Chapitre 13 : La révélation

Une abeille butinait de fleurs en fleurs. Elle frôla une première fois son oreille puis caressa de ses pattes les cheveux blonds de la jeune fille, mais Aeryl ne réagissait pas. Dans ce petit jardin aménagé sur une branche de l’arbre, régnait un calme apaisant qui contrastait avec l’agitation de l’intérieur. Un petit bec becquetait les miettes de pain que lançait la jeune fille autour d’elle. Un peu rondouillarde, une mésange, au joli plumage bleu et jaune strié de noir, bondissait pour récupérer un bout de pain puis s’éloignait craintivement. Toute contente de la générosité de sa bienfaitrice, elle zinzinulait de joie. Au bout de dix minutes, elle commença à prendre confiance et se rapprochait de plus en plus d’Aeryl, à tel point qu’elle chantait maintenant à ses pieds et vint même se poser sur ses genoux. Mais un bruit sourd de bâton qui cogna le sol vint perturber cette communion entre la fille et l’oiseau, qui s’envola en poussant de petits cris stridents.

- Ah te voilà. Je t’ai cherché partout, dit une voix derrière elle.

Crista, s’assit à côté d’Aeryl. Elle ne dit pas un mot, et se laissa absorber dans la contemplation de la verdure du jardin. Après un moment, elle ferma les yeux et tourna la tête vers le soleil, à demi masqué par les feuilles de l’arbre.

- Tu as bien dormi ? Demanda-t-elle les paupières toujours fermées.

- Oui.

Un nouveau silence alourdit l’atmosphère déjà bien pesante depuis sa réaction de la veille. Aeryl avait déjà préparé son sac. Il contenait des provisions, une couverture ainsi que d’autres équipements de survie dont elle aurait besoin durant la fin de son voyage. Elle n’avait pas oublié d’y glisser la fiole bleue, emmitouflée dans la couverture. Puisqu’elle n’avait pas trouvé l’aide escomptée, elle allait devoir se suffire à elle-même pour son périple jusqu’aux montagnes du nord.

- Ne commets pas l’erreur de le considérer comme une brute sans cœur.

Les paupières complètement ouvertes, Crista fixait la jeune fille avec un regard d’une grande acuité. Sa canne reposait sur le rebord du banc. C’était la première fois qu’Aeryl la voyait s’en séparer.

- Il m’a clairement exposé ses attentes envers moi, ou plutôt sa volonté de se débarrasser de moi.

Aeryl réprima une grimace. L’humiliation, mais plus encore, l’effondrement de tout ce qu’elle avait planifié se révélait être plus dur à avaler qu’elle ne l’aurait cru.

- Il est dur, je l’admets, et même blessant. Cependant, si tu apprends à mieux le connaître, tu verras qu’il y a de la bienveillance en lui.

- Si j’apprends à le connaître ? C’est lui qui m’a rejeté et c’est lui qui ne veut pas s’embarrasser d’un boulet comme moi, rétorqua Aeryl.

- Non, il s’est mal exprimé lors de la réunion. Montre lui de quoi tu es capable. Je connais Amos, tu es la première personne qu’il recommande en cinquante ans, tu dois vraiment être spéciale.

Gênée, ses joues pâles et rebondies s’empourprèrent trahissant son embarras. Une mèche blonde rebelle vint se balader devant ses yeux, Aeryl s’empressa de la glisser derrière son oreille. Crista sourit légèrement devant la timidité de la jeune fille.

- J’ai mal réagis en m’énervant.

Elle récupéra sa canne, se mit difficilement sur pieds en lâchant un gros soupir, puis elle tourna les talons. Elle avait déjà fait quelques pas quand elle répondit.

- Au contraire, je crois plutôt que tu as bien réagi.

La vieille femme avait raison, il ne fallait pas qu’elle abandonne. Pas après tous les sacrifices qu’elle avait déjà dû faire. Restait à savoir comment elle allait s’y prendre pour l’épater assez afin qu’il accepte de la prendre comme élève. Décocher une flèche devant lui ? Non, il pourrait le prendre comme une agression. Lui proposer une démonstration de tir à l’arc ? Non plus, la pression lui ferait perdre tous ses moyens. Elle ne voyait pas l’ombre d’une solution et s’en voulait d’avoir pu croire un instant en ses capacités. Jamais elle ne pourrait atteindre les montagnes et jamais elle ne pourrait sortir son ami du village des roses, dans lequel elle s’était perdue dans une spirale de belles illusions. Amos avait eu tort de croire en elle. Engagée dans une impasse, il ne lui restait maintenant plus qu’une dernière solution.

« C’est du tout ou rien » pensa-t-elle.

Elle plongea la main dans son sac, puis rangea ce qu’elle en avait sorti dans sa poche. Inspirant une grande bouffée d’air qui emplit ses poumons d’oxygène, elle se leva.

La main levée, elle stoppa un chauffeur, qui passait devant elle, dans son traîneau.

- Les escaliers qui mènent aux appartements du conseil, s’il vous plaît.

Le chauffeur la dévisagea, puis voyant qu’elle n’était pas une élue, lui montra sa désapprobation. Les élus étaient les personnes les plus influentes de Palid, qui dirigeaient le peuple des oxatans depuis toujours.

- Mademoiselle. Je vous prie de m’excuser, mais il faut être un élu pour pouvoir accéder aux appartements que vous demandez.

- J’ai été invité par l’atiki dans ses quartiers.

- Mais…

- Si vous ne me croyez pas, vous n’avez qu’à m’accompagner dans ses logements et il vous le confirmera en personne.

Le chauffeur réfléchit un court instant. Apparemment l’atiki faisait la même impression à tout le monde. Tout le monde le craignait et personne ne voulait avoir affaire à lui. Finalement, il accepta de conduire la jeune fille.

- Les appartements du conseil alors.

À contrecœur, il tira sur les rênes et le traîneau s’élança dans les airs. Le chauffeur esquiva un autre traîneau, arrivant de face, de justesse. Il devait y avoir de nombreux accidents vus comment ils conduisaient leurs véhicules, mais les autres passagers ne semblaient pas apeurés par leur conduite dangereuse. Le traîneau s’engouffra dans une excavation tout juste assez large pour laisser passer la carriole sans roue qui leur servait de moyen de transport. Aeryl eut le souffle coupé quand il s’arrêta brusquement dans ce qui devait être le couloir menant aux appartements.

- Vous voici arrivé, mademoiselle. La compagnie des traîneaux de Palid espère que le voyage a été agréable, grommela le groom avec peu de convictions.

Aussitôt son pied avait-il touché le sol que le groom reparti sans demander son reste. L’architecture différait en tout point avec celle du grand hall et de toutes ses alcôves. Un long couloir donnait sur de multiples portes en bois. Sur chacune d’elle, des sculptures représentants les évènements marquants de la vie de chaque élu. Sur la première, on pouvait apercevoir un enfant qui cueillait des plantes, puis un autre garçon un peu plus âgé qui confectionnait des potions dans une grosse marmite et en dessous, un homme, dont les cheveux se coiffaient en une longue natte, lançant des fioles qui explosaient au contact du sol. Aeryl reconnut l’homme qu’elle avait rencontré la veille, et qui siégeait sur l’un des trônes. Elle comprit immédiatement que les sculptures sur les portes relataient la vie de leur propriétaire. Elle ne put s’empêcher de remarquer que la porte comportait des emplacements non sculptés, sûrement pour laisser la place à d’autres éventuels évènements qui pourraient se dérouler dans le futur.

Scrutant chaque sculpture sur les portes pour définir à qui appartenait chaque logement, Aeryl avança lentement dans le couloir sans remarquer le regard attentif qui se posait sur elle depuis l’obscurité du fond du couloir.

*

Impassible, il se tenait devant elle, le dos droit et la tête haute emplie de reproches. Il avança et offrit son visage à la lumière faiblarde d’une torche. Sa bouche ne semblait pas vouloir prononcer de mots, et d’un geste du nez, qui se voulait affable et affectueux, le géant taciturne invita Aeryl à pénétrer dans son appartement. À l’intérieur une certaine sobriété ressortait de la décoration. Le côté pratique de la pièce prévalait sur l’aspect esthétique. Au fond, séparé par une porte à moitié ouverte, une terrasse à l’air libre était battue par la fine pluie qui commençait à tomber. Posé dans un coin de la pièce, un vieux lit de bois supportait un matelas muni d’un oreiller de feuilles tressées.

« C’est donc ici que vit l’atiki », pensa Aeryl ; dans un appartement aussi… rudimentaire. Elle se serait attendue à une suite royale, avec un immense jardin, dans lequel pousseraient les plus belles fleurs de la forêt. Et le lit ! Elle avait espéré y découvrir un somptueux lit à baldaquin digne d’une personne de son rang. À la place se trouvait un lit trop petit pour lui et qui devait probablement craquer bruyamment sous son poids.

Elle ne cacha pas sa surprise en se tournant vers lui, mais il ne sembla pas s’en soucier.

- Écoutez, commença-t-il en cherchant ses mots.

Aeryl ne lui laissa pas le temps de continuer.

- Je sais que vous désirez que je parte, mais j’ai une dernière confidence à vous faire.

Ses yeux gris la fixèrent avec leur vivacité habituelle mis à part qu’ils n’affichaient aucune animosité. Ils trahissaient plutôt la soudaine attention que portait Jori à la jeune fille.

- Je suis venue dans un autre but que de devenir votre élève. D’ailleurs, je n’avais pas conscience des desseins d’Amos pour moi.

Sa voix tremblait légèrement devant le charisme de l’atiki, mais elle serra les poings pour se redonner du courage. Comme lui avait conseillée Crista, elle devait lui montrer sa détermination et surtout ne pas se laisser intimider.

- Je suis en possession d’une plante très rare, et j’ai besoin de toute votre discrétion pour cela, continua-t-elle. J’ai trouvé une éphémère.

Le silence qu’il avait respecté jusque-là prit fin.

- Comment ? Proféra-t-il.

- J’ai trouvé une éphémère, répéta la jeune fille du bout des lèvres.

Aeryl sortit le flacon bleuté de sa poche et le mit sous son nez. Jori écarquilla les yeux et rapprocha son visage si près qu’il loucha devant le flacon.

- Ce n’est pas possible.

Cette brute, qui ne semblait ressentir aucune émotion, restait bouche bée devant la plante, piégée dans sa prison de verre. Ses larges mains entouraient le flacon sans oser le toucher, de peur de le briser.

- Pourquoi m’en avez-vous parlé ?

Il ne lâcha pas la plante des yeux. Lui qui paraissait jusqu’alors si détaché du monde et des gens qui l’entourait, était à présent totalement obnubilé par l’éphémère. À tel point que sa question semblait sans importance.

- Pourquoi m’en avez-vous parlé ? Répéta-t-il, cette fois avec un ton de reproche.

Ses sourcils broussailleux se crispèrent jusqu’à ne former plus qu’un long mono sourcil. Il se redressa de toute sa hauteur et abandonna du regard la fleur pour se concentrer sur la jeune fille. À ce moment précis, la jeune fille aurait préféré ne pas être le centre d’attention de Jori, dont l’acuité de ses yeux l’intimidait profondément.

- Vous êtes chanceuse, continua-t-il de la réprimander. Je pourrais vous tuer pour m’octroyer cette fleur. Et je ne suis pas le seul, tout le monde à Palid serait prêt à donner n’importe quoi pour posséder le pouvoir de cette plante. Je vous prenais pour une trouillarde. Il semble que je me sois trompé, poursuivit-il de sa voix rocailleuse. Vous êtes simplement une imbécile trop naïve qui accorde sa confiance à n’importe quel inconnu.

Les propos touchèrent l’orgueil d’Aeryl de plein fouet. Elle avait laissé son instinct la pousser à se confier à quelqu’un qu’elle ne connaissait pas. Se rendant à présent compte de la bêtise dont elle avait fait preuve, elle se mordit les doigts de remords. Seulement, avait-elle eu d’autres choix ? Son amie avait besoin de son aide et son approche avec l’atiki s’était soldé par un échec cuisant. Tôt ou tard, elle aurait dû révéler la plante à quelqu’un. Autant que ça soit à la personne la plus influente des oxatans. Et puis, elle pouvait se défendre par elle-même. Et ce n’est pas cet « inconnu », comme il l’a dit lui-même, qui allait lui reprocher d’accorder sa confiance trop rapidement.

- Je n’ai pas le temps de vous cerner pour voir si vous méritez ma confiance, ni vous ni les autres membres du conseil.

Elle soutint son regard, une fois de plus. Il pensait avoir affaire à une fillette faible d’esprit qui n’avait pas pris conscience du danger qui l’entourait. Des sentiments contradictoires s’affrontaient dans sa tête. Pourtant, elle ne fit preuve d’aucune extraversion.

- Dès le début, vous m’avez classé en ennemi et en incapable. À aucun moment vous n’avez daigné me laisser la moindre chance de prouver ma valeur et vous vous êtes restreint à mon apparence pour me juger.

Une mèche de cheveux blonds tombait devant sa bouche. Elle essaya de la repousser en soufflant par à-coups, ce qui la rendait ridicule et frivole.

- Que comptez-vous faire de l’éphémère ?

- Je vous parle de votre comportement avec moi et vous me questionnez sur cette maudite plante. Pouvez-vous au moins ressentir autre chose que de l’indifférence et de la froideur envers quelqu’un ? Questionna-t-elle, même si cela ressemblait plus à un reproche qu’à une question.

Les propos durs de la jeune fille ne touchèrent guère Jori qui se contenta de la regarder avec incrédulité, comme s’il se trouvait en face d’un chaton qui lui mordillait le doigt. Son ongle gratta le bout de son nez puis alla se poser sur ses lèvres. Après avoir pris le temps de peser ses mots, il enleva sa main de devant sa bouche et répondit de sa voix caverneuse et grave.

- Je n’ai que faire de ce que vous pensez de moi. Vous découvrirez bien assez vite qu’ici les gens ne m’apprécient pas. J’irais même jusqu’à dire qu’ils me détestent. Ils ont peur de moi, de mon pouvoir, mais surtout, ils me considèrent comme un étranger à cause de mes parents.

- Un étranger ? À cause de vos parents ? Crista ?

Aeryl ne comprenait pas pourquoi il avait dit ça. Sa mère, Crista, était adulée et respectée à Palid. Et il ne lui semblait pas qu’elle soit une étrangère. Son teint doré, caractéristique du peuple oxatan, prouvait qu’elle descendait directement des ancêtres des oxatans.

- Crista n’est pas ma mère biologique. Elle m’a recueilli quand j’étais enfant et m’a élevé.

Cela expliquait la différence physique flagrante entre Crista et Jori. Jori avait un teint plus pâle que la vieille Crista et sa carrure était beaucoup plus imposante. Mais dans ce cas, d’où venait-il ? Probablement pas d’un village de la forêt. Aeryl avait entendu un jour, dans son village, un homme racontant qu’un peuple de barbares vivait au nord de la forêt, dans les montagnes. D’après lui, il vivait comme des animaux et ne possédait aucun esprit logique. Ce pourrait-il que Jori vienne de là-bas ? Elle ne put s’empêcher de plisser le nez de dégoût devant cette idée, ce qui n’échappa pas à l’atiki.

- Voilà la réaction que me réservent la plupart des gens, alors ne me demandez pas de faire preuve de cordialité, lâcha-t-il, amer.

Aeryl s’en voulu de sa réaction, mais elle avait entendu tellement de rumeurs concernant ce peuple de sauvages qu’elle ne pouvait s’empêcher de ressentir une forte répugnance envers Jori. Son regard pénétrant lui paraissait désormais cacher un esprit mesquin et une vacuité certaine. Sa carrure arborait maintenant un aspect menaçant et Aeryl se surprit à penser que sa sauvagerie pourrait refaire surface à n’importe quel moment, le poussant alors à l’attaquer tel un prédateur qui chasserait une proie.

- Que comptez-vous faire de l’éphémère ? Reprit-il sans se départir de son calme.

- Cela ne vous regarde pas, répondit-elle brusquement.

Empli d’un sentiment de dégoût envers l’atiki, depuis que ses origines avaient fait surface, Aeryl choisit encore une fois la fuite devant ce géant au teint blafard.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
DraikoPinpix
Posté le 23/04/2020
Yeah, Aeryl déterminée !
J'apprécie le personnage de Jori, c'est le genre de perso qui me plaît :)
J'ai hâte de voir comment va se poursuivre la quête d'Aeryl :)

A bientôt, en tout cas :) (je pense que c'est tout pour aujourd'hui et j'ai bien avancé)
clemesgar
Posté le 01/05/2020
Salut ;)
Aaah c'est vrai, je suis hyper heureux que tu apprécie Jori aussi, c'est un de mes perso préféré aussi ;p Et je trouve qu'il va bien avec le caractère d'Aeryl ^^
Vous lisez