Chapitre 14 - L'alarme pour rien

Par arno_01

« Encore heureux, nos tartes nous vont encore ! lança Swann, le lendemain matin.

- C’est vrai que concernant Anthem, c’est un exploit, suivit Joanne. Vu la grosse tête qu’il a pris depuis quelques mois »

Je finis par être le centre d’un grand fou rire qui se propagea. Nous étions tous en train d’enfiler nos uniformes d’apparat. Et certains découvraient, avec horreur, comme moi, que l’uniforme était désormais bien trop petit. Le pantalon laissait voir les chaussettes de nos chaussures. La veste refusait de se fermer, ce qui était gênant car les chemises avaient toutes craquées au premier de nos mouvements. Nous avions tous grandi, et pris des muscles.

Après quelques raccommodages, une ou deux coutures, nous ressemblions tous à quelques choses – même si je ne savais pas encore très bien à quoi. Je jetai rapidement un coup d’œil, à trois des sacs d’affaires personnelles, qui étaient déjà prêts au bord du bâtiment. Aux noms de Lou, Maro, et du mien, ils ne contenaient aucune affaire personnelle, mais des tenus de rechanges, pour nous fondre dans Manlan’har, sans garder nos uniformes d’élèves bien trop visibles.

Sur le parcours pour aller à la grande place, je croisais un des équipiers de Mia, ainsi que Georges, qui tous deux me renvoyèrent un signe de tête. Tout était prêt de leurs côtés. Et je savais qu’un membre de la brigade d’Elia prendrait les trois sacs, les transmettant à des élèves extérieurs pour que nous les retrouvions plus tard.

Toute l’école était rassemblée sur la place d’arme. Je me rappelais notre premier jour à l’ENOS où nous avions été accueillis sur cette place, avec toute l’école rassemblée. Désormais la place n’était plus pleine à craquer. A vu d’œil j’estimais que nous n’étions plus qu’un tiers de l’effectif initial. Wearek avait fait doucement le ménage tout au long de ces huit mois.

Chaque brigade occupait une place bien précise sur la grande place, au sein du groupe plus grand qu’était son escadron, lui-même insérer dans sa compagnie. Les quatre divisions se divisait de manière visible bien séparé entre elles, et menées par un élève portant leurs enseignes : E. N. O. S.

Nous eûmes de nouveau droit à un discours rempli de patriotisme délirant – auquel je prêtai encore moins d’attention qu’à celui du premier jour. Seule une phrase retint mon attention : “Et toute la Nation le dit avec ferveur : nous irons jusqu’au bout ! Nous ne reculerons devant rien pour ravir la victoire. L’Union fera tous les sacrifices nécessaires.” J’eus trois gouttes de sueurs quand je les entendis, tandis mon œil gauche je me renvoyais l’image d’un casque écrasé faisant surgir un visage d’enfant.

C’est avec soulagement que j’accueillis le signal du départ de la parade, espérant que marcher me ferait changer les idées – peines perdues nous n’étions pas les premiers à partir. Nous dûmes attendre près d’une heure avant de suivre le reste de notre escadron.

Nous marchions au pas dans les grandes avenues de Manlan’har. Sur les bords s’agglutinaient des passants venus admirer la parade militaire des élèves de l’ENOS. N’avaient-ils donc pas assez d’être eux-mêmes militaires, dans une ville – une planète carrément – qui n’était consacré qu’à la guerre, pour venir voir une parade militaire ? Mais le jour de congé donné pour venir voir la parade militaire avait, semblait-il, fonctionné dans une certaine mesure – et cela nous convenait d’autant mieux.

J’observais attentivement les mouvements autours de moi, et fini par remarquer deux officiers qui, mine de rien, suivait notre brigade malgré notre allure au chant des morts. Une fois trouvés je ne les lâchais plus de vu.

Au travers des tours et des détours de la parade, nous arrivions à notre ‘sortie de secours’ – dixit Swann. La musique militaire fut remplacée d’un coup. Sans prévenir. Et toute les personnes présentes reconnurent ce son. Il nous avait été présenté chaque semaine. Les sirènes sonnaient l’arrivée d’une attaque imminente – suivant le signal spécifique indiquant une imminence de dix minutes. Je ne connus pas une seule personne présente ce jour-là qui n’eut la chair de poule – j’avais beau être au courant, et à l’origine de l’idée, mon cœur s’emballa un moment.

Puis les sirènes d’appels à se réfugier dans les souterrains adéquats retentirent. La parade s’était déjà étiolée. Chacun marchant – dans un calme relatif – vers les abris les plus proches. Toute ma brigade était restée auprès de moi, et nous faisions semblant de suivre le flux de la foule. Mais d’un coup d’œil je remarquai qu’un de nos gardiens ne nous avait pas encore lâché.

Il y eut ensuite le cri strident annonçant la coupure électrique de la majorité des équipements – et juste après le bouclier s’activa déclenchant un joli voile bleu turquoise qui se répandit dans le ciel. A ce stade chacun pensait que l’impensable était arrivé : le GRUP nous attaquait ! Et je vis quelques élèves – et même des officiers – blanchir à vue d’œil.

Les alarmes disant que la zone était à évacuer d’urgence se mirent à sonner, par-dessus toutes les autres. Les signaux étaient à peine reconnaissables. Les gens ne savaient plus quoi choisir, quel signal écouter : aller dans les abris, ou évacuer la zone. Pour couronner le tout, le réseau était saturé des demandes d’information des terminaux personnels, et l’information peinait à arriver. Cela avait été le job de la brigade de Mia que de ralentir le réseau – elle avait, je crois, lancé un calcul extrêmement long et inutile en mode partage forcé sur le réseau, tous les terminaux tentaient donc prioritairement de résoudre son calcul au lieu de donner des informations.

C’était la panique. Les gens discutaient pour savoir quoi faire, se contredisaient. Les groupes n’allaient plus dans le même sens, et se rentraient dedans, ralentissaient, se réorganisaient et décidaient de repartir dans une toute nouvelle direction – à la rencontre d’un nouveau flux. Sans arrêter ma brigade, nous ralentîmes, et fîmes un tour – de manège – pour revenir sur nos pas. Nos gardes attitrés par l’école n’étaient plus en vue. Ils nous avaient perdus, ou avaient choisi de sauver leurs peaux.

Enfin la phase finale des alarmes commença avec les alarmes incendies des bâtiments qui sonnèrent à tour de rôle. Suivis de près par l’alerte de gaz toxiques. Quand la sirène de tsunami se mit à sonner personne n’y comprenait plus rien. La panique s’était transformée en pagaille générale. Mais notre brigade avait déjà pris une des entrées secrètes menant au niveau N2 – récupérant opportunément trois sacs abandonnés sur le chemin.

Le système électrique y étant totalement indépendant, ascenseur et Taupe-rapide fonctionnaient encore. Nous descendîmes au niveau N2, le seul élément que je n’arrivais pas à savoir était la profondeur où il était situé. Les ascenseurs étaient exprès équipés d’accélération non linéaires et aléatoires. Arrivés en bas, une Taupe-rapide nous conduisit trois kilomètres plus loin, où je pus ouvrir un accès à la brigade de Mia.

Nous jouions le grand jeu, ce jour-là. J’avais donc décidé de nous faire aider autant que possible. Elia s’était chargée des alarmes en tout genre. Ce qui nous avaient permis de s’échapper de la parade en toute discrétion. La pagaille continuerait pendant des heures – pour le plus grand amusement d’Elia.

Georges, encadré comme il était n’avait pu participer pleinement à l’opération. Il devait profiter de cette attention pour faire diversion le plus possible. Une disparition opportune, suivit de réapparition fugace, de sa brigade mettrait tous les officiers sur leurs pistes – même s’ils étaient simplement enfermés dans un des abris d’attaque qui avait – malencontreusement – disjoncté.

Après ces préparatifs, ils ne restaient plus qu’à prendre les données auprès de l’administrateur des affectations. Wearek nous avait tout donné : la localisation de ses bureaux – dans une ville où il n’existait aucune carte – ses habitudes quotidiennes – réglées comme une horloge – les moyens de surveillance externes – inexistant face aux virus et vers fournis par lui-même.

En fait la situation promettait presque d’être trop belle pour être vrai. Et si sur le papier, à quatre personnes nous aurions suffi, j’avais préféré demander à Elia et sa brigade de nous accompagner. A vingt-trois, nous ne rentrions pas dans une seule Taupe, nous en réservâmes trois pour nous amener quelques mille six cents kilomètres plus loin. Nous en aurions pour deux heures et demie, une fois que les Taupes se seraient insérées dans un des tunnels à vide.

Dans le niveau N2, il n’y avait aucune caméra – pour des raisons de sécurité si jamais l'ennemi venait à y rentrer, il ne devait pas pouvoir s’en servir contre les armées de l’Union. A l’extérieur les principales caméras seraient désactivées par les pros de Hackage de la brigade d’Elia. Mais les caméras internes du bureau de l’administrateurs seraient, elles, pleinement opérationnelles.

« Elles fonctionnent en boucle fermés, nous avaient expliqués Lou. Aucun accès par l’extérieurs. Alimentation interne. Les données sont enregistrées dans trois ordinateurs différents, à trois étages différents, protégés chacun par des mesures différentes.

- Pour simplifier, résuma Swann, Lou vous explique que nous ne pouvons pas les couper avant d’arriver.

- Et que d’aller supprimer les données d’enregistrement va nous faire perdre beaucoup de temps, continua la jeune hackeuse. Et que déjà il va me falloir rentrer dans l’ordinateur de l’administrateur.

- Tu veux nous dire, interrompit Maro, que les caméras vont forcément nous voir. Mais que tu ne prévois de ne rien faire, c’est bien ça ?

- La bonne nouvelle, Maro, est que personne ne regarde ces caméras en temps réel. Les caméras vont nous enregistrer, mais il n’y aura personne pour donner l’alarme. Elles ne nous gêneront pas. »

Certes nous pouvions donc rentrer sans problèmes, mais la présence les caméras allaient enregistrer nos images. D’où les trois sacs d’affaire qui contenaient des habits militaire – mais sans aucune insignes – ainsi que des cagoules.

Nous avions entendu parler des derniers systèmes de reconnaissance – non plus sur le visage, ou la voix – mais sur la morphologie des personnes, leurs façons de bouger. Il fallait avoir beaucoup d’image des personnes, et le bureau de l’administrateur en était plein à craquer de caméra. A peu près douze par pièces – placard à balais compris.

Nos habits de rechange initialement prévus s’étaient peu à peu transformés en véritable déguisement. A Joanne la tête avait été rembourré. Swann marchait sur des talons compensés. Certains vêtements étaient trop grands. Je portais un rembourrage au ventre – qu’il m’aurait fallu dix ans d’inactivité pour gagner. Quand nous fûmes tous habillés je nous trouvais plus l’air de Clown que d’agents spéciaux.

La brigade d’Elia n’avait pas besoin de ce genre de déguisement. Eux resteraient à l’air libre, et devraient surveiller l’administrateur lors de son déjeuner quotidien, et le ralentir au besoin. En descendant des Taupes, Elia pris la direction de sa brigade, et ils allèrent se mettre en position. Pour éveiller le moins possible les soupçons de l’administrateur, la surveillance de près se ferait en relai régulier. A douze chacun ne resterait pas plus de cinq minutes visibles par la cible.

Joanne sorti également, suivi peu après par Matt. A eux deux ils devaient nous ménager une sortie de secours – le fameux plan B – si les choses tournaient mal. Brunach qui était parti avec Peter, devait attendre le début des opérations pour réserver un des Moineaux en libre-service, pour servir de plan C – lors des opérations dans l’école je n’avais jamais prévu plus d’une sortie de secours, mais désormais nous jouions gros. Ce ne serait pas uniquement les remontrances de Wearek, ou des professeurs que nous risquions – mais un aller à la cour martial.

Un message sur mon term, me confirma qu’Elia avait bien vu l’administrateur rentrer dans un des restaurants pour officier – la crème de l’armée avait le droit à de vrais restaurants.

Je sortis alors accompagné de Xian, Swann, Lou et Paul. Cicé restaient, avec Maro – pas vraiment pour le plaisir de la première vu l’énergie de mettaient Maro à essayer de se retrouver seul avec elle – au niveau N2.

« J’aurais donné cher pour leur mettre un micro à tous les deux, lança Lou une fois que nous étions dans l’ascenseur.

Devant mon air perplexe elle ajouta :

- Nous avons eu le droit d’enregistrer le premier râteau de Swann. Il n’y a pas de raison que nous n’ayons pas celui de Maro »

Nous éclatâmes tous de rires. Et je sentis Swann se décontracter un peu, par rapport à son entrée dans l’ascenseur.

Cinq minutes avant que nous ne sortions à l’air libre, Lou avait désactivé les caméras de sécurité du secteur. Simulant une simple panne informatique alternative, les équipes de surveillances pencheraient dessus au mieux quelques heures. Nous serions partis d’ici là – de retour à l’ENOS ou enfermés en cellule.

Nous étions ici dans le cœur administratif de Manlan’har. La différence avec les quartiers d’études des jeunes appelés était frappante, tout comme celle avec les quartiers d’officiers et militaire jouxtant nos écoles. Ici tout y était plus doux. Il y avait quelques restaurants et boutiques, le béton cellulosé gris terne était amoindris par des fleurs et des plantes en plus grand nombre qu’ailleurs. L’espace public y étaient également ordonné – rigueur militaire oblige – mais nous ne sentions pas l’oppression infime que la vie va basculer, pas plus que nous n’entendions le pas cadencé de patrouille.

Nous arrivions en vue des bureaux de l’administrateur général. Bien qu’il soit seul à travailler – et à y vivre – il lui était réservé un bâtiment complet : quatre étages de deux ou trois pièces pour lui tout seul. Ce qui arrangeait nos affaires, nous n’avions pas à prendre en compte d’éventuels collègues. Paul et Swann restèrent de chaque côté de la maison, à quelques dizaines de mètres. Le premier faisait semblant de réparer un panneau d’information défectueux – celui-là même que Swann trente mètre plus loin piratait en réalité.

Dans le renfoncement de la ruelle, nous étions arrivés devant les bureaux ciblés. Au rez-de-chaussée la porte et son système d’accès en circuit fermé nous narguait. Xian lança un coup d’œil à Lou, pour vérifier si elle ne voulait tout de même pas tenter le coup. Mais c’était peine perdue, nous le savions tous.

Je portai mon attention au troisième étage. Celui-ci nous avait paru le plus fragile d’entre tous, un balcon nous permettrait d’être stable pour forcer les portes vitrées. Et tandis que nous mettions nos cagoules, empêchant ainsi totalement d’être reconnus, je cherchais les prises qu’il nous faudrait utiliser.

Xian passa en premier. S’appuyant sur la gouttière et le coin de l’immeuble, il monta sans difficulté. A un moment donné, il redescendit même, et avec une perceuse qu’il portait en bandoulière, perça le mur et y attacha une prise d’escalade apportée pour l’occasion. Il n’en n’avait pas eu besoin, mais considérait que Lou et moi nous aurions plus de mal – je dû me mordre la langue pour m’empêcher de l’appeler par tous les noms d’oiseau pour sa compatissance.

Lou suivi et je montai en dernier, emportant avec moi les quelques matériels qu’il nous faudrait. A cause des deux sacs je fus bien content de trouver une prise d’escalade, somme toute bien placée.

Xian n’avait pas fait dans la dentelle, la fenêtre était simplement cassée. Nous avions prévu un compas à diamant en cas de verre renforcé – encore du matériel que j’avais porté pour rien.

A l’intérieur du bâtiment nous ne devions plus dire un mot. Tout enregistrement de notre voix nous identifierait aussi facilement que si nous avions laissé nos terms. C’était par signe que nous communiquions en rentrant dans la pièce – ayant travaillé le plan dans le moindre détail, il s’agissait principalement de dire “oui c’est bon on avance”.

Je suivi Xian, en me faufilant à travers la petite fenêtre qu’il avait brisé. La pénombre de l’intérieur, après la forte lumière du midi extérieur, ne me laissait rien voir. Je senti uniquement de ma main, un objet lourd, qui comme je m’appuyais sur lui, commença basculer, et glisser de son étagère.

Ne voyant pas grand-chose j’eus toutes les peines du monde à la retenir, avant de me rendre compte qu’il s’agissait d’une statue en verre. Après avoir habitué mes yeux, je vis que toute la pièce n’était qu’un grand musée de sculpture. Certaine était assurément moderne, pour d’autre leurs formes abstraites les désignaient plus veilles, d’autres encore était d’un style inconnu de D’Zorons. Je remis la statue à sa place, en équilibre avant qu’elle ne vienne se briser à mes pieds, rejoignant les restes de la vitre.

Je regardai les indications de mon œil bionique : aucun message d’Elia n’indiquait une urgence. Notre présence n’avait pas encore été signalé, nous pouvions lancer la phase finale. Et c’est tout à fait serein – quoique marchant bizarrement avec ma bouée ventrale – que nous descendîmes, vers le bureau de l’administrateur.

Le bureau de l’administrateur était grand. J’aperçus d’abord l’immense baie vitrée qui donnait sur un grand jardin, puis le bureau lui-même installé contre un mur avec un terminal fixe et de multiples écrans. Au milieu de la pièce se tenait une grande table avec des fauteuils de réunions.

J’allais indiquer à Lou de lancer le piratage du terminal, quant au même moment d’une part je reçu un message via mon œil gauche – message qui venait d’Elia comme je le compris la seconde d’après – et un des fauteuils pivota : il n’était pas vide.

« Bonjour à vous, nous dit l’homme que nous reconnûmes comme l’administrateur des affectations. Et bienvenu chez moi. »

Il avait à peine parlé que Xian s’était rapproché de lui, et à deux mètres le menaçait d’un taser.

« Je vous en prie, je vous en prie, continua-t-il. Pas de violence. Aucune sirène n’a sonné. C’est donc que vous avez bloqué les communications du bâtiment avec l'extérieur, n’est-ce pas ? J’ai entendu du verre brisé à l’étage, vous n’avez pas cassé de statues j’espère. Je déteste devoir en faire importer de nouvelles. Il y a tant de maladroits. »

Entre chaque phrase, il laissait un blanc suffisant pour que nous puissions répondre. Mais aucun de nous ne le fit – et pourtant cela me démangeait. Lou s’était déjà approchée du terminal. Elle désigna l’administrateur, suivi du terminal, et lui demanda en silence de nous ouvrir l’accès.

« Ah, non. Je n’en ferais rien. Quand bien même vous pointez une arme sur moi. Vous ne pouvez pas me demander de trahir l’Union. Faites comme si je n’étais pas là. Vous n’aviez pas compté sur mon aide, n’est-ce pas ? Alors faites, faites donc. »

Après un échange de regard entre nous trois, Lou se mit seule à craquer les accès au terminal. Tandis que j’essayais de comprendre ce que ce bonhomme faisait ici. Il était routinier. Très routinier. Et aujourd’hui il venait de louper son déjeuner. Pas seulement le louper, il était rentré dans son restaurant, et là-bas il avait décidé de revenir ici.

De plus, il était revenu par un chemin détourné, puisqu’Elia et sa brigade ne l’avait pas vu partir. C’est seulement au bout de plusieurs minutes, alors qu’ils le croyaient aux toilettes du restaurant qu’ils s’étaient aperçus qu’il leur avait faussé compagnie. Qu’est-ce qui l’avait décidé à revenir ? Avant même que nous rentrions dans la pièce, il nous attendait. Avait-il eu vent de notre opération ? Qui d’autre savait ?

J’aurais bien aimé lui poser les questions, qui s’accumulaient dans ma tête. Mais le silence que nous devions garder me l’interdisait. Aussi je restai stupéfait quand il y répondit par lui-même comme s’il savait ce que je pensais.

« Sous vos cagoules, vous devez avoir l’air surpris de me voir. Surtout qu’à voir les déguisements que vous avez mis pour tromper la reconnaissance morphologique, vous vous êtes sacrément préparés. Je suppose que votre terminal vous indique dans votre dernier message reçus que je ne suis plus au restaurant. Ai-je juste ?

Cela dit, non. Je n’ai pas remarqué aucune personne qui me suivait. Si je suis revenu voyez-vous c’est votre action de détournement au nord. Quand on met la pagaille dans tous les réseaux, et fait sonner toutes les alarmes sur mille kilomètres de rayon, c’est qu’on veut détourner l’attention de toute la sécurité. »

Effectivement la pagaille que nous avions mise devait servir tant pour nous échapper de la parade, que de focaliser la sécurité de toute la ville. Nous espérions être ainsi bien plus tranquille – ce qui avait marché jusqu’à notre arrivée dans ce bureau. A trop vouloir bien faire, on fait des erreurs.

« Ce n’est pas la première fois qu’on crée une grosse diversion pour venir tranquillement me piquer quelques codes. Quoique la vôtre semble vraiment spectaculaire. Soyez tranquille je ne vous en empêcherais pas. Nous savons vous et moi que cela fait partie du jeu. Et le changement de grand chancelier vous oblige certainement à vous mettre à l’abri, ou à prévoir votre prochain coup. C’est tout à fait compréhensible. »

Au risque de me répéter, si je suis là ce n’est pas pour vous en empêcher. Aussi si vous pouviez éviter de me pointer votre taser, je serais bien plus à l’aise.”

Xian, recula d’un mètre, et continua de le viser de plus belle.

« Si je suis resté c’est uniquement pour une question. Qui êtes-vous ? Je me doute que vous n’allez pas répondre. Mais cela me trottine dans la tête. Ici je suis à l’écart de toute la politique des Grands Etats-Majors Je n’ai aucun détail. Alors quand on vient chez moi pour récupérer le code de tel ou tel militaire, j’aime bien savoir qui. »

Il parlait, mais il parlait trop. Oui, je ne doutais pas qu’il voulait savoir qui nous étions. Était-ce parce qu’il s’ennuyait ici ? au point de collectionner des statues sans intérêt. Ou était-ce pour nous faire arrêter après ? Bien sûr il promit de garder le secret.

« Ce n’est que pour me permettre de comprendre ce qu’il se passe dans les coulisses des Grands Etats-Majors.  »

Mais, il devait savoir à l’avance que ses chances étaient nulles. Nous ne dirions rien. Que faisait-il donc ici ? Quel avantage avait-il à être ici par rapport à terminer son bon repas tranquillement ? Je fus coupé dans mes réflexions par Lou qui m’indiqua d’un signe qu’elle avait accès à l’ordinateur.

C’est la surprise qu’elle m’avait faite en me touchant le bras – j’avais carrément sursauté – qui me donna la solution. Notre gentil prisonnier ne cherchait qu’une chose, à attirer l’attention sur lui, à nous déconcentrer. Il ne voulait pas que nous voyions une astuce, un truc, que nous aurions remarqué sans sa présence.

Je devais à ce stade donner à Lou, la liste des personnes dont elle devait voler les codes secrets d’affectation. J’avais assez confiance en Lou, et en ses talent d’informaticienne, pour être certains que l’ordinateur ne contenait aucun risque. Je devais chercher ailleurs.

Et malgré les protestations silencieuse et d’impatience de Lou, je ne lui donnai pas la liste, et me mit à la recherche de ce qui clochait dans la pièce. L’administrateur voulut se lever, et me parler de plus en plus fort. Xian l’assit fermement. Quant à ses paroles, je n’y prêtais plus guère d’attention. Elles ne servaient qu’à me détourner.

La pièce contenait vingt caméras. Je connaissais l’emplacement de toute, et leur champ de vision. Nous étions couverts de la tête au pied. Nous avions même des plaques métalliques et de céramique pour empêcher des analyses de morphologie par rayon X. Les caméras ciblaient toute la pièce, sauf le bureau. Elles ne permettaient pas de voir les écrans du terminal informatique. J’avais trouvé cela normal, personne ne devait espionner ce que l’administrateur faisait. Sauf que…

Sauf que personne ne regardait les caméras. Elles enregistraient, et seul l’administrateur y avait accès. Il n’y avait alors pas de raison de ne pas filmer les écrans. J’étais soulagé, j’avais trouvé le truc. Ce que toute cette mascarade essayait de masquer.

Il y avait des caméras qui permettaient de voir directement les écrans des terminaux. Aussitôt que j’aurais donné cette liste à Lou, les noms se trouveraient enregistrés. Et notre cher prisonnier, après notre départ saurait qui nous étions. Il ne me fallut pas longtemps pour trouver les caméras. L’une était incrustée dans le lustre du plafond, et deux autres s'inséraient dans des sculptures faites sur mesures.

Je pris la veste qui trainait sur le bureau pour cacher la vue de la caméra du plafonnier. J’étais partis pour faire tomber les sculptures. Je me retins au dernier moment – ce n’était finalement que de bonne guerre, et j’avais trouvé la solution avant de nous compromettre. Je les retournai contre le mur, arrachant au passage le câble informatique qui reliait les caméras. Après un juron aimable de notre hôte, il me félicita d’un « bien joué, bien joué ». Il souriait tout heureux.

Ceci fait, c’est tout sereinement que je remis la liste à Lou. Elle tiqua sur quelques noms qu’elle ne connaissait pas, mais particulièrement sur ceux de Cynthia BOIJOL, et Julie LOPAN. Elle vit également le nom de sa sœur déjà engagée dans l’armée. Et je dus la rassurer deux fois avant qu’elle ne se mette à prendre tous les identifiants.

Dix minutes plus tard nous avions finis. Et je lus plus que du soulagement chez notre administrateur, quand Lou quitta enfin le bureau.

« J’ai un rendez-vous d’ici quinze minutes, alors il est temps que vous partiez. Non, non ! Ne passez pas par en haut ! Je tiens à mes sculptures, je vous en prie. Je vais vous ouvrir en bas. »

Il nous conduisit à l’entrée, devant la porte principale – qui s’avérait contrairement à nos prévisions une simple porte à peine renforcée.

« Et oui, que voulez-vous mes chers voleurs, tous ne sont pas aussi bien préparés que vous. Aussi je dois les aider un peu. »

Il ouvrit la porte. Xian, puis Lou sortirent.

« Mais avant que vous ne partiez, me dit-il au moment où je passais la porte, laissez-moi vous donner un conseil. Vous êtes intelligent, mais ici, parfois, il ne fait pas bon de l’être trop. Encore moins quand l’intelligence rime aussi avec jeunesse. Certains préfèrent faire rimer jeunesse avec front, et mise en bière. »

Je failli répondre qu’il leur manquait un bon sens littéraire. Sur le trajet de retour, je regardais les derniers messages sur le réseau, qui tous ne parlaient que de " l'alarme pour rien" qui avait bloqué une partie importante de la ville.

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