifier son téléphone. Aucun message, il n'y avait donc rien à signaler. Elle le rangea dans sa poche puis décida de faire abstraction. L'indifférence restait selon elle la meilleure des réponses face à cette étrange agitation pensa-t-elle.
L'atmosphère se fit plus pesante encore les jours qui suivirent. Les regards se faisaient de moins en moins discrets. Certains posaient sur elle un œil libidineux sans qu'elle puisse saisir l'origine de ce changement. Cela la déstabilisait plus qu'elle ne voulait l'admettre, pourtant elle ne dit rien, ni à Alec, ni à Harry, encore en convalescence au fond de leur lit. Cela la faisait bouillir, elle pouvait faire face à des personnes qui venaient se confronter à elle. Elle n'avait jamais été de celle qui se laissait marcher sur les pieds cependant, elle n'était pas du tout à l'aise avec ce genre de combat : ceux qui se jouent à visage caché. Elle ne savait pas contre qui retourner toute cette colère. Ce qui l'agaçait encore plus était le comportement inhabituel de Suzanne et Lucas qui malgré ses tentatives pour comprendre ce qu'il se passait semblaient esquiver systématiquement le sujet. Elle voyait pourtant dans leurs sourires une feinte qui ne leur ressemblait pas. Elle fût prise d'un profond sentiment de solitude, se demandant comment Suzanne et Lucas pouvait ainsi lui tourner le dos. Elle refusait de le montrer mais, cela l'affectait énormément. Comme à son habitude, elle n'en montra rien et prit de plus en plus de distance, par rapport aux autres et par rapport à ses propres ressentis, se murant derrière des défenses toujours plus haute, la rendant toujours plus inaccessible.
***
Un matin, alors qu'Elena se dirigeait vers la bibliothèque, elle aperçut Lucas adossé contre un mur, les bras croisés. Elle ralentit en remarquant un coquard violet et gonflé à son œil droit. Sans considération pour les tensions qui les avaient éloigné elle se précipita vers lui, inquiète, « Lucas ! Qu'est-ce qui t'est arrivé ? » Lucas et Suzanne lui semblaient certes mal à l'aise en sa présence, mais le voir ainsi blesser réveillait son côté protecteur.
« Rien de grave. » répondit Lucas en détournant le regard.
Le voir lui mentir la blessa et son ton se fit plus sec qu'elle le l'aurait voulu, « Ne me prends pas pour une idiote. Qui t'a fait ça ? »
Lucas haussa les épaules. « Personne. Laisse tomber, j'ai pas envie que tu t'en mêle de toute façon. »
Elena chercha le soutien dans le regard de Suzanne sans pouvoir l'obtenir. Elle prit leur manque de confiance en elle comme une claque. Elle se sentait rejetée et trouvait cette situation profondément injuste. Ses amis avait donc décidé de la laisser à l'écart pour quelque chose dont il ne daignait même pas l'informer. L'inquiétude laissa place à la colère « D'accord, c'est quoi cette histoire ? Qu'est-ce qui se passe avec vous deux et avec les gens en général ? C'est comme s'il y avait un truc que je serais la dernière à savoir et ça commence à me les briser sévère ! » Lucas resta muet, et Suzanne regardait ses pieds mal à l'aise.
C'est à ce moment que Greg la surprit par derrière. Elle ne l'avait jamais véritablement apprécié contrairement à ce qu'il avait laissé entendre à Alec mais, c'était un coéquipier de Lucas et Harry alors elle l'avait jusque là toléré. Avec son sourire suffisant et sa démarche délibérément nonchalante, il semblait chercher les ennuis. « Hé, Elena ! Ça fait une paye. ». Il semblait étonnamment arrogant et Elena n'était pas d'humeur à faire semblant, « Désolée Greg mais, j'ai pas vraiment le temps de faire joujou avec toi. Au cas où tu l'aurais pas remarqué j'suis en pleine conversation et t'es pas concerné. »
« Je te trouve bien hautaine pour une meuf qu'écarte les cuisses pour un peu d'argent. Si j'avais su, on aurait pu s'arranger plus tôt ! » lança-t-il suffisamment fort pour ses potes. Des rires gras résonnèrent dans le couloir.
« Ta gueule Greg ! » s'énerva Lucas.
« Où quoi ? Tu compte essayer de m'en coller une à moi aussi ? Me tente pas Lucas, Alec et Harry ne sont pas là pour te couvrir aujourd'hui ! » cracha-t-il sur un ton méprisant.
Elena qui jusque là était restée muette sous le coup de la sidération serra les poings puis se retourna vers Greg, lentement, ses yeux aussi froids que la glace. « Pardon ? Tu peux répéter ? » articula-t-elle, sa voix tranchante et menaçante.
Greg fit un pas vers elle, prêt à répéter son insulte. Cela faisait des semaines qu'il avait tenter de la séduire en vain et la façon dont Alec lui avait prit la tête la fois passée lui était resté en travers de la gorge. Il voyait là une manière de les atteindre tous les deux : Elena, la belle si fière qui le prenait de haut, et Alec, qui l'avait humilié devant leur équipe. Il ouvrit la bouche pour cracher à nouveau son venin sans pouvoir finir sa phrase. Elena agrippa sa tête d'une main ferme et l'envoya heurter le distributeur de café à côté d'eux. Le bruit sourd du choc fit sursauter les étudiants autour qui se tournèrent vers eux intrigués. Sans lui laisser davantage le temps de réagir, elle leva le genou et le frappa violemment à l'entrejambe. Il s'effondra en grognant de douleur. « La prochaine fois qu'il te prend l'envie de m'insulter, je te promets que je ne serais pas aussi gentille, » déclara-t-elle sèchement.
Un des amis de Greg se précipita pour l'aider, lançant un regard indigné à Elena. « Mais t'es cinglée ou quoi ? C'est quoi ton problème ?! »
« Cinglée ? » Elena se mit à rire.
Tous la regardèrent bizarrement. « T'es vraiment tarée ma pauvre. » ajouta-t-il tout en se reculant de peur de prendre un coup.
Greg, blessé physiquement et dans son ego ne semblait pas vouloir battre en retraite malgré la raclée qu'elle venait de lui mettre. Son ami le retint par le bras, « Cette pute vaut pas mieux que le reste de sa famille, viens. »
À ces mots, Elena sentit une rage incontrôlable la submerger. Elle avança vers lui, « Vas-y répète-moi ça connard ! T'insulte ma famille maintenant ?! ».
Lucas intervint brusquement en la saisissant par derrière. « Stop, Elena ! » s'écria-t-il, « Laisse tomber. Il n'en vaut pas la peine. Tu vas avoir des ennuis si tu continues. »
Furieuse, elle se dégagea violemment. « Lâche-moi, Lucas ! » cria-t-elle en le poussant sans ménagement. Il trébucha et tomba par terre. Lucas fût surpris. C'était la première fois qu'il voyait Elena dans cet état. Cette froideur et cette violence ne lui ressemblaient pas. Il sentit Suzanne s'accroupir à ses côtés, « ça va ? » Il hocha la tête mais ne savait pas vraiment quoi répondre, il avait l'impression que quelque chose venait de se briser entre eux et Elena. À cet instant, elle lui apparaissait comme une véritable étrangère.
Suzanne lança un regard à Elena, espérant qu'elle s'excuse. Bien qu'elle y lut une pointe d'hésitation, Elena resta muette. Agacée par son attitude elle ne pût s'empêcher de dire, « Il voulait juste t'aider ! T'avais pas besoin de t'en prendre à lui »
Encore un peu sonner par tout ça, Lucas se releva. « Ça va aller Suzanne. » Il se tourna vers Elena, dont le regard lui semblait toujours aussi glacial, « Excuse-moi Elena, je voulais juste t'aider mais il faut croire que je m'y suis mal pris. » il lui adressa un sourire, essayant de recoller les morceaux d'une amitié qu'il craignait voir voler en éclat.
« Je n'ai pas besoin de votre aide ! Je n'ai besoin de personne » rétorqua Elena avec froideur.
Sans un mot de plus, elle tourna les talons et quitta les lieux, ignorant les murmures et les regards surpris qui la suivaient. Suzanne se mordit les lèvres, peinée de voir son amie s'éloigner ainsi. Elle regarda Lucas et ce qu'elle vit dans ses yeux ne la rassura pas. Elle y voyait les même pensés et la même peur, celle d'avoir perdu Elena.
***
Les cours qui suivirent, Elena s'isola volontairement de Lucas et Suzanne. Lorsqu'ils tentaient de l'approcher, elle leur lançait un regard si froid qu'ils abandonnaient immédiatement, espérant qu'en lui laissant du temps et de l'espace elle finisse par accepter de les écouter.
À l'appartement, Alec et Harry ne comprenaient rien de cette situation. Ils avaient remarqué qu'Elena était différente, plus distante, plus froide. Malgré leur tentative, elle ne décrocha pas un moment sur l'origine de son malaise.
Harry tenta de briser la glace à plusieurs reprises. Il s'essaya à l'humour puis tenta de suivre les conseils que Jenny lui avait donné une première fois en lui faisant part de son inquiétude. Cependant, ce soir-là, rien ne se déroula selon ses plans. Elena explosa, « Tu m'étouffes, Harry ! Putain, tu peux pas t'empêcher de te mêler des affaires des autres bordel ?! Peut-être qu'il est temps que je trouve un appart ailleurs ! ». Elle s'enferma dans sa chambre, laissant Harry sidéré, dévasté par ses mots. Alec tenta de le rassurer, « Elle est à cran. Elle ne le pense pas vraiment, j'en suis sûre. Tu devrais juste lui laisser un peu de temps. »
Mais Harry secoua la tête. « Il y a un truc qui va pas, Alec. Elle se comporte bizarrement, je suis sûr qu'elle nous cache des trucs, des trucs graves. »
Alec souffla, il ne voulait pas inquiété Harry mais, lui aussi se posait des questions, « T'as peut être raison. »
Harry le regarda intensément, « J'veux que tu prennes soin d'elle Alec. »
« Harry.... » tenta de tempérer Alec.
Ce dernier le coupa, « Non, écoute-moi. Je sais qu'avec toi elle se montre moins défensive. Vous partager un truc que je peux pas exprimer et bien que ça me rende dingue, je sais que c'est pas moi qui pourrait l'aider. Toi, oui... j'crois que je vais lui laisser un peu d'espace. »
« Dis pas ça, c'est ta sœur. »
« Ma sœur ?! Je sais pas, je sais pas si finalement c'est comme ça qu'elle me voit encore. Ça me fait tellement mal... J'étais tellement heureux de la retrouver et pouvoir veiller sur elle comme par le passé mais là... Il y a des fois où je la reconnais pas. Je vois bien qu'elle est mal et je me sens impuissant, si tu savais comme ça me coûte de devoir te demander de faire tout ça. Merde ! » Harry était bouleversé. Il aimait sa sœur et la voir ainsi lui faisait mal. Pour son bien, il devait laisser sa place à Alec, même si cela le déchirait intérieurement.
Alec percevait toute la souffrance d'Harry. Il était sur le point de craquer. Il savait combien Harry tenait à sa sœur. Ce dernier avait une image idéalisée de leur famille passée et quelque part, même après le départ d'Elena, il n'avait jamais renoncé à cette famille. Voir celle-ci le repousser lui transperçait chaque fois le cœur. « Je suis désolé Harry. Je sais combien elle compte pour toi. »
« J'ai un boulot à rendre lundi. J'vais aller chez Jenny pour travailler tout ça, et puis comme ça tu auras du temps avec Elena. J'te la confie, veilles sur elle s'il te plaît. » les mots s'étranglèrent dans sa gorge tandis qu'il se dirigea vers sa chambre pour faire son sac.
***
Les lumières du salon étaient tamisées, n'éclairant qu'à moitié le canapé sur lequel Elena s'était installée, manette en main au cœur de la nuit. Le silence de l'appartement n'était troublé que par les bruitages de la console. Elle s'acharnait à jouer, le regard fixe, comme pour garder son esprit occupé, loin des murmures intérieurs. Alec, lui, la regardait du coin de l'œil depuis un moment déjà, le dos appuyé contre le mur à quelques pas de là. Il avait réfléchit à la façon d'aborder les choses avec Elena sans avoir trouvé une véritable réponse. Il décida, comme à son habitude, d'y aller à l'instinct. Alec s'approcha lentement et s'installa à côté d'elle sur le canapé. « Encore une partie de street fighter ? Sérieux, Chaton, t'as vraiment que ça à faire ? » Malgré le ton badin, son inquiétude transparaissait dans sa voix cette fois-ci.
« Ça va, j'ai pas besoin d'une babysitter, Alec. »
Il fronça les sourcils, piqué par cette réponse un peu trop tranchante et qui ne lui ressemblait pas. S'il y avait une chose qu'il ne supportait pas, c'était de sentir quelqu'un souffrir sans pouvoir y faire quoi que ce soit. C'était un trait qu'il partageait avec Harry, sauf que, pour sa part, son empathie s'arrêtait aux gens qu'il aimait, et Elena faisait partie de ces personnes qui étaient chère à son cœur. C'est pourquoi, cette sensation d'impuissance le frappait de plein fouet. Il la regarda, cherchant quelque chose dans ses traits, quelque chose qui pourrait trahir la vraie raison de cette façade obstinée. « Qu'est-ce qui ne va pas, Chaton ? »
Elle resta silencieuse, les yeux rivés sur l'écran, appuyant frénétiquement sur les boutons comme si cela pouvait faire disparaître le poids qui pesait sur elle. « Rien, » dit-elle, la voix étrangement plate. « Je vois pas de quoi tu parles. »
Alec esquissa un sourire en coin, bien que son regard restât sérieux. « Me la fais pas à moi, Elena. Tu es froide et distante depuis quelques jours et aujourd'hui, c'est pire que tout. Même si on a pas dormis ensemble ces dernières nuits, je t'ai entendu te retourner... Les murs sont fins chaton et je t'entends faire des cauchemars quand tu trouves enfin le sommeil. Sans oublier que tu as crié sur ce pauvre Harry aujourd'hui alors qu'il n'a rien fait de mal et tu le sais aussi bien que moi. » Il s'enfonça un peu plus dans la canapé pour lui signifier qu'il ne partirait pas. « Écoute, j'sais qu'il y a un truc qui cloche. Alors accouche. Je lâcherais pas l'affaire cette fois-ci. »
Elle leva brièvement les yeux, comme pour vérifier son entêtement. Alec ne bougea pas d'un cil, le regard fixé sur elle, insistant. Elle mordit ses lèvres avant de déclarer sur un ton acerbe, « Alec, franchement, je t'ai jamais forcé à parler de tes histoires, alors fais-moi la même faveur et lâche-moi un peu tu veux ?»
Il ne cilla pas. « Non, j'te lâcherai pas, Chaton. Ça fait des jours que tu traînes ça comme un boulet, pour pas dire des mois, et si tu veux pas parler, j'irai voir Suzanne ou Lucas. Et crois-moi, ils finiront par tout me raconter d'une manière ou d'une autre. Je suis pas dupe, je sais qu'il sait passé un truc aujourd'hui et je suis sûr que ces deux-là saurons me rencarder. »
À ces mots, Elena se crispa, et ses doigts glissèrent de la manette. Un silence pesant s'installa, et Alec attendit patiemment, immobile, le regard braqué sur elle. Elle détourna finalement les yeux, se mordant l'intérieur de la joue, et murmura dans un souffle étranglé, « Disons que je me suis pris la tête avec des connards et que ce qu'ils m'ont dit a réveillé de vieilles blessures. J'ai juste besoin de temps pour digérer tout ça et avancer comme j'ai toujours réussi à le faire. »
« Si c'était si simple tu serais pas dans cet état alors raconte-moi. »
Elena resta silencieuse un moment, puis répondit, « L'un d'eux a parlé de ma famille sans savoir. Je sais que ça devrait pas m'atteindre mais j'ai pensé à ma mère... à tous ceux que j'aime et ça a foutu un sacré bordel dans ma tête. » Elle omit sciemment de parler de Lucas et de Suzanne. Quelque chose au fond d'elle lui laissait penser qu'Alec n'apprécierait pas d'apprendre la façon dont ils l'avaient traité ces derniers jours. Et puis, le souvenir de sa mère dernièrement la bouleversait tout particulièrement.
« C'est la période à laquelle elle est décédée, c'est ça? »
« C'est ça. » répondit Elena sans croiser le regard d'Alec. Ses yeux étaient brillants et sa voix fragile.
« Tu ne me dis pas tout Elena, vide ton sac. » ajouta Alec doucement.
« Ma mère... elle n'est pas morte sur le coup, dans l'accident. »
Alec sentit sa gorge se nouer, surpris par l'aveu. « Quoi ? ». Tout le monde avait pensé à l'époque que Marie était morte brutalement et Elena n'avait rien dit qui puisse laisser penser le contraire.
Elena resta silencieuse un instant, son visage se durcissant sous l'impact des souvenirs qui la traversaient. « Ça va bientôt faire dix ans. Et pourtant, j'ai toujours ces images en tête, comme si c'était hier. Elle... elle a agonisé devant moi, Alec. Ça me hante encore. J'ai jamais pu vraiment oublié. On oublie jamais... » Sa voix se brisa, et Alec vit des larmes silencieuses glisser le long de ses joues. « Je ne l'ai jamais dit à personne. T'es le seul... Je voulais pas que Harry et son père eux-aussi aient ces images horribles en tête. Ils avaient déjà tellement de peine. »
Une envie irrésistible de la serrer dans ses bras s'empara de lui mais, il se força à rester immobile, pour ne pas la brusquer, ni interrompre sa confession. Elle semblait perdue dans ses pensées, les yeux fixés sur un point imaginaire devant elle, revivant chaque détail avec une précision douloureuse. « Elle... elle avait des spasmes. Du sang coulait de sa bouche, de ses oreilles. Elle avait peur de mourir. Elle suppliait pour sa vie... et moi... » Elle serra les poings, sa voix s'étranglant. « Moi, j'étais là, incapable de faire quoi que ce soit. Complètement impuissante. J'ai l'impression que tous les gens que j'aime finisse par me quitter Alec, ou pire meurt par ma faute... Parfois, j'ai peur que vous... »
Ses doigts lâchèrent la manette, et Alec, comme poussé par une force instinctive, la tira doucement vers lui, l'entourant de ses bras, fermement mais sans brusquerie, comme pour lui offrir un refuge contre cette tempête intérieure. « Chut... » murmura-t-il, caressant doucement son dos. « T'es pas toute seule, Chaton. T'as le droit de pleurer, de crier si t'en as besoin. J'suis là. Et j'te lâcherai pas. J'te l'promets, jamais j'te laisserai, peu importe ce qu'il arrive. »
Elena hocha la tête, puis se laissa aller contre lui, et soudain, les larmes coulèrent en silence. Elle étouffa ses sanglots contre son torse, jusqu'à ce qu'ils se changent en cris étouffés, puis en hurlements de douleur qui résonnaient dans la pièce, déchirants et puissants. Alec maintenait son étreinte protectrice, la berçant avec affection. Voir la femme qu'il aimait aussi brisée le bouleversait. Sa souffrance faisait écho à ses propres secrets.
Après de longues minutes, ses pleurs s'atténuèrent, et elle se laissa retomber, vidée, dans ses bras. Le silence du salon retomba sur eux, libérateur. Elena leva les yeux, ses paupières encore gonflées, le visage rougi. « Tu dois trouver ça ridicule... que je reste bloquée là-dessus après tout ce temps, que je n'en aie jamais parlé... »
Alec secoua la tête, sa voix basse mais ferme. « Pas du tout. » Il esquissa un sourire sans joie, le regard fuyant un instant. « J'te comprends bien plus que tu ne le crois. »
Elle le fixa, intriguée, et un silence s'installa, lourd de sous-entendus. Puis il se redressa légèrement, les yeux tournés vers le sol, comme s'il cherchait ses mots. « Moi aussi je me rappel du visage de ma mère juste avant de mourir comme si c'était hier. La plupart du temps, j'arrive à totalement l'occulter comme si la scène n'avait jamais existé mais parfois, les images reviennent. Elles sont toujours aussi violentes et à chaque fois j'ai l'impression de vivre un cauchemar éveillé. » Il se pinça les lèvres, cherchant le courage d'aller au bout de sa confession. « Mon père est en taule... Parce qu'il a battu ma mère à mort. » Elena bloqua sa respiration sous le choc de ces révélations. Elle savait que ses parents se disputaient souvent, mais elle n'avait jamais imaginé l'ampleur de la violence dont il avait pu être témoin.
Alec continua, la voix teintée d'une amertume à peine contenue. « J'étais chez Harry ce soir-là. On déconnait comme d'hab et j'ai pas vu l'heure passer. Quand je suis rentré... ça faisait des heures qu'elle baignait dans son sang, seule, à appeler à l'aide. Ses derniers mots ont été... Pourquoi t'es pas rentré plus tôt ? »
Sa main trembla légèrement contre son genou, et il détourna le regard, comme s'il n'arrivait pas à supporter la violence des souvenirs. « Elle est morte sous mes yeux, et mon père... Il dormait dans sa chambre, cuvant son alcool. Il l'avait tapé et laissé sur le sol avant de se barrer comme si de rien n'était... » Sa voix se fit un murmure, et Elena sentit une vague de colère contenue l'envahir. « J'arriverai jamais à me défaire de ces images. Je fais encore des cauchemars moi aussi et à chaque fois j'ai envie de le tuer. J'me dégoûte parce que cette violence me rappel mon père et son sang qui coule dans mes veines. »
Elena le regarda, sa gorge serrée par l'émotion. Elle déglutit, et, d'un geste délicat, glissa sa main contre sa nuque, l'attirant doucement pour poser sa tête contre sa poitrine. Alec se laissa faire, son souffle saccadé trahissant l'émotion qui le submergeait. Il tenta de se retenir, puis finalement, enserra Elena avec force. Il laissa les larmes couler le long de son visage sans un bruit.
Lorsqu'il eut terminé, il se redressa mais Elena porta sa main à son visage, le caressant avec tendresse pour l'inciter à la regarder, « Tu ne ressembles en rien à ton père Alec. Tu es un homme bon et la violence n'est pas génétique. Tu le sais aussi bien que moi. » Il s'apprêtait à lui répondre mais, elle l'en empêcha en posant un doigt sur ses lèvres « Non... Quoi que tu puisses dire ne changera pas la façon dont je te voie Alec. » Il sourit, conscient qu'elle n'accepterait aucune opposition. Quelque part, cela le touchait de savoir qu'elle pouvait voir au-delà des apparences et continuer à l'apprécier.
« On est fatigué toi comme moi, on devrait peut-être aller se coucher, qu'est-ce que tu en penses ? On pourrait dormir ensemble cette nuit ? Quand je suis avec toi, je... Je ne fais pas de cauchemars... »
Alec hocha la tête, « J'ai remarqué. »
Elle lui fit une place pour qu'il s'allonge à ses côtés. Épuisés par leurs confessions, ils s'endormirent ancré l'un à l'autre comme si ce lien qui les unissait était le seul moyen de ne pas sombrer au cœur de cet océan tourmenté.
Au fil des chapitres, c'est de plus en plus triste avec leurs passés qui les hantent, mais ça devient aussi super mignon entre Alec et Elena, je passe de la joie à la tristesse même quand l'on ne s'y attend pas. J'aime bienn
c'est super que tu aimes autant. Ça me fait vraiment plaisir. L'idée à travers l'histoire est de faire vivre différentes émotions. J'essaie d' osciller entre le rire, la tristesse, la tendresse... Si j'y parviens c'est génial parce que c'est exactement ce que j'essaie de créer.
Bien bien bien. Je te fais une nouvelle fois mes remarques au compte-goutte, mais avant ça, un focus sur la fin :
Je me demande si Alec ne réagit pas un poil trop fort à la situation d'Elena sur le campus. Bon, ce n'est jamais agréable d'être le sujet de rumeurs erronées (plutôt dégradantes dans ce cas précis) mais on dirait que la vie d'Elena est en jeu à ce niveau (je fais référence à des petites choses comme "Alec se redressa brusquement, ses yeux s'écarquillant d'horreur."). Je crois que c'est peut-être un chouilla surjoué, même si après, on comprends bien qu'il se sent hyper touché parce que justement, c'est Elena.
Mes remarques au compte-goutte :
- "d'être terrassés par une grippe" -> je me demande si "terrassé" n'est pas un peu fort, ça a un côté un peu définitif xD
- "Elle entendait des rires moqueurs résonnaient dans son dos" -> je trouve que ce format donne davantage l'impression qu'ils fréquentent un lycée qu'une université.
- Je pense qu'au moment où Elena se fait accoster par le relou, il devient assez évident que même gênés, Suzanne et Lucas ont défendu Elena. Ils ne l'évitent pas, même s'ils sont mal à l'aise. Je trouve donc sa réaction un peu trop forte.
- "J'veux que tu prennes soin d'elle Alec" -> on dirait quasi qu'il lui donne le feu vert avec cette réplique (ou qu'il bénie cette union) ! C'est un peu solennel.
- Je m'attendais assez à ce qu'Alec ait vécu un truc du genre, avec le côté protecteur "on frappe pas les femmes", donc c'est très bien amené. Et le moment me semble aussi très bien choisi pour cette révélation.
Du côté d'Elena en revanche, j'ai l'impression qu'elle évite de parler d'un trauma (ce qui l'a amené à Austin, mentionné au début de chapitre) en parlant d'un autre (sa mère). Je me demande pourquoi.
Voilà pour cette fois-ci ^^ On avance, on avance ! Moi je penche aussi pour la nana qui aurait balancé les rumeurs, ou pour un collectif de nanas jalouses, ça peut aussi.
Chouette chapitre, à bientôt !
J'ai procédé à quelques modifications en temporisant certains traits ou certaines réactions.
Elena reste une personne impulsive et a une proportion à répondre par l'agir parfois inquiétante. Elle a du mal à gérer les émotions et les tensions et quand elle est fragilisée elle s'isole, quitte à blesser ceux qui l'entourent et que pourtant elle aime. C'est ce qui explique sa réaction face à Suzanne et Lucas qui ne méritaient aucunement cela. J'ai néanmoins apporté une légère modification en indiquant qu'après avoir renversé Lucas, sans le vouloir, elle hésite à s'excuser mais reste mutique. Plus d'ambivalence, c'est effectivement mieux
Pour Alec, il ne supporte pas l'injustice et surtout l'abandon. Sa relation avec ses parents, les derniers reproches de sa mère ont laissé des traces et au-delà de voir qu'Elena est victime de rumeurs injustes qui la font souffrir, ce qu'il ne supporte pas c'est de penser que Suzanne et Lucas aient pu l'abandonner. Alors effectivement, il connaît Lucas et devrait lui faire confiance mais lui non plus ne gère pas vraiment ses émotions comme il devrait. Il les fuit tellement souvent que lorsqu'elles débordent il ne parvient pas à prendre le recul nécessaire pour penser intelligemment...
Harry fait psycho parce qu'il voulait prendre soin des gens. Comme il se sent impuissant pour soulager sa soeur mais qu'il voit qu'avec Alec elle baisse sa garde, il lui confie sa sœur ou plus exactement la souffrance de sa sœur. La nuance est mince sans doute.
Concernant leurs confessions, c'est un moment important que je voulais être poignant. Pour le reste je n'en dirais pas plus pour le moment. Néanmoins, la souffrance d'Elena par rapport à sa mère et au secret qu'elle a gardé est bien réel. Les images traumatiques s'imposent à elle et sont sources de souffrance. Elle était encore jeune à son décès et elle a construit une image idéalisée de celle-ci. C'est aussi la raison pour laquelle elle a dégoupille lorsque le type a fait une réflexion indirecte sur sa mère. C'est comme s'il avait appuyé sur un bouton malgré lui qui avait réveillé un volcan endormi...
Merci pour tes commentaires. Au plaisir d'échanger à nouveau ensemble aux détours de nos prochaines réflexions partagées.
Ton commentaire m'a fait extrêmement plaisir. Les fautes de conjugaison et d'orthographe sont effectivement une grosse lacune... J'en suis sincèrement désolée car je sais que pour certains ça gâche la lecture et c'est rédhibitoire. Je peux comprendre.
Par contre que tu relèves la force des émotions transmises j'en suis très heureuse. C'était exactement ce que je visais: créer des personnages attachant avec une profondeur qui permette au lecteur de s'immerger dans l'histoire. Merci encore pour ce retour qui m'a donné le courage de publier un nouveau chapitre ce soir. D'autres suivront dans le weekend je pense.
Bonne lecture