Oliva se réveilla en sursaut. Alek était penché au-dessus d’elle et la vrillait des yeux, le visage fiévreux. Elle manqua de s’étrangler. Prit par surprise, il poussa un juron et bondit en arrière. Olivia se releva hâtivement, tentant d’éclaircir ses idées. Quelle heure était-il ? Les jumeaux et Tilma dormaient à quelques mètres d’elle, emmitouflés dans leurs toute nouvelles couvertures.
Alek allait finir par lui donner le tournis. Tantôt il se montrait antipathique, tantôt il risquait sa peau pour lui sauvait la vie…et maintenant, voilà qu’il agissait de manière complètement ahurissante. Au moment où elle s’apprêtait à lui dire quelque chose, il fit le signe autoritaire de se taire tout en désignant le reste du groupe à côté d’eux.
Très bien !
Olivia était tout à fait éveillée, à présent. Elle bouillait : c’en était assez des manières froides et agressives! Cette fois ci, elle était déterminée à obtenir des explications. Elle se dirigea d’un pas décidé au-devant d’un petit bois qui jouxtait le cours d’eau. Visiblement à contrecœur, Alek lui emboita pas de son éternelle démarche clopinante.
Le ciel moucheté d’étoile repoussait l’obscurité, leur traçant un chemin dans la nuit. Comme elle n’entendait rien derrière elle, Olivia se retourna pour vérifier qu’Alek la suivait bien. Il avait le pas léger, comme Tilma, qui évoquait la démarche feutré d’un félin. Ils se trouvaient maintenant à distance suffisante du campement. Mahe fit volte-face : l’homme se tenait immobile, le visage aussi sombre qu’à l’accoutumé. Les ombres de la nuit s oulignaient ses traits creusés et le pli formé entre ses sourcils. Il était visiblement en proie à un débat intérieur.
— Est-ce que tu as un problème avec moi ? lança-t-elle tout de go.
Alek ne répondit pas et se passa une main dans ses cheveux, très gêné. Lili inspira profondément : elle était en position de force.
— Pourquoi tu me regardais en train de dormir?
— Je te prie de m’excuser, articula-t-il avec difficulté.
— Ce n’est pas une réponse !
Il fixa alors ses pieds d’un air coupable, faisant penser à un enfant pris en faute. Olivia ne put retenir une pointe d’amusement. La situation était cocasse : l’Avel-lazher au sang-froid, perdant ses moyens face à elle. Comme s’il avait perçu son changement d’humeur, Alek porta son regard sur elle. La faible luminosité atténuait le rouge de ses pupilles - en journée elles avaient l’aspect de deux coques de noix striées de veine - et ses yeux paraissaient plus doux.
— Est-ce que tu as dent contre moi ? dit Olivia d’une voix plus calme.
— Non, bien sûr.
Il avait dit cela comme si c’était l’évidence même.
— Pourquoi ne m’adresses-tu jamais la parole, dans ce cas ?
— Je…j’ai toujours senti que ma présence t’indisposait.
— Ce n’est pas ça… balbutia Olivia, qui ne s’attendait pas à une telle réponse.
Elle l’avait jusqu’ici considéré comme un homme de peu, dépourvu de sensibilité. A tel point que sa laideur lui apparaissait comme le reflet exacte de sa personnalité intérieure. Il est vrai, admit-elle, qu’elle l’avait jugé rapidement dès leur première rencontre, en conséquence de quoi elle n’avait jamais cherché à le connaître davantage et marqué ses distances. Elle n’avait pas songé au fait que cela ait pu influer sur le comportement d’Alek à son encontre.
Il méritait bien quelques efforts de sa part, se dit Olivia. Après tout, sans lui, elle serait probablement morte à l’heure qu’il était :
— Je ne suis pas quelqu’un qui va facilement vers les autres… Je suis désolée j’ai pu te donner l’impression d’avoir un problème avec toi. C’est tout le contraire vraiment : tu m’as sauvé la vie à deux reprises ! Et… Je t’apprécie tout autant que les jumeaux Tsuro.
C’était un mensonge. Evidemment, elle avait plus d’affinité avec Maine et Tarcle mais l’important était qu’il comprenne où elle voulait en venir. D’ailleurs, le message était passé beaucoup plus clairement qu’elle ne l’aurait espéré. Une rougeur s’étalait sur les joues d’Alek jusqu’à la racine de ses cheveux.
Olivia n'en croyait pas ses yeux. Le visage émacié s’en trouvait transformé et pour la première fois elle notifia la finesse de ses traits. Il avait les pommettes hautes mais de grands yeux, le nez droit et une petite bouche maussade. Elle se demanda à quoi il ressemblerait avec quelques kilos supplémentaires, sans son air maladif et son horrible bosse. Le résultat serait surement étonnant.
Alek interrompit ses pensées, les épaules très raides. Il voulut parler vite, cependant ses mots sortirent hachés:
— J’ai sans doute été parfois un peu…brutal à ton égare. Sache que mes intentions n’étaient pas…Je n’ai jamais voulu t'offenser.
Olivia secoua la tête.
— Oublions tout ça. On s’était seulement mal compris jusqu’ici ; repartons de zéro, d’accord ?
Elle lui tendit la main. Il l'interrogea du regard, sans comprendre.
— Je m’appelle Olivia Mahe.
Il esquissa un sourire – une sorte de douloureuse grimace en réalité - puis lui serra la main. Le contact peau à peau les fit sursauter simultanément. Alek se reprit le premier.
— Alek Etcho. Il hocha la tête. Mahe.
Plus tard, lorsqu’elle repenserait à ce moment si particulier, Olivia aurait du mal à s’expliquer pourquoi la révélation d’Alek l’avait laissé complètement indifférente. Elle n’avait pas fait de lien avec le clan Etcho, ni trouvé bizarre qu’Alek affirmât être sans clan alors qu’il portait un nom de famille aussi célèbre. La sensation extraordinaire qu’elle avait ressentie lorsqu’ils s’étaient touchés tous les deux avait balayé toute autre réflexion. Un apaisement incroyable, presque magique. Mahe était certaine qu’Alek avait vécu la même chose : elle l’avait vu écarquiller les yeux de surprise, ouvrir la bouche sans qu’aucun son n’en sorte.
Après cela, Lili avait rapidement regagné sa couche, troublée. Dès l’instant où elle avait retiré sa main, le regard du Bossu s’était drapé d’un voile blanc. Il avait pris un air étrangement absent, tandis que des gouttes de sueur commençaient à perler sur son front. Olivia avait reconnu les symptômes d’un mal trop longtemps contenu et l’avait laissé seul.
La jeune femme eue des difficultés à trouver le sommeil : impossible de chasser Alek de son esprit. Tilma la tuerait si elle apprenait qu’elle avait donné sa véritable identité. C’était vraiment stupide de sa part.
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Alek entra dans la tente d’honneur. Le Commandant l’attendait. Clovis n’étant pas non plus un adepte des civilités, il en vain directement au faits.
— Dix Tartars…
— Les jumeaux ont été rapides, je vois. N’étais-je pas le seul censé te faire un rapport de la mission ?
— Je ne plaisante pas, Alek. Tu as de la chance que Tarcle et Maine soient membres de mon clan. Mais qu’en est-il des deux femmes ? Pouvons-nous compter sur leur silence ?
— Que craigniez-vous exactement, Commandant ?
— Aram a été clair sur ce point. Personne ne doit savoir.
— C’est également ma volonté.
— Je ne comprends pas, dans ce cas. Pourquoi prendre tant de risque pour une simple gamine ?
Alek se concentra. Tout se jouait maintenant.
— Cette gamine comme tu dis, elle l’une des dernières représentantes de son clan.
— Tu n’aurais pas dû intervenir.
— J’ai connu un Fara autrefois.
C’était vrai. Une guenille humaine, qui n’avait pas survécut au premier hiver, là-bas, à l’Est.
— Vraiment ? Je ne te savais pas si sentimental. C’est la guerre, Alek. La fille a survécut, mais elle mourra peut-être demain.
— J’en suis conscient.
— Bien, dit Clovis en insistant sur ce dernier mot. Ces mouvements de Tartars sont inquiétants. Après votre petite virée, il est certain que la région va être passée au peigne fin. Nous devons nous tenir prêts.
Alek observa que l’œil du Commandant brillait de satisfaction. Derrière son masque réprobateur, Clovis applaudissait. Dix Tartars à lui seul ! Personne dans l’Empire n’était capable d’une telle prouesse. Medon savait Alek talentueux, mais à ce point… cela dépassait toutes ses espérances. L’Empereur allait avoir une belle surprise.
L’entretien terminé, Alek fit un crochet par l’infirmerie pour effectuer une visite à Tarcle Tsuro. L’homme était à présent hors de danger mais devait rester alité quelques jours. Une fois cette obligation accomplie, il se rendit au pré où l’on parquait les chevaux. Alek possédait un superbe Turkmene à la robe baie, qu’il montait rarement (il était piètre cavalier et les secousses de l’animal lui causait des douleurs insupportables) mais dont il appréciait la présence silencieuse et attentive. Tout en le brossant, Alek analysa son échange avec le Commandant. Clovis était un homme doté d’une intelligence fine, et les deux hommes se fréquentaient depuis maintenant plusieurs années : une telle folie de sa part l’avait donc forcément interpelé. Allait-il chercher à se renseigner sur Olivia ? La couverture du clan Fara ne tiendrait pas longtemps face à un interrogatoire poussé.
Il sentit le cheval s’écarter légèrement - ses coups de brosse devenaient trop vigoureux.
— Alek !
Il aurait dû se douter que Tilma Oclamel du clan Fara ne perdrait pas de temps. Ils n’étaient rentrés que depuis la veille, et déjà elle venait le trouver. Alek la salua poliment.
— Ta promesse.
Elle avait une manière singulière de lever le menton, comme une mise au défit permanente.
— Demain. A 40° du Nord, après le souper.
Alek n’était guère en état de combattre avec ses points de sutures, mais il lui faudrait dans un premier temps évaluer sa maîtrise des différentes voies d’escrime. Rassurée, Oclamel poursuivi la conversation :
— Est-ce que le Commandant Medon du clan Medon va nous poser problème ?
Alek compris qu’elle s’inquiétait pour son amie.
— Je l’ignore. Le Commandant n’est pas le plus à craindre. S’il apprend la vérité, il s’assurera d’abord qu’Olivia soit en sécurité au sein de la Résistance.
— Je n’en suis pas persuadée.
Tilma n’était pas loquace ; Alek non plus. Un silence s’installa. La jeune femme soupira.
— Tu sais très bien ce qui se passera. Elle deviendra la proie de tous les mâles de l’Empire. Elle ne mérite pas de connaître un tel sort.
Alek se sentit traversé par une rage froide. S’il en était pleinement conscient, l’entendre à haute voix rendait cette éventualité plus insupportable encore. Elle lui serait arrachée. Aram utiliserait les pires méthodes pour tenter de se l’approprier.
— Ça n’arrivera pas !
Tilma Oclamel sentit qu’il était temps pour elle de prendre congé.
Le cheval approcha son museau de l’oreille d’Alex avec l’intention de lui mâcher les cheveux. Sentant l’haleine chaude contre son cou, il le repoussa doucement de la main puis lui prodigua quelques caresses. Dans la prison de Stronk, les animaux étaient rares : des rats, quelques renards et rongeur discrets… mais surtout des rapaces qui se tenaient perchés sur les cadavres qui jonchaient le sol. Alek avait découvert sur le tard que les animaux pouvait être source de joie. Contrairement aux hommes, leurs âmes étaient pures et leur esprit dépourvu de duplicité. Comme d’habitude, le fil de sa pensée dériva sur Olivia : avait-elle eu un animal de compagnie dans son enfance, à l’image de nombreux petits Lufzans ? Il aurait aimé pouvoir lui poser des milliers de questions de ce genre. Il ne lui suffisait pas de connaître son passé à travers ses émotions : Alek éprouvait le besoin impérieux de compléter le tableau avec les expériences qu’elle avait vécu.
Les premiers entrainements avec Tilma furent fort instructifs. Alek découvrit que le niveau de l’Avel-lazher était supérieur à ce qu’elle avait bien voulu montrer lors de son évaluation par Clovis. Elle possédait cette imprévisibilité qui faisait souvent défaut aux jeunes sabreurs, doublé d’une grande vivacité. Surtout, elle maîtrisait à la perfection le style Fara, issue de la voie Rone, si bien qu’il en vint à la soupçonner d’être une Maîtresse Rone - une référente dans son art. Si c’était avéré, alors Oclamel était une surdouée : à son âge, c’était rarissime. Pour appréhender un Avel-lazher, il était essentiel de comprendre ce qui le motivait à se battre. Concernant Tilma, la réponse n’était pas difficile à deviner : pour quelle raison tenait-elle tant à apprendre la voie Sterne, si ce n’était pour défier Karza Etcho lui-même ? Ceci expliquait pourquoi il lui importait peu d’être admirée pour son talent, et qu’au contraire elle chercha à le dissimuler. La Rébellion n’était pour elle qu’un moyen d’atteindre son objectif. Alek doutait cependant qu’elle parvienne un jour à surpasser l’Empereur : maîtriser son art lui avait demandé plus d’une quinzaine d’années de pratique intensive et quotidienne. De plus, Tilma n’était pas sans savoir que les origines familiales d’Alek lui conféraient un net avantage.
Non, elle ne pouvait pas être si sotte, pensa Alek. Puis il se souvient alors d’un vieux proverbe qui disait « Connais ton ennemi et connais-toi toi-même, même avec cent guerres à soutenir, cent fois tu seras victorieux.». Il sourit intérieurement : c’était donc ça.
Olivia avait retrouvé sa routine avec beaucoup de satisfaction. Alek goutait son bonheur quotidien et savait à quel point elle le méritait. La pauvre avait tant enduré ces dernières semaines : il avait ressenti la moindre de ses afflictions, son découragement parfois, tandis qu’elle faisait preuve d’un courage exemplaire devant les autres, ne se plaignant jamais. Il songea à ce qu’elle lui avait dit pour la énième fois et un sourire idiot se dessina sur son visage. « Je t’apprécie autant que les jumeaux ». Elle ne le détestait plus. Elle le saluait même lorsqu’ils leur arrivaient de se croiser - et sans détourner le regard. Alek avait déraisonnablement multiplié ces occasions tant elles le grisaient. Il s’efforçait à chaque fois de paraitre soigné, toujours rasé de près et les vêtements frais. Ses blessures étaient graissées à la graisse de mouton pour en accélérer la cicatrisation.
La présence de Tartars à quelques jours de distance avait provoqué un grand émoi dans le camp de l’Est : toute la logistique était en place pour déplacer la base plus au Nord. Le Commandant Medon espérait toutefois ne pas être contraint d’évacuer avant un mois ou deux.
Cette menace latente poussa Alek à offrir ses services à Olivia. Il le fit par l’intermédiaire de Tilma, arguant que son amie ne pouvait rester aussi vulnérable et qu’il était nécessaire qu’elle sache se battre. Évidemment, il escomptait bien qu’Olivia ne se trouvât jamais dans la situation de devoir se défendre seule. Sans vraiment se l’avouer, il avait ainsi trouvé un prétexte pour passer du temps avec elle.
Tilma avait bien entendu relayé sa proposition avec zèle et Olivia avait accepté qu’il l’entraine. « Elle est très motivée ! » avait même précisé Oclamel. Alek avait beau manier le sabre aussi facilement qu’il respirait, il nourrissait plus d’appréhension que s’il avait été face à une armée de Tartars. Il avait déjà réfléchi longuement aux exercices qu’il proposerait (ni trop difficiles, ni trop ennuyeux), à la manière de l’encourager et de complimenter ses efforts. Il fallait qu’elle constate rapidement ses progrès, c’est pourquoi il avait choisi de lui inculquer les rudiments de la voie Mai, la plus défensive des quatre voies d’escrime.
La veille de leur première séance, alors qu’il se tortillait littéralement de douleur dans son abri, il repensa une nouvelle fois à son programme
Bon, ça fait un petit moment que je suis pas venue, je m'en excuse... Mais c'est toujours très agréable de se plonger dans ton univers ! ^-^
Le rapprochement entre Alek et Olivia est désormais lancé, et j'ai vraiment hâte de voir ce que ça va donner !!
Et puis, toujours une jolie plume, tu décris ce qu'il se passe correctement et sans trop en faire ^-^
• "Prit par surprise, il poussa un juron et bondit en arrière" → pris
• "comme Tilma, qui évoquait la démarche feutré d’un félin" → feutrée
• "immobile, le visage aussi sombre qu’à l’accoutumé" → accoutumée
• "Les ombres de la nuit s oulignaient" → c'est qu'un détail, mais le 's' de "soulignaient" est séparé ^^
• "Est-ce que tu as dent contre moi ? dit Olivia d’une voix" → tu as une dent
• "J’ai sans doute été parfois un peu…brutal à ton égare" → égard
• "la révélation d’Alek l’avait laissé complètement indifférente" → laissée
• "La jeune femme eue des difficultés à trouver le sommeil" → eut
• "un adepte des civilités, il en vain directement au faits" → il en vint / aux faits
• "Pourquoi prendre tant de risque pour une simple gamine" → j'aurais dit "risques" ^^
• "Une guenille humaine, qui n’avait pas survécut au premier" → survécu
• "La fille a survécut, mais elle mourra peut-être demain" → survécu ^^
• "comme une mise au défit permanente" → défi
• "Rassurée, Oclamel poursuivi la conversation" → poursuivit
• "des rats, quelques renards et rongeur discrets" → rongeurs
• "compléter le tableau avec les expériences qu’elle avait vécu" → vécues
• "défaut aux jeunes sabreurs, doublé d’une grande vivacité" → doublée (l'imprévisibilité)
• "Alek goutait son bonheur quotidien et savait à quel point" > goûtait
• "Elle le saluait même lorsqu’ils leur arrivaient de se croiser" → il leur arrivait
• "Ses blessures étaient graissées à la graisse de mouton" → "graissées à la graisse", c'est assez répétitif ^^ Peut-être "étaient enduites de graisse de mouton" ?
A+