Chapitre 13 - La Vérité Interdite

Par David.J

L’air du commissariat était lourd, poisseux. Une boucle invisible se refermait sur Étienne.

Accoudé à son bureau, David semblait parfaitement à l’aise.

Il savait.

— On a une scène de crime, annonça-t-il, sa voix posée, presque indifférente. C’est exactement le même endroit que la dernière fois.

Le choc fut glacial.

L’appartement de la rue Lambert.

Encore ici.

Son souffle se bloqua. Son corps se tendit avant même que son esprit n’assimile l’ampleur de l’information.

Une seconde.

Puis une autre.

Son regard se tourna lentement vers David.

— Attends… La dernière fois ?

Il s’efforça d’articuler la question, mais il avait l’impression que les mots lui échappaient, qu’ils se dissolvaient dans l’air avant d’atteindre leur destination.

David haussa un sourcil, un éclat d’ironie dans le regard.

— Bah oui. Même immeuble, même étage, même tout.

Le monde bascula légèrement sous les pieds d’Étienne.

Une sensation étrange, comme si le sol se dérobait sous lui sans qu’il bouge. Son esprit chercha désespérément un repère, une accroche.

Il connaissait cette adresse.

Il se souvenait parfaitement de cet endroit.

— David, j’ai déjà enquêté ici.

Le silence s’étira, lourd, dense.

David le fixa, son regard plus profond qu’il n’aurait dû l’être.

Un regard prudent. Un regard pesé.

Trop contrôlé.

Il évaluait ses réactions. Il le testait.

Étienne sentit une sueur froide glisser le long de sa colonne vertébrale. Ce n’était pas normal.

Puis, lentement, un sourire étira les lèvres de David. Un sourire lent, mesuré, maîtrisé.

Un sourire qui ne touchait jamais ses yeux.

— Mec… (il souffla du nez, un rictus au coin des lèvres) Tu n’as jamais mis les pieds dans cet appart avant.

Un poids s’écrasa dans la poitrine d’Étienne.

Une tension électrique se tendit dans l’air, invisible mais oppressante, un champ magnétique trop puissant.

Son cœur battait plus fort, plus vite.

Non.

Non.

Ce n’était pas possible.

Son cerveau cognait, cherchant un point d’ancrage alors que la réalité lui échappait.

Il se souvenait. Il savait qu’il était déjà venu ici.

Mais les yeux de David lui racontaient une toute autre histoire.

Et pour la première fois depuis longtemps, Étienne sentit une peur viscérale ramper sous sa peau.

Tout était en train de lui échapper.

— Tu te fous de moi ?

Sa voix claqua dans l’air, plus tranchante qu’il ne l’aurait voulu. Son cœur battait trop vite, cognant contre ses côtes avec une force qui lui donnait presque la nausée. Il n’avait jamais ressenti ça auparavant. Pas comme ça.

David, lui, ne cilla pas. Il haussa légèrement les épaules, dans ce geste calculé, maîtrisé, qui lui donnait toujours l’air de quelqu’un en pleine possession de la situation. Son expression n’affichait ni surprise ni agacement. Juste cette neutralité trop bien rodée, cette façade lisse et impénétrable qui, d’habitude, passait inaperçue.

— Je sais que tu es à cran, répondit-il d’un ton presque professoral. C’est normal. Le manque de sommeil, le stress… ça peut jouer de sales tours.

Sa voix était d’une douceur insidieuse, chaque mot pesé, chaque intonation soigneusement placée pour lui donner l’illusion d’une explication rationnelle. Mais ça sonnait faux. Tout sonnait faux.

Mais ce soir, Étienne voyait tout.

— Putain, David, arrête ! J’y étais !

Son souffle s’accélérait, sa poitrine se soulevait trop vite. Il voulait rester maître de lui-même, ne pas donner à David l’avantage.

— Je me souviens de la pièce, du corps, du sang!

Et il le voyait encore. L’odeur métallique du sang, poisseuse, accrochée à sa peau. Le tapis imbibé, l’humidité qui collait aux murs. Il pouvait presque sentir la moiteur du tissu sous ses doigts lorsqu’il avait soulevé la couverture pour examiner le corps. Tout était net, précis. Trop précis pour être une illusion.

Mais David secoua lentement la tête.

Pas avec colère.

Pas avec frustration.

Avec patience.

Ce regard posé, mesuré. Le regard d’un professeur face à un élève en pleine crise.

— Écoute-moi bien, Étienne.

Un calme inquiétant.

— Tu n’as jamais enquêté dans cet appartement. Jamais.

Un silence s’abattit sur eux, compact, oppressant.

David était sûr de lui.

Trop sûr de lui.

Quelque chose se jouait ici, et il ne comprenait pas encore quoi.

Son esprit s’emballa, tentant d’analyser la situation, de reconstituer les pièces du puzzle qui semblaient se démonter sous ses yeux. David mentait. Délibérément.

Mais pourquoi ?

Il ouvrit la bouche pour protester, mais David le coupa net.

Une voix douce, presque réconfortante, mais teintée d’une fermeté sous-jacente.

— Pourquoi tu cherches à compliquer les choses ?

Une vague de vertige s’abattit sur Étienne. Son souffle devint erratique, sa vision se troubla une fraction de seconde.

Quand il rouvrit les yeux, David le regardait différemment.

Ce n’était plus un regard inquiet.

Ce n’était plus un regard compatissant.

C’était autre chose.

Plus froid.

Plus… contrôlé.

— Tu l’as déjà fait. Tu as déjà fabriqué des souvenirs. Ce n’est pas la première fois.

La phrase tomba comme une sentence.

Une gifle invisible qui lui coupa le souffle.

Une onde de choc résonna dans son crâne.

Pas la première fois ?

Un ricanement nerveux lui échappa, brisant le silence trop pesant.

— C’est une blague ? murmura-t-il, sa propre voix lui semblant lointaine.

Mais personne ne riait.

David restait impassible, son regard ancré dans le sien avec une intensité qui donnait à Étienne l’impression d’être pris au piège.

Il recula, cherchant instinctivement à mettre de la distance entre eux.

— T’essaies de me manipuler ?

Son ton se voulait assuré.

Il voulait croire que c’était ça.

Un simple jeu. Une manipulation bien rodée.

Mais dans le fond, une autre voix murmurait, insistante, implacable.

Et si ce n’était pas un mensonge ?

David ne répondit pas tout de suite.

Il soutint son regard. Longtemps.

Puis il inclina légèrement la tête, avec cette expression d’infinie patience qui rendait la situation encore plus oppressante.

— Ce n’est pas moi qui brouille tes souvenirs.

Ses mots s’enroulèrent autour de lui comme un piège.

Le souffle d’Étienne se bloqua dans sa gorge.

Son cœur cogna trop fort contre sa poitrine.

Ses mains tremblaient.

Son crâne vrillait sous la pression.

Non.

Non, ce n’est pas possible.

Il savait ce qu’il avait vu.

Il savait ce qu’il avait ressenti.

Mais David affirmait le contraire.

Et si… ?

Une douleur fulgurante explosa derrière ses tempes.

Un flash.

Du sang.

Une silhouette indistincte.

Un murmure qui s’effaçait.

Plus rien.

Un silence absolu.

Tout vacillait autour de lui.

Il avait besoin d’air.

Il devait s’éloigner, réfléchir, comprendre.

Mais alors qu’il faisait un pas vers l’arrière, la voix de David le rattrapa.

— On a rendez-vous avec Renard dans quinze minutes.

Son ton était implacable.

Presque mécanique.

Il attendait cette phrase pour tout verrouiller.

Ce rendez-vous avec Renard était déjà écrit.

Étienne ferma les yeux un instant.

Il avait l’impression d’être un homme au bord du précipice.

Et que quelqu’un – quelque chose – attendait qu’il tombe.

Renard.

Son nom s’imposa dans l’esprit d’Étienne comme un coup de tonnerre, résonnant avec une intensité oppressante.

Pourquoi Renard voulait-il le voir ?

Pourquoi maintenant ?

Et surtout… comment savait-il qu’Étienne viendrait ?

Ses doigts se crispèrent, ses poings se refermant si fort que ses jointures blanchirent. Il sentit ses ongles s’enfoncer légèrement dans la paume de ses mains, une douleur sourde, physique, qui l’aidait à rester ancré à quelque chose de tangible.

Il n’avait pas le choix.

Il suivit David.

Chaque pas l’éloignait un peu plus de lui-même… et de la réalité.

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