Deuxième jour
— Miil, je voudrai m’excuser.
— De quoi ? Tu m’as rien fait.
— De mon comportement avec Mateja, dans la chambre.
— Ah. C’est pas grave ça.
— Désolée quand même.
— Je sais pas ce qu’elle t’a fait mais t’as eu du courage de l’attaquer. Moi j’aurais jamais osé. J’aurais eu peur de casser mes lunettes. La dernière fois que j’ai tordu les branches, ma mère m’a privée de repas. Et puis, j’ai pas envie de me faire mal. Je sais pas me battre et elle est plus grande que moi. En tout cas, je suis contente qu’elle soit plus là. Maintenant, Julve est gentille avec moi.
Je laissai la petite blonde à lunettes me raconter mille détails insignifiants de sa dernière journée, fascinée de voir se révéler ainsi son caractère. Miil était de ces faux calmes vers qui il suffit d’un pas pour faire tomber les barrières. Je l’écoutai les bras croisés. Ses mots comblaient mon silence.
*
— Julve, je … je viens m’excuser. Pour ce que j’ai fait à Mateja.
— Moi aussi je veux m’excuser. Daanio est venu me parler. Il m’a dit d’où tu venais. Je suis désolée que tu n’aies plus tes parents. J’aurais dû être plus gentille avec toi. J’ai…
— C’est pas grave, c’est fini.
— Alors tu veux bien qu’on soit amies ?
— Amies ? Euh, si tu veux.
*
Troisième jour
Après l’avoir embrassé sur le front, je laissai s’éloigner Hinnes à regret. La troupe chantante dévala le sentier jusqu’à la mer et je demeurais seule avec l’écho de mes conversations avec Julve et Miil. Leurs réponses m’avaient surprises. J’avais anticipé une réaction semblable à celle de Mateja pour Julve et imaginé un silence gênant avec Miil. Il n’avait pourtant suffi de quelques pas, de quelques phrases, pour transformer nos silences en échange, faire de nos méfiances des sourires.
— Alors, tu viens ?
La voix de Liiva fit éclater ma bulle. Je ne l’avais pas entendue s’approcher. Elle avait retiré sa blouse, seulement vêtue d’un pantacourt beige et d’un maillot noir de soie. La peau de son cou, de ses pieds, de ses bras et de sa taille resplendissait du soleil de l’après-midi.
— Où est ton père ? demandai-je.
— Il doit encore dormir à la piscine. Suis-moi !
Je lui souris en retour et lui emboîtai le pas. Elle marcha vers la première maison blanche, celle où vivaient les petits. Nous passâmes par l’arrière, en contournant les poubelles. Liiva déverrouilla une porte laquée et nous débouchâmes dans la réserve de la cuisine.
— Prends des fruits et quelques gâteaux, me dit-elle, je vais chercher des gourdes.
— Tu veux m’emmener où ?
— Surprise !
*
Je suivais Liiva en tenant mes côtes douloureuses. Nous gravissions le flanc de la colline depuis une heure, sous un soleil de plomb. Des gouttes de sueur glissaient sur mon front, brûlantes, et ma chemise collait à mon dos. L’air s’était figé, nous privant du moindre souffle de vent. Il me fallait m’arrêter tous les dix pas pour essuyer les sillons de sueur sur mon front ou pour boire. Chaque pas sur le chemin aride meurtrissait davantage mes chevilles. Je n’osai regarder mes pieds, sans doute perclus d’ampoules.
— Tiens bon, on arrive !
Sans les encouragements de Liiva, j’aurais abandonné au premier détour du sentier. Sa douce voix et son sourire enchanteur avaient le pouvoir de me galvaniser. Je trouvais les ressources pour remettre mes pas dans les siens, balançai mes bras pour suivre son rythme. Il me sembla courir alors qu’elle gardait la même vitesse depuis les premiers mètres. J’avalai une gorgée d’eau tiède, soulagée de voir la pente s’aplanir. Cependant, les pins se raréfiaient, me faisant regretter l’humidité des bois. Nous arrivions sur une sorte de plateau rocheux couvert de mousse, à l’ombre d’une corniche. Liiva s’arrêta. Était-ce cela qu’elle voulait me montrer ?
Ma guide s’agenouilla derrière une roche pointue en forme de dent, m’invita à la rejoindre. Je m’assis à ses côtés avec un râle de soulagement. Ce fut à ce moment que je l’entendis. Cette sérénade. De longs sifflements aigu lancés depuis les airs qui se répondaient. Je me levai et je le vis. Ce ballet. Des dizaines d’oiseaux planant autour de la corniche, étendant leurs longues ailes et leurs ombres. Je dénombrai pas moins de vingt nids perchés dans les interstices de la roche et crus percevoir le lointain piaillement d’oisillons.
Derrière la roche, un sublime point de vue s’offrait sur la vallée alentour, barré par les dunes et le scintillement lointain de la mer. Des rapaces en revenaient, avec des rongeurs ou des petits oiseaux dans leurs serres. Ils tournoyaient jusqu’à leurs petits pour leur donnée la becquée. C’était touchant de voir ces géants de plume soumettre l’entièreté de leurs efforts à des créatures invisibles à mes yeux. À chacun des contacts entre parents et petits, l’histoire de la vie et de la transmission se rejouait à nouveau.
— Alors, me chuchota Liiva, t’en dit quoi ?
J’étais admirative du fonctionnement de cette cité animale, loin du regard des hommes, j’étais stupéfiée par ce tableau magnifique qui récompensait mes efforts. J’étais heureuse de découvrir un tel endroit avec elle. Pourtant, je ne sus que répondre :
— C’est bien. C’est vraiment bien.
— Il y a aussi des milans là d’où tu viens ?
— Non, on voit parfois quelques buses, c’est tout.
— T’habites où ?
— Je… je ne sais pas. Enfin, si, à Osivel.
Je m’empourprai, craignant de m’être trahie. Ma répulsion à mentir à Liiva ne devait pas compromettre mon séjour à Emisal. Par chance, la chaleur excusait ma rougeur et mon interlocutrice n’y prêta pas attention. Elle paraissait réfléchir. Au bout d’un long moment, elle répondit :
— L’année dernière, il y avait un garçon qui venait du même endroit que toi. C’est un foyer, c’est ça ?
— C’est le Château.
— Oui ! C’est ça ! Il s’appelle Hinnes, peut-être que tu le connais ?
Je hochai la tête.
— Oui. Il est aussi là cette année. On est amis !
— Trop bien ! J’ai vu qu’il restait souvent tout seul l’année dernière. Alors tant mieux si tu es avec lui.
Je baissais les yeux, attristée par cette nouvelle. Je me souvins d’Hinnes me racontant ses amitiés à Emisal. Son deuxième séjour avait été moins heureux que le premier. Voyant ma gêne, Liiva changea de sujet :
— Alors, t’aime bien ici ?
— Carrément. C’est impressionnant.
— Ils sont revenus de migration, il y a quelques semaines. C’est l’année où il y a le plus de nids.
— Ils migrent où ?
— Certains vont jusqu’à Noktar, dans la région des grands lacs. Ils font chaque année un voyage plus long que je n’en ferai jamais de ma vie.
Une étincelle rêveuse s’alluma dans mes pupilles, la même qui les illuminait à l’observation du train depuis ma chambre à la Ferme. Les milans étaient libres. Ils n’avaient comme refuge que celui qu’ils choisissaient. Chaque année, ils traversaient le monde, survolaient terres et lacs, loin au-dessus des problèmes des hommes. Je m’imaginais à leurs côtés, frôlant les nuages puis chassant les étoiles. Si seulement j’avais pu avoir des ailes.
— On restera pas assez tard, ajouta Liiva, mais le mieux c’est le soir. Quand le soleil se couche et que leurs ombres dansent sous le ciel rouge. Il n’y a pas de plus beau spectacle.
Tandis que j’essayai d’imaginer ce bal nocturne, Liiva sortit un carnet de feuilles quadrillées et un crayon à papier. Elle tourna les premières pages, couvertes d’esquisses variées, posa l’objet sur sa hanche et traça une première ligne. Son crayon commença à glisser de droite à gauche, de haut en bas, avec la légèreté d’une plume. Son dessin représentait un corps de milan vu de haut, avec son dos plumé, sa queue aux rectrices écartées, ses serres meurtrières. Puis elle traça son bec, ses grands yeux, son sourcil sévère. Voir l’oiseau prendre vie sous mes yeux était fascinant. Soudain, elle arracha la feuille et me la tendit :
— Tiens.
— Mais tu n’as pas fait les ailes !
— Je sais pas les dessiner.
— Comment il va voler alors ?
Liiva s’amusa de cette remarque ingénue. Elle me lança sur un air de défi :
— Dessine-les. Tu me montreras quand t’auras terminé.
— Je ne sais même pas tenir le crayon.
— C’est pas bien difficile, regarde.
Elle posa sa main au-dessus de la mienne, y déposa le crayon. Je sentis ma peau picoter à son contact. Cette caresse involontaire avait la même saveur électrique que celles de Givke autrefois. Je fermai les yeux en la laissant me guider.
*
Quatrième jour
Les chaussons prêtés par Sivline avaient l’odeur des habits enfilés d’innombrables fois, des traces de sueur décoloraient leur toile bleue. Il me fallut tirer de toutes mes forces pour les enfiler, compressant mes orteils. Je marchai maladroitement jusqu’aux autres jeunes, groupés autour du moniteur. Il rappelait les consignes de sécurité avec des gesticulations comiques. Sans l’écouter, on aurait cru observer un danseur désarticulé. Quand il eut terminé, les garçons s’élancèrent les premiers en bas de la paroi. Et l’ascension débuta.
Je songeai en les voyant grimper à mon escapade de la veille. Peut-être qu’en grimpant en haut, je pourrais trouver un nid, contempler le vol des rapaces de plus près. Cet objectif me motivait à lui seul. Hinnes ne partageait pas mon enthousiasme. Assis à côté des animateurs, son regard plongeait vers ses genoux. Il n’appréciait guère l’altitude relative où nous nous trouvions. Mes tentatives pour le rassurer avaient échoué les unes après les autres. Je m’en voulais un peu car je savais qu’il n’avait choisi l’escalade que pour être avec moi.
Le moniteur applaudit quand Aslem arriva à la première barre de peinture jaune. Le garçon redescendit, noyé de sueur, le visage éclairé du sourire de héros de l’après-midi. Un deuxième groupe se lança et l’on me fit signe de me préparer à mon tour. À l’ombre du mur, je réfléchis aux meilleures prises et aux passages à éviter. La voix agacée du moniteur brisa ma concentration :
— Eh toi, là-bas ! Viens, dépêche-toi !
— Je n’ai pas envie, répondit Hinnes d’une petite voix.
— Comment tu peux savoir si t’as pas essayé ? Tout le monde est passé, c’est pas bien difficile !
— Tu aurais pu aller au canoë, renchérit Sivline. Il faut assumer ton choix.
— Tes parents ont payé cher pour que tu sois ici, c’est la moindre des choses de participer !
Je soufflai de dépit : ce que les adultes pouvaient être stupides. Je m’interposai avant que la discussion s’envenime :
— Laissez-le. Il a dit qu’il avait pas envie.
Je m’exprimai d’une voix résolue, en regardant mon interlocuteur droit dans les yeux. Je vis qu’il n’appréciait guère d’être contredit par une gamine et il s’apprêta à s’agacer. Cependant, il se ravisa, sans doute découragé par les enfants alentour. Il retourna vers la paroi en grognant entre ses dents :
— Sales gosses trop gâtés.
Ce fut à mon tour de contenir ma colère. Comment pouvait-il dire une chose pareille alors qu’il avait eu ce que nous ne pouvions que rêver ? Peut-être était-il incapable d’imaginer d’autres enfances que la sienne. J’allai tapoter l’épaule d’Hinnes qui me sourit pour me remercier de mon intervention. Je sentis qu’il préférait être seul et rejoignis les autres jeunes. Je n’attendis pas longtemps avant que l’on nous demande :
— Faites des duos !
Je me retrouvai avec Tejko, un garçon aux visage rond avec de grosses lunettes. Il avait l’air plus timide que moi, n’osait même pas me regarder. Je resserrais mon harnais pour bloquer la corde dans mon mousqueton, me mis en position de départ. Cependant, mon partenaire peinait à s’accrocher et se tourna vers moi en rougissant :
— Tu peux m’aider ? J’y arrive pas.
Après que j’eus achevé les nœuds, Tejko put enfin se lancer à la poursuite des autres grimpeurs. Ses illusions ne survécurent pas au premier mètre. Maladroit, il choisissait des prises difficiles et se fatiguait en gestes inutiles. Il redescendit en haletant comme un chien fou puis s’effondra en se tenant les côtes.
— Désolé ! me lança-t-il.
Surprise de ces étranges excuses, je l’aidai à se détacher puis prit sa place. Il trouva la force de se lever pour m’assurer et je posai enfin mes mains sur la pierre. Elle était froide et dure. Je trouvai un solide appui pour mon pied gauche et me hissai en quelques secondes à la même hauteur que mon partenaire. Après un temps d’hésitation, je m’orientai vers la droite, où des prises en escalier me permirent de gravir un deuxième mètre sans me fatiguer. Je n’étais plus très loin du trait jaune. Je repérais un appui me permettant de l’atteindre mais il était juste assez loin pour me laisser bloquée. J’eus beau me mettre sur la pointe des pieds, j’étais bloquée.
Je redescendis si frustrée que je remarquais à peine les regards admiratifs de Tejko et des autres enfants. Je laissai avec peine ma place à un autre groupe, échaudant déjà une stratégie pour le deuxième tour. Je remuai mes doigts ankylosés et sautillai sur place pour garder mon énergie. J’observai aussi les meilleurs grimpeurs. Ils parvenaient à utiliser une seule prise pour leurs pieds, à se mouvoir de long en large de la paroi avec une impressionnante légèreté. Une fois, deux fois, j’essayais de les imiter. Cependant, aucune technique ne compensait assez notre différence de taille et je ne dépassais pas ma première performance. Je m’acharnais une quatrième fois, insatiable, alors que la plupart des jeunes s’étaient assis pour goûter. Cette fois, je suivis mon intuition, utilisant les mêmes prises que la première fois. J’arrivai à la prise intouchable et osai enfin prendre un risque décisif. Je sautai.
Le temps d’un court instant, je n’avais plus de prise, seulement l’élan de mes muscles. Le vent battait mes cheveux, la peau de mes mains, rougie par la roche, m’élançait, le soleil me brûlait la nuque. Ma main accrocha la pierre et je me tirai au niveau de la ligne jaune. Le mètre suivant me parut d’une grande simplicité et j’atteignis le deuxième trait de couleur sans pause. Là, une anfractuosité de la paroi m’offrit un arrêt nécessaire. Je repris mon souffle en osant pour la première fois un regard en arrière.
Il y avait d’abord les autres jeunes, revenus pour admirer ma performance, puis la pierre sous leurs pieds, puis le vide fascinant. En portant plus loin le regard, j’apercevais la cime des pins et les trois maisons blanches d’Emisal. Plus loin encore, l’immensité bleutée d’un horizon de mer et de ciel. Tout cela je le dominais.
C’était grisant.
*
Cinquième jour
Le réfectoire avait été vidé de ses chaises, les tables serrées contre les volets de la baie vitrée. Les animateurs étaient répartis dans tous les coins de la salle, installés sur des plaids entourés de bougie. Caché dans une armoire, le gramophone diffusait une douce mélodie au piano, qui renforçait l’ambiance mystérieuse de la veillée. À peine entrés, la majorité des duos coururent lancer leurs premiers défis, rêvant de remporter la prestigieuse soirée casino.
À l’époque du Château déjà, Hinnes m’en avait parlé. Cet évènement rassemblait l’ensemble des enfants et animateurs du séjour dans une même pièce. Tout était comme il me l’avait décrit. Les adultes déguisés en croupiers, le bar à friandises à l’entrée de la cuisine, la sommaire piste de danse à l’ombre des armoires, les reflets des bougies qui dansaient sur le plafond. Nous nous dirigeâmes vers les stands délaissés, dans le fond de la pièce. Hinnes mit en jeu l’une de nos dix pièces dans un jeu de logique contre Sivline, vêtue d’une robe à paillettes dorées, en gagna deux autres.
L’affluence se déplaça bientôt au bar, où même les perdants dépensaient leur maigre pécule. Hinnes et moi y vîmes l’occasion de prendre de l’avance sur nos concurrents et allâmes vers Daanio. Il portait un chapeau melon, un uniforme trop grand pour lui et des gants de velours blanc. En me voyant, il fronça les sourcils :
— Qui êtes-vous, mademoiselle ?
Perturbée par la voix de ténor de son rôle, je demeurai silencieuse. Par chance, Hinnes ne se laissa pas démonter :
— Vous avez affaire à la fille du chios de Losival lui-même ! Je vous prie de faire preuve de plus de délicatesse !
— Mille excuses ! Permettez-moi de vous faire attendre l’arrivée d’un autre duo.
J’assistai à cet échange, stupéfaite. J’avais l’impression d’entendre des personnages de livre. Hinnes m’avait caché ce talent. Nous fûmes bientôt rejoints par Tejko et Miil. L’épreuve consistait à remplir un gobelet de cailloux sans le faire couler. Au sixième tour, Miil le renversa d’un geste maladroit et nous remportâmes trois nouvelles pièces. Hinnes me serra la main avec un regard triomphant avant de m’entraîner vers un autre stand. Nous jouâmes aux cartes, billes, casse-têtes. Tout nous réussissait. Autant portés par la ruse de mon coéquipier que par la chance, nous arrivâmes à trente pièces. Je convainquis Hinnes d’aller acheter une boisson, voyant que les prix baissaient. Il me suivit en grognant et nous attendîmes quelques minutes avant d’atteindre Sivline.
— Bonsoir Hildje et Hinnes, je vous sers quoi ?
J’avais vu beaucoup d’enfants choisir une boisson rouge pétillante dont j’ignorais le nom. Je tendis le doigt vers la bouteille. Sivline se retourna pour prendre des verres. À la lueur des bougies, l’œil du serpent tatoué sur son cou semblait prendre vie.
— Voilà pour vous ! Ça fera deux pièces.
Comme je fouillais mes poches pour payer, elle remarqua :
— Eh, mais vous vous en sortez bien. Vous êtes à combien ?
— Vingt-huit maintenant.
— Oh. Faudrait que vous défiiez Julve et Aslem. Ils ont un peu plus que vous. Dépêchez-vous, ils vont bientôt arrêter la veillée pour coucher les petits.
Sivline nous montra nos concurrents, en duel de force au milieu de la salle. Plusieurs duos ruinés les encourageaient bruyamment, accompagnés d’animateurs ayant abandonné leurs stands. Hinnes les rejoignit en trottinant et je faillis le perdre plusieurs fois. Nous fendîmes les spectateurs pour assister à la fin de l’épreuve. Il s’agissait de tenir un poids avec le bras tendu le plus longtemps possible. Aslem l’emporta sous les hourras, serra sa coéquipière dans ses bras. Depuis l’escalade, les deux ne se quittaient plus.
— On vous défie, cria Hinnes. On mise tout.
Les mains sur les genoux, le souffle court et les veines du bras gonflé, Aslem ne put que secouer la tête de haut en bas. Julve me fit un clin d’œil tandis que l’on venait de tout le réfectoire assister à cette finale. Daanio s’en improvisa le commentateur et d’une voix de ténor, fit grimper la tension. La majorité des jeunes se tournaient vers Aslem, que les exploits à tous les grands jeux depuis le début de la colonie avaient rendu populaire. Cependant, à ma grande surprise, quelques jeunes nous encouragèrent, dont Miil et Tejko. Mes exploits à l’escalade ne les avaient pas laissés indifférents.
Nos quatre bras se tendirent et l’on nous donna les poids à la même seconde. En voyant les visages fermés de nos adversaires, je me pris à y croire : ils enchaînaient l’épreuve une deuxième fois tandis que nous étions frais. Julve ne tarda d’ailleurs pas à lâcher. Habituée à porter des poids lourds à la Ferme, je faiblis plus vite que je ne l’avais imaginé. Mon inactivité physique des dernières semaines, couplée à mes courbatures d’escalade me rendirent bientôt la tâche impossible. Je cédai.
Un joueur par équipe : le dénouement parfait. Aslem souffrait en silence tandis qu’Hinnes fixait un point invisible, les traits durcis par la détermination. Il refusait la défaite. Les encouragements faiblirent pour laisser place à la fascination silencieuse devant la performance des deux garçons. Des dizaines de paire d’yeux se concentraient sur les muscles tendus, les doigts serrés. Les bras commencèrent à trembler, les dents à se serrer, les yeux à se fermer.
Hinnes ne lâcha jamais son poids. Il glissa entre ses doigts suants et son bras s’effondra contre son ventre. Aslem l’imita un instant plus tard en poussant un cri de triomphe. Fou de rage, Hinnes donna un coup de pied sur l’objet qui l’avait trahi. Je fus la seule à l’apercevoir : tout le monde regardait le vainqueur. Je réconfortai mon ami mais mes paroles glissaient sur lui. La défaite l’avait anéanti.
Il y eut des hourras, des bras tendus, des chants, des rires. Les adultes durent lutter de longues minutes pour apaiser l’ambiance. Les cris de Daanio furent le prix à payer pour nous faire tous asseoir, puis taire. Je m’installai près d’un Hinnes au regard vide. Seuls ses grognements lorsque je lui secouai les bras me rassuraient. Inquiète, je ne prêtai pas garde au jeu calme organisé par les animateurs. Cependant, la musique douce émanant désormais du gramophone parut apaiser mon ami. Je regardai avec soulagement son visage se détendre tandis que l’on envoyait les plus jeunes se coucher par petits groupes.
Il ne resta plus qu’une quinzaine d’adolescents, avec Daanio et Sivline. Les animateurs murmuraient à voix basse, de mystérieux sourires aux lèvres. Ces deux-là cachaient quelque chose. Après que les derniers pas se soient tus dans le couloir, Daanio prit enfin la parole :
— Vous avez passé une bonne soirée ?
Des cris enthousiastes et des visages rayonnants lui répondirent. Seul Hinnes se tut.
— Bon, maintenant que les petits sont couchés, je peux enfin vous annoncer la nouvelle.
"J’avais l’impression qu’à chaque fois que je tournai les yeux, sa colère intérieure pouvait à nouveau se déchaîner. Je refusais de voir une scène comparable à celle du matin. Je me l’étais juré : il ne recommencerait jamais plus. Je frissonnais en imaginant la cicatrice sous sa manche." : j'ai l'impression d'avoir raté quelque chose. C'est Hinnes qui a déchaîner sa colère et qui a une cicatrice ? Ca vient d'un épisode que tu racontes et que j'ai oublié ? Ou tu vas raconter après et ceci est ce qu'on appelle un flashforward ? Bref, je suis perdue.
"C’est l’année où il y a plus de nids." : LE plus de nids
"Une étincelle rêveuse s’alluma dans mes pupilles, la même qui les saisissait à l’observation du train depuis ma chambre à la Ferme. " : je ne suis pas super convaincue par le choix de verbe "saisir". C'est bizarre pour une étincelle, je trouve
"On restera pas assez tard, ajouta Liiva, mais le plus mieux c’est le soir. " : le mieux c'est le soir"
"Tes parents ont payé cher pour que sois ici," : pour que TU sois ici (vraiment très habile le moniteur, pfff)
"Il avait l’air plus timide que moi, n’osais même pas me regarder. " : n'osait
"Je m’acharnais une quatrième fois, alors que la plupart des jeunes s’étaient assis pour goûter, insatiable. " : je mettrais insatiable après "une quatrième fois", parce que tel qu'il est placé, j'ai d'abord cru que ça se rapportait aux jeunes
"Je m’installai près d’un Hinnes au regard aussi vide que lors de la scène d’horreur du deuxième jour. " : il s'agit de la scène où Hildje frappe Mateja ? Mais Hinnes ne l'a pas vue, si ? A nouveau, j'ai l'impression d'avoir loupé ou oublié un épisode...
En lisant le commentaire de Cléooo, j'ai cru comprendre qu'entre nos deux lectures, tu avais dû supprimer une scène, ce qui explique ma sensation d'être paumée. Je pense qu'il y a des choses à revoir dans un souci de cohérence car tu n'as pas dû supprimer toutes les références à cette scène dans la suite de la narration.
A part ça, je crois que c'est le premier chapitre depuis le début où la pauvre Hildje chérie ne se prend pas un nouveau truc horrible sur le coin de la figure ! Et ça fait du bien XD Les discussions avec Julve et Miil, les oiseaux, l'amitié avec Liiva, l'escalade, la soirée... Hildje a enfin droit à des moments sympas !
Pas grand chose à dire : ça fonctionne très bien, ça donne le sourire... et on hésite à attendre le prochain problème ! Tu pourrais (presque) nous faire croire que tout va s'améliorer. Mais j'ai du mal à croire que ce serait si simple...
A très vite !
Ah oui bien vu, j'ai oublié d'enlever cette mention d'une scène qui a été supprimée ! Sorry^^
"(vraiment très habile le moniteur, pfff)" Ahah et pourtant gaffe tellement facile à faire xD
Oui, un peu de réconfort fait du bien. Je pense que l'histoire (et Hildje^^) en avaient besoin. Avant la tempête ?
En tout cas, merci beaucoup de ton retour !
A bientôt (=
Commentaire un peu disproportionné, je m'excuse par avance ^^
Je vais beaucoup insister sur la scène d'entrée, "deuxième jour" :
Eh bien... J'ai eu le sentiment d'avoir loupé un chapitre. J'ai d'ailleurs été vérifier si j'avais loupé un chapitre. Une fois sûre de moi, je me suis trouvée un peu dubitative.
Il était clair à travers plusieurs petites choses dicéminées que ça n'allait pas fort pour Hinnes. Mais je crois que malgré ces indices, la scène d'entrée est un peu abrupte, tant dans la mise en scène que dans les faits, et encore dans le traitement postérieur à cette scène.
En première lecture, jusqu'à ce qu'une remarque narrative de Hildje vienne me confirmer que ça c'était réellement passé, j'ai pensé que cette scène était peut-être un rêve. J'ai relu cette première partie après la fin du chapitre, une fois que c'était bien clair dans ma tête que c'était arrivé.
Alors je me rappelle qu'il avait été accepté qu'ils dorment ensemble à partir de maintenant, mais j'avais un peu zappé du coup au début je ne comprenais pas comment elle pouvait s'éveiller et qu'il soit là. Ça commence comme un rêve, j'ai trouvé.
Peut-être que ce qui me perturbe le plus, c'est qu'on oublie très vite cette scène derrière. Les excuses de Hildje aux autres, directement après, m'ont sorti du problème de Hinnes à peine effleuré. Puis on part faire du sport, et on retrouve Hinnes "pas bien" mais sans que ça soit plus approfondi.
Je ne sais pas, le rythme me perturbe ici je pense. Et aussi la violence du geste, tu parles de la lame vermeille du couteau, je vois aussitôt un bain de sang, du coup ça me semble hyper grave (a-t-il tué quelqu'un, s'est-il planté le couteau dans une artère?!). Sans vouloir minimiser la chose, j'ai ensuite l'impression que c'est classé en "simple scarification", sans danger mortel dirons-nous, mais c'était mon premier ressenti. Et le traitement postérieur me semble trop léger.
Je ne saurai pas mieux t'expliquer mon ressenti. Je me demande si les scènes d'excuses ne pourraient pas intervenir avant, si une expression d'Hinnes la veille au soir de l'accident ne pourrait pas mieux nous préparer, si seul le fil de la lame ne pourrait pas s'être tinté de rouge... Si on ne pourrait pas avoir Daanio qui le prend à part de longues heures après ce geste inquiétant... Il me manque quelque chose. Cette scène n'est pas suffisamment exposée, trop vite traitée je crois.
Mes remarques pour le reste du chapitre :
- "le battement régulier de son cœur une nouvelle histoire écrivit." -> écrivit ?
- "Miil était de ces faux calmes vers qui il suffit d’un pas pour faire éclater toutes leurs barrières." -> j'ai trouvé le phrasé un peu lourd ici
- "Il n’avait pourtant suffi de quelques pas" -> que* de quelques
- "qu’il n’avait choisi qu’escalade que pour être avec moi." -> l'escalade*
- "Tes parents ont payé cher pour que sois ici, c’est la moindre des choses de participer !" -> à ce sujet, le château envoie quand même pas mal de monde à Emisal, depuis longtemps. Je me demande comment ça fonctionne, quels sont leurs moyens. Ce pays n'a pas l'air d'être hyper à la pointe de l'immigration bienveillante par plein d'endroit. Des jeunes quasi-esclavagisé, des choix de carrière bien limités, l'école où on apprend même pas à lire... Pourtant ils ont des fonds pour les envoyer en vacances ?
- "Je n’avais plus fait un tel effort depuis ma fugue de la ferme. Il me fallait m’arrêter tous les dix pas pour essuyer les sillons de sueur sur mon front ou pour boire." -> cette phrase met en avant un manque d'endurance chez Hildje. Du coup je suis un peu surprise de ses performances en escalade, parce que ça fait vraiment travailler tout le corps et qu'il faut un peu d'endurance quand même.
- "un boisson rouge pétillante" -> une
Pour le reste du chapitre, c'était bien amené, surtout l'intégration progressive d'Hildje au reste du groupe. Mais c'est beaucoup Hinnes qui m'interpèle ici, avec cette scène d'entrée, et je me dis que sa réaction de la fin est inquiétante aussi.
Sinon on finit sur un cliffhanger qui me laisse plutôt penser qu'une bonne nouvelle se profile ! Espérons que ça en sera une en tout cas :)
À très bientôt ! :)
Merci beaucoup de ton retour ! Ton commentaire m'a fait réaliser que le timing de cette scène était effectivement très mauvais, je l'ai purement supprimée. Elle a un intérêt mais pas forcément un court terme et je pense avoir trouvé un moyen d'amener les choses autrement, plus subtilement. En tout cas merci de ton retour, ça me fait gagner du temps en vue d'une potentielle réécriture^^
En plus, je pense que c'est mieux que l'on se doute un petit peu qu'Hinnes va mal sans que ce soit jamais clairement dit, donc tant mieux si tu as cette impression sans cette scène, c'est l'idéal.
"à ce sujet, le château envoie quand même pas mal de monde à Emisal, depuis longtemps. Je me demande comment ça fonctionne, quels sont leurs moyens. Ce pays n'a pas l'air d'être hyper à la pointe de l'immigration bienveillante par plein d'endroit. Des jeunes quasi-esclavagisé, des choix de carrière bien limités, l'école où on apprend même pas à lire... Pourtant ils ont des fonds pour les envoyer en vacances ?" Ta question vient d'un manque de développement de ma part sur le passage au Château. Il s'agit d'un foyer pour toutes sortes d'enfants (orphelins, maltraitance parentale...), Hildje y est la seule issue de l'immigration (du moins aussi directement). Et en effet les foyers peuvent envoyer des jeunes en séjour malgré le prix, aidés par les subventions. Pour le coup, je m'inspire juste de la France xD Je me note qu'il faut donner plus d'infos au lecteur, je pense que c'est une des constantes du pdv d'Hildje. Ca sera en partie compensé lorsque les pdvs vont se mêler avec Ewan et ma 3e narratrice. Les infos données à un endroit éclaireront aussi les deux autres^^
"cette phrase met en avant un manque d'endurance chez Hildje." bien vu, je vais davantage axer sur le côté chaleur !
Top si tu as apprécié la création du petit groupe, tu me diras ce que tu penses de la suite de leur développement (=
Eheh oui, petit cliffhanger positif pour une fois xD
Merci beaucoup de ce riche retour !!
A très vite (=
Les modifications touchent aussi ce chapitre-ci, surtout la scène où Liiva et Hildje vont voir les milans, à partir de : troisième jour.