Quand je revins à l’ENOS, tout le monde était en effervescence. Le dernier examen, une énième simulation, aurait lieu l’après-midi même ! Je restais interdit quand ils me l’annoncèrent. Nous n’avions pas eu la possibilité d’échanger pendant mon absence. Le réseau de l’ENOS était toujours limité à de l’interne, et ils n’avaient pas pris le risque de refaire une virée au centre informatique juste pour me joindre – je trouvais qu’en mon absence ils avaient manqué quelque peu d’audace.
En rentrant dans le mess de l’école, je sentis une atmosphère de tension que je ne reconnaissais pas, bien loin de l’ébullition stimulante que nous entretenions d’habitude. L’atmosphère semblait plus profonde, moins insouciante.
« Assis toi, Anthem, me prévint Xian. Beaucoup de chose ont changé pendant ton absence.
- et pas pour le meilleur ! rajouta Cicé
- Tu as loupé presque tous les examens. Je ne sais même pas te dire si c’est une bonne où une mauvaise chose, renchérit Swann »
Ce n’est qu’à ce moment-là que, Lou arrivant, ils remarquèrent mon nouvel œil. Et bien que je leur demandais de m’expliquer les nouvelles, ils passèrent toute notre pause de déjeuner à le détailler, le regarder dans tous les sens, le toucher. Comparés à une vingtaine de mains et d’yeux avides, les examens médicaux que j’avais passé semblaient moins invasifs. Mais c’était mes amis, et j’accepta sans mal d’être l’objet de leurs curiosités.
L’après-midi, je partis à la simulation. J’avais eu la surprise en voyant l’équipe qui m’était affectée. Seul Paul était avec moi. Comment pourrais-je établir un plan fiable en ne connaissant quasiment personne. “Tu vas voir”, me dit-il en rentrant dans la salle de briefing, “le commandant est tiré au sort”. Et effectivement, un officier que je ne reconnaissais pas, tira au sort un nom dans une urne, et annonça qu’Estelle était commandante. Elle non plus je ne la connaissais pas. Et à l’air faussement réfléchi, tentant de cacher sa fierté, elle ne devait pas avoir commandé une seule simulation depuis le début de l’ENOS. Tandis que le Pinson, nous menait sur le lieu d'entraînement, elle affecta les personnes aux différentes tâches en fonction de leur apparence.
« Toi le cyborg, me lança-t-elle. Tu t’occupes de surveiller le radar.
- je quoi ! hurlais-je d’incompréhension.
- Un idiot de première ! fit-elle semblant de découvrir. Tu te mets derrière le radar, et me tient informée de la position de nos ennemis. Je me suis fait comprendre ?
- Pourquoi ? – je n’avais jamais mis quelqu’un à uniquement regarder le radar lors de mes simulations. On peut envoyer les flux vidéo, avec les alertes sur nos terms.
- Insubordination ! cria-t-elle. Ta note sera divisée par deux. »
Il y eut un silence de glaçant, pendant quelques secondes. Durant laquelle je me levai pour faire face à notre commandante, puis me calmant je pris la décision, de laisser tomber. Le reste de sa stratégie était exactement similaire. Elle aurait fonctionné, si nous avions encore été au vingt-troisième siècle. Elle ne semblait pas connaître les principes de partage de vidéo, de détermination 3-d – à peine autorisa-t-elle du bout de la lèvre des échanges radios directement entre nous.
Ce fut rude pour moi de la voir proposer des plans de bataille inadéquats. Elle ne connaissait pas les compétences des membres de son équipe. Et plutôt que de demander les spécialités de chacun, elle imposait des rôles.
Je fis comme demandé, et resta à bord du pinson. Et comme je l’avais pressenti nous avions perdu. J’avais pour ma part, recopier la technique de Xian, et me cachant dans le pinson. J’en avais profité pour expérimenter les fonctionnalités de mon œil gauche – l’œil de cyborg. Je l’avais ainsi couplé aux caméras internes du pinson.
Quand je couplais mon œil gauche avec une source externe, il continuait également de filmer ce que je voyais devant moi. J’avais ainsi une vision normale sur laquelle était surimposé le flux vidéo du pinson. Comme quand on regarde un reflet dans une vitre. Avec quelques efforts, je pouvais me focaliser plus sur le flux vidéo, ou sur ce qui se passait devant moi.
Quand l’équipe adverse vint à bord, après avoir éliminé toute la mienne, je pus suivre presque chacun des hommes. J’élimina ainsi les quatre premiers à vouloir s’en emparer. Et ce fût Matt, seul que je connaissais dans l’équipe adverse, qui réussit à me déloger.
* * *
Ce fut mon seul examen, et il me servit de seule note finale. Et je me retrouvai très bas dans le classement. Je trouvais cela injuste mais pensais fortement que – supposant avoir bien compris le fonctionnement de Wearek – ce n'était ni ces examens ni le classement qui détermineraient la suite.
Quand Lou vint me voir, pour vérifier que j'encaissais le classement, j'en profita pour rebondir sur ces nouvelles qui selon eux avaient tout bouleversé.
« Le directeur a changé, c'est un ancien général à la retraite, commença Swann.
- Non, le plus important, interrompit Cicé, c'est qu'il a tout changé
- Plus d'équipe fixe, tirage au sort des commandant, arrêts des autres cours. »
Il n'y avait également plus de moyen d’avantager légèrement nos équipes – vu que nous étions disséminés. Toutes les données étaient en plus situées sur un système secondaire, indépendant. Pendant mon absence Georges et son équipe avait tenté de pirater ce nouveau système. La correction publique qu’ils avaient reçue finirent de convaincre tous les élèves que les règles avaient changées.
« Tout cela vient du haut chancelier, intervient Joanne quand chacun fût plus calme.
- On n’en est pas sûr ! Précisa Lou. Le réseau de Manlan’har ne diffuse rien sur la politique de l’Union.
- N'empêche qu’il aurait changé. Le nouveau proviendrait du parti de la souveraineté. »
Cette nouvelle-là, je ne m'y attendais pas. Je ne m'étais jamais intéressé de près à la politique. Mais ma mère était une sénatrice de D’Zorons, j'avais forcément quelques notions – et ce n'était pas faute d'avoir voulu les oublier.
Avant notre engagement, la coalition au pouvoir était étendue. Le haut chancelier faisait figure de modéré, c'est à dire qu'il était pour continuer la guerre, mais prêt également à accepter une reddition de la part de la GRUP. En fait les partis réfractaires – qui au mieux proposaient une trêve – était très peu nombreux – la censure, les actions juridiques, et finalement l’envoi en première ligne de leurs partisans avaient eu raison d’eux.
Le parti de la souveraineté était parmi les plus vindicatifs. Une reddition n’était pas acceptée. Seule l’occupation des planètes ennemies était pour eux une solution de fin de conflit.
D'un coup je me mis à douter de ce que nous allions avoir pour notre sortie de l’ENOS. Wearek, pour avoir tous ses passe-droits – et ce sans même être militaire – devait avoir été fortement soutenu par l'ancien Haut Chancelier. Avec un nouveau dirigeant, qui n’était pas sur la même ligne, il paierait certainement les frais de sa proximité avec l’ancien gouvernement.
Les changements apparus ces quelques semaines en étaient les premières preuves. Wearek perdait la main sur l'école, et à travers elle, sur nous-mêmes, et notre avenir. Etait-ce pour cela que je ne l’avais pas vu depuis mon entrée à l’hopital ?
J'avais, jusque-là, considéré que nous – ma brigade et quelques membres des brigades voisines – serions affectés ensemble à la sortie de l’ENOS. Toute l’école avait tourné autour de ces groupes que nous avions choisi de former. Quel était l’intérêt de laisser les élèves créer leur groupe, si ce n’était pour faire émerger des relations de confiance ? Quel était l’intérêt de laisser les élèves copier les uns sur les autres, si ce n’était pour s’assurer qu’il y ait un membre spécialisé dans chaque thématique par équipe ? Quelle était l'intérêt de nous laisser tricher, monter des opérations interdites – enfin officiellement – si ce n’était pour souder les personnes entre elles ?
Tout avait été fait pour que chacun doive compter sur une équipe pour s’en sortir. Créer et souder une équipe, voilà ce que j’avais compris des objectifs de l’école. Et depuis quasiment le début, je m’étais employé à le faire. J’avais cherché les talents que nous n’avions pas au départ, tel Brunach que j’avais cherché à débaucher. Les opérations clandestines que nous montions, était pour moi autant d’occasion de souder l’équipe, que d’utiliser les talents de chacun : piratage informatique, repérage, bidouillage des armes et des pièges entre autres.
Non. J’étais certains que Wearek avait eu la gestion totale et complète de l’école, jusqu’alors. Il avait voulu, et créer ces conditions particulières. Il voulait que nous trichions, que nous nous affranchissions des règles. Il souhaitait voir émerger des équipes complètes, polyvalentes, et très soudées.
Mais ce que voulaient les nouveaux dirigeants de l’école je n’en avais aucune idée. En moins de deux semaines ils avaient changé la plupart des règles du jeu – ce jeu officieux auquel nous jouions avec six autres brigades. Celles-ci n’avaient pas de signification pour la nouvelle direction. Qu’allaient-ils faire de nous ?
J’avais souvent maudit Wearek, et ses manipulations. Je détestais l’idée qu’il voulait m’amener quelque part, mais qu’il ne me donnerait pas la destination. Avec lui, je devais la chercher, la trouver, et peut-être me tromper. Et tout cela il l’évaluait, avec un léger sourire. Mais c’était quelqu’un dont je comprenais le fonctionnement – à défaut de comprendre toutes ses idées. Il avait un objectif – que je m’étais épuisé en vain à trouver – et il lançait des miettes pour voir si nous pouvions atteindre son objectif, si nous lui convenions.
Mais j’avais au moins quelques compréhensions à laquelle je me raccrochais. D’une part, il faisait partie des rares adultes de l’école, à ne pas chercher à paraître plus patriotique que le Haut Chancelier. Lors de nos conversations, il avait plus d’une fois critiqué les effets de la guerre – ce qui démontrait au moins une prise de recul appréciable. Et surtout avec lui j’étais certains de rester avec l’équipe que nous avions formée autour de moi et Xian. Savoir que nous resterons ensemble me rassurait. Avec eux j’étais prêt à affronter l’enfer. Je ne voulais en abandonner aucun. Claude et Peter avaient suffi.
Avec les nouveaux dirigeants de l’ENOS, je ne savais à quoi m’attendre. Et au vu de ce qui avait été mis en place, je n’avais pas confiance.
* * *
Deux heures après que nous ayons tous terminé le dernier examen, nous reçûmes nos prévisions d’affectations. Passé la première surprise de recevoir nos affectations si tôt, la seconde fut la date d’effet. Chacun de nous devait partir dans son unité le surlendemain. Entre temps était juste parquée une journée entière de défilé ! Nous devions tous parader dans la ville, pour plaire à ce beau monde d’officier. Et créer ainsi un véritable sentiment patriotique !
La principale surprise bien sur fût les affectations elles-mêmes. L’ENOS devait nous permettre d’intégrer à minima les rangs des officiers subalternes – même si j’avais du mal à imaginer un officier d’à peine seize ans. Nous avions tous en tête un grade suffisamment important pour nous permettre de diriger des escadrilles en un ou deux ans, où de nous affecter dans les cabinets d’officiers pour que nous prenions de l’expérience.
Mais, ici toutes les affectations étaient simples : direction le front en première ligne. On nous accordait le rang de première classe – même moins que le rang que nous avions en tant qu’élèves. Brunach, as de la navigation, était affecté en infanterie, pour défendre une de nos bases terrestres. Lou, qui auraient pu pirater la moitié de Manlan’har, était affecté aux cantines sur un galion envoyé au front. Et ce n’était que d’incohérence en incohérence.
Je consultai Georges, Elia et Mia. Pour tous c’était incompréhensible. Les affectations revenaient à renier nos huit mois de formations. Nous discutions tous les quatre, dans un des petits parcs du LSO, tandis que la nuit tombait doucement.
«Moi, je ne peux rien faire, nous prévint Georges. Après ce que nous avons tenté il y a dix jours, je parie que tout mon groupe est constamment surveillé.» Et il nous désigna un homme, en unil, qui s’était installé par loin de nous, après nous avoir suivi auparavant.
«Wearek nous a certainement tous tenu un petit discours sur la manière dont les affectations étaient gérées, non ? nous demanda Elia.
- Effectivement, confirma Mia. Pour un peu il me donnait même l’ordre d’aller voler ces fameux codes d’affectation.
- Mais maintenant c’est foutu. Avec la grande parade de demain, nous plus n’avons d’autres options.
- Surtout que les nouveaux officiers nous tiennent tous les quatre – avec nos amis – particulièrement à l’œil.
- Au contraire c’est demain qu’il faut agir, les contredis-je.»
Je ne voulais pas me laisser abattre pour si peu. Wearek voulait des équipes. Moi je désirais rester avec mes amis, qu’importait l’Union, ses parades, et le front de guerre. Alors je les forçai à imaginer un plan avec moi. Je leur annonçai mon accès au niveau N2, ce qu’ils ne voulurent pas croire. Et il n’y aurait eu l’ange gardien de Georges en arrière-plan, je leur aurais montré l’accès. Wearek nous avait données les cibles, les lieux, ainsi que toutes les habitudes des personnes à qui nous aurions affaire. Nous connaissions les accès, les équipes de surveillance, et la sécurité qui y était installée.
« Tu es sûr que c’est ce que tu veux faire ? me demanda Georges une fois le plan dessiné.
- Nous n’aurons qu’une chance. Et si nous ne la saisissons pas, demain nous nous retrouverons au front en première ligne. Le taux de mortalité la première année est près de deux sur trois. Je veux avoir une chance de vivre, et vous ? »
Les trois autres capitaines étaient d’accord avec moi. Nous répartîmes les rôles à travers nos équipes, chacune avec son objectif.