Lyra caressait son ventre, passant de l’euphorie à l’idée de devenir mère au désespoir face à son incapacité à s’en occuper. Elle ne possédait aucun moyen de subsistance. Cet enfant serait voué à la misère. Elle aurait voulu le combler et elle se retrouvait en prison. Ash n’aurait aucune difficulté à la trouver ici, mettant un terme à sa vie et à celle fragile, innocente, en elle.
Comme en écho à ses sombres pensées, la porte s’ouvrit pour dévoiler Ash. Lyra se colla contre le mur du fond tandis que Ash s’adossait à l’opposé en symétrique. La porte se referma, glaçant Lyra d’effroi.
- Je ne porte aucune arme, précisa-t-il en écartant les pans de sa veste sombre. Les glyphes me privent autant de ma magie que toi.
Lyra ne doutait pas qu’il fut capable de la tuer à mains nues. Sauf que s’il agissait de la sorte, il ne recevrait pas ses pouvoirs. Lyra estima que cela la mettait hors de danger, pour l’instant. Elle se détendit un peu, sans quitter sa place. Ash ne bougea pas non plus. Ses bras pendaient le long de son corps dans une attitude sereine et tranquille.
- Je n’ai aucune envie de te faire du mal, assura-t-il.
- Tu as essayé de me tuer, accusa Lyra.
- Je n’en ai plus la possibilité. L’empereur y veille personnellement. Si je m’attaque à toi, je perds tout. Sa Majesté est tenue par un serment à tout faire pour que la paix règne entre ses frontières et crois-moi, il y accorde une énergie considérable.
Lyra le croyait volontiers. L’Empire fleurissait. La paix régnait.
- Que je le veuille ou non, je vais devoir faire avec toi, poursuivit Ash.
- Je ne t’épouserai pas, grogna Lyra.
Ash ne montra aucun signe d’agacement à cette réplique. Il resta stoïque et détendu.
- Parce que je ne t’ai pas encore convaincue d’accepter.
- Parce que tu as envie d’épouser une godiche, peut-être ? gronda Lyra.
- Je n’ai aucune envie que mon épouse me fasse honte. Lorsque tu m’auras donné un fils magicien, je t’apprendrai. Tout. La politique et la magie.
La promesse sentait bon. Trop bon. Lyra en avait assez de se faire rouler dans la farine en suivant le premier beau parleur venu. Elle en avait assez de pardonner des actes mauvais sous prétexte de jolis promesses et de cadeaux. Elle se força à rester froide malgré le présent alléchant.
- La magie est rare. La probabilité qu’un de nos enfants soit magicien est infime.
- Notre premier enfant sera un fils magicien. Ne t’inquiète pas pour ça, répondit Ash d’un ton désinvolte.
Comment pouvait-il être aussi sûr de lui ? Lyra blêmit. Il n’y avait qu’une seule explication.
- Tu es le descendant légitime au trône de Valdoria ? s’étrangla-t-elle.
Ash leva les sourcils et sourit à cette réplique avant de plisser le front.
- Kaelan est un redoutable adversaire, annonça-t-il. Il applique à merveille les préceptes de Valentis. Les meilleurs mensonges passent semés sur un terreau de vérité. Ainsi, il t’a raconté le passé. Il a bien fait de ne pas te mentir à ce sujet, car, après tout, tu aurais pu le vérifier auprès de n’importe quel érudit.
- Je ne comprends pas, admit Lyra. Il m’a dit que tu étais un enfant traumatique.
- Oh ! s’écria Ash tout sourire. Bien joué, Kaelan. Échanger nos deux vies. Excellent idée.
- Échanger vos… Attends ! C’est lui, l’enfant traumatique ?
Chaque nouvelle information semblait ébranler les fondations de ce que Lyra croyait savoir. Elle sentait le sol se dérober sous ses pieds, son esprit luttant pour assimiler cette nouvelle réalité. Elle insista :
- C’est impossible ! N’es-tu pas le premier apprenti de Valentis ?
- Si, admit Ash.
- Kaelan m’a dit que Valentis t’avait rejeté après t’avoir surpris au lit avec une femme. Quand il a vu tes glyphes, il a compris ta nature de sorcier et t’a repoussé, te privant ainsi du transfert pourtant imminent de ses pouvoirs.
- Kaelan a réussi à manipuler les faits avec brio. Valentis m’a effectivement surpris au lit avec une femme, suite à quoi il m’a privé du pouvoir qui, pourtant, me revenait de droit. Cependant, je réitère ce que j’ai dis devant l’empereur : je n’ai jamais tué quiconque dans le but de lui prendre ses pouvoirs. Je n’ai jamais torturé quiconque en ce sens non plus. Kaelan agit ainsi. Pas moi.
Alors qu'Ash parlait, Lyra ne pouvait s'empêcher de penser à l'enfant qui grandissait en elle. Comment pourrait-elle protéger cet être innocent dans un monde si complexe et dangereux ?
- J’ai vu les glyphes sur ton bras. Nul ne peut obtenir autant de pouvoir en une vie.
- Non, en effet, admit Ash. Sais-tu d’où viennent les sorciers ? Que t’as dit Kaelan à ce sujet ?
- Les descendants légitimes au trône de Valdoria voulaient reprendre le trône alors pour lutter contre le roi parvenu, ils sont allés voler le pouvoir aux magiciens. Le peuple de Valdoria a suivi leur exemple et la sorcellerie s’est répandue, laissant des centaines de cadavres de magiciens innocents derrière elle. Tu es un meurtrier ! accusa Lyra.
- Sauf que les membres de l’ancienne famille royale ne parvinrent jamais à transformer les runes en glyphes, poursuivit Ash en ignorant la pique de Lyra.
- Et pour cause. Il faut être magicien pour modeler la magie, annonça Lyra.
- Au moins tu sais cela, c’est bien, la complimenta Ash.
Malgré ses paroles apaisantes, la proximité d'Ash faisait courir des frissons le long de la colonne vertébrale de Lyra. Son corps se souvenait du danger qu'il représentait, même si son esprit commençait à douter.
- As-tu des raisons de me complimenter ? murmura Lyra.
- Pardon ? lança Ash.
- La servante venue m’accompagner pendant mon bain m’a dit qu’un compliment était une flatterie lorsqu’il était dit sans qu’on le pense et qu’on faisait cela lorsqu’on espérait un gain en retour alors, je me demande : qu’est-ce que tu pourrais bien y gagner ?
Ash explosa de rire avant de soupirer.
- Anne n’est pas une servante, commença-t-il. C’est une suivante.
- Je ne saisis pas la nuance, indiqua Lyra.
- Anne est une noble. Elle appartient à une lignée royale, mais pas héritière directe. Son rôle est d’accompagner des héritiers ou des héritières, pour les former, leur tenir compagnie, les aider si besoin. Elle les suit partout. Les servantes, elles, lavent le linge, font la poussière ou nettoient les couverts. Tu comprends ?
- Oui, indiqua Lyra. Je suis désolée si je me suis montrée impolie envers Anne.
- Pas de problème, assura Ash. Ainsi, Anne a décidé de commencer ta formation. La flatterie… Première leçon haute en couleur.
- As-tu des raisons de me complimenter ? Pensais-tu ce compliment ?
- Tu es intelligente, à n’en pas douter.
- Non, répliqua Lyra. Je suis une godiche.
- Je ne suis pas d’accord. Tu es ignorante. C’est tout. Ce n’est pas de ta faute. Il te suffit d’apprendre et tu sembles posséder d’excellentes dispositions pour cela. J’estime que tu rattraperas vite le niveau. Dès que tu m’auras donné un fils…
- Je ne t’épouserai pas, insista Lyra.
Ash resta neutre face à cette réplique. Lyra jalousa sa capacité à rester stoïque. Elle sautillait d’un pied sur l’autre et ne pouvait s’empêcher de triturer sa robe.
- Peu après la disparition du roi parvenu, mon aïeule mit au monde un fils qui s’avéra magicien. L’héritier au trône. Impossible cependant d’aller le réclamer à l’empereur. Seul le porteur de glyphes peut s’asseoir sur le trône de Valdoria. Le risque que le roi parvenu – ou son successeur – n’intervienne était bien trop grand.
Lyra frémit. C’était exactement ce qui c’était passé… dans le sens inverse.
- Mes ancêtres ont décidé de s’unir pour offrir le maximum de pouvoir à l’héritier afin qu’il puisse défaire le roi parvenu – ou son successeur – le moment venu. À partir de ce jour, tous les porteurs de sang royal Valdorien sont devenus sorciers et chacun d’eux, une fois malade ou vieux, offrait son pouvoir à l’élu.
- Une façon douce de dire « se suicide », comprit Lyra.
Ash ne rebondit pas.
- L’héritier devait façonner les runes pour les transformer en glyphes, des dizaines d’entre elles. Il ne devait faire que cela. Une vie de méditation et d’ennui, entouré de meurtriers et de suicidés.
Lyra grimaça. Voilà qui n’était guère enviable.
- L’héritier n’est pas à plaindre, précisa Ash. Il reçoit les honneurs dus à un roi. Les meilleurs vêtements, bijoux, parfums, mets, boissons, chevaux, serviteurs. Une vie idéale avec un seul but : modeler des glyphes et les transmettre à son enfant pour qu’il poursuive le dessein.
Lyra observa Ash. Il était l’héritier. Il racontait sa propre vie. Ou pas… Après tout, n’avait-il pas été l’apprenti de Valentis ?
- Quel âge avais-tu quand Valentis est devenu ton mentor ? interrogea Lyra.
- Il y a longtemps que mes ancêtres ont découvert la cachette des successeurs du roi parvenu. Leur but : conserver, améliorer et transmettre le pouvoir pour reprendre le trône le moment venu.
Lyra serra les dents. Sans le savoir, elle avait réalisé les rêves d’un salopard.
- Mes ancêtres surveillaient le domaine protégé par des glyphes mais impossible de s’en approcher. Un jour, la chance leur a sourit. Valentis est sorti à la recherche d’un apprenti. J’étais enfant. C’était la première fois que les étoiles coïncidaient. Il m’a pris sous son aile.
Lyra baissa les yeux et plissa les paupières, cherchant à remettre de l’ordre dans toutes les informations reçues, triant le bon grain de l’ivraie. Quelque chose manquait pour que tout s’assemble, mais quoi ?
- Pourquoi Valentis m’a-t-il rejeté le jour où il m’a surpris en train de baiser ? proposa Ash.
- Il a vu les runes et les glyphes sur ton corps, se souvint Lyra et Ash confirma. Il n’a pas pu en déduire que tu étais un meurtrier. Tu étais trop petit quand tu es entré sous en aile pour avoir tué autant de gens et après, il ne t’avait pas quitté des yeux.
- En effet, acquiesça Ash. Il te manque une information pour comprendre. Vois-tu, la relation maître / apprenti est profonde. Valentis a été un mentor formidable, que j’appréciais beaucoup. Bien sûr, mes parents me manquaient mais il comblait le manque avec douceur et fermeté. Il savait tout de moi, en dehors de l’identité de mes géniteurs.
- Je ne saisis pas le rapport, indiqua Lyra.
- Il savait que je ne ressens aucune attirance pour les femmes. Pas la moindre. Je ne pratique le sexe qu’avec des hommes, avoua Ash avec désinvolture.
Lyra enregistra la nouvelle avec neutralité. Ash pouvait bien mettre qui il voulait dans son lit. Elle s’en fichait. Elle tenta de faire le lien.
- Tu portais un mélange de runes et de glyphes et tu baisais une femme. Cela ne pouvait être qu’à but reproductif. Il a reconstitué le puzzle et en a déduit que tu es le descendant légitime au trône de Valdoria, son pire ennemi.
- Exactement, confirma Ash. Je n’ai pas eu le temps de dire ouf que les glyphes m’ont éjecté du domaine.
- Ça a marché ? demanda Lyra.
- Quoi donc ?
- La reproduction avec la dame…
- Non, dit Ash.
- Tu n’as pas réessayé depuis ?
- Si mais les rares fois où j’ai réussi à aller jusqu’au bout, ça n’a rien donné. La magie veut un mariage dans les règles de l’art.
- La magie sait si tu es marié avec ta partenaire ?
Ash leva les yeux au ciel en haussant les épaules. Visiblement, la réponse le dépassait, lui aussi. Qu’il puisse ne pas savoir des choses rassura Lyra. Elle se sentit moins bête, tout d’un coup.