Chapitre 13 : Les plantes à cauchemars

Notes de l’auteur : Bonne lecture ! Hâte de vous lire...

Son corps était perclus de courbatures, ses temps douloureuses, ses paupières tombaient. Il ne cessait de bailler et de s’étirer, ignorait les appels alarmés du sommeil. Pourtant, Ewannaël se sentait bien.

Son esprit était habité de visions du monde merveilleux où il avait passé la nuit. Chaque caresse du vent lui évoquait le frisson de sa peau quand la femme du rêve avait posé sa main sur la sienne. Il louvoyait pour approcher les buissons fleuris, qui lui rappelaient les douces senteurs de rose de la nuit. Au matin, lorsqu’il s’était retrouvé couché près d’Alemsa, ce n’était pas la révolte qui l’avait habité. Son inconscient savait ce à quoi il s’engageait en acceptant la proposition de la jeune femme. Il avait été un brin amer et à la fois reconnaissant du moment qui lui avait été offert.

Cette fois, Ewannaël gardait souvenir de la nuit écoulée, de ses plaisirs partagés. Jolyn n’avait pas pris le visage d’Alemsa, n’avait été qu’une ombre lointaine. Au matin, sa culpabilité s’éveillant, il avait décidé de faire sienne la vision d’Alemsa : Jolyn était morte, il devait l’oublier. Cela faisait des semaines qu’il ne grimpait plus la falaise, qu’il avait perdu tout espoir de retrouvailles. La femme qui l’avait tant comblé était condamnée à n’être plus qu’un visage du passé.

En marchant vers l’Arène, il se demanda si ses filles s’apercevaient de ses virées nocturnes avec Ezechios et Alemsa. À l’idée qu’elles avaient pu s’éveiller, ne plus le voir et se recoucher effrayées, sa culpabilité l’envahit à nouveau. Ni Faè ni Vabrinia ne lui en avaient jamais parlé. Cependant, cela devait être arrivé au moins une fois et cela l’écœurait. Il aurait dû être là pour elles, comme le père patient et aimant qu’il avait toujours voulu être.

Cette illusion du père parfait s’était noyée dans la baie de Maëlval. Quel homme pouvait emmener ses propres enfants dans un voyage aussi cauchemardesque ? Sa naïveté avait provoqué la mort d’Edenn, sa séparation avec sa mère. Faè avait dû dormir dehors, embarquer clandestinement dans un navire. Elle vivait depuis bientôt deux ans dans une tente miteuse, à des lieux du confort de sa maison de naissance. Pourtant, en la voyant tenir la main de Vabrinia, parler avec elle, il se dit qu’il n’avait pas tout raté. Ses filles étaient grandes et belles.

Ils arrivèrent à l’Arène en même temps que la vieille femme avec son fils en chaise roulante. Le garçon gesticulait et criait, refusait d’être descendu par les tuniques blanches. Sa mère finit par les repousser, préférant rester seule avec son fils. Ewannaël plaignit la pauvre femme, se demandant comment elle était parvenue jusque-là. Il ne prit pas garde à la manœuvre de ses filles. Faè et Vabrinia se glissèrent dans le dos de la chaise et jetèrent plusieurs poignées de sable dans le cou du garçon.

Ce dernier devint fou de rage, tenta de se jeter sur ses agresseuses. Il ne parvint qu’à renverser son fauteuil et dans sa chute, s’ouvrit le coude. Ses yeux s’inondèrent de larmes d’impuissance tandis que ses cris suraigus rameutèrent plusieurs dizaines de personne. Le silence se fit dans l’Arène tandis que les regards se tournaient vers le lieu de l’incident. Voyant que leur plan avait fonctionné, Vabrinia et Faè commencèrent à rire. Leur joie disparut quand elles virent le visage de leur père.

En voyant ces filles infliger cet acte de pure méchanceté, Ewannaël devint ivre de colère. Il courut pour rattraper Faè et Vabrinia, les attrapa brutalement par les cheveux. Ignorant leurs cris de douleur, il les tira hors de la vue du public. En les tenant, une pulsion de rage le poussa à les frapper jusqu’à ce qu’elles pleurent en demandant pardon. Par bonheur, il décida d’aller d’abord aider la victime avant de les gronder. Il les assit sur un rocher en leur hurlant de ne pas faire un geste.

Quand il arriva près du garçon, entouré de plusieurs personnes trop prudentes pour l’approcher, ses pleurs se turent. Il laissa Ewannaël le redresser, sans doute impressionné par son visage cramoisi et ses yeux noirs. Les curieux jetèrent des regards méfiants à Ewannaël, ahuri par cet enchaînement d’évènements inattendu. Ce dernier les ignora pour s’agenouiller près de ses filles.

Sa pulsion de violence s’était évaporée, pas sa colère. Il aboya des phrases qui disaient sa rage et sa déception. Elles reflétaient son état mental, où un flot de pensées et d’émotions se bousculaient. Il était écœuré de voir ses filles faire du mal à une personne impuissante, écœuré de voir celles qui avaient tant souffert infliger de la souffrance à leur tour. Alors il cria de longues minutes. Ses filles pleurèrent.

Peu à peu, le calme revint. Ewannaël recommença à voir les deux visages qui lui faisaient face comme ceux de ses filles. Il culpabilisa des terribles pensées qui l’avaient habité. À présent, il comprenait. Faè avait voulu se venger du jouet cassé par le garçon. Dans son esprit d’enfant, elle l’avait vu comme un acte de malveillance volontaire. Il se souvint de ses pleurs et de son expression défaite lorsqu’elle avait vu l’automobile brisée. Ewannaël réalisa qu’une fois de plus, il était fautif.

Il aurait dû regarder sa fille plus longtemps, comprendre son émotion. Il aurait dû prendre le temps de réparer le jouet avec elle en l’apaisant. Il aurait dû parler avec elle, lui dire que la vengeance ne répare pas. S’il en avait eu le courage, il aurait même pu lui dire combien il regrettait de s’en être pris à Armen à Maëlval. C’est ce qu’aurait fait le père qu’il avait voulu être.

Il n’était pas trop tard pour prendre le temps de discuter, pour s’excuser de sa colère, pour demander à Faè et Vabrinia de s’excuser au garçon. Mais Ewannaël était épuisé et triste. D’un pas las, il s’éloigna de l’Arène. Ses filles le suivirent en silence.

*

Cette nuit-là, Ezechios était penché sur une simple esquisse, invisible à l’œil nu. Il faudrait attendre le lever du jour pour découvrir le sujet de son dessin. Quelques nuits plus tôt, cette perspective aurait attisé la curiosité d’Ewannaël. À ce moment-là, l’art d’Ezechios ne l’intéressait malheureusement plus. Il s’était éveillé avec une seule idée en tête : retrouver Alemsa. Ensemble ils inspireraient les vapeurs des plantes à rêver et il pourrait enfin goûter au plaisir. Tout son être aspirait à l’instant où ses pensées noires se tairaient, la tension de son corps se détendrait et ses yeux verrait un endroit paisible et chaleureux, agréable à vivre. Ce monde meilleur immatériel était devenu la destination du voyage entrepris deux années plus tôt, le refuge qu’il avait tant espéré.

La nuit précédente, il avait revu Jolyn, avec un bébé dans ses bras. L’enfant avait les yeux d’Edenn et les cheveux de Faè. Avec sa mère, ils reposaient sur un doux duvet blanc, formé de plumes de neige. Des lumières vertes flottaient au-dessus d’eux, si brillantes qu’elles occupaient l’ensemble du ciel. Plusieurs volutes de fumée s’échappaient du sol, elles avaient l’odeur du feu de bois, du foyer rassurant devant lequel se réchauffer le soir. Le rêve s’était arrêté avant qu’il ait pu s’approcher de sa femme mais il était certain d’y parvenir en revenant dès le lendemain.

Ewannaël demanda à Ezechios s’il voulait bien surveiller sa tente, ses filles. Le vieil homme se retourna, abandonnant son esquisse. Ewannaël ne pouvait voir ses yeux mais il aurait juré qu’ils étaient réprobateurs. Sans que son interlocuteur ait dit un mot, il s’empressa de se justifier, de trouver des explications. Il retrouvait Alemsa pour quelques heures, ne serait pas loin s’il se passait quoi que ce soit. Le silence plana quelques secondes puis Ezechios répondit enfin :

— Je sais ce que vous faites.

Ezechios n’eut pas à se justifier. Ewannaël savait qu’il disait vrai. Il baissa les yeux, penaud. Cependant, l’envie de retrouver Alemsa se faisait pressante et il renouvela sa demande.

— Tu fais ce que tu veux. Mais je m’inquiète pour vous. Lorsque j’étais jeune, j’utilisais les mêmes plantes. Et quand on en abuse, les rêves se muent en cauchemars.

*

Dès la première inhalation, Ewannaël se sentit transporté dans un univers aux couleurs chatoyantes. Des animaux de toutes tailles l’entouraient et l’observaient en silence. Une dizaine de soleils illuminaient un ciel rougeoyant. Jamais il n’avait connu un rêve si fantasmagorique. Il eut l’impression d’avoir été plongé au cœur d’une des toiles d’Ezechios. Il faisait chaud et plusieurs gouttes de sueur perlèrent sur son visage.

La beauté de son environnement le lassa vite. Ses yeux cherchèrent une silhouette ou un visage familier. Il lui tardait de revoir Jolyn et Edenn, comme la veille. Malheureusement, il ne vit rien. Il voulut se déplacer pour les chercher ailleurs mais son corps n’avait plus de consistance physique. Seule la sueur sur sa peau en donnait l’illusion. Incapable de se mouvoir, il commença à prendre peur. Ewannaël voulut expirer les vapeurs de la plante à rêver, se retrouver auprès d’Alemsa. Cependant, il en était incapable. Son esprit s’était enlisé dans sa vision et ses efforts pour fuir ne faisaient que l’y emprisonner davantage.

Il voulut alors appeler à l’aide mais dans cette dimension, le son n’existait pas. Il n’entendait plus ni la brise autour de la tente ni les battements de son cœur. La peur devint panique et brusquement, les soleils s’éteignirent. Il y eut un instant d’obscurité totale, terrifiant. Une obscurité qui n’était pas celle de la nuit mais celle du vide, du néant. Un gouffre immatériel où il chutait sans savoir s’il tomberait un jour. Il s’y sentit plus seul qu’il ne l’avait jamais été, privé de tout ce qui comptait pour lui. De tous ceux qui comptaient pour lui. Il crut mourir.

Puis la vision revint. Le ciel et la terre se mêlaient, désormais d’une couleur terne indéfinissable. Au lieu des soleils, il y avait des yeux. Tous étaient tournés vers lui, le fixaient. À la place des animaux, il y avait aussi des yeux. Par centaines. Ils étaient de toutes tailles et formes mais tous l’oppressaient avec une intensité inhumaine. Ils lisaient en son âme, en dévoilaient les pires aspects. Ils le jugeaient, condamnaient ses erreurs. Ils l’écrasaient, le piétinaient comme s’il était la chose la plus pitoyable au monde.

Certains disparurent, aussitôt remplacés par des nouveaux encore plus imposants. D’autres gonflèrent, jusqu’à être partout autour de lui, jusqu’à envahir la moindre particule environnante, jusqu’à être tout.

Il hurla.

Ewannaël se retrouva allongé sur le sol, la main posée à côté du corps d’Alemsa. Elle avait les yeux clos, un mince sourire aux lèvres, partie ailleurs. Il entendit des réponses à son cri, qui vinrent lui percer les tympans. Il grelotta, le corps couvert d’une sueur froide. Son cœur battait la chamade et sa respiration suivait une cadence endiablée. À chaque fois qu’il battait des paupières, la terrible vision des yeux revenait. Sa respiration était sifflante, il lui semblait manquer d’air.

Des silhouettes apparurent dans son champ de vision. Il sentit une main sur son épaule, entendit des voix. Malgré ses efforts, il ne put retenir des larmes. Il avait eu peur, si peur. On le consola, le rassura mais il ne put se débarrasser de cette sensation prégnante de solitude.

La personne dont il avait besoin ne viendrait pas.

*

Une main se posa sur son épaule nue. Elle était rugueuse et ferme, l’arracha brusquement de son apathie. Sans avoir vraiment dormi, Ewannaël ressentit le même sentiment de révolte que si on était venu le tirer du lit. La main le tira en position assise. Il grogna, garda les yeux clos. Il n’avait aucune envie de bouger, regarder, entendre. Seulement celle de demeurer immobile, sans penser à rien. Malheureusement, l’intrus insista jusqu’à ce que ses paupières obtempèrent. Il eut l’impression de les déchirer.

Ezechios se tenait face à lui, vêtu de sa tunique blanche. Sa main libre en portait une autre, destinée à Ewannaël. Le vieil homme avait un regard où la colère le disputait à la pitié. Dans ses yeux, Ewannaël lut l’image misérable qu’il renvoyait. Il tenta de se redresser pour conserver un semblant de dignité mais ses épaules retombèrent aussitôt. Il était las, si las. Avec ce retour à la réalité, les multiples douleurs de son corps ankylosé se rappelèrent à lui. La lumière du jour l’éblouit, le son des conversations alentour l’étourdit. 

— Viens, tu vas être en retard.

— Je dois dormir.

— La distribution va commencer. On a besoin de toi.

— Je ne peux pas.

— Tes filles t’attendent à l’Arène. Elles se demandent où tu es. Je leur ai dit que tu étais monté à la falaise.

— Garde les encore un peu, s’il te plaît.

— Ce n’est plus possible. Ce ne sont pas mes enfants. C’est la dernière fois que je mens pour te couvrir.

— Désolé, mais…

Son absence de réaction agaça Ezechios, qui répondit sèchement :

— Lève-toi !

En disant ces mots, il posa la tunique blanche entre les mains d’Ewannaël, posa sa main sur son dos pour l’inviter à se lever. Ses sollicitations pressantes eurent raison de la patience d’Ewannaël.

— Laisse-moi ! Je t’ai dit que je ne viendrai pas !

Il jeta la tunique blanche.

Le vêtement flotta quelques instants dans l’air avant de retomber doucement sur le sol. Ezechios la saisit avant qu’elle se pose complètement. Sa colère se mua en tristesse tandis qu’il montrait le corps inanimé d’Alemsa :

— Regarde ce que les plantes font d’elle ! Tu veux devenir comme elle ? Tu n’as pas le droit de faire ça. Pas avec tes enfants.

Ezechios tourna les talons, sans un regard en arrière. Chacun de ses pas était douloureux. Ewannaël savait qu’il avait raison : son éloignement était une défaite. Il espéra que le vieil homme revienne sur ses pas pour insister. Il aurait fini par le suivre. Malheureusement, il n’en fit rien.

*

Cette nuit-là, Ezechios fut introuvable. Ewannaël se retrouva sans personne pour garder ses filles, seul au milieu d’un campement vide. Tout son être le poussait à ignorer l’absence du peintre, l’abandon provisoire de ces filles. Elles iraient voir les tentes alentour en cas de problème, elles étaient grandes à présent. Cependant, il ne parvint pas à faire un pas. Au lieu de cela, il fit demi-tour.

Un vieux réflexe paternel le bloquait, l’empêchait de céder à la tentation. Il savait qu’il serait incapable de rejoindre ses filles au lever, de les accompagner à l’Arène. L’effet des plantes dépassait cent fois sa volonté. Faè et Vabrinia le chercheraient, le découvriraient dans un état pitoyable, couché à côté d’Alemsa. Elles tenteraient de le réveiller mais il les repousserait, incapable de les reconnaître. Cette vision le fit frissonner. Il ne pouvait plus accepter d’être un aussi mauvais père.

Arrivé à sa tente, sa lutte intérieure reprit de plus belle. Il n’avait qu’une envie : ressortir. Alemsa devait déjà avoir plongé dans des rêves merveilleux. Il savait qu’elle ne l’attendrait pas. La savoir si proche le rendait fou. Il était si facile de la rejoindre, en ne pensant qu’à lui-même. Ewannaël essaya tant bien que mal de chasser ses pensées. Il concentra son regard sur les traits endormis de ses filles pour se donner du courage.

Faè dormait sur le côté droit, les mains sous ses joues, roulées en boule sur ses genoux. Un léger ronflement s’échappait de sa bouche entrouverte. De temps à autre, elle s’agitait, se retournait plusieurs fois jusqu’à retrouver sa position initiale. Son sommeil agité paraissait être le théâtre d’étranges songes. Ewannaël se demanda ce dont pouvait rêver sa fille, si elle revivait les scènes de la tempête, de la mort d’Edenn ou de l’embarquement à Maëlval. Il espéra que son âge adoucissait l’horreur de ce qu’ils avaient vécu.

Quant à Vabrinia, ses membres étaient raidis, tendus. Seule sa tête, légèrement penchée en arrière, dénotait d’un corps parfaitement parallèle au bord du lit. Les gouttes de sueur sur sa peau trahissaient une nuit difficile. Comme eux, elle avait sans doute connu le pire avant d’arriver sur l’île. La perte de sa terre, de sa famille, un terrible voyage. Sans qu’elle lui ait jamais dit un mot sur son passé, Ewannaël devinait qu’elle n’avait pas moins souffert qu’eux. Cela l’avait aidé à s’attacher à la petite : elle était comme eux. Il l’aimait comme il aurait voulu qu’un étranger aime Faè ou Edenn s’il avait disparu.

Cette courte observation le culpabilisa. Cela faisait des semaines qu’il délaissait celles dont il avait la charge, qu’il abandonnait celles qui avaient besoin de lui. Pour la première fois, il comprit que la consommation des plantes à rêver était une erreur, qu’il allait devoir s’en priver, qu’Ezechios avait raison. Cette constatation fut aussitôt douloureuse car il se savait incapable de le faire. En peu de temps, les plantes à rêver étaient devenus une composante nécessaire de son existence. Le meilleur plaisir d’une existence morose.

Y repenser un seul instant lui redonna aussitôt l’envie de rejoindre Alemsa. Il eut beau maudire sa faiblesse, la tentation ne le quittait pas. Il sut qu’elle ne le quitterait pas avant l’aurore, que cette nuit s’annonçait un combat. Elle le fut.

De nombreuses fois, Ewannaël se leva, avança jusqu’à l’entrée de sa tente. Il rebroussa toujours chemin. Il tenta de se parler à lui-même, de dessiner sur le sol pour se distraire. Il parvint à s’assoupir une fois, s’éveilla plein d’angoisse. Les yeux étaient revenus le terrifier. Il décida finalement de demeurer assis au chevet de ses filles, à songer aux beaux souvenirs du passé, son seul refuge.

Puis le soleil vint. Les enfants se levèrent et la vie reprit. Ewannaël se leva, épuisé, le corps aussi lourd que de la pierre. Il avait tenu. Il avait réussi ce dont il se pensait incapable. Cette nuit affreuse avait un goût de victoire.

*

Deux jours passèrent et il crut qu’Alemsa l’avait oublié. Ewannaël regrettait de plus en plus les nuits passées avec elle, son choix d’abandonner les plantes à rêver. Il avait cru reprendre goût à la vie mais ses journées paraissaient plus fades que jamais. Il se sentait lent et faible. Il ne s’était rendu aux distributions que pour recevoir et non plus donner. La perspective d’une confrontation avec Ezechios l’effrayait et il n’était plus en état de descendre et monter l’Arène plusieurs fois. Le trajet jusqu’à sa tente lui paraissait déjà pénible.

Les yeux revenaient chaque nuit le tourmenter. Même au réveil, il restait habité de visions horrifiques où il se retrouvait seul face à des milliers de regards menaçants. Ils lui rappelaient combien il était misérable, combien ses filles devaient le mépriser. Il n’arrivait plus à se réfugier dans les souvenirs du passé, qui lui semblaient de plus en plus lointains, irréels. Ils semblaient être ceux de la vie d’un autre homme, qui aurait mieux fait d’accepter l’esprision.

Plus jeune, il avait été peu sensible aux enseignements de sa mère sur les esprits qui gouvernaient le monde. Son esprit pragmatique peinait à déceler de l’invisible dans un quotidien dont il se croyait maître. Après sa discussion avec Jolyn, il n’avait pas hésité un instant à fuir l’esprision. Cependant, le doute s’était instillé en lui. Se pouvait-il que ce choix ait attiré la malédiction des esprits ? Se pouvait-il que ce soit eux qui le visitent chaque nuit ? Si c’était le cas, il ne servait plus à rien de vivre, d’attendre un lendemain meilleur. Que pouvait-il contre une puissance aussi irrationnelle ?

Le troisième jour, comme Faè et Vabrinia jouaient avec les autres enfants, il décida d’aller dans la tente d’Alemsa. Il se promit de ne pas toucher aux plantes à rêver, de seulement aller voir si elle allait bien. Il trouva une tente vide, dans le même désordre que deux jours plus tôt. Alemsa semblait s’être volatilisée. Il n’y avait plus aucune trace des plantes à rêver.

Un détail attira son attention. Sur le sol poussiéreux, on pouvait deviner de trop nombreuses traces de pas et de lutte. Quelque chose d’anormal s’était produit dans cette tente. Mal à l’aise, il commença à faire demi-tour. Ce fut à ce moment qu’il entendit des personnes s’approcher pour encercler la tente. Il hésita à se cacher puis décida de sortir. Il n’avait aucun ennemi sur l’île et ces personnes pourraient peut-être lui dire où se trouvait Alemsa.

En sortant, Ewannaël se retrouva face à deux colosses appuyés par une dizaine d’acolytes au regards hostiles. Il ne réalisa d’abord pas que l’on en avait après lui, incapable d’en comprendre les raisons. Il avança, désireux de retrouver ses filles. L’un des colosses l’attrapa par l’épaule, l’autre le frappa au ventre. Le souffle coupé, Ewannaël tomba à genoux. Choqué, il reçut un coup de pied en plein visage.

Il sentit son nez se briser et sa vue se troubler. Un nouveau coup lui fit perdre conscience.

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Emma
Posté le 24/09/2024
Hello Edouard,

un chapitre ou une descente aux enfers.
Fallait-il qu'il en arrive là, pour comprendre que ses filles sont tout pour lui,. Qu'elles passent avant ses manques, ses peurs, ses doutes et ses faux espoirs ?! Si Jolyn doit revenir, eh bien elle reviendra, mais lui ne fait rien pour vraiment la retrouver, il reste sur cette île, et coule avant même d'avoir tout essayé. Son apathie, sa déchéance fait peine à voir, même si je la comprends.
c'est un chapitre poignant et la fin est stupéfiante. Je me demande ce que tu as bien pu nous concocter dans les prochains chapitres.
Au plaisir
Edouard PArle
Posté le 26/09/2024
Coucou Emma !
La chute d'Ewan est en effet difficile, sûrement frustrante pour le lecteur. Je suis content que ce chapitre t'ait touchée !
A bientôt !
Cléooo
Posté le 06/09/2024
Hello Edouard !

C'est une longue chute pour Ewannaël... Quelle tristesse qu'il se réfugie dans la drogue. Il a ses deux filles, ce serait bien qu'il arrive à se décider à revivre, et à bâtir quelques choses pour elles. Bon, la fin du chapitre laisse à penser qu'il va essayer de faire l'effort quand même (si il ne meurt pas en se faisant passer à tabac, évidemment).

Une petite remarque : c'est un peu dommage selon moi, que comme par hasard le côté cauchemardesque arrive juste après qu'on lui ai justement dit qu'il y avait un risque de ça. Ça aurait été mieux qu'Ezéchios en parle après je pense, parce que du coup ce passage en bad trip prend un peu moins aux tripes (c'est juste un avis).

Excès de violence : "une pulsion de rage le poussa à les frapper jusqu’à ce qu’elles pleurent" je n'ai pas réussi à bien saisir si il l'avait fait ou non, parce que "le poussa à" donne le sentiment que oui mais ensuite tu enchaînes sur "par bonheur" et là j'ai l'impression que non (et heureusement, je trouvais ça un peu dur même si elles ont été pestes !).
Aussi, c'est iminime mais "il les tira hors de la vue du public" puis "les ignora pour s'agenouiller auprès des filles" -> elles sont quand même là finalement ?
"Dans son esprit d’enfant, elle l’avait vu comme un acte de malveillance volontaire." -> ouaip, c'est pour ça qu'il aurait fallait lui expliquer que le garçon était un peu différent.

Pour la fin du chapitre du coup, je me demande bien pourquoi on lui tombe dessus comme ça. En vrai, que pasa? Il est arrivé un truc à Alemsa, visiblement, l'a-t-elle pointé du doigt pour se dédouaner de quelque chose? Je suis curieuse, je reviendrai vite lire la suite !

"ses temps douloureuses" -> tempes ? :)
"s’excuser au garçon" -> auprès du garçon ?

À bientôt ! :)
Edouard PArle
Posté le 08/09/2024
Coucou Cleoo !
Oui, la descente aux enfers continue mais ce chapitre laisse entrevoir quand même un peu d'espoir.
Tu as raison pour le bad trip, faut que je favorise l'intensité de ce passage quitte à laisser le lecteur un peu dans le flou.
Corrigé les petites remarques !
Merci de ton retour (=
A bientôt !
Bleiz
Posté le 01/08/2024
Salut Edouard,
Encore un chouette chapitre, mais quelle ambiance ! C'est vraiment la déchéance d'Ewannaël. Entre le bad trip, les mouvements d'humeur soudain, laisser ses filles se débrouiller toutes seules... Il part en cacahouètes, le pauvre ! Heureusement qu'Ezechios lui a secoué les puces. Reste à voir s'il parvient à supporter les malheurs à suivre, puisque vu la rouste qu'il se prend en fin de chapitre, c'est pas fini... J'aimerais bien avoir un passage qui se concentre sur les filles, Fae en particulier ! Voir les choses de son PDV.
À bientôt :)
Edouard PArle
Posté le 31/08/2024
Coucou Bleiz !
Oui, c'est reparti vers un passage vraiment difficile pour Ewan et sa famille...
Les filles ont une importance grandissante dans la suite du roman (=
Merci beaucoup de ton commentaire !!
A bientôt (=
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